Dangote : une multinationale africaine

Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique, est à la tête d’un conglomérat actif dans de nombreux secteurs. Si le magnat du ciment africain a su saisir les dynamiques de l’économie nigériane, il a également usé de certaines pratiques bien rodées des multinationales occidentales : des réseaux de pouvoir à l’utilisation des paradis fiscaux.

Le groupe Dangote est un conglomérat nigérian et l’une des plus importantes sociétés multinationales d’origine africaine (en dehors des grandes entreprises industrielles sud-africaines et de celles du secteur extractif et des télécommunications). Dangote est implanté dans une vingtaine de pays africains. Ses activités vont de l’agroalimentaire (sel, sucre, farine, riz, pâtes…) à l’immobilier, en passant par la logistique portuaire, le textile, les télécommunications ou la production d’engrais. Mais c’est une autre activité qui constitue l’essentiel des revenus du groupe : le ciment.

 

Ciment : un secteur dominé par l’étranger

Au cours de la période coloniale qui s’achève en 1960 par l’indépendance du Nigéria, le secteur du ciment est la chasse gardée des intérêts britanniques – principalement l’APCM (Associated Portland Cement Manufacturers). Aucune cimenterie n’existe au Nigéria jusqu’en 1957 [1] et le pays dépend alors totalement des importations.

En 1972, le régime [2] du Général Yakubu Gowon lance un programme dit d’indigénisation, prolongé sous le règne du Général Obasanjo à partir de 1977, qui consiste à imposer la participation de 40% de Nigérians dans de nombreux secteurs, dont le ciment, dominés par les intérêts étrangers. Cette politique permet l’entrée du gouvernement dans toutes les entreprises du secteur et concourt à l’émergence d’une élite économique nigériane. Elle s’est révélée une aubaine pour les Nigérians fortunés qui en furent les principaux bénéficiaires [3].

Le groupe Dangote débute dans le négoce de ciment en 1977, aidé par un prêt de son oncle Abdulkadir Sanusi Dantata, un important entrepreneur de la construction, du transport, et de l’agriculture. A ce moment, une vingtaine d’années après l’indépendance, le pays ne possède que 7 cimenteries (5 contrôlées par les gouvernements régionaux, 2 par APCM) et dépend toujours largement des importations.

La politique d’indigénisation est assouplie au début des années 1980 [4], afin d’attirer les investissements étrangers, dans un contexte de baisse des cours du pétrole, et donc de chute des revenus pour l’un des principaux producteurs d’hydrocarbures du continent. Cette politique ne connaîtra que peu de succès, puisqu’aucune nouvelle cimenterie ne sera construite entre 1980 et 2000.

Au début des années 1980, un mécanisme de licence d’importation de ciment est mis en place sous la présidence de Shehu Shagari afin d’en limiter le commerce extérieur, alors déficitaire.

Aliko Dangote acquiert les licences nécessaires – notamment grâce à ses connexions politiques familiales avec le Northern People Congress (voir encadré ci-dessous) – et devient rapidement un acteur dominant dans l’importation de ciment, mais également pour d’autres denrées telles le sucre, le riz et la farine. Cette période marque le début de l’ascension d’Aliko Dangote.

 

Dantata-Dangote, une famille d’influence

Aliko Dangote, est descendant par sa mère d’Alhaji Alhassan Dantata (1877-1955), « l’Africain le plus riche de l’ère coloniale » [5]. La famille Dantata est une riche famille commerçante de l’Etat de Kano, au nord du Nigéria. Alhassan Dantata a fait fortune sous l’ère coloniale en facilitant le commerce des arachides pour le compte de sociétés coloniales européennes, dans le bassin du Niger et en Gold Coast (ex-Ghana), notamment la British Niger Company [6] puis la United Africa Company(UAC).

