Le Spectre de la paix hante le Nicaragua

Après quatre mois de violence,  la paix pourrait éclater au Nicaragua, ce qui a inquiété les partisans nord-américains opposés au président Ortega. Mais il leur reste un dernier espoir.

 

 

Le dernier en date d’une série d’articles anti-Ortega parus dans The Nation est intitulé « An eternal night of persecution and death » (Une nuit éternelle de persécution et de mort). On nous y dit : « Malgré les massacres et les nouvelles lois autoritaires, une opposition diversifiée affirme que le mouvement pour chasser Ortega est loin d’être terminé. »

Bien que certains analystes comprennent que le calme relatif qui a frappé le Nicaragua est principalement dû à l’échec de l’opposition à conserver le soutien populaire, cet article soutient que c’est parce qu’il est « trop dangereux pour les résistants de la rallier publiquement ». L’article est principalement basé sur une interview avec une source anonyme “dont le nom a été modifié pour sa sécurité” ». Vers la fin de l’article, nous découvrons que cette source anonyme est « dans un café à New York ». Toujours vigilant, il est dos au mur, « face au reste du café ».

L’opposition est en sommeil, mais The Nation espère toujours un changement de régime. La source anonyme « déplore » que « la seule façon de céder, pour Ortega, serait avec la pression étasunienne et internationale ». L’article conclut que « si les États-Unis ne sont pas le partenaire parfait, les options sont limitées ».

L’article condamne Ortega, qui « ne représente plus les idéaux de… l’anti-impérialisme », mais n’étend pas cette critique aux publications appelant les États-Unis à s’associer à un changement de régime au Nicaragua.

 

Oncle Sam viendra-t-il à la rescousse ?

 

L’universitaire latino-américain William I. Robinson, un opposant à Ortega, se demande si les États-Unis y seront obligés. Il affirme que « le principal intérêt de Washington au Nicaragua n’est pas de se débarrasser d’Ortega mais de préserver les intérêts du capital transnational ».

Une grande partie de l’analyse de Robinson est cohérente avec celles qui s’opposent à l’implication étasunienne dans les violences récentes au Nicaragua. Robinson est d’accord que le suppléant de la CIA, le National Endowment for Democracy (NED), « a commencé à financer au milieu des années 1980 et n’a jamais cessé. Ce n’est pas nouveau dans la période Ortega-Murillo ». Cependant, l’affirmation de Robinson selon laquelle le financement étasunien « n’était pas destinée à renverser Ortega » est erronée. Les dollars dits de « promotion de la démocratie » provenant des États-Unis sont allés à l’opposition qui vise à renverser Ortega

Robinson convient qu’il manque une alternative de gauche viable au sein de l’opposition à Ortega : « Ces couches populaires de base n’ont pas de projet propre à proposer comme alternative viable pour remplacer le régime. Cela ouvre la résistance populaire à la manipulation ou à la cooptation par la troisième force. » Cette troisième force, explique Robinson, « est la bourgeoisie organisée dans le Conseil supérieur de l’entreprise privée (COSEP dans son acronyme anglais), l’élite oligarchique, le capital transnational et les États-Unis ».

Robinson est d’accord : « Finalement, les forces de droite ont-elles profité de l’insurrection pour tenter d’en prendre le contrôle ? Absolument. Ces forces ont-elles développé leur propre violence ? Oui. Ont-elles manipulé une opposition de base désorganisée et politiquement incohérente à Ortega-Murillo ? Oui. » À la question rhétorique de savoir si « le scénario post-Ortega (que) la droite cherche à réaliser serait “plus, pas moins, néolibéral, répressif et autoritaire” que le régime », Robinson répond : « probablement ».

Donc quel est le problème de Robinson avec ce qu’il caractérise comme « la vision manichéenne infantile d’une partie importante de la gauche étasunienne » ?

Robinson est un ardent défenseur de l’idée que l’impérialisme américain a été éclipsé par une « classe capitaliste transnationale ». Il admet qu’à l’échelle mondiale, le Nicaragua pèse comme une force plus progressiste : « Le régime Ortega, avec son assistancialisme (sic), a-t-il été aussi “mauvais” que ces autres régimes néolibéraux ? Certainement pas. Mais être moins mauvais ne suffit pas. Le point crucial de sa différence avec la gauche anti-impérialiste est qu’elle soutient que le Nicaragua mérite d’être défendu, alors que dans le monde impérialiste post-américain, aucun pays ne réussit ce test décisif. »

 

 

La menace d’une alternative à l’Empire

 

 

Depuis la chute de l’Union soviétique et de ses alliés, tous les pays sont contraints de s’intégrer au marché capitaliste mondial, y compris le Nicaragua. Robinson le décrit bien dans ses travaux universitaires.

Mais Robinson est moins perspicace en ce qui concerne les aspects coercitifs des relations étasuniennes avec des pays progressistes comme le Nicaragua et ses alliés dans l’ALBA (Alliance bolivarienne pour les Amériques) tels que Cuba, le Venezuela et la Bolivie. Ces pays et leurs dirigeants sont dans la ligne de mire des efforts des États-Unis pour obtenir des changements de régime, précisément parce qu’ils représentent un certain degré de défi au néolibéralisme et parce qu’ils ne se soumettent pas à tous les ordres de l’Empire.

Robinson qualifie peut-être ce point de vue de « manichéen » (c’est-à-dire qui voit un monde binaire, partagé entre le bien et le mal), mais c’est une réalité imposée par les États-Unis et George W. Bush, à sa manière éloquente, a résumé le mieux la stratégie américaine : « Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous. »

L’un des facteurs qui ont contribué à faire basculer les États-Unis de la coopération à la coercition a été l’adoption d’un projet de canal interocéanique financé par les Chinois, qui remettait fondamentalement en cause les intérêts géopolitiques étasuniens.

Les États-Unis ont imposé des sanctions à l’encontre de hauts responsables nicaraguayens. USAID a reçu 1.5 million de dollars supplémentaires pour promouvoir « la liberté et la démocratie » au Nicaragua. Le NICA Act a été adopté à l’unanimité par la Chambre des représentants et est encore pendant au Sénat. Le NICA Act vise à restreindre le financement international et à provoquer de ce fait la misère du peuple nicaraguayen dans le but de faire pression sur le gouvernement Ortega.

En outre, l’essentiel du corps diplomatique américain a été retiré du Nicaragua. Le Département d’Etat américain, dans ses conseils aux voyageurs, avertit que « le personnel gouvernemental américain restant est interdit (…) d’entrée (…) dans les clubs masculins de tout le pays à cause de la criminalité ». « Les personnes ne faisant pas partie du personnel d’intervention » ont été évacuées pour retourner chez elles, probablement là où les clubs masculins sont encore sûrs.

Le Nicaragua et ses alliés représentent une bouffée d’oxygène dans un monde dominé par l’Empire américain. Le gouvernement des États-Unis reconnaît que l’alternative que représente le Nicaragua est un danger et il a menacé le gouvernement Ortega, même si certains universitaires sont moins perspicaces.

 

Roger D. Harris est membre de la direction du Groupe de travail sur les Amériques, un organisme anti-impérialiste de défense des droits de l’homme vieux de 32 ans.

 

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard

Source : Le Journal Notre Amérique N°38

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