L’enjeu

Si Bashar reste, Hollande, Cameron, Erdogan et Obama sont passibles de poursuites pour crime d’agression, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. A qui le tour ?

Milosevic doit partir ! Saddam doit partir ! Gbagbo doit partir ! Kadhafi doit partir ! Assad doit partir ! Obama doit partir ? Hollande ?

Ce qui manque à la télé, c’est un rétroviseur. À ne regarder que vers l’avant, on voit à peu près ce qui vient d’en face mais on ne comprend rien à ce qui vient de notre côté. Ça apparaît d’un coup, comme ça tomberait du ciel ; une espèce de fatalité : « Ah, la guerre, gross malheur, Ja ! »

Regarder en arrière permet souvent de recadrer une vision d’ensemble et de mieux comprendre ce qui arrive (d’en face !).

Exemple :

2011, les printemps arabes éclatent comme des grenades mûres dans une série de pays musulmans – Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, Bahreïn, Yémen – annonciateurs d’épanouissement et de prospérité. C’est ce qu’ils ont produit ? Non ! Donc, ils n’étaient pas annonciateurs d’épanouissement et de prospérité. Pour la Tunisie ils annonçaient un gouvernement islamiste et un changement de régime laborieux, chaotique et toujours indécis ; pour l’Égypte, le remplacement d’une dictature par une dictature militaire ; pour Bahreïn, le maintien du même régime ; pour l’Irak, aucune amélioration, au contraire ; pour la Libye (le pays le plus développé et le plus prospère du Maghreb) l’horreur absolue et un chaos total ; pour le Yémen et la Syrie le basculement dans la guerre et la destruction inexorable de tout le pays. Tu parles d’un printemps !

En Syrie, « les piliers de l’OTAN » – US, UK, Fr – se rangent dès le début aux côtés des insurgés qui protestent « pacifiquement » contre les réformes insuffisantes de leur gouvernement en tirant sur les forces de l’ordre et l’armée depuis des 4×4 équipés de mitrailleuses lourdes, identiques à ceux qui ont « libéré » la Libye, forts du soutien musclé de l’OTAN. Puis, progressivement, émergent de cette insurrection populaire des groupes de jihadistes de plus en plus violents, de plus en plus ouvertement liés à Al-Qaïda, de plus en plus majoritairement constitués de mercenaires internationaux recrutés par des réseaux ouvertement terroristes. Mais leurs sponsors de l’OTAN ne s’en détournent pas pour autant, au contraire, « Assad doit partir », et les médias expliquent alors régulièrement (2012-2013) que les Forces Spéciales américaines, britanniques et françaises ont pris position dans les pays limitrophes de la Syrie (Turquie, Irak, Jordanie, Liban) afin de former, d’armer et de soutenir logistiquement les rebelles de « l’Armée Syrienne Libre » qui luttent contre le gouvernement syrien pour le renverser. Ce soutien n’a pas l’aval de l’ONU et viole le droit international. De même, l’objectif de recourir à une armée de mercenaires pour violer la souveraineté d’un Etat et en renverser le gouvernement est totalement contraire à la Charte de l’ONU, qui est le fondement même du droit international. Pire, à l’instar de ce qui s’était passé pour la Libye, les piliers de l’OTAN, cessent de reconnaître le gouvernement syrien en place comme légitime et reconnaissent comme « gouvernement légitime » de la Syrie, un obscur groupuscule d’hommes d’affaires transfuges et de terroristes notoirement liés à Al-Qaïda, dont rien ne prouve qu’ils aient le moins du monde le soutien de la population syrienne. On croit encore à l’époque pouvoir intervenir bientôt militairement comme en Libye et régler ce problème de légitimation plus tard, mais le veto russe et chinois bloque tout. Pas de feu vert !

Puis c’est l’enlisement : les réseaux se subdivisent en une myriade de branches dont les noms apparaissent, disparaissent, se substituent à d’autres, avec toujours cette idée que nous, les piliers de l’OTAN, nous ne soutenons que les terroristes modérés – bien que sur le terrain, on passe notoirement d’un groupe à l’autre ou d’une alliance à l’autre sans la moindre barrière. En 2013 la presse discute sereinement la décision de la France et de l’Angleterre d’envoyer malgré tout des armes létales aux rebelles, tandis que les USA font mine de ne pas y toucher.

Officiellement, nous sommes simplement favorables au renversement de Bachar al-Assad parce qu’il bombarde son propre pays et son propre peuple. En réalité, s’il bombarde son propre pays, c’est tout simplement qu’il y est acculé par la présence même des groupes mercenaires terroristes qui cherchent à le renverser pour y prendre le pouvoir, forts du soutien politique et militaire des piliers de l’OTAN. Et tout cela est aussi parfaitement illégal et contraire à la Charte des Nations Unies. D’ailleurs, lequel de nos gouvernements accepterait d’être renversé militairement par des mercenaires terroristes armés, formés et ouvertement soutenus par une ou plusieurs puissances étrangères ? Imaginez des groupes maoïstes armés jusqu’aux dents, en pick-up flambant neufs équipés de mitrailleuses lourdes, ouvertement soutenus par la Chine et la Corée du Nord, tirant à vue sur les flics et les militaires ou prenant d’assaut une base militaire en Auvergne… Vous croyez vraiment que Hollande trouverait plus démocratique de négocier que de répondre militairement ? Obama dans un cas similaire ? C’est une guerre d’agression, Assad n’a pas d’autre choix que de se défendre. Il fait ce que ferait n’importe lequel de nos dirigeants à sa place. Bref, un an et demi après le début de l’insurrection, de ce lacis inextricable de groupes et sous-groupes terroristes émerge progressivement ce qui n’est alors qu’un sous-groupe de plus : Al-Qaïda en Irak et au Levant, qui deviendra dans un second temps l’État Islamique en Irak et au Levant, ou ISIL (EI), ou Daesh. Faute de feu vert de l’ONU et à cause du veto russe et chinois, Daesh va devenir à la fois le justificatif du maintien d’une présence militaire occidentale autour de la Syrie – et potentiellement du déclenchement d’une intervention d’urgence – et l’outil principal de déstabilisation de la Syrie en vue du renversement d’Assad. Officiellement, l’État Islamique s’installe principalement dans le désert, là où se trouvent la plupart des gisements de gaz, de pétrole et de phosphates, les principales ressources du pays. Privé de ces ressources le pays, déjà étranglé par un embargo drastique, est littéralement exsangue. Daesh impose alors à l’armée syrienne de s’éparpiller à travers d’immenses étendues de désert, contre un ennemi qui se déplace sans cesse, tandis que d’autres groupes mercenaires officiellement d’obédiences différentes continuent à prendre position dans les régions et les villes de la côte, où se concentre la majorité de la population et des activités du pays. Assad abandonne le désert et ses ressources à Daesh et replie son armée sur la bande côtière, pour y défendre les principales villes.

Officiellement, toutes ces factions sont plus ou moins rivales mais néanmoins alliées dans un objectif commun : renverser Assad. Officiellement les pays de l’OTAN soutiennent seulement les rebelles « modérés » de l’ASL et leur apportent une aide logistique et matérielle « non létale ». Les monarchies du Golfe aident pour leur part sans distinction toutes les factions opposées à Assad, auxquelles elles fournissent de l’argent et des armes. Les monarchies du Golfe ont-elles une industrie d’armement ? Non ! Qui sont leurs fournisseurs ? Les USA. Si les USA avaient réellement voulu stopper le flot d’armes en direction des réseaux terroristes actifs en Syrie et d’EI, il leur suffisait de les bloquer à la source, puis de faire pression sur leurs clients du Golfe et le flux s’éteignait. Ils l’ont fait ? Non !