Alhassan Dantata n’a jamais été un homme politique au sens strict du terme, mais sa richesse considérable a créé une certaine proximité avec les différents gouvernements. En effet, il doit à la fois être dans les petits papiers des gouvernements coloniaux, mais également des autorités traditionnelles de la région, les émirs de Kano. Il participe aux administrations locales et devient conseil de l’émir de Kano en 1950 [7]. Il intervient comme médiateur en 1954 lors d’un conflit entre le NEPU (Northern Element Progressive Union) et le NPC (Northern People’s Congress), deux des partis les plus influents au nord du Nigéria à cette période. Bien que n’ayant jamais été affilié à aucun parti, ses sympathies pour le NPC ne font que peu de doutes. Le NPC deviendra le National Party of Nigeria de Shehu Shagari, qui dirigea le pays sous la seconde république nigériane, entre 1979 et 1983. 

Alhassan Dantata a aussi impliqué ses enfants dans le commerce. Certains, déjà fortunés, prennent ainsi sa relève à sa mort. Parmi eux, Aminu Dantata – un proche du président Shehu Shagari [8] – qui profitera de la politique d’indigénisation de la décennie 1970 et acquerra des parts dans plusieurs entreprises. Sanussi Dantata, le grand-père d’Aliko Dangote, fut l’un des directeurs de Shell-BP au Nigéria, mais également de la Palm Line Agency, une filiale de l’UAC pendant les années 1960 [9]. Il dirigea également la section du NPC de l’Etat de Kano. La mère d’Aliko, Maryia Sanussi s’est mariée avec Mohammed Dangote, un associé d’Alhassan Dantata. Elle était également une femme d’affaires et a siégé dans plusieurs conseils d‘administration : MRS Oil and Gas, Mentholatum Nigeria Limited et Dangote group notamment

De l’importation à l’ensachage

Fin 1983, Shehu Shagari est renversé par un putsch militaire. La politique de son successeur, le Général Buhari se concentre dès lors sur la substitution aux importations et sur les exportations nationales. Dangote adapte sa stratégie et commence à produire et exporter un certain nombre de marchandises (textiles, noix de cajou, gomme arabique…).

En 1986, le Général Babangida, au pouvoir depuis 1985 finit par accepter un programme d’ajustement structurel du FMI. Un décret promulguant la privatisation de 92 entreprises est présenté en 1988. Mais les élections de 1993 placent un nouveau dirigeant au pouvoir et aucune des privatisations n’a lieu à cette période.

La décision est alors prise de n’importer que du ciment en vrac et de l’ensacher sur place afin de localiser une partie du processus de production au Nigéria. Les importations continuent cependant de croitre : en 1990, 23% du ciment consommé est importé, 59% en 2000.

Le pays dispose, au pic de ses importations, de 16 terminaux de réception de ciment en vrac et d’emballage dont 5 appartiennent à Dangote, qui, grâce à sa proximité avec le gouvernement [10], parvient à obtenir de nombreuses concessions. Celui-ci profite de sa position dominante d’importateur pour se constituer une importante rente et bénéficie des prix du ciment en Afrique qui sont parmi les plus élevés du monde, lui conférant des marges au-dessus de la moyenne.

Lorsqu’un journaliste interroge Aliko Dangote sur ses liens avec les différents régimes politiques au Nigéria, il ne nie pas cette proximité : « Nous avons été proches de presque tous les présidents qui sont passés  », nommant les généraux Buhari (au pouvoir entre 1983 et 1985, puis à nouveau depuis 2015), Babangida (1985-1993) et Abacha (1993-1998). « Nous n’en avons jamais tiré avantage…et n’avons d’ailleurs pas toujours été traité équitablement  », explique Dangote avant de confier : « La plupart des présidents, je les ai conseillés, qu’ils sollicitent mon aide ou non. Ils m’ont toujours écouté. Si j’ai une idée, je peux la concrétiser au travers des dirigeants politiques » [11].

 

Privatisations et bénéficiaires

Le Général Obasanjo entame son mandat suite à son élection civile en 1999 [12]. Une période faste pour Aliko Dangote. La politique promue par Olusegun Obasanjo encourage la production de ciment sur le sol nigérian, dans un pays qui dispose des matières premières nécessaires pour sa fabrication – le calcaire et les ressources énergétiques notamment. Un décret vient interdire l’importation de ciment par des entreprises étrangères à moins qu’elles ne mettent en œuvre de nouvelles productions dans le pays. Ce qui revient à offrir une position confortable pour Dangote, l’acteur nigérian dominant l’importation de ciment. La TVA et les taxes douanières sont allégées sur les équipements des cimenteries. Le programme de privatisation est relancé.

