Le retournement du monde, « l’organisation de coopération de Shanghai »

Les temps sont difficiles. Le petit monde occidental, qui a encore l’arrogance du temps de sa splendeur, a un parfum de décadence et de redites historiques, illustrées par les néofascismes qui fleurissent en Europe et tentent de revenir en Amérique du Sud. Les interrogations à son propos ne manquent pas…

 

Par exemple, où sont donc passés les Droits de l’Homme dont on nous abreuvait lorsqu’il s’agissait de donner des leçons aux régimes qui déplaisaient ? Ils se dégradent dans les vieilles « démocraties » qui se replient pour se légitimer encore sur les seules élections, sur lesquelles les pouvoirs établis ont prises grâce à l’argent et à leurs médias. Ils ont totalement disparu à propos des migrants et des demandeurs d’asile : le discours sur les droits de l’homme, accordant la priorité absolue à l’Humanitaire, se révèle vide depuis qu’il apparaît trop « coûteux » aux sociétés dites « chrétiennes » et « libérales », devenues sourdes à l’appel du Pape François lui-même et indifférentes à la légalité internationale ! La diversion que représentent dans les esprits le racisme, la xénophobie et la peur des différences permettant l’occultation des luttes sociales mérite que nos « élites » tournent la page (d’autant que les États-Unis de Trump ne montrent plus l’exemple).

La vieille loi des contradictions (inévitables) d’intérêts entre les économies capitalistes (États-Unis – Europe, par exemple), longtemps dissimulées au sein de l’Union Européenne, font apparaître que les tricheurs au pouvoir essaient de jouer sur la « libre » concurrence toujours faussée, sur la déréglementation au nom des « équilibres » financiers creusant surtout les inégalités sociales, sur une croissance sans développement social et humain.

Les crimes de guerre de l’armée israélienne, relevant d’une politique coloniale détruisant le peuple palestinien et la solution politique des « Deux États », sont supportés par les Occidentaux manifestant une complaisance pour Tel Aviv qu’ils ne pratiquent vis-à-vis de personne d’autre, si ce n’est pour la Turquie islamo-fasciste, pilier de l’OTAN ou pour l’Arabie Saoudite, une de nos tire-lire préférées, dont on applaudit avec enthousiasme l’apparition des permis de conduire féminins !

On peut aussi ironiser sur la subite perplexité des politiciens européens vis-à-vis de la question coréenne : les États-Unis et Séoul répondent enfin aux revendications de Pyong Yang (toujours soumis à embargo) qui ont presque 70 ans ! Visiblement, nombreux sont ceux qui préfèrent la tension à la détente et à l’ouverture de perspectives pour le peuple coréen !

Mériterait aussi une polémique la petite musique anti-russe à l’occasion de la Coupe du Monde « trop bien » organisée !

Le silence médiatique sur les massacres au Yémen (le compte des victimes est bloqué à 10.000 depuis des mois), et le bruit fait sur le Nicaragua ou le Venezuela, tandis que les États-Unis, la France et Israël bombardent périodiquement le territoire syrien pour essayer de se faire une place dans le futur règlement politique !

Mais, plutôt que de s’intéresser, une fois de plus, à la médiocratie affairiste occidentale, on peut souligner qu’un Nouveau Monde se prépare sans les Occidentaux, qui à son propos se taisent. Les maîtres provisoires du monde semblent « oublier » que les vaincus de l’Histoire ne sont pas toujours les mêmes. Ces « vainqueurs » peuvent devenir « derniers de cordée » parce qu’il est peut-être plus tard qu’ils ne le croient !

Ce Nouveau Monde, composé d’États asiatiques, de la Russie et de la Chine, a beaucoup de chemin à parcourir pour réaliser les avancées sociales qu’il a programmées, mais il marche, à la différence d’un Occident en pleine régression dans tous les domaines et qui défend, y compris par les armes, un désordre établi pluri-séculaire. En quelques mots, pour s’intéresser à l’avenir, observons « l’Organisation de Coopération de Shanghai », qui tente de réaliser un « retournement du monde ».

