La Françafrique revue et corrigée par Macron

Le 28 novembre 2017, à l’université de Ouaga I au Burkina Faso, le président français a pris la parole devant 800 étudiants. Aidé par son passé de banquier, Emmanuel Macron est resté courtois et policé malgré quelques égarements à mettre sur le compte de sa jeunesse. Le président qui jouait parfois au maître de cérémonie a annoncé qu’« il n’y a plus de politique africaine de la France !! ». Traduction : « la Françafrique c’est terminé ». Attention ! Comme tout bon banquier, il veut rassurer ses clients africains pour mieux les spolier…

 

Quelque soit leur âge, les présidents français considèrent l’Afrique comme l’arrière-cour idéale pour s’essayer au paternalisme et à la profanation des symboles africains. Rappelez-vous. En 2007, c’est à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar que Nicolas Sarkozy avait déclaré que  « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire ». Niant sur sa « tombe », les nombreuses recherches et prodigieuses découvertes faites par le célèbre savant sénégalais dont l’université qui accueillait M. Sarkozy porte le nom ! Il y a qu’un président français pour faire preuve d’un tel négationnisme.

Ce 28 novembre 2017, bravant les foules qui criaient « Non à l’impérialisme français », jetant des cailloux sur le cortège présidentiel, le jeune Emmanuel Macron a choisi l’université Joseph Ki Zerbo de Ouagadougou au Burkina Faso pour annoncer aux Burkinabés et par extension, aux Africains qu’« il n’y a plus de politique africaine de la France !! ». Traduction : la Françafrique c’est terminé ; il faut tourner la page. Or Joseph Ki-Zerbo disait justement que « pour tourner une page de l’Histoire, il faut d’abord la lire ».

En conseillant aux Africains de faire du passé table rase, Emmanuel Macron s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs qui, inspirés par les « spécialistes de la pensée prélogique du Nègre », veulent nous faire prendre les vessies crevées pour des lanternes. Sinon, en 2017, le président français a-t-il besoin de prendre un vol intercontinental pour aller annoncer la mort d’une Françafrique qui avait déjà été déclarée morte et enterrée par ses prédécesseurs directs à savoir Nicolas Sarkozy et François Hollande? Il y a anguille sous roche.

En prenant le soin de ne pas la nommer, Emmanuel Macron annonce donc la fin de la Françafrique depuis Ouagadougou. Le nouveau maître de l’Elysée peut-il réussir là où tous ses prédécesseurs ont échoué si tant est qu’ils voulaient réellement mettre un terme à ces réseaux obscurs de pillage de l’Afrique?

Il ne faut pas être naïf. Ce n’est pas un ancien banquier d’affaires, de surcroît cadre sénior (malgré sa jeunesse) chez Rothschild qui viendra liquider la Françafrique. Que diront/feront ses patrons d’hier et probablement de demain s’il tue la poule aux œufs d’or ? Il y a une vie après le mandat présidentiel. Et le président Macron n’a que 39 ans…

« Il n’y a plus de politique africaine de la France !! ». Cette phrase du président Macron peut être comprise au moins de deux manières. 1-L’ère de la Françafrique comprise comme ensemble de réseaux de pillage des ressources du continent africain et d’infantilisation des Africains est révolue. 2-L’Afrique n’occupe plus une place particulière dans la politique extérieure de la France.

La deuxième hypothèse est à exclure puisque dans son discours, le président français a insisté sur le fait que « l’Afrique est gravée dans la mémoire française, dans la culture, dans l’Histoire, dans l’identité de la France et c’est là une force et une fierté que je veux cultiver, que je veux porter comme un atout de la France […] ». « L’Afrique n’est ni un encombrant  passé,  ni un voisin parmi d’autres », a-t-il ajouté.