Parmi les bénéficiaires de ces privatisations, on retrouve le même Aliko Dangote, par ailleurs généreux contributeur aux activités gouvernementales [13]. Il prend le contrôle d’une des compagnies privatisées : Benue Cement Company [14]. Les cimentiers anglais (via Blue Circle – ex APCM – qui sera plus tard racheté par Lafarge) reprennent des parts dans les cimenteries pour lesquelles APCM avait initialement investi pendant la période coloniale et au début de l’indépendance. Le norvégien Scancem (ensuite acquis par le groupe Heidelberg) prend également des participations dans les cimenteries privatisées.

Dangote consolide ses positions par la construction de la cimenterie d’Obajana, l’une des plus grandes du monde en capacité, aidé en cela par un prêt de la Banque Mondiale. Le site démarre son activité en 2006. Fin 2011, Dangote fait sortir de terre une troisième cimenterie après celles de Benue et d’Obajana. Si la proximité d’Aliko Dangote avec le milieu politique nigérian a sans conteste joué dans son ascension, ce dernier aura réussi à anticiper les dynamiques du marché du ciment au Nigéria et à adapter sa stratégie (du négoce à la production), notamment entre 2000 et 2009, période au cours de laquelle la demande de ciment a crû de plus de 400%. Dans des économies en croissance, et à plus forte raison dans un pays en développement, le ciment est un secteur stratégique puisque de lui dépendent d’autres secteurs clés comme celui des infrastructures et le secteur de la construction.

Dangote dispose également d’un avantage comparatif en termes de coûts de production par rapport à ses concurrents en étant le seul acteur au Nigéria à avoir investi dans des cimenteries alimentées au gaz et au charbon, moins chères que celles utilisant du pétrole.

 

Position dominante

Dangote contrôle actuellement près de 70% des capacités de production de ciment au Nigéria qui demeure son principal marché. Le groupe s’est implanté dans d’autres pays africains et s’est lancé dans une série d’investissements à l’étranger, comprenant des acquisitions et prises de participations (GreenView International Company Limited au Ghana ou Sephaku Cement Limited en Afrique du Sud) mais également des investissements « greenfield », qui consistent en la construction de nouveaux sites de production au Sénégal, au Cameroun, en Tanzanie, au Congo-Brazzaville, en Éthiopie ou en Zambie.

Dangote dispose par ailleurs de terminaux d’importation au Ghana, en Sierra Leone, ainsi qu’en Côte d’Ivoire et au Libéria ; où il affirme également vouloir construire des cimenteries tout comme au Mali, au Niger, au Kenya ou au Zimbabwe, mais aussi hors d’Afrique, au Népal.

 


Figure 1 – Capacité et croissance de la production de ciment du groupe Dangote, en millions de tonnes (source : rapport annuel 2016).

 

Mais l’arrivée de Dangote dans d’autres pays africains n’est pas du goût de la concurrence qui tente de contrarier son implantation par diverses actions de lobbying et des poursuites judiciaires comme ce fut le cas au Sénégal. Dans ce pays, le français Vicat, via sa filiale Sococim, a assigné l’Etat sénégalais devant une cour d’arbitrage, considérant que Dangote avait bénéficié d’un certain favoritisme en ce qui concerne l’application des réglementations sociales et environnementales. Au Cameroun, c’est la filiale de Lafarge, leader mondial du secteur, qui a accusé Dangote d’importer en contrebande du ciment nigérian et de tirer les prix à la baisse.