L’O.C.S (Organisation de Coopération de Shanghai) a succédé au « Groupe (informel) de Shanghai », qui de 1996 à 2001 réunissait les chefs d’États d’Asie centrale, de la Russie et de la Chine, pour répondre aux bouleversements déstabilisateurs (notamment frontaliers) consécutifs à la disparition de l’URSS.

L’Organisation, née en 2001, vise à développer la coopération entre les États membres, mais en excluant toute intégration et toute ingérence, à la différence majeure de l’Union Européenne (voir, par exemple, le cas de la Grèce). C’est le principe fondamental de la Charte des Nations Unies, l’égale souveraineté des États, qui garantit au sein de l’OCS l’indépendance de chacun des « petits » États dans leur relation avec les grandes puissances qui s’y trouvent : les décisions sont prises par consensus. Les États fondateurs de l’OCS sont la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, dont les potentiels économiques et le poids politique sont évidemment différents.

En 2017, ont rejoint l’OCS, l’Inde et le Pakistan. Certains autres États ont la qualité d’ « Observateurs » : la Mongolie (depuis 2004), l’Iran (depuis 2005), l’Afghanistan (à partir de 2012) et la Biélorussie (depuis 2015) (1).

L’OCS, organisation inter-étatique, possède une structure légère : aux côtés des Sommets (chefs d’États, chefs de gouvernements), qui ont lieu chaque année, l’organisation dispose d’un Secrétariat, organe exécutif, dont le siège est à Pékin et du « RATS », structure antiterroriste, fonctionnant depuis 2004, basé à Tachkent en Ouzbékistan. On peut citer aussi l’Association interbancaire de l’OCS et son rôle de financement de projets communs. De nombreux accords bilatéraux complètent la Charte de l’OCS.

L’OCS, que les médias occidentaux ignorent, représente néanmoins près de 50% de la population mondiale (soit près de 3 milliards d’individus) et plus de 20% du PIB mondial (2), ce qui ne les empêche pas d’oser dire, à certaines occasions, que la Russie, par exemple, est isolée au sein de la « communauté » internationale et peut-être asphyxiée par les sanctions que l’Occident lui impose !

Les économies des États membres regroupent 20% des ressources mondiales de pétrole, 38% du gaz naturel (3), 40% du charbon et 30% de l’uranium, ce qui leur donne des moyens énergétiques sans rivaux. Seules les dépenses militaires sont inférieures à celles de l’OTAN : l’OCS leur consacre 364 milliards de dollars contre 606 milliards pour les seuls États-Unis (chiffre de 2016), ce qui limite la dangerosité dont sont parfois accusées la Russie et la Chine !

L’OCS travaille au renforcement du bon voisinage entre les États membres, à la sécurité de la zone (manœuvres militaires communes, lutte contre le terrorisme – qui n’est pas le monopole des Occidentaux (4), lutte contre les trafics de drogue et autres).

Elle facilite dans tous les domaines la coopération, particulièrement entre la Chine et la Russie, et œuvre aussi à la création d’un nouvel ordre politique et économique que celui résultant de l’hégémonisme occidental. C’est ainsi que l’OCS réclame la fermeture des bases militaires américaines dans la région et travaille à unifier l’approche de la situation militaire. L’OCS n’est donc pas une alliance militaire : aucune procédure n’y est contraignante et il n’y a pas l’équivalent de l’article 5 de la Charte de l’OTAN créant une obligation d’agir dans le cas où un allié est attaqué. Elle n’a pas pour objectif de contrer l’Occident, alors que l’OTAN a depuis l’origine une politique de « containment » du communisme puis de tous ceux qualifiés « adversaires » des États-Unis ! L’un des objectifs essentiels est cependant de constituer un pôle de puissance dans le cadre d’une société internationale multipolaire équilibrée dans un monde où l’unilatéralisme messianique des États-Unis représente un danger pour la paix et la sécurité.

