Covid-19: l’histoire du Sri Lanka et les défis à venir

Le Sri Lanka a également été frappé par le coronavirus. Lasanda Kurukulasuriya nous explique comment le gouvernement a géré l’épidémie dans ce pays insulaire situé au sud de l’Inde, avec des résultats appréciables. Fin juin, on y dénombrait 11 décès seulement. Le gouvernement sri lankais doit par ailleurs surmonter un défi de taille en faisant revenir de nombreux travailleurs émigrés. Explications.


La gestion de l’épidémie de Covid-19 par le Sri Lanka a, comparée à d’autres, donné des résultats appréciables. En retraçant la trajectoire de sa réponse, on voit que les premières mesures prises pour nous préparer à ce qui nous attendait en ont bien atténué les conséquences. Un groupe de travail prenant appui sur l’expertise de tous les secteurs concernés a été nommé par le président Gotabaya Rajapaksa le 27 janvier, le jour où le premier cas de Covid-19 a été signalé — celui d’une touriste chinoise.

Le premier cas local a été détecté le 11 mars — un guide touristique qui avait été infecté par un touriste italien. La fermeture des écoles a été annoncée le lendemain, suivie de la fermeture des théâtres, cinémas, bibliothèques, terrains de sport et autres lieux publics, ainsi que de l’interdiction des rassemblements publics et privés. Vers la mi-mars, l’aéroport international de Colombo a été fermé aux passagers en transit. La roupie a chuté, la Bourse s’est effondrée. Conformément au récit désormais familier du confinement, les Sri-Lankais se sont barricadés dans l’île soumise au couvre-feu depuis le 20 mars.

Les mesures prises pour livrer les denrées alimentaires et les médicaments essentiels à domicile ont permis d’amortir l’effet des restrictions. Les agriculteurs et les pêcheurs ont été autorisés à se livrer à leurs occupations habituelles sans tenir compte du couvre-feu, afin de garantir la subsistance des populations rurales et d’assurer la sécurité alimentaire. Le gouvernement est intervenu dans l’achat et la distribution des produits et dans leur fourniture aux consommateurs. Les nouvelles mesures de santé et de sécurité ont entraîné des difficultés prévisibles.

Comparé à de nombreux pays occidentaux dont les statistiques quotidiennes de décès et d’infection étaient ahurissantes, le bilan du confinement au Sri Lanka est bon. Deux mois après l’apparition du premier patient local, le Sri Lanka comptait, au 9 mai, un total de 835 cas confirmés de Covid-19. Parmi ceux-ci, 255 s’étaient rétablis, 9 étaient décédés, 571 cas restaient actifs.

                                                                                

La bonne voie

« Le Sri Lanka est sur la bonne voie pour contenir l’épidémie grâce à une stratégie renforcée de suivi, de dépistage, d’isolement et de traitement », a déclaré l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « L’endiguement est possible et reste la priorité absolue au Sri Lanka », a-t-elle affirmé le 10 mai. Les ambassadeurs de France, d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, de Roumanie et la délégation de l’UE à Colombo ont rencontré le chef du groupe de travail présidentiel sur les services essentiels, Basil Rajapaksa, pour saluer la coopération du gouvernement dans l’assistance à leurs ressortissants. L’UE a affirmé dans une déclaration qu’elle était « impressionnée par le faible nombre de cas au Sri Lanka jusqu’à présent » et a accordé une subvention de 22 millions d’euros pour aider à lutter contre la maladie. Les chefs de mission représentant les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et le Canada auraient également reconnu les progrès réalisés par le gouvernement dans la lutte contre la pandémie et se seraient engagés à poursuivre leur soutien, tout comme les gouvernements de l’Inde et du Japon.

 L’aide la plus ferme apportée au Sri Lanka suite à la pandémie est venue de la Chine. Après s’être engagée à partager ses connaissances et son expertise avec le ministère sri-lankais de la Santé, la Chine a continué à faire des dons de tonnes de matériel médical, de dizaines de milliers de masques, de kits de test PCR et d’autres fournitures. L’ambassadeur par intérim de la Chine a assuré le président Rajapaksa que son gouvernement aiderait à la reconstruction de l’économie.

