Les Etats-Unis laissent tomber l’affaire des droits de l’Homme

Les Etats-Unis d’Amérique ont décidé d’officialiser leur départ du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies. Cette action menée par l’administration Trump a été reçue par les cercles libéraux américains et européens avec juste indignation.

 

Plusieurs groupes de défense des droits – « Human Rights First », « Save the Children », « CARE » – ont déclaré dans un communiqué, que le retrait des USA « va entraver encore plus la promotion des priorités concernant les droits de l’Homme et l’aide aux victimes d’abus à travers le monde ». L’Union européenne a annoncé que le retrait de Washington « risque de miner le rôle des USA comme le champion et soutien de la démocratie sur la scène internationale ».

Ces groupes d’aide basés aux USA et en UE assument que les Etats-Unis sont vraiment engagés pour les droits de l’Homme et le respect de la loi internationale. Ils voient les USA comme un instrument de paix.

Il est connu que ces assomptions sont fausses. Le gouvernement états-unien n’est ni engagé pour la loi internationale ni pour la paix et c’est l’Histoire même des Etats-Unis qui nous conduit à ce constat. En prenant la citation de Noam Chomsky – linguiste et Professeur émérite américain – : les Etats-Unis sont le « pays le plus dangereux au monde » [*].

En regardant les Etats-Unis à partir du Guatemala ou de l’Irak, nous constatons qu’ils sont vus, pas comme des «champions et soutiens à la démocratie », mais comme une puissance qui impose ses intérêts de façon antidémocratique. Nous pouvons ainsi, pointer du doigt une série d’actions états-uniennes, qui se sont déroulées au cours du dernier siècle :

1. Les guerres illégales. La guerre états-unienne de 2003 en Irak a été appelée de « guerre illégale » l’année d’après, par un proche allié des USA, le Secrétaire Général de l’Organisation des Nations unies – ONU – Kofi Annan.

2. Les coups d’Etat. Ce n’est pas comme si la conception de coups d’Etat par le gouvernement états-unien pouvait être cantonnée dans le passé – disons, le coup contre le gouvernement de l’Iran démocratiquement élu (1953) ou le Guatemala (1954). Les Etats-Unis ont aussi conduit en 2009, un coup d’Etat contre le gouvernement démocratiquement élu du Honduras – un coup condamné par l’Assemblée générale de l’ONU. Et plus récemment, les USA ont ouvertement convoqué un coup d’Etat contre le Venezuela. L’actuel élément de langage choisi par l’administration Trump est « changement de régime » en bannissant le terme « coup d’Etat », mais il s’agit juste d’un changement d’expression, plutôt que d’un changement de substance.

3. La torture. Le haut-commissariat pour les droits de l’Homme de l’ONU – depuis 2001 – a condamné l’usage de la torture par les Etats-Unis dans leur prétendue « Guerre contre la terreur » ou « Guerre contre le terrorisme ». Or la torture, va à l’encontre de toutes les valeurs des Nations unies.

4. La vente d’armes. Les Etats-Unis sont de loin, le plus grand marchand d’armes, avec des ventes sur 98 pays. Un bon tiers de la vente d’armes dans le monde, est pratiqué par les USA, d’après le rapport du SIPRI – Institut international de recherche sur la paix de Stockholm – de 2018. Ce pourcentage ne cesse d’augmenter. D’ailleurs, c’est difficile de cadrer une telle quantité d’armes vendues, avec n’importe quelle considération sur les droits de l’Homme et la paix

5. Des politiques commerciales qui produisent de la famine. Les Etats-Unis et leurs alliés ont conduit un ensemble de politiques commerciales néo-libérales, qui ont affecté négativement la majorité de la population mondiale. Le résultat du néo-libéralisme, ressenti par toutes ces populations, est la faim et la maladie, sachant que les défenseurs des droits de l’Homme regardent rarement la faim, comme mesure de la condition humaine.

Les Etats-Unis sont, comme nous venons de le démontrer, des improbables champions des droits de l’Homme et encore moins des défenseurs du système essentiel à la survie des Nations unies. Depuis 1970 qu’ils essayent de miner de l’intérieur, le système démocratique de l’ONU, en faveur de leurs propres intérêts. A chaque fois que leur feuille de route n’est pas suivie, ils n’hésitent pas à marcher unilatéralement en dehors des organismes et des négociations de l’ONU. Récemment et de façon récurrente, les Etats-Unis ont abandonné ou refusé d’adhérer aux instances de l’ONU suivantes :

1. Pacte Mondial pour les migrants et les réfugiés.

2. Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

3. Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture – UNESCO.

4. Convention-cadre sur les changements climatiques – Accord de Paris.

5. Accord de Vienne sur le nucléaire iranien.

6. Convention sur le droit de la mer.

7. Convention internationale des droits de l’enfant.

8. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

9. Convention sur les armes à sous-munitions.

10. Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

 

Le retrait des USA du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies doit être perçu dans ce contexte-là. Si l’administration états-unienne n’obtient pas ce qu’elle veut, soit elle mine de l’intérieur le corps de l’ONU, soit elle l’abandonne.