Les armes et une bonne partie des recrues sont acheminées principalement par la Turquie. La Turquie fait partie de l’OTAN, elle partage donc les mêmes priorités stratégiques que ses alliés. Pour bloquer le transit des livraisons à la source, il suffisait aux USA – qui dirigent l’OTAN – d’exiger de la Turquie qu’elle verrouille ses frontières et bloque les voies de ravitaillement. Ils l’ont fait ? Non ! Certaines cargaisons d’armement passaient même par les convois humanitaires, d’où l’insistance des piliers de l’OTAN pour que l’ONU impose l’ouverture de « corridors humanitaires » jusqu’au cœur de la Syrie. Refus d’Assad. Tout le monde savait que les armes passaient d’un groupe à l’autre sans qu’aucun suivi soit simplement envisageable sur le terrain. Aux États Unis, plusieurs enquêtes sont récemment remontées jusqu’au Sénat attestant que les centaines de 4×4 japonais avec lesquels paradent depuis 4 ans les terroristes de Daesh avaient été livrées entre 2011 et 2014 par les USA et l’Angleterre au titre de « fournitures non létales », avec les fixations d’usine pour les mitrailleuses.

Mercenaires

Le recrutement des mercenaires draine depuis quatre ans au moins les volontaires du monde entier pour rejoindre « l’insurrection syrienne ». Il y avait des camps d’entrainement jusqu’en Turquie et en Jordanie. Ces pays sont clients des USA. Il suffisait aux USA de faire pression pour faire fermer ces camps et verrouiller les frontières. Jamais ! Au contraire, c’est dans les mêmes zones que les Forces Spéciales des pays de l’OTAN avaient leurs positions et leurs propres camps d’entraînement des mêmes mercenaires.

Il faut une infrastructure colossale pour mettre au point un réseau international de recrutement de mercenaires capable de drainer vers une zone de combat des dizaines de milliers d’hommes, a fortiori lorsqu’on recrute sur une base idéologique ou religieuse. Malgré tous les moyens technologiques dont ils disposent, jamais les pays de l’OTAN n’ont réellement interféré dans cette logistique pour en bloquer le fonctionnement, comme on le fait couramment pour les réseaux pédophiles ou de drogue.

Aucun mouvement de résistance spontané, aucune organisation informelle tapie dans l’ombre et nécessairement réduite à la clandestinité – y compris les grosses structures maffieuses solidement enracinées dans une longue tradition locale, comme la Cosa nostra en Sicile ou la Camorra napolitaine – n’a la capacité de mettre en place en un ou deux ans toute l’infrastructure logistique et financière d’une armée de mercenaires de plusieurs dizaines de milliers d’hommes formés, entrainés, expérimentés et physiquement capables de tenir plus de quelques mois sur le terrain sans se faire balayer. Il ne s’agit pas de la résistance d’un peuple ou d’une nation qui défend son propre pays contre une agression ou des forces d’occupation, comme au Viêtnam. La détermination de forces mercenaires ou d’occupation fonctionne sur d’autres motivations et ne peut tenir que si ces forces se savent solidement épaulées et soutenues. Leur financement hors des budgets d’État officiels demande une infrastructure, une coordination et une pratique inimaginables. Dans la pratique, seule une grande puissance, dans le cadre de ce qu’on appelle une « projection de puissance » peut réunir en peu de temps les compétences requises dans des domaines clés aussi divers que l’informatique de pointe, les réseaux de ventes d’armement, le pilotage de raffineries, la vente de gaz, de pétrole ou de phosphates sur les marchés internationaux, les montages financiers complexes, la fabrication d’armes et d’explosifs, les systèmes de codages ou de brouillages de communications, la stratégie, la logistique et les techniques militaires, etc. Encore faut-il que ce pays soit déjà doté d’une solide expérience dans ce domaine et d’un réseau monumental de contacts internationaux et de passe-droits. Or sur le plan international, un seul pays s’est déjà réellement illustré dans la déstabilisation d’États souverains par le déclenchement de « proxy wars » ou « guerre indirectes » menées par des armées mercenaires (« proxy forces »). Et au vu de toute la documentation qui remonte en ce moment concernant la création de Daesh, l’origine de l’armement et des fonds dont elle dispose, ses alliés, le type de financements qui lui permet de fonctionner, les méthodes et la formation militaire de ses cadres, etc., c’est effectivement ce pays là qui a permis à Daesh de se constituer, de se développer, de prospérer, et qui aujourd’hui tente l’impossible pour que son organisation reste fonctionnelle et capable de migrer vers d’autres pays pour y rendre les mêmes services en fonctionnant de la même manière.

(L’euphémisme d’usage des militaires français pour « proxy war » est généralement « guerre par procuration », qui noie un peu le poisson en déplaçant la responsabilité réelle du commanditaire vers l’acteur local, mais devant le droit, celui qui engage un tueur à gage n’est pas moins responsable de meurtre ou tentative de meurtre avec préméditation que son exécutant, même si celui-ci échoue ou abandonne). Les gamins occidentaux sur lesquels se focalisent nos médias ne représentent qu’une infime proportion des effectifs réels de Daesh. Selon les données de la CIA, EI compte dans ses rangs quelque 30 000 mercenaires originaires de 90 pays différents, ce qui représenterait plus de 80% de ses effectifs, et les recrutements ne font que croître. Beaucoup sont déjà aguerris et se sont formés sur d’autres conflits du même type : Afghanistan, Tchétchénie, Kosovo, Irak, Libye, avec pour bon nombre d’entre eux des stages ponctuels aux USA ou sur des bases US à l’étranger, ou dans des « entreprises de sécurité » comme Blackwater. Dans un documentaire CNN, le Col. Gulmurod Khalimov, membre de Daesh, se targue d’avoir été « formé au contre-terrorisme » dans un camp de Blackwater en Caroline du Nord. Dans ce même documentaire, Pooja Jhunjhunwala, porte parole du Département d’Etat US explique que Khalimov a participé à cinq stages de formation au contre-terrorisme aux USA et au Tadjikistan, grâce au programme sécurité diplomatique/assistance contre-terroriste du Département d’Etat US).

Leur salaire et les primes qu’ils touchent varient en fonction du pays d’origine et des conditions d’enrôlement : Daesh compte aussi bien de vrais fanatiques que des aventuriers occidentaux, des mercenaires internationaux rôdés sur d’autres théâtres d’opérations, des condamnés à mort sortis des geôles saoudiennes en échange de leur enrôlement, ou des électrons libres spécialisés dans l’informatique de pointe, les banques, les pétroles, les télécommunications, les systèmes d’armement dernier cri, etc. Et Daesh a largement les moyens de financer non seulement leurs salaires – et ceux des recruteurs et passeurs partout dans le monde – mais aussi leur formation, leurs équipements, leur armement, leurs véhicules, leurs munitions, leur nourriture, leurs soins et médicaments et leurs doses quotidiennes de captagon, dont les effets sur le terrain étaient pour certains leur motivation principale. Financement

Le groupe disposait dès le début de ressources considérables. Selon certaines estimations (CIA et autres services de renseignements), début 2015, les avoirs de l’Etat Islamique atteignaient déjà les 2 000 milliards de dollars, pour un chiffre d’affaires annuel de 2 900 millions de dollars. La plupart de ces avoirs proviennent du pillage de banques et de l’annexion de sites pétroliers et gaziers, ainsi que d’entreprises d’extraction et de traitement des phosphates, de production de ciment et d’acide sulfurique et phosphorique, etc. Tous ces revenus sont illicites car ils proviennent de spoliations.

