Les enjeux de la contestation du Rif

Au Maroc, face aux inégalités croissantes, au chômage et aux abus de pouvoir, le ras-le-bol de la population s’intensifie. Dans la région du Rif, le mouvement social qui gronde depuis des années prend de l’ampleur.

 

Le contexte, les origines

 

La région du Rif à l’époque du protectorat franco-espagnol, souhaitait une république démocratique. En 1921, Abd El Krim proclame la République confédérée des Tribus du Rif. En 1925, Philippe Pétain, vainqueur de la bataille de Verdun et le général espagnol Primo de Rivera lancent une offensive terrible et brutale sur le Rif. Les armes chimiques sont utilisées. Abd El Krim doit capituler.

 

En 1956, l’armée de libération, composée dans sa majorité par des Rifains, se bat contre la présence française. La région est à nouveau réprimée avec violence.

En 1958, juste après l’indépendance du Maroc, c’est cette fois le futur Hassan II qui réprime un soulèvement du Rif. La brutalité est à nouveau au rendez-vous.

 

Depuis le gouvernement marocain a complètement marginalisé cette région : pas d’infrastructures, peu d’écoles, pas d’hôpitaux. La région vit dans la pauvreté.

 

L’émigration vers l’Algérie, l’Espagne ou les charbonnages belges et français était importante dans les années 1960/70. Ces dernières années, le phénomène d’émigration est toujours présent. C’est une manière de survivre pour la région. Elle permet d’améliorer un peu les conditions de vie de ceux qui restent. À Al-Hoceïma, rares sont les familles qui ne comptent pas au moins un membre installé en Europe.

 

La crise politique et sociale

 

Le roi Mohammed VI a la main sur presque tout. D’abord le pouvoir législatif et l’exécutif (le conseil des ministres est soumis au roi et aucun décret ne peut être exécuté sans son aval). Les juges sont aussi nommés par le roi, il est le chef de l’armée et de la sécurité (il n’existe pas de ministre de la Défense au Maroc, seulement un chargé de l’administration de la défense).

 

Il possède aussi personnellement une part importante des banques, de l’immobilier et des richesses (phosphate, pêche, agriculture, or…) produites par le Maroc. Selon la revue américaine Forbes, la fortune de Mohammed VI dépassait en 2009 les 2,5 milliards de dollars (1).

 

Il est aussi le prince des croyants : les imams reçoivent des prêches directement produits par le Ministère des Habous et des Affaires religieuses, ils doivent les suivre sous peine d’être révoqués.

 

L’administration et le pouvoir d’État, le « Makhzen », sont un mélange de népotisme, d’enrichissement et de privilèges reposant sur une proximité avec le pouvoir monarchique. Le développement atteint peu les zones rurales. La région du Rif reste extrêmement pauvre et tout à fait marginalisée. Il faut y faire au minimum deux heures de route pour se soigner dans un hôpital et le chemin vers les écoles est parfois très long, impossible à suivre en hiver. De plus, la région du Rif est considérée comme une zone militarisée. À tout moment, l’armée peut s’y déployer selon la volonté du Roi. Les soldats envoyés dans la région sont d’ailleurs sélectionnés en dehors du Rif.

 

En 2011 déjà, un mouvement de protestation (le mouvement du 20 février) a secoué le Maroc tout entier. Craignant un « printemps arabe » à la tunisienne, le gouvernement avait proposé une réforme constitutionnelle de façade donnant quelques pouvoirs supplémentaires au premier ministre en se gardant bien de limiter ceux du roi.

 

Mêler religion et politique est une habitude du pouvoir en place. Les manuels scolaires marocains (édités fin 2016) affirment d’ailleurs que la philosophie est une production de la pensée humaine contraire à l’Islam. Les cours de philosophie, au Maroc, sont remplacés par des cours de « pensée islamique ».

 

L’Arabie saoudite et le wahhabisme ont une influence prépondérante au Maroc. Les deux pays ont conclu un accord de partenariat (novembre 2012) qui s’est matérialisé par 5 milliards de dollars de dons saoudiens pour le développement du Maroc. Celui-ci, en contrepartie, a été l’un des premiers pays à envoyer des contingents militaires pour la coalition dirigée par l’Arabie saoudite contre le Yémen.

 

Les protestations du Rif

 

La mort du vendeur de poissons Mouhcine Fikri, en octobre dernier, alors qu’il voulait s’opposer à la destruction de sa marchandise saisie par la police a indigné la population. Mouhcine n’avait pas pêché les poissons, il les avait achetés dans le port, sous les yeux des autorités. Il refusa de leur payer un pot-de-vin, ce qui entraina la destruction de sa marchandise dans un camion à ordures. Mouhcine Fikri sauta dans la benne pour s’y opposer et y laissa la vie. La population d’Al Hoceima commença à mener une vague de manifestations, soutenue ailleurs dans le pays.