Auparavant, en 2014, Lafarge avait vu son ciment temporairement interdit au Nigéria pour certains types de constructions. L’agence des normes nigériane avait en effet considéré que la qualité proposée par le cimentier français n’était pas suffisante pour certains types de constructions. Après une action en justice, Lafarge avait obtenu gain de cause. Il se murmure que Dangote ne serait pas étranger au changement de norme qui aurait fortement arrangé ses affaires au détriment de son principal concurrent en lui permettant d’asseoir un peu plus son monopole. Il ne s’agit pas là du premier cas dans lequel un concurrent doit interrompre sa production. Sous le mandat d’Obasanjo, en décembre 2005, Dangote avait indument obtenu la fermeture d’une unité d’ensachage d’Ibeto Cement [15], un autre concurrent.

Outre le ciment, Dangote a récemment finalisé l’acquisition aux Pays-Bas de Twister B.V, une entreprise de l’industrie du gaz, dans le but d’acquérir les compétences et technologies nécessaires à l’implantation de telles industries au Nigéria, notamment dans l’optique d’alimenter les cimenteries et raffineries (sucre, pétrole) du groupe en énergie. Il est également entré au capital d’Afreximbank (banque d’export-import panafricaine).

Dangote a mis en œuvre la construction d’une raffinerie de pétrole à Lagos, d’une capacité de 650.000 barils par jours, qui sera l’une des plus importantes au monde. Sa mise en service est escomptée pour la fin 2018. Dangote espère ainsi, comme avec le ciment, se positionner sur un produit qui représente plus de 11% du total des importations nigérianes. Paradoxalement, le Nigéria malgré sa position de premier producteur africain de pétrole est un importateur net de pétrole, régulièrement soumis à des pénuries et à des prix exorbitants des carburants. Le pays exporte principalement du pétrole brut, mais importe parallèlement des produits raffinés de l’étranger, à des tarifs plus élevés.

Plus récemment, c’est sur le site de production de Peugeot Automobile Nigéria (PAN) – un des seuls assembleurs automobiles encore présents dans la sous-région- que Dangote a jeté son dévolu. Le milliardaire africain, dont Forbes évalue la fortune à 12,1 milliards de dollars en 2017, a en effet acquis, en compagnie des Etats de Kaduna, Kebi et de la Bank of Industry (détenue par l’Etat nigérian) les parts d’AMCON (Asset Management Company of Nigeria) [16]courant 2017. En 2012, AMCON avait pris en charge les dettes de PAN et converti celles-ci en parts de l’entreprise. AMCON possédait 80% de PAN et s’assurait de sa gestion. PSA, partenaire technique du projet ne possède que 5% des parts de PAN [17].

Dangote nourrit également des ambitions dans le secteur alimentaire. Le Nigéria, et ses 186 millions d’habitants, est en effet l’un des plus importants importateurs de riz au monde. Dangote a prévu de mettre en culture 25.000 hectares de rizières en 2017 dans le nord du pays et ambitionne de produire annuellement plus d’un million de tonnes de riz d’ici 2022, l’équivalent de 16% de la consommation nigériane.

Aliko Dangote, qui a été le conseiller de l’ex-président Jonathan Goodluck [18] est nommé co-président de l’US-Africa Business Center de la chambre de commerce américaine en 2016 [19]. Il a également présidé le Nigerian stock-exchange, la bourse nigériane. Quatre filiales de Dangote sont présentes dans le NSE All Share, le principal indice boursiernigérian : Dangote Cement plc, Dangote Sugar Refinery plc, NASCON Allied Industries plc et Dangote Flour Mills Plc. Ces entreprises représentent à elles seules près de 43% de la capitalisation boursière de la place de Lagos [20] qui compte pas moins de 170 firmes listées.

 

Business as usual

Si le parcours et la prédominance de Dangote dans l’économie nigériane sont tout à fait exceptionnels sur un continent où les intérêts étrangers ont toujours la part belle dans la plupart des secteurs clés de l’économie, les pratiques de l’homme d’affaires nigérian ne semblent pas fortement différer de celles observables dans d’autres régions.