D’après les opérateurs et les ingénieurs locaux, la production de pétrole sur le territoire de l’EI serait actuellement d’environ 40 000 à 50 000 barils par jour, que les terroristes négocient sur les sites d’extraction entre 20 à 45 dollars le baril, soit bien au-dessous des tarifs convenus sur les marchés internationaux licites. Les cours officiels du Brent ont chuté de 110 dollars le baril en juin 2014 à environ 50 dollars aujourd’hui. À elles seules, ces ventes leur rapportent néanmoins en moyenne 1,5 million de dollars par jour. Selon Jean-Charles Brisard, expert du financement du terrorisme cité par Les Echos et coauteur d’un rapport sur le sujet, « le pétrole assure aujourd’hui 25 % des revenus de Daech, soit 600 millions de dollars par an  ». Pour Jean-Charles Brisard, les revenus pétroliers de Daesh auraient cependant baissé récemment : à l’été 2014 leur production montait à 70 ou 80 000 barils par jour, leurs revenus pétroliers représentaient alors 1 milliard de dollars par an. Restent le gaz, les phosphates, les ciments, etc.

Autre source de financement de Daesh : la vente des céréales. Selon les statistiques de l’ONU, les provinces de Ninive et de Saladin, annexées par Daesh, comptent parmi les terres les plus fertiles d’Irak. Des réserves nationales de plus d’un million de tonnes de céréales ont ainsi été spoliées et revendues par Daesh sur les marchés internationaux avec, là aussi, la complicité d’acteurs majeurs dans ce domaine. Outre qu’elle est un manque à gagner pour l’Etat syrien qui s’ajoute au lourd tribut des sanctions internationales drastiques, la vente illégale et à très bas prix de ce type de production (pétrole, gaz, phosphates, céréales, etc.) rapporte des dizaines de milliards de dollars par an aux djihadistes. Entre autres activités criminelles, s’ajoutent encore la vente des objets culturels précieux pillés dans les musées, les bibliothèques ou les sites archéologiques, les chantages les plus divers, le trafic de personnes (vente de femmes et d’enfants) ou le kidnapping, en partenariat avec d’autres groupes criminels, qui rapportent aussi à Daesh des revenus complémentaires substantiels. Pour Jean-Charles Brisard, cité plus haut, les extorsions en tout genre représenteraient à elles seules 800 millions de dollars par an.

Enfin, outre les multiples spoliations, bakchich et rançons de rétorsion, reste l’étonnant système fiscal institué par l’État Islamique sur les territoires qu’il contrôle : une multitude ahurissante d’impôts et de taxes extorqués quotidiennement aux personnes physiques et morales, telles que TVA, taxe sur les transactions, sur la sécurité des banques, sur la sécurité sociale et divers autres services publics, taxe sur la circulation des biens et des personnes, droit de passage aux check-points, versement de droits de douane imposé à chaque véhicule traversant la frontière jordano-irakienne ou syro-irakienne, etc.

En plus du soutien financier des monarchies du Golfe, des associations islamiques “caritatives” dispersées dans le monde entier ainsi que plusieurs milliardaires qui partagent les idées ou les intérêts de l’Etat Islamique, contribuent aussi au financement du groupe djihadiste. On est bien loin du temps où la CIA finançait la majeure partie de ses « guerres secrètes » au Cambodge et au Laos par le commerce international de l’opium et de l’héroïne via la Birmanie, les rescapés du Kuomintang et les réseaux maffieux de la « French connection ». Son expérience dans ce domaine a décuplé avec le déplacement des sites de production vers l’Afghanistan, après 2001 (cf. Peter Dale Scott, La machine de guerre américaine, trad. fr. Éd. Demi Lune, 2012).

Si les USA et l’UE étaient réellement déterminés à lutter contre Daesh plutôt qu’à l’utiliser pour renverser les gouvernements de Libye, de Syrie et probablement d’Iran et de Russie, notamment, il est inconcevable que depuis plus de quatre ans ils n’aient mis en place aucune mesure effective de surveillance des marchés internationaux et de sanctions (pour complicité de recel ou d’activités illicites) visant explicitement la destruction du système financier du groupe djihadiste et le blocage de toutes ses sources de financement – d’autant que la Turquie d’Erdogan, membre de l’OTAN et de la coalition pro-US anti-EI, est notoirement l’un des principaux clients de Daesh, notamment pour le gaz et le pétrole. Un récent article du Guardian (UK), signé Martin Chulov, évoquait les documents saisis suite au bombardement de la résidence d’Abu Sayyaf, l’un des responsables financiers de Daesh, et qui attestent clairement que des responsables du gouvernement turc traitaient directement avec les responsables de Daesh pour l’achat d’importantes cargaisons de gaz et de pétrole spolié finançant une organisation terroriste. Suite au dernier incident en Syrie entre la Russie et la Turquie, les autorités russes sont en train de faire remonter une montagne de documents qui attestent et corroborent l’implication de la Turquie, membre de l’OTAN, dans le financement de Daesh par le biais de ce trafic.

Depuis l’intervention russe, l’heure est plutôt à la panique, à l’obstination, aux coups de gueule, au chantage et à la diabolisation. Les Occidentaux sont prêts à faire feu de tout bois et tout ce qui est susceptible de ternir la réputation des Russes, de leurs intentions, de leurs méthodes et de leur intervention en Syrie semble encore jouable : dopage sportif ; diffamation sans preuves (bombardements d’hôpitaux ou de « terroristes modérés ») ; remise en route de toute la rhétorique de la Guerre froide sur les ambitions hégémonistes des Russes ; accusations US de collusion d’hommes d’affaires russes avec Daesh (ce qui ne manque pas de culot) ; imputation de l’exode syrien et de la crise des réfugiés en Europe à l’intervention russe (plutôt qu’à quatre ans d’agression et de destruction méthodique de la Syrie par des forces mercenaires à la solde des piliers de l’OTAN – déjà responsables, et par les mêmes méthodes, de l’effondrement total de la Libye, de l’Afghanistan et de l’Irak) ; tentatives de saisir la Cour internationale de justice pour faire condamner Assad par contumace pour crimes contre l’Humanité via les dossiers des barils d’explosif, des attaques chimiques et de la torture (alors que les États-Unis eux-mêmes demandaient à l’ONU pendant leur Seconde guerre d’Irak, de produire un texte légitimant l’usage de la torture en cas de conflit, afin de justifier rétroactivement l’usage massif qu’ils en faisaient dans leurs « rendition centers » éparpillés dans le monde, comme celui de Guantanamo). En même temps le consensus se fissure. A l’instar de ceux qui avaient créé Al-Qaïda comme outil de guerre vers 1980 (notamment Brzezinski), suite au renversement de la monarchie pro-occidentale d’Afghanistan, pour y contrer l’inéluctable virage à gauche de la toute nouvelle République afghane, ou de ceux qui avaient dans le même esprit misé sur l’ultra droite nationaliste et le trafic de drogue international pour financer leurs « guerres secrètes » au Laos et au Cambodge dans les années 1970, ceux qui ont contribué à créer l’EI – pour se vanter ou s’innocenter – lâchent déjà le morceau et, sentant le vent tourner, dévoilent les prémices de l’affaire. En août 2015, sur Al Jazeera, l’ancien directeur de la Defense Intelligence Agency (DIA), Michael Flynn, confirmait au journaliste Medhi Hasan que la décision de favoriser l’émergence d’un État islamique à la frontière syro-irakienne avait été prise en toute conscience par la Maison Blanche, et que le fait de financer, d’armer et de former des djihadistes radicaux (qui allaient devenir Daesh et al-Nusra) pour contrer le régime syrien fut une décision délibérée des stratèges de Washington. Lorsque le dossier lui avait été soumis en 2012, il avait annoncé le type de problème qui pourrait découler d’une telle initiative, mais la décision fut prise quand même. Selon Michael Flynn, dès 2012 les USA aidaient à coordonner les transferts d’armes vers des mouvements qu’ils étaient officiellement supposés combattre : Salafistes, frères musulmans, Al-Qaïda en Irak. Ses déclarations ont brièvement défrayé la chronique dans les médias les plus critiques de l’intervention occidentale en Syrie.

Le 26 mai 2015, un article du magazine allemand Focus citait déjà un document de la DIA allant dans le même sens et daté d’août 2011 : « L’affaiblissement de Bachar al-Assad crée une atmosphère idéale pour Al-Qaïda et lui permettrait de revenir en Irak et de s’installer à Mossoul et à Ramadi ».