 

Le système de santé publique

 La réponse énergique du Sri Lanka à l’épidémie de Covid-19 pourrait être due à son système de santé publique bien géré, dirigé par des professionnels médicaux dévoués, malgré son sous-financement. Le Dr Ramya Kumar, du Département de médecine communautaire et familiale de la faculté de médecine de l’université de Jaffna, a écrit l’année dernière dans une communication pour une conférence que « la caractéristique la plus remarquable du système de santé publique du Sri Lanka est qu’il offre des services sans rendez-vous et sans frais dans ses lieux d’utilisation. Financé principalement par une fiscalité indirecte régressive, le système a atteint une répartition géographique impressionnante avec des niveaux de dépenses relativement faibles (< 2 % du PIB) ».  

Dans sa tentative de freiner la propagation du coronavirus, le Sri Lanka a adopté une stratégie agressive de traçage et d’isolement dans des installations de quarantaine, les cas positifs étant hospitalisés pour être traités. L’approche n’était pas fondée sur le principe « tester, tester, tester ». Le directeur général des services de santé, le Dr Anil Jasinghe, aurait déclaré dans le Sunday Times : « Les tests sont effectués sur la base d’un algorithme et d’une politique ciblés, et non sur un simple caprice à chaque carrefour. » « Ceux qui sont testés font partie du groupe extrêmement vulnérable des personnes dans les unités de soins intensifs (USI), de celles qui souffrent de maladies respiratoires aiguës graves (SARS), celles que les cliniciens veulent faire tester, celles qui sont dans les centres de quarantaine et d’autres groupes vulnérables comme ceux qui vivent dans des zones encombrées, les toxicomanes, les employés municipaux, les conducteurs de trishaw, les vendeurs de poisson, etc. » On estime qu’entre 1500 et 2000 tests PCR (Polymerase Chain Reaction tests) sont effectués chaque jour.

À la question de savoir si l’approche du Sri Lanka en matière de tests était appropriée et adéquate, le bureau de l’OMS à Colombo a répondu par courriel : « Les tests actuels sont appropriés et conformes au plan de test de la phase de regroupement, et tous les groupes appropriés sont actuellement testés. »

Les responsables sanitaires affirment qu’il n’y a pas eu de « propagation communautaire » de la maladie. Cette affirmation semble basée sur les contrôles aléatoires effectués dans la communauté, qui, selon le Dr Paba Palihawadana, directeur général adjoint des services de santé, représentent environ 50% des échantillons collectés.

 

Dans la Marine

Les forces armées du Sri Lanka apportent une contribution importante à la réponse au Covid-19 sous la direction du lieutenant général Shavendra Silva, chef d’état-major de la défense et commandant de l’armée, qui dirige le Centre national des opérations pour la prévention du Covid-19 (NOCPC selon son sigle en anglais). Le personnel des forces armées est chargé de déplacer les personnes identifiées vers les installations de quarantaine gérées par l’armée dans 45 lieux du pays. Divers groupes qui partaient après leur séjour de 14 jours, interviewés à la télévision publique, ont sans exception loué le niveau élevé des installations et le traitement attentif qu’ils y ont reçu. Le service de renseignement de l’État se concentre sur la recherche des contacts, tandis que le personnel des forces armées continue à apporter son aide dans diverses tâches.

Il est donc ironique que le premier pic des cas se soit produit dans la Marine du Sri Lanka. Un officier avait été infecté pendant son service lors d’une opération à Ja-Ela destinée à rassembler des toxicomanes en vue de leur mise en quarantaine et qui se sont ensuite révélés positifs, a expliqué le commandant de l’armée. Le plus grand foyer de contamination jamais enregistré a résulté de cette calamité. Un rapport de situation de l’unité d’épidémiologie a montré qu’entre le 22 avril (date de début du foyer de contamination de la Marine) et le 31 mai, 794 des 1312 cas confirmés signalés étaient des membres de la Marine et leurs proches collaborateurs. Cependant, les récupérations au sein de ce groupe ont été rapides, peut-être en raison de leur âge et de leur bonne forme physique.

 

Rapatriement des Sri Lankais

Le plus grand défi apparu récemment est le nombre croissant de Sri Lankais revenant de l’étranger dans le cadre d’un programme de rapatriement gouvernemental et dont le test Covid-19 s’est révélé positif à l’arrivée. Les autorités sanitaires affirment que ces rapatriés étaient déjà infectés au moment de leur départ et les classent dans la catégorie des cas « importés ». Sur les 466 travailleurs émigrés de retour du Koweït le 19 mai, 324 ont été déclarés positifs au Covid-19.