Dangote – outre sa proximité des réseaux politiques – a adopté certaines pratiques bien rodées des multinationales occidentales. Ce dernier a été cité dans les Panama Papers pour sa participation et celle de proches dans plusieurs sociétés offshores [21], qui servent bien souvent à éluder l’impôt. Son nom avait également été évoqué lors du scandale des Swiss Leaks pour avoir détenu un compte auprès de la Banque HSBC, rattaché à une adresse domiciliée aux îles Vierges britanniques [22]. Des pratiques qui n’ont rien de surprenant pour son porte-parole : « Aliko Dangote est un investisseur global et il est assez normal pour des investisseurs à l’échelle mondiale, mon patron inclus, de détenir des participations dans des sociétés offshore. Par principe, nous nous assurons d’une stricte conformité avec les lois et les réglementations, quel que soit le pays où nous opérons  » [23].

Aliko Dangote se forge également une image de philanthrope au travers de la Dangote Foundation. Il s’agit de l’association caritative la mieux dotée d’Afrique subsaharienne. Celle-ci intervient dans la santé, l’éducation, l’ « empowerment » des populations défavorisées et l’aide humanitaire lors de catastrophes naturelles ou d’épidémies comme Ebola. Une pratique là encore calquée sur celle des grandes fortunes occidentales à l’instar de Mark Zuckerberg ou Bill Gates. Ce dernier a d’ailleurs fait alliance avec Dangote en janvier 2016 pour lutter contre la malnutrition au Nigéria [24]. Une alliance dont on aura du mal à penser qu’elle est dénuée de tout intérêt. Le milliardaire américain, actionnaire de Monsanto, lutte en effet contre la malnutrition en Afrique par la promotion des OGM [25] tandis que Dangote est un acteur dominant de l’agroalimentaire nigérian. Mais Aliko Dangote a compris l’intérêt, tant en terme d’image que de « soft power », de ce type d’initiatives.

Dangote semble en apparence jouir d’une image plutôt positive au Nigéria : celle d’un entrepreneur noir, détribalisé, qui a réussi dans les affaires, et est devenu le premier employeur privé du pays. Il fait même figure de modèle pour une partie de la population. Celui-ci se plait à mettre en avant le fait d’employer une main d’œuvre locale au Nigéria et de contribuer au développement du pays. Mais dans les implantations extérieures de Dangote, c’est un autre son de cloche qui résonne.

Dangote est en effet pointé pour son non-respect des législations sociales (droit syndical notamment), environnementales (pour un secteur représentant 5% des émissions de CO2 au niveau mondial), les mauvaises rémunérations proposées et son recours massif à la sous-traitance étrangère (Chine, Inde, Egypte…), qui ne profitent que très peu à l’emploi local. Des manifestations et des grèves ont éclaté dans de nombreux site de Dangote ces dernières années comme au Sénégal (Pout) [26], au Ghana (Téma) [27], en Zambie (Ndola) [28] ou au Cameroun (Douala) [29] mais également au Nigéria dans sa filiale alimentaire Dansa Foods [30].

 

 Dangote : roi du ciment africain

Dangote s’est forgé un véritable empire en Afrique subsaharienne, largement dû à son activité dans le ciment. Au niveau mondial, Dangote pointe encore à l’entrée du top 10 des plus importants cimentiers avec une capacité de production de 42,5 millions de tonnes en 2017. Le magnat du ciment africain affirme vouloir atteindre une capacité de production annuelle de 100 millions de tonnes en 2020 dans un classement largement dominé par les entreprises chinoises (Anhui Conch et CNBM) et par les deux géants européens Lafarge-Holcim et Heidelberg.

 

ClassementEntreprisesCapacité de production (en millions de tonnes/an)Capacité de production (en % de la production mondiale
1Anhui Conch (Chine)3138,3
2Lafarge Holcim (France-Suisse)2787,4
3Heidelberg Cement (Allemagne)1935,1
4CNBM (Chine)176,24,7
5Cemex (Mexique)88,72,4
6China Ressources (Chine)81,32,2
7Taiwan Cement (Taiwan)691,8
8Ultratech Cement (Inde)52,71,3
9Eurocement (Russie)45,21,2
10Votorantim (Brésil)451,2

Figure 2 – Principaux producteurs de ciment dans le monde en 2017 (par capacité de production) Source : Global cement magazine July-August 2017

 

Figure 3 – Part des multinationales du ciment dans la production régionale (Tiré de : M. Follet “Ciment et croissance, tendances mondiales”, dans Secteur privé et développement n°10, mai 2011, Proparco.