Plus récemment, le Daily Mail évoquait longuement l’utilisation des camps d’internement US en Irak comme « catalyseurs de Daesh », c’est-à-dire comme centres de recrutement, de sélection et d’entrainement des futures élites de l’EI pendant la guerre d’Irak. Abu Bakr al-Baghdadi, Abu Muslim al-Turkmani (ex-n°2 de Daesh), Haji Bakr (ex-colonel de l’aviation irakienne, qui serait l’un des cerveaux de Daesh), le « Calife Ibrahim », etc. Une dizaine des principaux leaders de Daesh auraient été recrutés et radicalisés à Camp Bucca, mini-Guantanamo près de Umm Qasr, au sud de l’Irak. (http://www.dailymail.co.uk/news/art…)

Entre 2003 et 2009, ce camp regroupera plus de 100 000 prisonniers. Chiites et sunnites y étaient parqués séparément mais face à face. Les plus radicaux étaient regroupés mais restaient libres de s’organiser, d’imposer leurs règles aux moins fanatiques et de former les plus jeunes, etc. « Je les voyais donner des cours et expliquer sur des tableaux de classe comment utiliser les explosifs, les armes, et comment mener des attaques suicide » expliquait Adel Jasim Mohammed, ex-détenu, aux journalistes d’Al Jazeera. Les extrémistes sunnites imposaient la Charia, radicalisaient ouvertement les plus modérés, torturaient ceux qui refusaient de suivre, allant jusqu’à leur arracher la langue ou les yeux. Les gardiens avaient ordre de laisser faire, sans s’interposer.

Aujourd’hui, l’Etat islamique est présent sur la liste noire du Conseil de sécurité de l’ONU comme l’un des noms d’Al-Qaïda en Irak. Compte tenu de l’évolution de la situation en Syrie, en Irak et en Libye, la Russie a proposé avec insistance de réinscrire l’EI en tant qu’entité spécifique directement dans cette liste, mais cette initiative est pour l’instant bloquée par les États-Unis.

Ailleurs, d’autres font le ménage. Alors que Tony Blair est poursuivi pour crimes de guerre en Angleterre pour la guerre d’agression lancée illégalement contre l’Irak et ses épouvantables conséquences, Obama envoie, malgré les recommandations inverses du Congrès, une cinquantaine d’agents des Forces Spéciales US en Irak. Depuis 2003, les Forces Spéciales ont toujours été officieusement présentes en Irak et en Syrie mais leurs missions étaient secrètes. Officialiser leur présence indique manifestement une réorientation des priorités US dans la région, et il semble probable qu’au train où vont les choses, la question de former ou d’aider sur le terrain les « terroristes modérés » soi disant engagés contre Daesh et Assad, voire d’agir à leur place ou en leur nom soit subitement devenu secondaire. Vu le fiasco général et l’effondrement inexorable de toute la fourmilière mercenaire pro-occidentale en pleine débandade en Syrie, il semble plus probable que la mission réelle des Forces Spéciales US dans la région soit surtout de récupérer et détruire le plus de documentation possible sur les liens directs entre les Forces Spéciales des pays de l’OTAN et l’apparition, le maintien, le recrutement, le financement, l’armement, l’expansion et les exactions de Daesh, ainsi que sur tout ce qui permettrait à terme de faire le bilan, et surtout le procès, de l’ensemble de leurs activités criminelles.

Idem des principaux acteurs susceptibles d’être poursuivis : outre les principaux leaders de Daesh, qui tombent comme des mouches sans aucun témoin crédible (pour reparaître ailleurs, à l’instar de Mokhtar Belmokhtar, alias Belaouer, alias Laouar, alias Khaled Abou al-Abbas), grâce à la « redoutable » efficacité des frappes américaines, Ahmed Chalabi, transfuge irakien de premier ordre pour l’administration Bush et le Pentagone, vient très opportunément de mourir d’une crise cardiaque. Chalabi était l’un des principaux instigateurs de l’invasion américano-britannique de l’Irak en 2003. C’est officiellement lui qui avait confirmé aux services secrets américains et britanniques l’existence des prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein et les soi disant liens de ce dernier avec Al-Qaïda. Entre avril 2005 et mai 2006, il avait été nommé vice-Premier ministre du premier pseudo-gouvernement pro-US post-Saddam en Irak, puis (comme par hasard) ministre du Pétrole dans différents gouvernements fantoches mis en place en Irak par l’occupant US. Tombé en disgrâce pour avoir exagérément accumulé malversations et prévarications en tous genres, il s’était réfugié en Angleterre puis aux USA, où on l’avait discrètement mis au placard. Mais vu comment le vent tourne aujourd’hui, son avidité chronique et son absence totale de scrupules devenait pour beaucoup une menace. Plus maintenant !

En fait, les USA ont été surpris par la soudaineté du déclenchement de l’intervention russe. Aucun rapport de leurs services de renseignements n’anticipait une telle réaction. En réalité, les Russes n’avaient guère le choix, ils étaient probablement les prochains sur la liste, en tenailles sur deux fronts : à l’Est par Daesh, à l’Ouest par l’OTAN. Il fallait faire vite, frapper fort, et c’était le moment.

Les bombardements russes ont démarré directement sur les points où portaient la plupart des critiques questionnant la pertinence des frappes de la coalition US : stocks d’armement, de munitions et de carburants, voies d’acheminement vers les positions officielles de Daesh, et postes de commandement éloignés des zones de combat, autant de positions théoriquement sanctuarisées par leur enclavement dans les zones tenues par « les islamistes modérés » officiellement soutenus par les membres de l’OTAN (Turquie, US, Fr, UK). Deux priorités : 1) couper les voies de ravitaillement de Daesh ; 2) désenclaver l’armée syrienne afin qu’elle puisse reprendre la main sur le terrain. Réaction éloquente des USA sur le terrain : impossible d’acheminer les armes par la Turquie, Washington parachute ouvertement 50 tonnes d’armement et de munitions et s’engage à livrer davantage de missiles antichars TOW aux « rebelles modérés » syriens – alors qu’ils viennent de reconnaitre que les 500 millions de dollars de leur programme officiel n’avaient finalement profité qu’à Daesh et qu’il était impossible de tracer les déplacements des armes livrées à l’ASL (dont on ne sait même pas si elle existe réellement ni combien de combattants elle compte).

Réaction officielle et médiatique des USA : « Arrêtez immédiatement ! Vous bombardez les positions des islamistes formés et entrainés par la CIA ! ». Si le précédent programme, reconnu comme un fiasco total par le Pentagone et le Congrès était officiel, celui de la CIA était absolument secret et supposé ne jamais avoir existé. Quel type de combattants produisait ce programme ? Combien ? Sur quels budgets ? Quel type de formation recevaient-ils ? Quel type d’armement ? Quels objectifs ? Où sont-ils à présent ? Les paris sont ouverts !

L’intervention russe avait trois objectifs majeurs : 1) désenclaver l’armée syrienne, 2) priver Daesh de ses voies et stocks de ravitaillement (vivres, munitions, carburants) et de ses postes et relais de commandements, 3) Montrer au monde entier que la stratégie US en Syrie était la même que celle que les USA avaient depuis reconnu avoir mis en place en Afghanistan en 1979 : déstabilisation économique et infiltration d’une armée mercenaire islamiste visant le renversement du régime en place, c’est-à-dire le remplacement d’un régime laïc de type socialiste par un régime islamiste archaïque, répressif et militarisé. Il s’agissait alors de permettre à ces groupes de prendre le pouvoir par les armes, et de les y maintenir aussi longtemps que nécessaire, afin d’oblitérer l’émergence d’un Afghanistan moderne exploitant ses propres ressources à la manière de l’Irak, de la Syrie ou de la Libye – l’alternative laissée aux Afghans depuis 35 ans (déjà) : les Talibans ou le chaos total.

