Michel Collon : « La Côte d’Ivoire est un exemple flagrant d’ingérence et de  néocolonialisme »

Dans cet entretien exclusif, le journaliste-écrivain belge revient sur la conférence de Paris qui avait pour thème : « Gbagbo contre  la Françafrique ».

 

Le journal de l’Afrique (JDA) : Depuis 2011, la Françafrique a sévi dans plusieurs pays africains : Centrafrique, Côte-d’Ivoire, Mali, Libye. Pourquoi avoir choisi d’organiser une grande conférence sur le cas Gbagbo?

Michel Collon (MC) : Avec les forces limitées de notre équipe Investig’Action, impossible de traiter chacune de ces interventions comme il faudrait ! J’ai beaucoup travaillé sur l’agression contre la Libye, en produisant un livre et un petit film, c’était vraiment une guerre contre toute l’Afrique.

Mais la Côte d’Ivoire est aussi un exemple flagrant d’ingérence et de néocolonialisme. Emprisonner à La Haye un président qui a seulement voulu défendre l’indépendance de son pays sert à intimider tous ceux qui en Afrique voudraient se libérer de la Françafrique. A mon avis, on en a bien trop peu parlé et le public large est resté sur une impression confuse fabriquée par les médias. Les techniques de diabolisation médiatique ont bien fonctionné. Alors, vérifier les faits avec des témoins directs me semblait indispensable pour sensibiliser un public plus large et commencer à changer le rapport des forces.

 

JDA : Quelle est l’idée générale qui se dégage des témoignages  recueillis ?

MC : Eh bien, nos 17 témoins privilégiés ont apporté une masse incroyable de faits concrets, de révélations et d’analyses pertinentes. Moi-même, j’ai beaucoup appris.

La France des multinationales a bafoué le droit international, organisé directement le trucage des chiffres du scrutin (Gbagbo avait gagné, sans aucun doute), la corruption de politiciens, le pillage des ressources en cacao et autres, un véritable coup d’Etat avec le kidnapping politique. Ils considèrent que l’Afrique leur appartient et que tout gouvernement doit leur obéir. D’ailleurs avant Gbagbo, l’ordre du jour des conseils de ministres était décidé à Paris, ça dit tout !

Les responsables en sont Sarkozy, Villepin, Alliot-Marie, Juppé, et leur politique a été continuée par Hollande, Valls et Kouchner. Mais les véritables commanditaires sont une série de multinationales françaises et autres dont nous avons entendu les méfaits avec précision.

 

JDA : L’affaire Gbagbo est très suivie en Afrique et au-delà. Avez-vous pris des dispositions pour une  large diffusion des témoignages recueillis ?

MC : Oui, bien que nos moyens soient limités comme je l’ai dit, nous avons veillé à enregistrer dans les meilleures conditions. Avec le Comité organisateur, Investig’Action prépare un DVD. Je crois que ce sera un instrument précieux pour que chacun puisse faire connaître autour de soi ce dont les médias ne parlent jamais.

 

JDA : Laurent Gbagbo et ses proches sont poursuivis à la Cour pénale internationale et en Côte-d’Ivoire. Entretemps, Alassane Ouattara et Guillaume Soro ne sont pas inquiétés. Comment comprendre cette politique de deux poids deux mesures ?

MC : Les avocats nous ont bien montré que le procès est bidon, que l’instruction du Procureur est entièrement à charge, et que malgré ses énormes moyens, le dossier est vide. En réalité, on fait traîner le procès en longueur pour empêcher le retour de Laurent Gbagbo dans la vie politique.

 

JDA : Le FMI ne tarit pas d’éloges à l’endroit du régime Ouattara qui affiche un taux de croissance élevé (8,6% en 2016). Est-ce à dire que le départ de Gbagbo était une bonne chose pour l’économie ivoirienne ?

MC : Des chiffres bidons ! L’ingénieur Ahoua Don Mello, ancien ministre, a montré que ces chiffres sont faussés : la « croissance » provient du secteur de la construction, entièrement financée par « l’aide au développement », bénéficiant aux multinationales françaises du BTP. Tandis que les secteurs créateurs de richesses ont dégringolé de 10% et même de 22% pour le pétrole.