 

Les perspectives sont tout à fait prometteuses dans ce secteur largement dominé par les sociétés multinationales, dont Dangote Cement fait partie. Les pays émergents et en développement absorbent aujourd’hui 90% de la consommation de ciment dans le monde, contre 65% dans les années 1990. L’Afrique, qui a la consommation par tête de ciment la plus faible au monde pourrait bien être la zone à plus forte croissance dans les années à venir. Les projections laissent entrevoir une hausse de la production de 30% d’ici 2020 et un quasi doublement d’ici 2025, largement tirée par l’urbanisation du continent et les besoins des secteurs de la construction et des infrastructures.

La réussite de Dangote depuis un peu plus d’une décennie peut pour partie être attribuée à sa bonne lecture des évolutions et des dynamiques de l’économie nigériane. Le milliardaire nigérian a parfaitement su mettre en œuvre des pratiques qui sont habituellement l’apanage de sociétés du Nord : utilisation des paradis fiscaux, recours à la sous-traitance, soft power via fondation de charité… 
Mais cette réussite ne peut être dissociée des liens tissés de longue date par sa famille avec les milieux politiques et des facilités obtenues des différents gouvernements en place si bien que certains auteurs n’hésitent pas à parler de capitalisme « de connivence » ou « de copinage » [31]. Une connivence entre les fortunes nigérianes et le pouvoir en place observable à travers les différents retournements politiques advenus. Les intérêts d’une classe d’entrepreneurs ont été favorisés au moment de la politique d’indigénisation, puis lors des privatisations, mais également pour l’attribution de licences d’importation ou lorsqu’il s’agit de modifier une réglementation pour évincer un concurrent.

Le Nigéria est un des seuls pays du continent à avoir mené une politique d’encouragement active du secteur du ciment. Le pays est en effet passé du statut d’importateur à celui d’exportateur net de ciment. Une réussite telle que les Nigérians qualifient Aliko Dangote d’AGIP pour « any goverment in power » [32], un acronyme accordé aux entrepreneurs qui réussissent sous tous les régimes…

 

Photo : Cimenterie Dangote, “Benue state (NIGERIA)”, by William Muzi, CC BY-NC-ND 2.0, Flickr.https://www.flickr.com/photos/elmuz/10924869894/


Notes :

[1J.N.Mojekwu, A.Idowu & O.Sode, “Analysis of the contribution of imported and locally manufactured cement to the growth of GDP of Nigeria (1986-2011)”, in African Journal of Business Management Vol7(5), pp.360-371, February 2013

[2Pour plus de détails sur le paysage politique au Nigéria depuis l’indépendance, lire : Pérouse de Montclos Marc-Antoine, « La transition démocratique au Nigeria : militaires civilisés ou civils militarisés ? », Autrepart, 2003/3 (n° 27), p. 61-74.

[3Olabisi Shoaga. La responsabilité sociale des entreprises au Nigéria depuis la crise des Ogonis : de la réalité au discours. Science politique. Université de Bordeaux, 2014.

[4A. Akinyoade & C. Uche, Dangote Cement : an African success story ? African Studies Center Working Paper 131/2016.

[5Forrest, T. (1994). The Advance of African Capital : The Growth of Nigerian Private Enterprise (Edinburgh : Edinburgh University Press). Lire également la reproduction d’un article de West Africa Magazine d’octobre 1955 qui relate le décès d’Alhassan Dantata : http://dantatafamily.com/tribute_to_alhassan.htm

[6Une compagnie à charte qui joua un rôle important dans l’histoire du Nigéria, deviendra la United Africa Company en 1929, puis fut absorbée par Unilever en 1987.

[7History of Alhassan Dantata (1877-1955), http://dantatafamily.com/alhassan_history.htm

[8Loimeier Roman, Islamic reform and political change in northern Nigeria. Northwestern University Press, Evanston, Ill, 1997. p.90.

[9Forrest (1994), p77-78, op.cit.