Poutine a sciemment déclenché son offensive à la veille de la 70e session de l’Assemblée Générale de l’ONU, afin de s’assurer que le monde entier aurait les yeux rivés sur ce qui était en train de se passer et que l’éclairage de l’événement ne serait pas dominé par le seul point de vue des Occidentaux sur la question. La légitimité de l’intervention russe, bien qu’indiscutable fut immédiatement discutée mais principalement dans ce cadre, et internationalement reconnue. C’est au contraire l’absence totale de légitimité de l’intervention des pays de l’OTAN et du Golfe qui fut mise en lumière et dénoncée depuis la tribune par les représentants de nombreux pays, ainsi que leurs interventions précédentes, jugées à l’aune de leurs méthodes et des résultats catastrophiques produits dans des pays tels que l’Irak, l’Afghanistan ou la Libye. Dans son discours comme dans celui de nombreux intervenants, Poutine dénonçait très explicitement l’irresponsabilité des dirigeants occidentaux, qui prétendent lutter contre le terrorisme international alors qu’ils créent de toutes pièces des réseaux terroristes qu’ils utilisent ensuite ouvertement pour renverser les gouvernements qui les dérangent.

Mais en attendant cet événement pour intervenir contre Daesh sur demande du gouvernement syrien, Poutine mettait les pays de l’OTAN au pied du mur et face à leurs contradictions. S’ils respectent le droit international, leur priorité doit être de combattre Daesh, non de renverser illégalement, sans l’aval de l’ONU, le gouvernement légitime d’un pays souverain. S’ils luttent effectivement contre Daesh, ils deviennent de facto les alliés des Russes, des forces syriennes, des forces militaires et civiles irakiennes, de l’Iran, du Hezbollah et des milices kurdes (les seuls avec l’armée syrienne à avoir réellement combattu Daesh sur le terrain et victorieusement encore). Or de toute évidence…

Crime de haute trahison

Les faits sont là, ils remontent les uns après les autres et ne cessent de prouver le contraire : loin de l’éclairage apologétique des médias, dans le monde réel, l’aviation de la coalition pro-US largue ses bombes sur ses alliés et ravitaille ses adversaires. Février 2015, Jafar al-Jaberi, coordinateur des forces populaires irakiennes, dénonce à nouveau les continuels parachutages de vivres et de munitions sur les positions de Daesh : « Ils en parachutent même sur les positions d’où nous venons de les chasser pour les inciter à y revenir ! » Même constat sur les provinces de Anbar et Mosul. À la même période, le chef du Comité de la sécurité et de la défense nationale, Hakem al-Zameli, dénonce devant le parlement irakien le parachutage attesté de vivres, armes et munitions sur les positions de Daesh par l’aviation de la coalition US, dans les provinces de Salahuddin, Al-Anbar et Diyala. Pour Zameli, jamais Daesh n’aurait pu tenir dans ces provinces sans ces parachutages.

Citant un document du centre d’information de la Cour suprême islamique d’Irak, Zameli explique en outre que les photographies et les positions respectives de deux avions britanniques abattus en plein parachutage de munitions sur les positions de Daesh ont déjà été remises au parlement irakien, qui a exigé des autorités britanniques des explications concernant ces parachutages.

Sur le terrain, en Irak comme en Syrie, le constat est le même, la plupart des armes découvertes dans des caches ou saisies sur les zones d’où Daesh venait d’être chassé sont généralement neuves et de fabrication américaine, israélienne, européenne ou turque.

Dernièrement, les forces de sécurité irakiennes ont arrêté à l’aéroport de Bagdad deux avions allemands à destination d’Erbil, au Kurdistan irakien, qui transportaient illégalement une cargaison d’armes pour une valeur d’environ 5 millions de dollars. Début novembre, c’étaient un avion suédois et un appareil canadien qui étaient arrêtés au même endroit pour la même raison : transport illicite d’une cargaison d’armes non signalée aux autorités irakiennes. Courant novembre, deux avions de la coalition pro-US anti ISIL se faisaient aussi épingler au même jeu : transport illicite d’armes non déclarées vers le Kurdistan irakien. « Le comité d’inspection de l’aéroport international de Bagdad y a d’ailleurs trouvé une quantité impressionnante de fusils d’assaut équipés de silencieux et d’armement mi-lourd » déclarait Hakem al-Zameli, chef de la Commission de sécurité et de défense du Parlement irakien. En avril 2015, l’agence iranienne Fars citait une déclaration du chef de l’Etat-major général de l’armée iranienne, Hassan Firouzabadi : « Nous avons reçu plusieurs rapport attestant que des avions américains atterrissaient et décollaient des aéroports contrôlés par l’EI ».

Lorsqu’elle ne largue pas de ravitaillement, l’aviation de la coalition pro-US largue directement ses bombes sur les positions de ses propres alliés sur le terrain, or 80% des frappes de la coalition sont américaines. Depuis le début de leurs frappes, à de nombreuses occasions les chasseurs bombardiers de la coalition US ont par exemple bombardé les positions des forces populaires irakiennes (milices civiles), notamment à Ramadi, alors qu’ils connaissaient leurs positions. A l’instar de l’armée syrienne, l’armée irakienne est soutenue par des bataillons de civils volontaires qui participent activement aux combats en tant que résistants mais ne touchent pas la solde des militaires.

Le 29 mars, près de Tikrit, huit frappes de la coalition épargnent les positions de Daesh et frappent directement les forces populaires Irakiennes en plein combat contre Daesh.

En mai, elles bombardent les positions des forces populaires irakiennes près de Bagdad avec un nombre important de victimes. Le même mois, d’autres frappes détruisent totalement des ateliers et un dépôt de munitions des mêmes forces populaires (2 morts).

En juin, même scénario à Anbar, dans l’Ouest de l’Irak, puis ce sont les bases des bataillons du Hezbollah intégrés à l’Armée irakienne qui sont bombardées à Fallujah, dans la province d’Anbar. C’est seulement une poignée d’exemples, la liste est loin d’être exhaustive.

Novembre 2015, dans la même province d’Anbar, où l’avancée des forces Irakiennes a récemment mis en fuite celles de Daesh, les irakiens découvrent des dizaines de barils de nitrate d’ammonium estampillés « Made in Turkey » et dont les dates de production sont d’à peine 2 mois antérieures à celle de leur capture. Mélangé à d’autres produits chimiques, le nitrate d’ammonium devient un puissant explosif, tel qu’on peut le voir sur les vidéos montrant la destruction de Nimroud ou des temples de Palmyre.

Depuis plusieurs mois, les forces qui interviennent au sol contre Daesh continuent de découvrir des stocks d’armes, de munitions et de roquettes « Made in Turkey » dans les positions abandonnées par l’Etat Islamique. Officiellement, Ankara continue de considérer EI comme une « organisation terroriste » et nie avoir aucun contact avec celle-ci, mais reconnait soutenir le Front Al-Nusra – branche officielle d’Al-Qaïda en Syrie – sachant pertinemment que sur le terrain, les deux factions ne sont ni réellement ennemies ni réellement distinctes. Au fil du repli de l’EI, documents et rapports s’empilent attestant que le soutien des pays de l’OTAN est sciemment et indistinctement offert à l’ensemble de ces groupes, dans le seul but d’obtenir rapidement la chute du gouvernement syrien et l’élimination d’Assad.

