“L’ascension de Mobutu” : un livre toujours pas digéré par certains milieux nostalgiques ?

Le nouveau livre de Ludo De Witte dévoile une vérité longtemps occultée sur les crimes de la Belgique et des Etats-Unis qui ont permis, après l’assassinat atroce de Patrice Lumumba (premier ministre élu), d’installer la dictature personnelle de Joseph Mobutu. Tabou ? Apparemment, cinquante ans plus tard, certains milieux belges ne digèrent toujours pas la critique du (néo)colonialisme ! De Witte répond ici au récent article de Marie-France Cros dans le quotidien belge La Libre qui tente d’excuser la Belgique.

 

La journaliste Marie-France Cros a-t-elle lu le livre ? Ou bien le quotidien veut-il renouer avec sa tradition de porte-parole des milieux (néo-)coloniaux du Royaume?

Pour rappel, La Libre a, pendant des décennies, défendu la thèse «  La Belgique n’est pour rien dans l’assassinat de Patrice Lumumba ». Jusqu’à la publication de mon “L’assassinat de Lumumba” en 1999, le crime était pour elle “une affaire de Bantous”.

 

a) Aujourd’hui, Cros prétend que les USA ont poussé la Belgique à écraser les rébellions nationalistes qui, en 1964, contrôlaient près de la moitié du territoire congolais. Faux. Je l’ai amplement démontré dans mon livre : c’est le gouvernement belge qui avait pris les devants, avec le soutien initial des Etats-Unis. Bruxelles imposa à Washington l’assaut final sur la citadelle de la rébellion, Stanleyville – Kisangani, contre la volonté des USA, qui voulaient négocier une reddition avec les rebelles.

 

b) Cros écrit : “Selon De Witte, la Belgique ne voulait pas intervenir militairement pour ne pas risquer de mettre en danger les quelque 60.000 Belges qui vivaient alors au Congo”. Je n’ai pas écrit ça. Des motifs humanitaires ? En vérité, la Belgique, après une hésitation initiale, a foncé et tout misé sur l’écrasement des rébellions. Sans aucune considération pour la vie des Noirs et des Blancs vivant dans les zones rebelles. Des Blancs qui étaient susceptibles de devenir la cible de représailles éventuelles de la part des rebelles. Le but de Bruxelles était de continuer l’exploitation de l’appareil productif sous un gouvernement pro-occidental qui garantirait des superprofits, comme à l’époque coloniale. Dans un télex à Londres, l’ambassadeur britannique au Congo faisait remarquer que son collègue, l’ambassadeur belge, avait admis « franchement que le seul souci de son gouvernement est de pouvoir faire des affaires ». (16 juin 1964) 

 

c) Cros écrit : “ Il fut fait appel à des mercenaires pour étouffer [les rébellions] et à quelques officiers belges.” Elle suggère que c’est Mobutu qui avait fait appel aux mercenaires. En réalité, c’étaient surtout les Belges (gendarmerie et Sûreté d’Etat comprises) et les Sud-Africains qui s’en occupaient… Cros parle de la participation de “quelques officiers belges”. En vérité, on déploya plus au moins 200 officiers belges : 65 au front et 130 à l’état-major et des équipes pour soutenir la force aérienne.  

 

d) Pour conclure, Cros écrit : “Toute personne un peu au fait de l’histoire congolaise n’apprendra rien dans cet ouvrage sur celui [Mobutu et son coup d‘Etat du 24 novembre 1965] qui dirigea le pays durant 31 ans.” 

 

Une conclusion vraiment bizarre. Mon livre apporte de nombreux documents, fruits de longues recherches dans les archives US, belges, britanniques et congolaises. Complétés par des interviews avec des officiers, des rebelles, des colons, des mercenaires, des agents de la CIA et des religieuses.

Pour montrer comment Mobutu, alors chef d’une armée congolaise en désintégration face à l’avance des rebelles, a été marginalisée en 1964 – 65; comment les officiers belges et les mercenaires ont détruit la menace mortelle pour le régime, rafistolant son armée pendant que les officiers de Mobutu mordaient “sur leur chique et acceptaient d’obéir”, selon les termes de l’ambassadeur belge sur place; comment finalement les USA et les Belges, y compris le ministre des Affaires étrangères belge Paul-Henri Spaak et son adjoint Etienne Davignon ont poussé un Mobutu remis en selle à instaurer sa dictature, une fois les rébellions détruites; et finalement, comment ils ont encadré le dictateur.

 

Ludo De Witte,  19/2/2018

Source : Investig’Action

 

1/3, Bruxelles : Présentation du livre
de Ludo De Witte, L’ascension de Mobutu

 

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