L’OCS constitue ainsi l’embryon du recentrage de l’économie-monde autour de l’Asie pouvant succéder à moyen terme à des siècles d’hégémonisme euraméricain.

Bien évidemment des contradictions, sources de divergences se manifestent au sein de l’OCS. Certains sont pour l’essentiel maîtrisées, comme les différends frontaliers qui affectent traditionnellement la région. Depuis l’Accord de Minsk en 1992, puis d’Almaty en 1998, les États d’Asie centrale se sont mis d’accord sur une politique frontalière commune avec la Chine, afin de sécuriser, en particulier, la frontière chinoise du Xinjiang (5).

Cette province relevant de la souveraineté chinoise (depuis 1884), comme la Tchétchènie en Russie, ont été l’objet d’opérations islamistes, parfois de grande envergure, durant la même période où l’Occident a été victime du terrorisme. L’OCS a joué et joue encore un rôle déterminant dans le combat commun de tous les États membres contre ce terrorisme islamiste qui a parfois pour « couverture » un nationalisme séparatiste (c’est le cas des Ouïgours en Chine). Mais pour le long terme, l’OCS s’engage sur la voie décisive d’un développement économique mutualisé, y compris entre des États d’orientation socio-économique et politique très différentes comme la Chine, l’Inde, la Russie et le Pakistan. Cette concentration des efforts n’exclut en rien la recherche de relations économiques avec les pays occidentaux, c’est le cas, par exemple, de la Russie qui propose une coopération énergétique (proposition du Ministre Lavrov dès 2006).

Les relations sino-russes sont complexes étant donné les inégalités de potentialités et les profondes différences civilisationnelles.

Dans le domaine de la paix internationale, l’OCS a obtenu, par exemple, au nom du respect de la souveraineté nationale, la fermeture en 2005 de la base américaine de Karshi-Khanabad en Ouzbékistan, instrument de la stratégie de Washington (doctrine du « pivot vers l’Asie » de 2011) visant à « contenir » l’influence croissance de la Chine dans la région (6) et au Kirghizistan celle de Manas en 2014, ainsi que la réduction des forces militaires dans les différentes régions frontalières. Mais elle ne peut que connaître des difficultés par l’appartenance à l’OCS de l’Inde et du Pakistan (en conflit par exemple sur le Baloutchistan) et de l’attraction de l’Inde vers les États-Unis par hostilité à la Chine.

Ce sont toutefois les critiques « occidentalistes » contre l’OCS (7), fondées sur les seuls modèle existant actuellement dans le monde euraméricain, qui permettent d’approcher au mieux la réalité de ce Nouveau Monde en Marche.

L’un des documents le plus spécifique est celui publié par l’IFRI en 2006, qualifiant l’OCS de « coup de bluff » ! L’auteur énumère tout ce que toute organisation internationale connaît et qui n’a rien de spécifique à l’OCS : il accuse cette organisation de bavardage sans conséquence à propos de ses « Déclarations », tout en la dénonçant comme une sorte de « protectorat économique de la Chine », de nature « bureaucratique », tout en soulignant que « bon nombre d’observateurs sont sceptiques ». De plus, la « Chine serait isolée au sein de l’OCS », alors qu’elle viserait à instrumentaliser l’organisation pour « s’imposer comme un pôle de puissance mondiale » (ce qui semble selon l’auteur parfaitement illégitime), car cette « non démocratie » cherche à établir une « sorte d’hégémonie douce ». Quant à la Russie, elle considérerait la Chine comme « à terme une rivale stratégique ». L’OCS ne serait pour les Russes qu’un « instrument géopolitique provisoire prolongeant la doctrine Primakov » anti-occidentale.