Il y a peu c’était l’aviation israélienne qui bombardait une base militaire syrienne. Plus tôt et à plusieurs reprises elle bombardait les positions du Hezbollah en Syrie, et quelques mois plus tôt leurs stocks de munitions. Dernières frappes en date : le 11 novembre 2015 tout près de l’aéroport de Damas. Israël est l’allié des pays de l’OTAN et sur le terrain, le Hezbollah combat l’Etat Islamique. En bombardant la Syrie sans aucune autorisation, Israël ne viole pas seulement l’espace aérien syrien mais surtout le droit international, et contre qui ? Les ennemis de Daesh ! Demande de sanctions ? Au nord, c’est l’aviation turque qui bombarde régulièrement les positions des kurdes syriens. La Turquie est membre de l’OTAN, sur le terrain les Kurdes syriens sont en première ligne pour combattre Daesh, ces bombardements violent l’espace aérien et la souveraineté syrienne. Des sanctions ? Des critiques dans la presse ? Ah si, effectivement, on y a vivement critiqué l’aviation russe pour une incursion de quelques secondes dans l’espace aérien turc (sans bombardement) en raison des conditions météo. A croire que les Russes voulaient mieux mettre en évidence les aberrations et paradoxes de l’attitude des Occidentaux vis-à-vis du droit international et en prendre bonne note.

Dernièrement, lorsqu’un Sukoï 24 russe s’est fait descendre par l’aviation turque, aucune chancellerie des pays de l’Otan ne s’est mise en avant pour dénoncer officiellement la faute grave qui venait d’être commise par la Turquie. Pas même pour présenter symboliquement ses condoléances. Au contraire, tous nos représentants de gouvernements et porte-paroles officiels ont ouvertement tenue pour avérée l’affirmation d’Ankara concernant une violation de l’espace aérien turc par le pilote russe (ce qui, de toute façon, qui ne justifiait aucunement d’abattre un avion de chasse en opération contre un ennemi commun et qui, de fait, ne constituait nullement une menace directe pour la Turquie). Aux dernières nouvelles, le suivi de la trajectoire des différents appareils impliqués dans cette affaire atteste que, non seulement les pilotes russes n’avaient pas violé l’espace aérien turc, mais qu’en outre les deux F 16 les avaient attendu en tournant en rond à proximité de la zone où ils devaient intervenir, puis ont pénétré l’espace aérien syrien pour les descendre. Or seuls les USA connaissaient le plan de vol et le timing exact des pilotes russes, conformément aux accords récemment passés entre la Russie et les USA pour coordonner leurs interventions respectives. L’implication évidente des USA dans ce crime de guerre désormais dénoncé comme tel par la Russie pourrait bien expliquer la récente crispation des USA dans cette crise et le lancement dans les médias occidentaux d’une nouvelle campagne de diabolisation anti-russe.

En principe dans un conflit international, lors qu’on bombarde délibérément les positions de ses alliés on est condamné sans appel pour haute trahison, et a fortiori si par ailleurs on ravitaille régulièrement les forces ennemies en armes, vivres et munitions. Ce qui est extraordinaire ici c’est que pour notre classe politique et nos médias, tous ces paradoxes passent comme si tout cela était parfaitement normal. Nous combattons les islamistes de Daesh et le terrorisme international mais ce faisant, nous bombardons ouvertement ceux de nos alliés qui ont sur le terrain les meilleurs résultats contre cet ennemi, que nous ravitaillons en vivres et munitions pour qu’il puisse détruire nos alliés, et c’est juste normal ? Nous soutenons notre ennemi contre nos alliés alors que nous venons de livrer la Lybie, qui était le pays le plus prospère de toute l’Afrique, aux mains de ces mêmes islamistes – auxquels nous reconnaissons aujourd’hui avoir aussi délibérément livré l’Afghanistan en 1989 – et c’est parfaitement normal ? L’objectif de Daesh n’est pas de renverser Hollande, Obama ou la reine d’Angleterre, c’est de renverser Assad. Nous avons le même objectif que nos ennemis, à l’opposé de celui de nos alliés que nous bombardons, et c’est parfaitement normal ? Nous intervenons en Syrie pour libérer les Syriens mais nous interdisons absolument par avance qu’ils aient la possibilité de choisir pour leader celui qui est actuellement à la tête de leur pays et de leurs forces armées en guerre, pourquoi ? Parce qu’ils risquent de le faire ? Et alors ? Il est le seul à n’avoir jamais soutenu les islamistes qui détruisent le pays, son identité et son patrimoine et massacrent sa population, il les a toujours combattus, s’ils le choisissent, où est le problème ?

Le problème c’est que s’il reste au pouvoir il sera légitimement en droit de poursuivre devant la Cour internationale de justice les pays qui reconnaissent actuellement avoir créé Daesh, et implicitement l’avoir armé, entraîné, financé, soutenu – de mille et une manières, notamment en combattant ses véritables ennemis. Il sera légitimement en position de demander justice et réparation pour les exactions, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en Syrie par cette entité reconnue comme terroriste par l’ONU et dont l’élimination aurait dû, en conséquence, être notre priorité absolue (conformément à nos engagements officiels devant l’ONU). Et il aura peut-être pour cela le soutien de la Russie, de la Chine et d’autres pays qui étaient eux aussi les prochains sur la liste et qui pourraient avoir intérêt à un changement de paradygme.

Crime international suprême

Crimes contre la paix, rien que ça ! Il ne s’agit pas seulement de crimes de guerre ou de réparation pour des « dommages collatéraux ». Au procès de Nuremberg, où furent condamnés à mort les principaux responsables du régime nazi, le juge Robert H. Jackson, qui dirigeait l’accusation déclarait solennellement : « Déclencher une guerre d’agression, par conséquent, n’est pas seulement un crime international, c’est le crime international suprême, lequel diffère seulement des autres crimes de guerre en ce qu’il porte en lui l’horreur accumulée de tous les autres ! » Jusqu’à présent, les gouvernements victimes de crime d’agression de la part des USA ont toujours été éliminés, ou bien leur plainte était jugée irrecevable car émanant d’un gouvernement communiste, donc illégitime. Pendant dix-huit ans, les USA ont maintenu un embargo effroyablement injuste contre le Viêtnam, pays littéralement ravagé et presque anéanti par plus de vingt ans de guerre, de bombardements, de destructions des terres arables et des forêts par des millions de mètres-cubes de défoliants et de napalm, laissant derrière eux des destructions incalculables, des millions de mines, de « bombies » (petites mines des bombes à fragmentation), de morts, de blessés, de veuves et d’orphelins, de malades incurables, etc. Condition sine qua non de la levée de cet embargo : l’abandon par le Viêtnam de toute poursuite pour crimes de guerre. L’embargo ne fut levé qu’en 1994, lorsque le gouvernement du Viêtnam renonça effectivement et définitivement à toute poursuite et à toute demande de réparations.

Au cours des dernières décennies, pour tous les pays qui ont précédé, les piliers de l’OTAN étaient parvenus au prix des contorsions les plus obscènes à obtenir l’aval de l’ONU. Pour l’Afghanistan, ils l’avaient eu ; pour la Serbie, in extrémis (avec un pseudo génocide à Raçak) ; pour l’Irak, ils l’avaient extorqué en mentant ouvertement sur les armes de destruction massive ; en Libye ils avaient transformé une « interdiction de survol » de l’est du pays en destruction intégrale de toutes les capacités de défense du pays par les airs, en détournant le sens d’une demi-phrase : « … par tous les moyens possibles… ». Mais pour la Syrie ils n’ont rien ! La Syrie peut faire valoir la légitimité de sa réponse militaire (quelles qu’en soient les méthodes) à une agression armée organisée de l’extérieur par des puissances ennemies. La Russie peut faire valoir la légitimité de son intervention au regard du droit international.

L’Iran aussi. Mais les Occidentaux n’ont aucun droit d’intervenir en Syrie en y soutenant une rébellion armée majoritairement constituée de mercenaires capables d’exactions épouvantables pourvu qu’on les paye. Et depuis l’intervention russe, les dossiers de preuves de l’implication des pays de l’OTAN dans la déstabilisation de la Syrie depuis trois, quatre ans (voire davantage) avant le début des manifestations de 2011 gonflent à vue d’œil. Rien, absolument rien n’était légitime ou seulement défendable.