 

Le mécontentement des populations du Rif s’est transformé en mouvement de protestation. Les manifestants se sont organisés de manière pacifique, réclamant des écoles de proximité, une université, un hôpital, et les infrastructures nécessaires pour un développement normal de la région. Aucune revendication séparatiste ou indépendantiste n’a été entendue, le mouvement s’en tient à des revendications strictement économiques et sociales. Un militant, Nasser Zefzafi, qui fut déjà membre du mouvement du 20 février, participa aux protestations et en devint le leader. « Aux autorités, nous clamons haut et fort : assez de cette animosité envers la population marocaine. Assez de ces humiliations et de cette hypocrisie. Il est désormais urgent d’entamer le dialogue avec la population marocaine, ses revendications doivent être concrétisées. Et la politique extravagante que l’État mène dans le but d’étouffer encore plus les habitants de la région du Rif doit cesser immédiatement ! Cette province ne supportera pas encore plus de marginalisation et de destruction. »(2)

 

La réponse de Rabat a d’abord été faite de répression et d’intimidation. La presse étrangère a été tenue éloignée, les télévisions et radios marocaines n’ont parlé de rien. Ensuite, devant l’ampleur que prenaient les protestations, le leader, Nasser Zefzafi a été présenté comme n’ayant pas fait d’études et donc, forcément ignare.

Une autre accusation portée à l’encontre de Nasser Zefzafi et son mouvement est d’être soutenu par l’étranger, l’Algérie, en particulier. Aucune preuve n’a pu être apportée.

 

Finalement, le prétexte ayant servi à l’arrêter est un incident dans une mosquée. Un imam, selon les instructions reçues, prêchait que l’Islam condamnait le désordre et la discorde (fitna) qu’engendrait le mouvement de protestation. Zefzafi a contesté le prêche, prenant parole afin de contredire et de protester. Accusé d’atteinte à la sureté de l’État et d’avoir semé le trouble, il sera arrêté le lundi 29 mai au matin. Le gouvernement annonce un total de 40 arrestations, Amnesty International en compte 71 : manifestants, militants et blogueurs (3). Le nombre total des prisonniers serait en réalité de 94, répartis entre les prisons de El Hoceima et de Casablanca, mais il y a de nouvelles arrestations tous les jours.

 

La contestation rifaine ajoute à présent à ses revendications la libération des prisonniers.

 

Le pouvoir sait qu’il devra faire un geste. Il lui sera impossible de continuer à ignorer la situation du Rif et, plus largement, la pauvreté. Des avancées ont été faites, mais la confiance des Marocains est émoussée par des années de corruption et de promesses non tenues. Le régime ne pourra satisfaire les revendications du Rif sans que d’autres régions ne réclament les mêmes mesures.

 

La désinformation

 

Au Maroc, les journalistes sont censurés, ils se voient obligés de publier des informations tronquées ou mensongères sur la situation. La presse étrangère est également tenue à l’écart. La désinformation s’invite aussi dans les mosquées, tant au Maroc qu’à l’étranger.

 

Nasser Zefzafi déclare : « Dans certaines mosquées d’Europe, on entend dire que nous faisons du bruit pour perturber la tranquillité de la région. Nous savons que certains imams en Europe travaillent pour les services de renseignement marocains. Ils récitent ce que le gouvernement marocain leur dicte. Ils ne sont pas démocratiquement élus par les musulmans européens. Ils ne connaissent même pas la société européenne. Nos compatriotes doivent oser s’opposer à ces pratiques. Chez nous, les protestations sociales sont pacifiques. » (2 op.cit)

 

Diffusés sur les réseaux sociaux, les appels à continuer de manifester se propagent, y compris dans les autres villes du royaume. La lutte pour une meilleure information est plus que jamais d’actualité au Maroc. Elle repose à présent sur les citoyens et la diaspora marocaine. Depuis plusieurs années, une conscience politique grandit dans tout le pays, en dépit des intimidations du pouvoir et de la désinformation. Il sera désormais de plus en plus difficile de faire comme si elle n’existait pas.

 

Source: Investig’Action

 

Notes:

(1) http://www.monde-diplomatique.fr/2011/04/DALLE/20380

(2) http://www.mo.be/fr/interview/nasser-zafzafi-etat-marocain-nous-etouffe

(3) https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/06/morocco-rif-protesters-punished-with-wave-of-mass-arrests/

 

Avez-vous aimé cet article? Soutenez l’info indépendante, aidez-nous par un don :

Soutenez Investig’Action

Rejoignez les Amis d’Investig’Action

 

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.