 

JDA : La conférence de Paris s’est tenue à la veille du premier tour de la présidentielle française. Une simple coïncidence ou une stratégie ?

MC : Une coïncidence, mais ça tombait bien pour éclairer l’enjeu international. D’ailleurs, nous avons interrogé les onze candidats sur ce qu’il comptait faire à propos de ce procès, de l’emprisonnement de Gbagbo et en général de la Françafrique, notamment du franc CFA. Seuls trois ont répondu, avec de bonnes positions de Mélenchon et d’Asselineau…

 

JDA : L’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Elysée peut-elle changer quelque chose dans la Françafrique ?

MC : Eh bien, c’est le troisième à avoir répondu. Mais il ne changera rien du tout. Il n’a pas répondu aux questions mais a envoyé un texte de généralités blabla sur la continuation du beau partenariat entre France et Afrique. Comme tous les précédents présidents en fait.

 

JDA : Parmi les soutiens de M. Macron, il y a Bernard Henry Levy. Au regard de son rôle dans le chaos libyen, n’y a-t-il pas lieu de craindre d’autres guerres impérialistes en Afrique sous Macron ?

MC : Absolument. Macron est un va-t-en-guerre, aligné sur les Etats-Unis, agressif envers les Palestiniens, et dangereux pour l’Afrique. Lévy est un vendeur de propagande de guerre qu’on envoie partout où il faut justifier une agression coloniale.

 

JDA : Que pensez-vous de la mobilisation actuelle contre le franc CFA ?

MC : Très positive. Il est important que tout le continent s’unisse sur quelques objectifs précis. Or le franc CFA est un instrument central pour maintenir la tutelle, on a bien raison de cibler ce véritable étau qui enserre les peuples

 

JDA : En 2013, le Collectif Investig’Action que vous avez créé et dirigez depuis 2004 lance un Journal de l’Afrique. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce mensuel ?

MC : Eh bien, j’étais conscient qu’on n’entendait guère parler des vrais problèmes de l’Afrique, sur l’Internet international. Et quand on en parlait, c’était très rarement des Africains. J’ai donc jugé très important de créer ce rendez-vous mensuel, je suis très content que le relais ait pu être assuré par le rédac chef d’Investig’Action, Alex Anfruns, et par vous-même ! C’est une vraie satisfaction de voir que le JDA se développe bien, en comptant sur ses propres forces et j’espère qu’il pourra encore élargir son réseau d’auteurs, ses échanges d’idées et son impact. J’ai parlé avec Hugo Chavez, je peux vous dire qu’il considérait l’Amérique latine et l’Afrique comme deux sœurs qui doivent absolument se battre ensemble.

  

JDA : Avez-vous d’autres projets pour l’Afrique ?

MC : A présent qu’Alex Anfruns m’a remplacé comme rédac chef du site, je me concentre sur l’écriture de mes livres et sur le développement de notre maison d’édition de livres. En 2018, nous allons publier un grand Manuel stratégique de toute l’Afrique, que nous prépare le célèbre sociologue Saïd Bouamama. Et nous voulons rééditer un autre livre très important, un véritable « classique » sur l’histoire du continent africain, j’espère pouvoir en dire davantage bientôt.

Mais je voudrais souligner que notre petite équipe ne peut rien sans le soutien et la participation de ses lecteurs. Dans la bataille de l’info, le rapport des forces ne pourra changer que si chacun devient acteur pratique.

Liste des témoins

 Professeur BALOU-BI, ex-prisonnier politique du régime Ouattara,

Pr. Albert BOURGI, enseignant de droit,

Bernard GENET,  juriste et conseiller en relations internationales

Robert CHARVIN, universitaire

 Henriette EKWE, journaliste et panafricaniste

Bernard HOUDIN, Porte-parole Europe de Laurent GBAGBO

Guy LABERTIT, ancien délégué Afrique du PS

Théophile KOUAMOUO,  journaliste

François MATTEI, journaliste

Clotilde OHOUOCHI, ex- ministre en exil,

Maître Habiba TOURE, avocat

 Seed ZEHE, avocat

Séri ZOKOU, avocat

 Aminata TRAORE, écrivaine engagée

Ahoua DON MELLO, ancien Ministre en exil

Georges Peillon

Source : Investig’Action, Journal de l’Afrique no.32

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