Ce nouveau développement présente un ensemble complexe de problèmes. L’anxiété des responsables sanitaires est palpable. Le Dr Sudath Samaraweera, épidémiologiste en chef, a appelé à la vigilance en déclarant : « À ce stade, il n’y a pas de pression excessive sur le système de santé, il peut être géré avec prudence. Pour l’instant, aucun cas n’a été signalé au sein de la communauté. Mais cela ne nous autorise pas à affirmer qu’il n’y en a pas. Nous devons donc continuer à supposer qu’il y a peut-être des personnes infectées dans la communauté. C’est la seule façon de contrôler la situation car nous ne sommes pas encore sûrs à 100%. » (Ada Derana, à la télévision, le 28.05.20) Au 31 mai, le nombre total de cas confirmés de Covid-19 s’élevait à 1620, dont 10 décès. Avec 801 cas guéris, il reste donc un total de 809 cas actifs.

Les travailleurs émigrés sri-lankais ont réclamé de revenir au pays, en raison de l’aggravation du risque de contracter le Covid-19 dans les pays d’accueil, du manque d’accès aux services médicaux, de la perte de leur emploi ou de leur logement et d’autres imprévus suite de la pandémie. On estime qu’environ 40 % d’entre eux travaillent illégalement (« non enregistrés »), ce qui les rend plus vulnérables.

Au 27 mai, 42 522 personnes de 123 pays cherchaient à retourner au Sri Lanka, selon une déclaration du ministère des Relations étrangères du 29 mai. « Parmi ces personnes, le nombre des travailleurs émigrés s’élevait à 34 881 dont 20 893 vivent au Moyen-Orient, tandis que 4961 étaient titulaires d’un visa de courte durée et 2016 étaient des étudiants », a-t-il déclaré. Il a ajouté que le programme de rapatriement se poursuivrait, la priorité allant à ceux qui ont perdu leur statut juridique ou leur emploi. Sur les 466 rapatriés du Koweït, 379 sont arrivés sur la base d’un accord d’amnistie entre les deux gouvernements, a déclaré le ministère, tandis que 87 venaient de prisons et de centres de détention koweïtiens.

 

La responsabilité du gouvernement

Ces dernières années, les envois de fonds des travailleurs migrants ont constitué la principale source de devises du Sri Lanka, devant les vêtements et le tourisme. Les envois de fonds des travailleurs migrants ont représenté 58,9 % des recettes d’exportation en 2018, dont plus de la moitié provenait d’Asie occidentale, selon les statistiques de la Banque centrale.

Sur instruction du président Rajapaksa, les rapatriés de l’étranger seront désormais soumis à des tests PCR à l’aéroport, où un laboratoire sera installé à cet effet. Ils ne seront envoyés en quarantaine qu’une fois les résultats connus. Tous ceux qui souhaitent revenir dans leur patrie devraient pouvoir le faire le plus rapidement possible, a déclaré le cabinet du président.

« Notre but est de ramener les Sri Lankais, mais d’une manière qui ne mette pas en danger (la sécurité) des gens ici », a déclaré l’amiral Jayanath Colombage, deuxième secrétaire du président et membre du groupe de travail spécial.

Ces déclarations suggèrent que le gouvernement considère les travailleurs sri-lankais émigrés comme relevant de sa responsabilité. C’est un changement bienvenu dans son attitude depuis 2013, lorsqu’une jeune femme de ménage sri-lankaise, Rizana Nafeek, a été décapitée de façon barbare en Arabie saoudite, sans procès équitable, pour le meurtre présumé d’un nourrisson dont elle avait la charge alors qu’elle était mineure.

La situation critique des travailleurs émigrés pris dans la pandémie soulève des questions sur les raisons pour lesquelles tant de personnes travaillent illégalement — ce qui les rend plus vulnérables — et pourquoi un si grand nombre de citoyens doivent quitter le pays, principalement pour subvenir aux besoins de leur famille. Si des emplois plus décents étaient créés à l’intérieur du pays, ces travailleurs ne seraient-ils pas épargnés par ces épreuves ? 

Ce sont des problèmes pour lesquels des solutions à long terme seraient nécessaires — à condition que le gouvernement ait la volonté politique de les traiter. Le défi immédiat est de remplir ses obligations envers les Sri Lankais en détresse à l’étranger, sans compromettre la sécurité des citoyens dans le pays. Alors que le pays sort progressivement de deux mois d’isolement épuisant pour reprendre une vie normale, ce pourrait être le test décisif qui déterminera si le bilan impressionnant (jusqu’à aujourd’hui) du Sri Lanka dans sa lutte contre Covid-19 peut se durer.

 

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action

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