Les pauvres Américains ont dû renoncer à « actionner le mécanisme de la révolution de velours » (bel aveu!), au Kazakhstan notamment, et à établir un cordon sanitaire entre la Chine et le reste de l’Asie centrale.

La nécessité qui s’impose est l’intervention de l’Union Européenne, actuellement absente de la région, pour « démocratiser » la région « par une sorte de réplique des accords de Lomé ou d’Euroméd » (sic) !

L’OCS serait un « piège économique » n’apportant aucun « dividende réel » aux membres autres que la Chine et la Russie.

Ce serait aussi une prison politique, puisqu’au Xinjiang, où 45% de la population est musulmane, l’islamisme radical ne peut plus s’épanouir à la différence de ce qui s’est passé en Afghanistan, en Irak, en Syrie ou en Libye, grâce aux complaisances conjuguées des États-Unis, de la France, de la Grande Bretagne, de la Turquie, du Qatar et de l’Arabie Saoudite (8) !

En bref, à la différence de l’Union Européenne, l’OCS serait « loin d’être un modèle » concluent les brillants observateurs occidentaux en 2018 ! Dans le cadre de la pathologie occidentale la plus répandue, « l’occidentalocentrisme, le « respect de la souveraineté est peu compatible avec le concept de coopération internationale » qui « ne peut avoir lieu qu’entre des démocratie libérales »9.

A l’évidence, la pensée occidentale devient le Tiers-Monde de l’Esprit.

 

Notes :

1) Certains États participent aux réunions : le Sri Lanka, la Turquie, le Cambodge, l’Azerbaïdjan, l’Arménie et le Népal. Sont aussi invités le Turkménistan et l’ASEAN. Les États-Unis et le Japon ont eu la prétention de rejoindre l’OCS qui a refusé leur adhésion.

2)Les échanges commerciaux se sont multipliés par 7 entre 2001 et 2017. Les pays de l’OCS, y compris les États observateurs, cumulent un PIB très proche de celui de l’Union Européenne et des États-Unis (37.200 milliards de dollars contre 40.000 milliards, selon le FMI).

3)Avec la Russie et l’Iran, l’OCS possède 55% des ressources mondiales de gaz.

4)On note que la propagande occidentale assimile dans cette partie du monde l’antiterrorisme à une lutte contre la volonté de certaines minorités à s’autodéterminer (problème des Islamistes tchétchènes ou ouïgours).

5)Cette région autonome, où sont réalisés par Pékin de très lourds investissements, possède des ressources naturelles particulièrement importantes.

6)Les États-Unis et l’Europe n’apprécient pas le grand projet de la Nouvelle Route de la Soie (« Une ceinture, une Route ») , vaste réseau de transports reliant les pays du Sud-Est asiatique au Moyen Orient, à l’Afrique jusqu’à l’Europe ! Plus de 60 pays ont accepté de participer à son financement

7) Elles ne sont pas très nombreuses en Europe qui ignore les réalités qui ne sont pas les siennes. Voir, cependant, Mourat Laumouline de l’IFRI, « l’OCS vue d’Astana : un « coup de bluff » géopolitique ? ». In Russie. Nei.Visions, n° 12. 2006. Cf. P. Chabal (dir.). L’OCS et la construction de la Nouvelle Asie. Peter Lang. 2016. Ou, par exemple, la note d’actualité de novembre 2017 du Centre Français de Recherche sur le Renseignement de J. Descarpentrie. « L’OCS : une alliance sécuritaire et économique en devenir »

8)Les citations sont extraites de « l’étude » précitée de L’IFRI (2006).

 

Source : Investig’Action

 

Devons-nous « assimiler, coloniser et civiliser » la Russie ?

Et même « l’affaiblir par tous les moyens »,
comme le recommandait le stratège US Brzezinski ?

Quels intérêts sert la campagne actuelle de diabolisation de la Russie ? 

Pour le savoir, lisez  “Faut-il détester la Russie?” 
de Robert Charvin

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