[10Une note du consul américain au Nigéria de 2005, révélée par Wikileaks, affirme que Dangote a pu bénéficier de l’exclusivité de l’importation de sucre, ciment ou de riz, lui permettant de se constituer un monopole et d’écarter ses concurrents. Il aurait également fait l’objet d’un traitement préférentiel ou de dérogations aux interdictions d’importer pour des produits dont il faisait commerce comme la farine de blé, le ciment, certains textiles, le sucre ou les pâtes. “Aliko Dangote and why you should know about him” : https://wikileaks.org/plusd/cables/05LAGOS362_a.html

[11Tim Cocks, « In Nigeria, a concrete get-rich scheme », 11 sept 2012, Reuters.

[12Il avait déjà dirigé le pays entre 1976 et 1979 au sein d’un gouvernement militaire.

[13Dangote sera l’un des principaux bailleurs pour la construction de la librairie présidentielle Obasanjo, l’un des principaux contributeurs de ses campagnes présidentielles en 1999 et en 2003. Il offrira généreusement du ciment – pour un montant de 3 milliards de Nairas – pour la construction du siège du parti du même Obasanjo.

[14A.Akinyoade & C.Uche (2017) : Development built on crony capitalism ? The case of Dangote Cement, Business History.

[15En 2007, le nouveau président Umaru Yar’Adua avait ordonné la réouverture de l’usine et la justice avait indemnisé Ibeto à hauteur de plusieurs millions de dollars. Mais Dangote a depuis entamé d’autres poursuites contre son concurrent, pour des pratiques d’évasion fiscale. « Cement war, Dangote, Ibeto continue legal tussle », Sahara reporters, 17 octobre 2016.

[16La « bad bank » nigériane qui avait récupéré les actifs du secteur financier nigérian en 2010.

[17Jeune Afrique, 13 jan 2016, « L’actionnaire majoritaire de Peugeot Automobile Nigeria revend sa participation »

[18“Nigeria’s Jonathan adds Dangote to economic team”, Reuters, 19 août 2011 : http://www.reuters.com/article/ozatp-nigeria-economy-idAFJOE77I0NW20110819

[20Akinyoade & Uche (2017), op.cit.

[24« Les milliardaires Gates et Dangote s’associent pour lutter contre la malnutrition au Nigeria », Le Monde, 22 janvier 2016.

[25Lire : Jean-François Pollet, « Bill Gates, un philanthrope qui veut aussi contrôler le marché des semences », dans Imagine n°101, Janvier-Février 2014.

[31« Crony capitalism » en anglais. Cf. Uche & Akinyoade (2017) et Shoaga (2014), op.cit. 
Signalons ici que l’expression ne s’applique pas exclusivement à des cas africains, de pays en développement ou à des régimes autoritaires mais a pu être observé dans de nombreuses régions sous des formes tout à fait variées, y compris dans les « démocraties » occidentales (pantouflage, lobbying, marchés publics truqués…). Lire, sur les liens entre néolibéralisme et capitalisme de connivence, le billet de Lucas Juan Manuel Alonso Alonso : http://blogs.lse.ac.uk/eurocrisispress/2016/05/30/crony-capitalism-and-neoliberal-paradigm-part-ii/ ou l’article de Samir Amin sur le cas égyptien : « Capitalisme « libéral », capitalisme de connivences et lumpen développement : Quelles réponses immédiates ? », http://www.pambazuka.org/fr/security-icts/samir-amin-capitalisme-%C2%AB-lib%C3%A9ral-%C2%BB-capitalisme-de-connivences-et-lumpen-d%C3%A9veloppement ou encore M.S.Salter, « Crony Cpaitalism, American style : what are we talking about here ? », Working Paper 15-025, October 2014, Harvard Business School, http://www.hbs.edu/faculty/Publication%20Files/15-025_c6fbbbf7-1519-4c94-8c02-4f971cf8a054.pdf

[32Business : la méthode Dangote – Jeune Afrique, 20 aout 2015.

 

Romain Gelin, “Dangote : une multinationale africaine”, Gresea, août 2017.

Source :
http://www.gresea.be/spip.php?article1691

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