Fernand Iveton, l’Algérien, assassiné par la IVe République

Dans le long martyrologe du peuple algérien, dans le livre d’honneur du PC algérien, le nom de Fernand Iveton, mort guillotiné à 30 ans, figure en bonne place. Nous disons bien : « algérien » et « communiste », car c’est en ces deux qualités que ce militant s’est engagé dans les rangs du FLN.

Dans les tout premiers temps de ce qui deviendra la « bataille d’Alger », la population « musulmane » est soumise à une pression insupportable de l’armée et de la police coloniales. Il faut riposter. Fernand Iveton propose un acte spectaculaire : la pose d’une bombe dans l’usine à gaz dans laquelle il travaille : « L’objectif, clairement exprimé, était choisir un endroit pour que les dégâts empêchent l’usine de fonctionner, privant ainsi Alger d’électricité. Iveton a exprimé à deux reprises son souci de ne tuer personne », témoignera plus tard sa complice, Jacqueline Guerroudj, également communiste. La sortie des ouvriers était prévue à 18 heures, et le mécanisme provoquant l’explosion était réglé sur 19 heures 30. En ce sens, on ne peut parler, comme le firent alors abondamment les politiciens et les journalistes, de terrorisme, mais de sabotage.

Le 14 novembre 1956, Fernand Iveton passe à l’acte. Il se rend à son travail le plus naturellement du monde, l’engin caché sans sa musette. C’est un contremaître, soupçonneux qui appelle la police. L’engin est désactivé. Iveton est arrêté sur son lieu de travail, vers 16 heures. La suite peut être imaginée. Interrogatoires violents, tortures atroces immédiates.

Lorsque la nouvelle fut connue, ce fut un déchaînement de la communauté européenne d’Alger. Le climat, déjà tendu par d’autres attentats – ceux-ci dans des lieux publics comme le « Milk-Bar » – tourna à la haine, quand les idées politiques d’Iveton furent révélées.

Les communistes français étaient dans l’embarras. D’une part, ils avaient des contacts espacés avec les communistes algériens, clandestins. Ils auraient de toute façon formellement déconseillé ce type d’action. La pose de bombes, même pour une bonne cause, même sans volonté de semer la mort, était contraire à leur culture. Aussi, aucune campagne de défense d’Iveton n’est-elle menée. Bien plus, la direction du PCF, dans un premier temps, interdit à l’avocat communiste Gaston Amblard de défendre Iveton.

L’Humanité choisit durant deux semaines le silence. Position qui sera durement reprochée aux communistes français par la plupart des études publiées.

Le procès en flagrant délit, dans un climat d’hystérie, commença le samedi 18 novembre. Un jeune avocat du barreau d’Alger, Me Albert Smadja, est commis d’office. Dans n’importe quelle autre circonstance, l’accusé aurait été condamné à une peine de prison de quelques années : si l’acte de sabotage était attesté, il n’y avait eu ni mort, ni blessé, et il ne pouvait pas y en avoir, la programmation de l’heure de la déflagration en attestait. Qu’importe, la décision était prise avant même le début du procès. La peine de mort est prononcée le 25, soit onze jours après les faits.

Alertés par l’importance de l’affaire, les communistes changent alors d’attitude. L’Humanité proteste contre le verdict et demande la grâce du condamné. Le journal présente et défend la version de l’accusé, puis sa conclusion : « J’aime la France mais je suis Algérien, et j’ai participé à la lutte de mon peuple ». La direction du PCF envoie l’un de ses avocats les plus prestigieux, Me Joe Nordmann, pour reprendre en main le dossier. Nordmann écrit au président du Conseil, Guy Mollet, alerte la Ligue des Droits de l’Homme, demande la grâce au président Coty. Mais les autorités politiques parisiennes étaient, particulièrement à ce moment, acquises à l’idée de la répression la plus totale. Dans le clan des plus hostiles à toute clémence : le Garde des Sceaux, François Mitterrand. Il rejette états d’âme la demande de grâce. Le 10 février, le refus est rendu public. Il n’y a plus d’espoir.

Moins de 24 heures plus tard, au petit matin du 11 février 1957, Fernand Iveton est exécuté à la prison Barberousse, à Alger, en même temps que deux autres patriotes algériens : Mohamed Ounnouri et Ahmed Lakhnache. Ses dernières paroles ont été : « La vie d’un homme, la mienne, ne compte pas. Ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir ».

Cette affaire reste en une tache indélébile dans l’histoire de la France contemporaine. Mais la particularité du cas Iveton ne doit pas faire oublier que le sang a été répandu à flots durant cette période : 221 autres patriotes algériens, classés, eux « musulmans », furent guillotinés par la République. En ces temps de réhabilitation tous azimuts du colonialisme, il est bon de rappeler que ce système, né dans la violence, ne s’est perpétué que par le sang, avant de s’écrouler lamentablement.

Une initiative mémorielle sur la figure de Fernand Iveton se déroulera dans le cadre de la Semaine anticoloniale à Paris, le 24 février 2017 à 19h.

Note : Le nom d’Iveton est fréquemment écorché (écrit avec un « Y »). Nous rectifions ici l’orthographe exacte.

Source : L’Humanité

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