Faut-il en déduire que Emmanuel Macron a signé l’acte de naissance de la Françafrique à Ouagadougou ? Une lecture naïve permet de répondre par l’affirmative. D’autant plus que le président de la « Rupture » a donné des gages de sa sincérité. Donnant l’impression de vouloir rompre avec l’opacité qui a toujours caractérisé les relations franco-africaines, Emmanuel Macron a tenu à expliquer avec qui il a préparé sa visite au pays de Thomas Sankara. Pour les féliciter, il a cité « les membres du Conseil présidentiel pour l’Afrique [avec qui il a] préparé ce déplacement ».

 

L’omission volontaire du président Macron

 

Seulement, M. Macron a « oublié » un détail pourtant très important. Les membres du Conseil ont certes participé à la préparation de sa tournée africaine. Mais c’est surtout au 2, rue de l’Elysée, à Paris que les détails les plus importants ont été réglés. En effet, au 2, rue de l’Elysée, se trouve la Cellule africaine fondée par un certain…Jacques Foccart. Aujourd’hui, le maître des lieux s’appelle Frank Paris. Dans son cabinet, l’on retrouve la « tapisserie des Gobelins et la terrasse fleurie » (1) laissées par le doyen Foccart, de regrettée mémoire.

Avec ses collaborateurs, Frank Paris et son adjointe, Marie Audouard sont payés pour informer le président sur l’Afrique. Ils lui soumettent des fiches avant tout déplacement en Afrique ou rencontre avec une personnalité africaine. Tous les coups tortus de la France en Afrique sont préparés dans ce haut lieu du secret depuis 1960. Elimination des nationalistes, soutien à un dictateur ami de Paris, guerres de rapine déguisées en opérations humanitaires, les salariés de la Cellule n’ont jamais chômé.

On se rappelle que lors de sa visite du 19 mai 2017 au Mali, le président Macron était accompagné entre autres par Frank Paris. Battant tous les records d’infantilisation de l’Afrique par les présidents français, Emmanuel Macron n’a pas cru nécessaire de passer par la capitale malienne, siège des institutions. Il a atterri à Gao, au Nord du Mali (où la France a une base militaire), et y a convoqué le président Ibrahim Boubacar Kéita. A son arrivée à Gao, le président malien a été reçu par le président…français. Beaucoup de spécialistes des questions diplomatiques n’ont pas vu pareille scène dans leur carrière. C’est ce qui convient d’appeler la Françafrique version Macron.

Le 28 novembre, pour tromper la vigilance des naïfs, le lointain successeur de Jacques Foccart à la Cellule africaine est resté en retrait. Sa présence dans la suite présidentielle au Burkina Faso aurait alerté la terre entière sur le double langage de Macron.

Pour les questions africaines et contrairement à ses dénégations en public, Emmanuel Macron a pris un homme rompu à la diplomatie des couloirs. Frank Paris a été au cabinet de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense. L’actuel patron de la Cellule est de ceux qui, grâce à la propagande de guerre, ont convaincu le monde entier que l’intervention française au Sahel (opération Serval, puis Barkhane) et en République centrafricaine (Opération Sangaris) étaient humanitaires. Or, il s’agissait des guerres de rapine qui ont pris la lutte contre le terrorisme pour le cas du Mali et la prévention du génocide en RCA comme prétextes. Il fallait cacher les intérêts économiques de ces interventions pour gagner les cœurs. Et la Françafrique doit sa force au fait que les présidents français ne disent jamais aux Français ce qu’ils font en Afrique et ne font jamais en Afrique ce qu’ils ont promis aux Africains.

 

Macron et la politique de containment

 

Emmanuel Macron pouvait se rendre dans l’un des 14 pays francophones du continent pour y prononcer son discours de politique africaine. Au Bénin, en République centrafricaine, au Sénégal, au Cameroun…, il aurait reçu le même accueil chaleureux sinon plus. Mais, il a choisi le Burkina Faso. Rien n’a été fait au hasard. A Paris, l’on sait très bien que les Africains ont décidé de regarder ailleurs. Ils ont tourné leurs yeux vers l’Asie. Ils préfèrent désormais traiter avec les Chinois, Indiens… Bien plus, les Africains se réapproprient de plus en plus les discours révolutionnaires de Thomas Sankara devenu l’idole d’une jeunesse africaine désireuse de s’émanciper, de signer l’acte de décès de la Françafrique pour qu’enfin les ressources africaines soient gérées par les Africains et pour le bien-être des Africains.

