Francophonie: la trahison de Dakar

L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a une nouvelle Secrétaire générale depuis décembre 2014. La Canadienne Michaëlle Jean a été désignée lors du dernier sommet de l’OIF qui s’est tenu à Dakar, la capitale sénégalaise. Mais, « la question essentielle est que la Charte de l’Organisation n’a pas été respectée et que le nouveau secrétaire général a été désigné et imposé par une entente diplomatique entre la France et le Sénégal. Elle s’est manifestée suite à des tractations dont la plupart des pays membres ignorent les tenants et aboutissants ».

{Jean Claude de L’Estrac, candidat mauricien malheureux au poste de secrétaire général de la Francophonie.}

Je tiens à préciser, de prime abord, que les propos que je tiens ici n’engagent que moi, et ne peuvent, en aucune manière, être imputés à l’État mauricien.

Mais j’estime qu’il est de mon devoir, pour le bien même de la Francophonie, de dénoncer l’opération qui, au pays de Senghor, a vu l’Organisation internationale de la Francophonie être attribuée à l’Amérique du nord.

La personnalité et les qualités de Mme Michaëlle Jean n’est pas le sujet. Ni la volonté du Canada, grand pays de la Francophonie, à diriger cette organisation dont il est un des deux principaux contributeurs. Personnellement j’ai de l’admiration pour la francophonie innovante et vivante du Québec que j’ai souvent visité.

La question essentielle est que la Charte de l’Organisation n’a pas été respectée et que le nouveau secrétaire général a été désigné et imposé par une entente diplomatique entre la France et le Sénégal. Elle s’est manifestée suite à des tractations dont la plupart des pays membres ignorent les tenants et aboutissants.
Le prétexte est qu’il y avait quatre candidats africains et la candidate du Canada qui entendaient se présenter. Et alors ? C’est bien pour gérer ce cas de figure – ce qui est d’ailleurs un signe de vitalité – que l’article 6 de la Charte de l’OIF prévoit une élection. L’on ne peut pas prétendre promouvoir la démocratie dans l’espace francophone et utiliser les méthodes despotiques à l’ancienne pour imposer un candidat suite à des tractations secrètes. C’est une première trahison, la charte est trahie. Le procédé n’a été ni ouvert, ni transparent, ni démocratique. Et ni méritocratique. Si des élections en bonne et due forme avaient été tenues, le résultat aurait été tout autre.

Ensuite, partout où je me suis trouvé en Afrique, tous les dirigeants politiques rencontrés n’ont eu de cesse d’affirmer que le poste de secrétaire général devait être occupé par un représentant des pays du sud, un Africain s’entend, dans le respect de ce qu’ils appellent le Pacte de Hanoi. Malgré les pressions françaises, qu’ils aient finalement décidé, sans vraiment se battre, de retirer une à une leurs candidatures en faveur de la candidate du Canada est incompréhensible, inexpliqué et inexplicable. Le président de la République de Maurice a longtemps résisté avant de se trouver devant le fait accompli d’un “consensus” restreint avant même qu’il n’ait eu la possibilité de dire que Maurice était disposée à se soumettre à un vote.
Le président français a activement animé la discussion même si la France, apparemment n’avait pas officiellement de candidat. Mais le président français ne s’était pas privé, la vieille de l’élection prévue, de dire son choix ; il avait dit publiquement le bien qu’il pensait de la candidate du Canada. Il avait jusque-là prétendu vouloir œuvrer en faveur d’un consensus africain. À Dakar, le pacte de Hanoi a été trahi.

Enfin, Maurice a toutes les raisons de se sentir trahie. La candidature mauricienne a été assez largement encouragée tant par des diplomates français qu’africains. Elle est née d’une réflexion qui disait vouloir rompre avec la Françafrique, qui entendait pousser l’OIF à se tourner vers l’océan Indien et l’Afrique orientale. Ce qui avait retenu notre attention, c’est l’appréciation du cas mauricien. On soulignait que “Maurice est un État extrêmement moderne et dynamique, résolument tourné vers les investissements d’avenir au profit de la jeunesse et désireux de jouer un rôle de pont entre l’Afrique et les grands acteurs de l’océan indien”.

Sur la base de ce constat, on avait dressé le portrait du prochain secrétaire général de l’OIF. “En choisissant une personnalité de cette région, nous donnerions acte à l’OIF de sa capacité à apporter un message universel sur les sujets qui mobilisent des sociétés civiles, qui sont des enjeux décisifs pour la jeunesse de ces pays pour leur avenir et pour la stabilité du monde… Nous devrions donc, à l’occasion du renouvellement du secrétaire général, montrer notre capacité à ouvrir le jeu et à engager résolument l’OIF dans la voie de la modernité et d’un rôle universel, dynamique et proactif.”

C’est fort de cette nouvelle orientation annoncée de la diplomatie française et encouragée par de nombreux diplomates français et la parole de nombreux dirigeants africains que l’État mauricien décide de s’engager dans cette campagne. Les propos que le président Hollande tient au Premier ministre mauricien achèvent de le convaincre du soutien tacite français.

Mais c’est surtout en Afrique que le candidat mènera campagne. Une campagne intense, axée sur des propositions précises et concrètes qui recueillent une large adhésion. Nous avons recensé plus de 400 articles de presse. Je crois qu’on n’a jamais autant parlé de Maurice et de francophonie qu’au cours de cette année. Presse écrite, radio, télévision. Mais je constate une faiblesse africaine : tous les dirigeants africains rencontrés voulaient d’abord connaître la position française. Quand le président Hollande a jeté son poids en faveur du Canada – malgré les réticences du Quai d’Orsay – les Africains ne se sont pas fait beaucoup prier pour s‘exécuter. Même le président Ali Bongo a préféré partir plutôt que de s’opposer. Maurice a le sentiment d’avoir été trahie.

Les conséquences pour l’OIF sont graves, il n’y a qu’à lire la presse africaine et même française. La déception est très forte. On spécule beaucoup sur d’éventuelles contreparties.

En ce qui me concerne, je vais tourner la page. Je souhaite qu’une forme d’équilibre politique et gestionnaire soit trouvée à la direction de l’organisation pour sauvegarder le principe de la solidarité qui est censé être une vertu cardinale de l’organisation. Et plus que tout, il faut espérer que la francophonie économique voit le jour. Les dirigeants du Canada n’ont pas cessé, aux lendemains de l’élection encore, de me dire combien mon programme était pertinent et riche en propositions.

Je voudrais réitérer mes remerciements au président de la République, au Premier ministre, au vice Premier ministre, au ministre des Affaires étrangères et aux diplomates du ministère pour leur soutien agissant. J’ai été soutenu à Dakar par une forte délégation composée notamment de la secrétaire aux Affaires étrangères, Mme UshaCanabady, de M. Roy Bissondoyal, chargé d’Affaires à l’ambassade de Maurice, M. VijayMakhan, M. Amédée Darga, de Mme Marie-France Roussety qui se sont totalement investis dans cette bataille. Je remercie tous ceux, très nombreux à Maurice, en Afrique, en Asie et en Europe qui m’ont donné des ailes dans cette campagne qui a été longue et harassante.

Je termine en suggérant ce qui pourrait être mon prochain livre. Mon titre provisoire est trouvé : l’ambition mauricienne, le paradoxe sénégalais, l’erreur française.

Source: Jeune Afrique

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