El la patate chaude commence tellement à sentir le roussi que tout le monde la lâche. Les uns après les autres, les parlementaires français et représentants politiques prennent leurs distances : « C’est pas moi, je n’en étais pas, j’ai dit très tôt qu’il fallait renouer avec Assad et se rapprocher de la Russie ! ». Aux USA, même chose : sénateurs et membres du Congrès demandent à la CIA d’arrêter immédiatement son programme secret en Syrie, dénoncent la décision d’Obama d’envoyer des forces au sol et son obstination à contrecarrer l’offensive russe en parachutant armes, munitions et conseillers militaires. Même Jimmy Carter, prix Nobel de la paix comme Obama (et qui soutenait ouvertement les dictatures sud-américaines) se vante d’avoir livré aux Russes des cartes indiquant les positions des islamistes – déclaration confirmée par le Kremlin, qui ne dit pas si ces renseignements lui étaient réellement utiles. En UE, Merkel n’a guère tardé à plaider pour la suspension des sanctions contre la Russie et un rapprochement avec les positions de la Russie en Syrie. Aujourd’hui, partout, en Italie, en Espagne, même en Angleterre – où les poursuites contre Blair pour les crimes commis en Irak prennent une dimension nationale – des ténors de la politique demandent qu’on cesse de soutenir les islamistes et pressent leurs dirigeants de rejoindre les positions de Poutine : priorité Daesh ! Dans le reste du monde, c’est l’indignation générale mais pour nos médias, c’est « hors champ » et ça n’a aucun intérêt. Jusqu’à début novembre, il n’y avait littéralement plus que l’Ukraine, Erdogan (en chute libre), la CIA, l’OTAN et la pitoyable clique Hollandaise de Paris pour soutenir encore les islamistes armés anti-Russes en Syrie. Même l’ASL rejoint les Russes – on finissait justement par douter de son existence. « Le Roi est nu ! »

S’il n’y a plus consensus, tout le monde se barre, le soufflet retombe. Et le couperet ? C’est là qu’on verra ce que les Russes ont vraiment dans le ventre – et en tête. Poutine parle régulièrement de tourner la page d’un monde unipolaire et d’accompagner le virage vers un monde multipolaire plus respectueux du droit international et de la diversité des nations. Qu’on le veuille ou non, c’est effectivement ce qu’on constate sur le terrain. S’il décide de tirer réellement et définitivement partie de la situation telle qu’elle s’offre à lui, il peut proposer exactement l’opposé de ce que les Occidentaux ont offert au monde arabe depuis deux siècles. Au lieu de les diviser, de les armer, de les dresser les uns contre les autres et de freiner leur développement en misant à fond sur les islamistes, les régimes militaires et les monarchistes, que Poutine mise sur des Etats laïcs et sur le développement et l’unité du monde arabe et on change d’époque. Qu’il propose seulement de soutenir le mouvement, sans ingérence, qu’il parle de Nasser, d’une grande nation arabe, belle, pleine d’avenir et prodigieusement riche de toute sa diversité culturelle, et tout le monde arabe (édifié par vingt ans de guerres épouvantables, cyniquement baptisées « interventions humanitaires », et qui en a raz le bol d’être mené en bateau et détruit par les mêmes anciennes puissances coloniales si soucieuses de leur pré-carré et de leur hégémonie culturelle et militaire) peut se polariser d’un bloc autour des BRICS et de la « sphère d’influence russe ». Et si ce basculement se produit, le mouvement de dominos, bien au-delà du monde arabe, risque fort d’être irréversible – pour le meilleur ou pour le pire… Sur le terrain, Poutine dévoile ses atouts technologiques. Dans ses déclarations, il se montre de plus en plus explicite sur ses objectifs. Lors de son intervention au sommet du G 20 à Antalya en Turquie, il dévoile que l’EI reçoit de l’argent de 40 pays différents y compris de membres du G20, et évoque la traçabilité de ces opérations. Il montre aussi des images satellites de convois de camions-citernes de plusieurs dizaines de kilomètres de long, traversant la Syrie ou l’Irak, parfaitement repérables depuis les radars de l’OTAN mais jamais bombardés depuis un an. Curieusement, dès le lendemain, les USA annoncent que leur aviation vient de bombarder (pour la première fois en un an) 116 véhicules transportant du carburant en provenance de la région de Deir ez-Zor, au sud de Raqqa. « Afin d’épargner les civils », des F16 US auraient préalablement largué des tracts pour avertir les chauffeurs de se mettre à l’abri avant le bombardement de leurs véhicules. 48 heures à peine après le sommet du G20, les bombardiers russes TU-22M3 détruisaient plus de 500 camions citernes de Daesh sur un site de rassemblement près de la frontière irakienne, ainsi que d’autres convois et des installations pétrolières.

Ce qui mérite d’être souligné ici c’est que Poutine a attendu que le conflit évolue jusqu’au stade où il se trouve actuellement pour envoyer à la face des représentants des pays les plus puissants de la planète : nous savons exactement tout ce que vous faites, et de longue date.

Dans ce contexte, il n’est sans doute pas impossible que Poutine ait proposé à Hollande de se refaire discrètement une virginité au regard du droit international et d’éventuelles poursuites à condition de lâcher Obama et de rejoindre clairement les positions de la Russie : priorité Daesh, pour le reste, aux Syriens de décider – sans ingérence. Les attentats de Paris sont-ils liés à cette volte-face (pressions, rétorsions, justifications, etc.) ? Difficile à dire, comme à chaque fois en pareil cas, tous ceux qui étaient susceptibles de pouvoir comparaitre devant un tribunal ont été tués. Abdelhamid Abaaoud, le supposé cerveau des attentats de Paris, a été criblé de balles dans la nuit du 18 novembre, dans l’assaut mené par le RAID rue Corbillon à Saint-Denis. Le corps était dans un tel état qu’il aura fallu un échantillon buccal pour l’identifier. On suppose que plus aucune emprunte digitale n’était lisible, ou qu’il en avait changé. Les autres ont sauté avec leur matériel ou se sont évaporés dans la nature. C’est comme avec la maffia, jamais moyen d’en avoir un vivant qui puisse témoigner sur ses commanditaires ses instructeurs, son réseau de contacts. La pratique de les abattre d’office est carrément devenue la norme en la matière. C’est curieux, certes, mais c’est normal. Et Valls vient d’ailleurs de décider que le tir à vue serait même désormais définitivement la norme. Réforme de la justice : plus besoin de tribunaux en matière de terrorisme. Est-ce qu’un seul de nos représentants politiques a exigé que le dernier responsable des attentats encore en cavale soit impérativement pris vivant et puisse passer aux aveux devant des juges ? Intéressant consensus, non ?

A bord du Charles-de Gaulle 18 Rafale et 8 Super étendards, deux Hawkeye de surveillance aérienne et trois hélicoptères, qui s’ajouteront aux appareils français déjà sur le terrain : six Rafales aux Emirats arabes unis et six Mirage 2000 en Jordanie. Outre les machines, la France envoie en Méditerranée quelque 3 000 militaires, sous le commandement du contre-amiral Crignola, avec pour but principal, la lutte contre l’Etat Islamique en Syrie. « Pour but principal », c’est-à-dire ?