Si une telle aspiration est légitime, elle est mal perçue à Paris et il faut tout faire pour tenter de la saborder. Car elle sera lourde de conséquences pour les multinationales tricolores. Par ces temps de crise, il ne faut surtout pas laisser les Africains mettre en application le credo de Sankara : « produisons ce que nous consommons et consommons ce que nous produisons […] ». Le Burkina était le lieu idéal pour lancer un appel aux Africains. Leur dire que la France a changé. Tant et si bien que son président s’exprime dans un « amphithéâtre marxiste et panafricain ». Seulement, ce discours à un goût de réchauffé.

En effet, pendant sa campagne électorale en 2007, Nicolas Sarkozy avait annoncé la mort de la Françafrique avec la pugnacité qu’on lui connait. Il s’était posé en candidat de la « Rupture » dans les relations entre la France et l’Afrique. Laurent Gbagbo, incarcéré à la Cour pénale internationale à La Haye peut mieux nous renseigner sur la vitalité de la Françafrique sous Sarkozy. Les Dossiers de la Cour publiés début octobre 2017 par Médiapart peuvent être lus en guise de complément d’enquête sur le sujet. En 2008, sur instruction du sulfureux président gabonais Omar Bongo, Nicolas Sarkozy a viré Jean Marie Bockel de son poste de Secrétaire d’Etat à la Coopération. Le crime de M. Bockel ?, avoir déclaré dans une interview au quotidien le monde : « La Françafrique est moribonde. Je veux signer son acte de décès. Certains pays ont d’importantes ressources pétrolières, mais leur population n’en bénéficie pas ». Deux mois après, la Françafrique a signé son limogeage du gouvernement français. Le président de la Rupture avec les manœuvres françafricaines a instrumentalisé l’Otan pour assassiner le Guide libyen Mouammar Kadhafi…

 

Changer le ton pour que rien ne change dans la Françafrique

 

Pendant la campagne présidentielle de 2012 en France, François Hollande avait annoncé : « Je romprai avec la “Françafrique”, en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité ». Arrivé à L’Elysée, le président Hollande a mis trop d’eau dans son vin de campagne ! Il est devenu l’ami de ceux qu’il vilipendait lorsqu’il sollicitait le suffrage de ses compatriotes. En 2013, le président François Hollande a été reçu en grandes pompes par Paul Biya au pouvoir depuis 33 ans. La même année, Dos Santos au pouvoir en Angola depuis 36 ans a déroulé le tapis rouge au président socialiste. En 2014, le Tchadien Idriss Déby arrivé au pouvoir par coup d’Etat a eu droit à une visite du président Hollande. D’ailleurs, ce dernier n’est-il pas personnellement allé convaincre le président putschiste égyptien Fatal Al Sissi d’acheter les avions Rafale du constructeur français Dassault ? Précision importante. Ces visites dans les palais des dictateurs ont permis aux multinationales Bolloré, Gemalto, Dassault… d’étoffer leur registre client.

Avec Macron, le ton va quelque peu changer en s’adoucissant. Il ne faut pas oublier que le président Macron est d’abord un banquier. Pour exceller dans ce métier, il faut savoir être policé, soft dans le discours. Il faut rassurer le client pour mieux le spolier. C’est ce que Macron a fait à Ouagadougou.

 

Notes

(1) Christophe Boisbouvier, Jeune Afrique, N°2956 du 3 au 9 septembre 2017, P.18

 

Source : Le journal de l’Afrique N° 37, décembre 2017

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.