Journal de l’Afrique n°34: Afrique du Sud, paradis des inégalités

Editorial: Macron ressuscite Malthus

Thomas Robert Malthus est entré dans l’Histoire par son pessimisme vis-à-vis de la natalité. Prenant le contre-pied des penseurs de son temps, Malthus développa la thèse selon laquelle la population augmentait de façon géométrique ( 1,2,4,8, 16…) tandis que les ressources croissaient de manière arithmétique ( 1,2,3,4,5…).

Pour éviter une catastrophe démographique qu’il voyait imminente, l’auteur d’Essai sur le principe de la population (1803) avait préconisé une régulation des naissances encore appelée « contrainte morale ». 214 ans plus loin, Emmanuel Macron reprend le pessimisme malthusien à son compte. « Dans un pays qui compte encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien », a déclaré le nouveau président français le 8 juillet dernier au G20 à Hambourg.

Emmanuel Macron n’est pas seulement passéiste. Il partage une idée encore très répandue au 21ème siècle, selon laquelle l’Afrique ne se stabilisera sur les plans économique, politique et social qu’avec les milliards généreusement offerts par les grandes puissances du Nord. La fameuse « aide au développement » qui n’a pourtant développé aucun pays depuis un demi-siècle !

L’humanité a pris deux siècles pour évaluer les limites du malthusianisme. Contrairement aux appréhensions de Malthus, le clash démographique n’a pas eu lieu. Les épidémies, les guerres et l’inégale répartition des biens ont régulé la démographie mondiale. Dans son livre intitulé Changer les fusils ! Choisir son camp (2014), livre que Emmanuel Macron gagnerait { lire s’il veut connaitre la vraie menace qui pèse sur l’humanité, Jean Ziegler nous apprend que « dans le monde, environ 74 millions de personnes, soit 1% de toute l’humanité – toutes causes de décès confondues – meurent chaque année. En 2013, 16 millions sont mortes de faim ou de ses suites immédiates »(P.50). Plus loin, le sociologue suisse, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit { l’alimentation de 2000 { 2008 ajoute que « l’agriculture mondiale, au niveau atteint par ses forces productrices, pourrait nourrir normalement – par l’apport de 2 200 calories à chaque individu adulte par jour – 12 milliards d’êtres humains, soit presque le double de la population mondiale actuelle ».

La croissance démographique, selon plusieurs chercheurs indépendants ne constitue pas une menace pour l’humanité. L’extrême concentration des richesses entre les mains d’une minorité qui en veut toujours plus et ne lésine pas sur les moyens (pillages, guerres interminables) pour l’obtenir, constitue le vrai danger pour l’espèce humaine. « Aujourd’hui, ajoute Jean Ziegler, toutes les cinq minutes, un enfant de moins de 10 ans meurt de faim ou de maladies liées à la malnutrition ». Entretemps, « de puissants Etats industriels ont commencé à brûler des centaines de milliers de tonnes de maïs et de blé pour fabriquer des agro-carburants (agro-éthanol et agro-diésel) ».

Comprendre l’arrogance française

Un bref rappel des petites phrases assassines prononcées par l’élite française est assez révélateur de sa conscience de classe. « Le multipartisme est une sorte de luxe pour l’Afrique », décrétait Jacques Chirac en 1990. « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’Histoire », ajoutera Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Une décennie plus tard à Hambourg, Emmanuel Macron indexe la sexualité des Africains comme étant la principale source de leurs malheurs.

Comment se fait-il que plus de 50 ans après les indépendances, seules les élites françaises s’adressent aux Africains avec tant de paternalisme et d’arrogance ? L’Angleterre, l’Espagne, le Portugal, l’Italie et l’Allemagne, anciennes puissances colonisatrices, se montrent plus diplomatiques lorsqu’ils parlent de l’Afrique et des Africains. La Libye a exigé et obtenu les dédommagements de la colonisation italienne. L’Allemagne a reconnu son crime et dédommagé la Namibie notamment pour le génocide des Héréros. Confortée par ses bases militaires encore implantées en Afrique, rassurée par les ramifications pernicieuses des réseaux de la Françafrique, la France dispose encore d’une force capable de frapper tout dirigeant qui ose lui tenir tête sur le continent. Laurent Gbagbo ne nous démentira pas.

Mais cette France qui perd de substantielles parts de marché dans le monde en général et en Afrique en particulier peut-elle prétendre conserver sa position de puissance par la stigmatisation et l’infantilisation de l’Afrique qui est pourtant le continent de l’avenir? Le temps n’est-il pas venu de faire le deuil de la colonisation pour enfin considérer les Africains comme des partenaires qui méritent respect et considération dans une relation gagnant-gagnant ? Le Portugal a dû faire recours à son ancienne colonie (Angola) en 2012 pour juguler ses difficultés économiques. Preuve que la roue de l’Histoire tourne. Tant et si bien que les derniers d’aujourd’hui peuvent être les premiers de demain.

D’ailleurs, depuis une décennie, une révolution tranquille prend corps en Afrique. Les jeunes, mieux éduqués et plus ouverts au monde, rompent progressivement avec le paradigme de la soumission. Ils se donnent les moyens intellectuels et matériels pour acquérir leur souveraineté. Ce n’est qu’une question de temps et qui vivra verra. L’Afrique du Sud où les dominés s’organisent pour résister à la domination de la minorité bourgeoise est prise comme cas d’école dans cette édition du Journal de l’Afrique. La méthode utilisée est perfectible mais le principal est là. La lutte des classes est en marche.

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