En annonçant son alliance à la Russie et en soulignant que la « priorité est la lutte contre Daesh », François Hollande reste le cul entre deux chaises et rappelle néanmoins que « Bachar ne peut constituer une issue à la crise syrienne », même si ce sont les Syriens qui le demandent unanimement. Cette ligne que tout le monde lâche progressivement, est celle d’Obama, qui lui aussi s’y accroche toujours farouchement. Dans un discours prononcé début novembre aux Philippines, il répète inlassablement que « Bachar doit partir pour mettre fin à la guerre civile ». Comme toujours, ce discours tient ostensiblement Assad pour seul responsable de la guerre qui a détruit la Syrie alors que tout le monde comprend parfaitement, et surtout en Syrie, que c’est bien l’administration d’Obama qui a créé et imposé Daesh en Syrie et en Irak pour faire tomber le gouvernement Syrien après ceux d’Irak et de Libye, et en visant manifestement dans la foulée l’Iran et la Russie. Vu l’attitude des Russes, cette stratégie apparait désormais clairement comme une dangereuse impasse. Considérant néanmoins que la France restera sur cette même ligne, l’état-major du Pentagone qui jusqu’ici tenait Paris à l’écart de son alliance anglo-saxonne anti-Daesh (Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande), aurait communiqué à Paris des « paquets de cibles », preuve qu’il n’en manquait pas tant que ça finalement. Inutile de vérifier si ce que Washington considère comme une cible à détruire est effectivement une cible légitime.

A l’instar de ce qui s’était passé au Cambodge – où les millions de tonnes de bombes des « bombardements secrets » US radicalisaient les Khmer Rouges bien avant 1975 – les militaires US eux-mêmes dénoncent aujourd’hui le fait que la violence aveugle des bombardements US en Syrie et en Irak polarise les civils vers Daesh et radicalise l’opposition. Un récent article du Guardian cite ainsi une lettre ouverte à Obama où plusieurs pilotes de drones US expliquent que les frappes de drones américains tuent majoritairement des civils en Syrie (comme ailleurs) et servent les combattants de l’Etat islamique en justifiant leurs arguments de recrutement. Les signataires de cette lettre appellent le président à renoncer à « une stratégie qui alimente la haine », encourage le terrorisme et sert d’instrument de recrutement à l’EI. Selon l’auteur de l’article, des documents classifiés attestent que près de 90% des frappes de drones manquent leurs cibles, mais que les victimes civiles de ces frappes n’en sont pas moins comptabilisées comme “ennemis tués au combat” (contrairement aux conducteurs de camions citernes de Daesh, qui sont considérés comme des civils et prévenus avant les frappes). Sur place, les populations visées, elles, n’ont aucun recours mais savent pertinemment qui les tue.

Depuis les attentats de Paris et l’énorme bavure turque contre l’intervention russe, l’environnement militaro-diplomatique international est devenu plus flou et plus glissant que jamais. Le délitement s’accentue. Les dissensions au sein même de l’OTAN creusent des lignes de fractures proches du point de rupture ; au niveau des médias, des partis politiques, des Etats, de l’UE, de l’ONU, le consensus déjà loin d’être atteint les mois derniers pour un coup de force anti-Assad semble finir de se dissoudre dans l’évidence de la complicité d’un membre au moins de l’OTAN dans le financement de Daesh et l’embarras éclaboussé qui en découle.

Le suivi satellite du Sukoï 24 abattu par l’aviation turque ne laisse aucun doute sur la violation par la Turquie de toutes les règles de non-agression entre alliés. Les Russes ont une avance incontestable dans ce type d technologies et ils avaient pris d’avance toutes leurs précautions. Même l’OTAN repousse dédaigneusement les appels de la Turquie à la mobilisation générale. La Russie dispose en outre du suivi satellite des convois de milliers de camions de pétrole qui se dirigent depuis plusieurs années vers la frontière turque, et de données informatiques de transactions internationales sur les marchés du pétrole qui corroborent explicitement ce trafic. Les journalistes turcs disposant d’éléments concrets attestant de la livraison d’armes à Daesh par les services secrets turcs sont mis sous les verrous pour « divulgation de secrets d’Etat » (pour un article paru en mai dans Cumhuriyet). Erdogan, qui refuse de présenter officiellement ses excuses au nom de l’Etat turc, se fait progressivement lâcher par tous ses soutiens habituels (Allemagne, OTAN, USA, UE) pour ses complicités notoires, avérées et aisément démontrables avec Daesh. Pense-t-il réellement pouvoir s’en tirer en restant inflexible et en niant l’évidence ? Sera-t-il le fusible qui permettrait aux principaux acteurs de tirer à bon compte leur épingle du jeu ? Tandis que le vent tourne, faute de pouvoir endosser le costume de « chef de guerre » international laissé (très éclaboussé) par Sarkozy, Hollande proclame l’état d’urgence en France et l’étend pour l’instant sur les mois à venir (pour l’instant). Définition de l’état d’urgence : Suspension du droit de regard et de l’aval des juges sur les décisions de l’exécutif, qui peuvent être aussi arbitraires que le souhaiteront nos CRS, policiers et autres militaires formés de longue date à l’idéologie contre-insurrectionnelle des juntes militaires qui depuis des décennies servent à l’étranger les « intérêts nationaux » de nos milieux d’affaires. C’est pas seulement les manifs qui sont interdites, même pour dénoncer les dérives de l’Etat en matière de violations du droit international, c’est tout un arsenal de mesures répressives ou coercitives (perquisitions sans mandat, assignations à résidence, arrestations et détentions arbitraires sans chef d’inculpation, suspension de la présomption d’innocence, interrogatoires « musclés » de simples suspects sans témoins ni avocats, tir à vue, contrôle des médias et de l’information par les « forces de l’ordre », etc.. Comme c’est commode à une époque où des pans entiers de nos sociétés décrochent et lâchent le système. Dans le monde entier de grandes manifestations se préparent pour le sommet international sur l’environnement qui se tient prochainement à Paris, en France, elles sont interdites et les militants écologistes sont assignés à résidence. Complices de Daesh ? (J’ai délibérément laissé cette phrase qui date de deux semaines dans mon article, pour manifester ici toute mon admiration à tous ceux et celles qui ont manifesté quand même. C’était pour moi une magnifique surprise. Bravo et merci !).

Hollande nous demande de pavoiser fièrement aux fenêtres les couleurs nationales pour témoigner notre unité devant l’adversité qui nous frappe, et de facto notre soutien implicite à la « légitimité » de l’état d’urgence qu’il instaure avec les meilleures intentions du monde. Le verra-t-on bientôt aussi, ailleurs que dans ses rêves, en grand uniforme de Chef des armées – ou pire en treillis camouflage à la G. W. Bush II – invoquer l’Union Sacrée pour nous faire acheter aussi un casque et un fusil, tant qu’à faire, et marcher contre la Russie au nom de l’OTAN et des « Lois du marché » ? Maréchal, nous y revoilà ! Socialiste en général…

C’est quand même un comble, en hommage aux victimes des attentats, on nous demande d’accrocher à nos fenêtres les couleurs nationales de l’un des pays les plus directement impliqués dans la création et l’expansion de Daesh, et qui, même si réellement il ne contribue pas (ou plus) directement au soutien militaire, logistique et diplomatique qui permet à cette organisation terroriste internationale de tenir et de s’imposer en Syrie depuis trois ans, contribue le plus ouvertement du monde à affaiblir ses principaux adversaires sur le terrain par un embargo injustifiable et des sanctions internationales de la première gravité. Vraiment pas de quoi pavoiser en réalité. Les drapeaux devraient plutôt rester en berne jusqu’à ce que la France présente ses excuses officielles aux peuples syrien, libyen, irakien et français pour les conséquences épouvantables de telles mesures, et revienne sans équivoque au respect le plus strict du droit international : reconnaissance de la légitimité du gouvernement syrien actuel et respect de la souveraineté de son peuple, qui doit pouvoir choisir ses lois, son « régime » et ses dirigeants en toute liberté, sans tutelle, ni restrictions, ni ingérence d’autres États, quels qu’ils soient. On est encore très loin de ça !

Au fait, les coupables du « crime suprême », décapités, pendus, ou la chaise électrique ?

Dominique Arias, habituellement traducteur indépendant pour Investig’Action. Depuis une dizaine d’années, il a principalement traduit les textes d’Edward S. Herman, auteur principal de l’ouvrage de référence Manufacturing Consent.

Source : Investig’Action

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