 

La domination de l’ONU

 

Dans les années 1970, l’administration Nixon a envoyé comme ambassadeur à l’ONU, Daniel Patrick Moynihan, qui avait comme but explicite de miner l’Assemblée générale des Nations unies. Il voulait ainsi déplacer le pouvoir de cette Assemblée, vers le Conseil de sécurité (je le documente dans mon livre «The Poorer Nations »). Une fois obtenu le droit de veto dans le Conseil de sécurité, les USA pourraient contrôler proprement le verdict de l’ONU. C’était cela le but. En effet, Moynihan a réussi à mettre sur un plan secondaire, l’Assemblée générale, dont les résolutions ne sont plus prises au sérieux et toute l’attention se porte maintenant sur le Conseil de sécurité.

Comme les Etats-Unis n’étaient pas satisfaits de l’approche du Conseil des droits de l’Homme, envers le militarisme états-unien et envers Israël, l’ambassadrice de Trump à l’ONU – Nikki Haley – a reçu des instructions précises pour miner le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, mis en place en 2006. La stratégie de Haley, était d’argumenter un manque de démocratie à l’intérieur du Conseil. Elle a donc essayé de former une coalition, qui appelait au changement du système de vote, y compris la mise en place d’un test, selon lequel, chaque pays et son régime respectif, pourrait être jugé trop brutal pour pouvoir y siéger. Il se trouve que les USA n’ont pas réussi à obtenir assez de soutien à leur guise. Ainsi Haley a dit à Genève, que si le Conseil ne se réformait pas (conformément aux souhaits états-uniens) les USA « iraient ailleurs » pour accomplir leurs propres intérêts en matière de droits de l’Homme.

L’ambassadrice états-unienne a aussi essayé de faire en sorte, que le Conseil de sécurité reprenne les dossiers du Conseil des droits de l’Homme, mais sans succès. Ce sont ces échecs, pour la domination du Conseil des droits de l’Homme par les Etats-Unis, qui sont à l’origine de leur retrait.

 

Qu’est-ce qu’a contrarié les Etats-Unis ?

 

Les Etats-Unis sont heureux de critiquer les pays à travers le monde qui ne sont pas leurs alliés, mais ils ne supportent aucune critique à leur encontre. L’année dernière, le rapporteur spécial du Conseil des droits de l’Homme sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme, a rapporté, que la politique fiscale des Etats-Unis, faisait des USA une des sociétés la plus inégalitaire de la planète, ce qui est resté, jusqu’à ce jour, en travers de la gorge de l’administration Trump.

Mais les vraies causes qui ont contrarié Trump, viennent des reproches faits, par le Conseil des droits de l’Homme à Israël. Le Conseil, en suivant plusieurs résolutions de l’ONU, a été obligé d’étudier l’occupation israélienne de la Palestine et autres violations commises par Israël aux résolutions de l’ONU. C’est vrai, que ces dernières années, le Conseil des droits de l’Homme a été plus agressif à propos de ces sujets. En janvier, le Conseil des droits de l’Homme, a rendu un rapport préliminaire, élaboré à partir de sa base de données, sur des entreprises qui ont violé la résolution n° 2334 et qui faisaient des affaires avec des compagnies israéliennes installées sur les territoires occupés. Les Etats-Unis – au nom de leurs propres sociétés et d’Israël – ont cherché à bloquer, sans succès, le bon déroulement de ce rapport.

Si le travail engagé dans ce rapport se poursuivait, il pourrait servir de stimulant au Mouvement BDS – Boycott, désinvestissement et sanctions –, car au-delà de la sanction de boycott de l’ONU, ces entreprises seraient placées au rang de parias. Pour les Etats-Unis, c’est acceptable de sanctionner les politiques de leurs adversaires – Iran, Corée du Nord, Russie, Venezuela – mais c’est inacceptable d’impacter leurs amis avec des sanctions. Il ne s’agit donc pas de principes concernant les droits de l’Homme mais, de la politique.

Les Etats-Unis, dont l’histoire des violations des droits de l’Homme est si riche, viennent juste d’abandonner le Conseil des droits de l’Homme. Ainsi soit-il. Voici encore, une illustration de plus, du déclin de l’influence états-unienne sur la scène internationale.

 

[*] Entretien conduit en anglais par Daniel Garmeur :https://www.youtube.com/watch?v=Eys-Op2XGWo

Cet article a été produit par « Globetrotter », un projet de l’« Independent Media Institute ».
Vijay Prashad est un historien indien, journaliste et écrivain. Il est aussi entre autre, correspondant en chef de « Globetrotter » à l’« Independant Media Institute », rédacteur en chef de « LeftWord Books » et directeur de « Tricontinental : Institute for Social Research ». Il est aussi l’auteur de « Red Star Over the Third World » (LeftWord, 2017) et de « The Death of the Nation and the Future of the Arab Revolution » (University of California Press, 2016). Son dernier livre traduit en français est «LES NATIONS OBSCURES – Une histoire populaire du tiers monde » (écosociété, 2010).

 

Source : Alternet

Traduit de l’anglais par Paulo Correia pour Investig’Action

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