Comprendre l’actualité de l’Arabie saoudite à la lumière de l’Histoire

Le Dakar s’invite pour la première fois au Moyen-Orient : l’Arabie saoudite accueille l’édition 2020 du rallye automobile. Après avoir communiqué sur l’émancipation des femmes et la tolérance religieuse, elle cherche à se construire une image de respectabilité. Le livre de Malise Ruthve, “L’Arabie des Saoud”, nous donne des clés pour comprendre l’actualité de la pétromonarchie…

 

En réalité, l’assassinat de Khashoggi, les menées guerrières au Yémen, les exécutions massives au sabre et en public, le contrôle féroce de toute la société sont en continuité avec ce qu’est l’Arabie depuis le XVIIIe siècle, depuis la fondation par Mohammed ben Abdelwahhab de la doctrine du wahhabisme, depuis la rencontre entre ce fondateur et l’émir Mohammed ibn Saoud.

 

Leur collaboration aboutira à faire de ce financeur de caravanes le chef d’un État de plus en plus étendu et puissant, et aussi de plus en plus corrompu et brutal. La découverte du pétrole dans les années 1920 et le génie politique d’Abdelaziz ibn Saoud en feront une puissance mondiale, au destin intimement lié à celui de la famille Al Saoud.

 

Remontant le fil de cette histoire, Malise Ruthven nous donne les clés pour comprendre l’actualité saoudienne, l’attitude sectaire du royaume envers le monde musulman et ses rapports avec les États occidentaux. Il en éclaire aussi les contradictions, alors que l’ambitieux prince héritier Mohammed ben Salmane « semble résolu à remplacer, avec le soutien populaire de la jeunesse, l’ancien système tribalo-familial par une dictature “verticale” ».

 

Extrait :

 

En 1930, un groupe de géologues américains travaillant pour une filiale de la Socal, une petite compagnie pétrolière américaine basée à San Francisco, prospectait dans le protectorat britannique de Barheïn, un archipel de la côte orientale de l’Arabie. Après avoir trouvé  du pétrole sous un affleurement rocheux, ils remarquèrent des affleurements similaires à 25 kilomètres de là sur le continent. On découvrit par la suite que ces formations correspondaient en effet à une même structure géologique, le dôme de Dammam. Trois ans après, Ibn Saoud se laissa persuader par son ami britannique, l’arabiste et explorateur Henry St. John Philby, qu’il pourrait trouver l’argent dont il avait tant besoin en exploitant les ressources minérales de son pays. Poussé par Philby. le roi engagea un géologue américain, Karl Twitchell, pour faire du porte-à-porte auprès des compagnies pétrolières américaines afin de les inciter à prospecter en Arabie. Deux grandes compagnies – Exxon et Gulf- ne manifestèrent pas d’intérêt. Elles étaient de toute façon tenues par l’accord dit «de la ligne rouge» qui leur interdisait de prospecter dans les territoires revendiqués par l’ancien Empire ottoman, un accord destiné à maintenir le monopole de la compagnie à capitaux britanniques Iraqi Petroleum Company (IPC) qui avait succédé à la Turkish Petroleum Company. L’IPC, qui voyait elle aussi peu d’intérêt à cette campagne de prospection en ces temps d’excédent mondial, offrit au roi la bagatelle de 10 000 livres sterling payées en devises et non en or. Elle ne tenait pas tant à se lancer dans l’exploration de se nouveau territoire qu’à « en écarter les Américains »  Le brillant explorateur Philby, un ancien officier colonial qui avait démissionné suite à la décision de son gouvernement de ne pas soutenir Ibn Saoud contre les Hachémites, vit tout le parti qu’il pourrait tirer de la situation. Conseillée par Philby, la Socal fit à Ibn Saoud une offre bien plus généreuse : un prêt immédiat de 30 000 livres sterling (1,5 million en valeur d’aujourd’hui), suivi de 20 000 livres dix-huit mois plus tard, à quoi s’ajoutait un loyer annuel de 5000 livres, le tout payable en or. En échange, Ibn Saoud allouait à la compagnie une concession grande comme deux fois le Texas. L’accord, signé en août 1933, rapportait à Pbilby un salaire de 1 000 livres par an (environ 50 000 livres en valeur d’aujourd’hui) et lui donnait la satisfaction d’écarter une compagnie contrôlée par les Britanniques en faveur des Américains, qui passaient pour moins impérialistes. Alors que le pétrole coulait déjà à Bahreïn et que les concessions arabes étaient prometteuses, la Socal vit qu’elle avait besoin de capitaux et de débouchés commerciaux supplémentaires. Elle vendit la moitié de ses concessions barheïniennes et saoudiennes à la Texaco, la seule grande compagnie qui n’était pas tenue par l’accord de la ligne rouge.

L’histoire de «Dammam numéro 7 » – le célèbre puits qui constitue aujourd’hui rune des attractions touristiques de la ville de Dhahran – ressemble à un conte de fées des temps modernes. Devant le coffre au trésor, les prétendants doivent passer une série d’épreuves qui les mettent tous en échec jusqu’à ce que l’un d’eux tombe sur le talismanique «numéro 7».

Les prospecteurs opportunistes n’étaient pas bien équipés. Faute de dynamite, ils cassaient la roche à la main avant de la chauffer par des feux de bois, puis de l’inonder d’eau froideur la faire éclater.

Trois années de forage entre 1935 et 1937 ne permirent pas de produire des volumes de pétrole exploitables. Le derrick numéro1 fut abandonné. Au numéro 2, le geyser qui avait jailli dans un premier temps se réduisit vite a un maigre filet de pétrole. Le numéro 3 ne donna jamais plus que cent misérables barils par jour (bbl/J). Le numéro 4 était un «puits sec »  qui ne donna jamais rien. Les numéros 5 et 6 furent tout aussi décevants. Au puits numéro 7, après un forage jusqu’à plus de 1000 mètres de profondeur avec des résultats négligeables, la direction de la compagnie à San Francisco fut tentée d’ aller voir ailleurs. «La compagnie ne devrait-elle pas se retirer totalement d’Arabie saoudite?», demanda-t-elle. Elle avait déjà «déversé des millions de dollars dans des trous dans le désert». Mais le 4 mars 1938. les foreurs tombèrent sur l’or noir. Ce jour-là, le débit du numéro 7 était de 1585 bb/j. Trois jours plus tard, il avait grimpé à 3 690 bb/j». Les foreurs avaient pénétré dans le principal réservoir de pétrole de la séquence jurassique supérieure qui pourrait contenir, croit-on aujourd’hui, près de la moitié réserves de pétrole et de gaz de la planète. Un niveau de cette formation, baptisé Arab D, est relié au gigantesque gisement de Ghawar, au sud ouest de Damman. Ce gisement, le plus grand connu à ce jour, assure aujourd’hui encore une partie importante de la production mondiale de pétrole.

En mai 1939, le roi traversa le désert jusqu’à la nouvelle ville pétrolière de Dhahran, à quelques kilomètres au sud de Damman. Il y eut des banquets et des visites officielles et Ibn Saoud fut reçu à bord d’un pétrolier, le D.G. Scofield, baptisé du nom du fondateur de la Socal. Le roi ouvrit la vanne de l’oléoduc et le pétrole commença à couler. Il était tellement enchanté du consortium Socal-Texaco (qui avait pris le nom de CASOC, pour California-Arabian standard Oil Company) qu’il décida d’accroitre la superficie de la concession, qui ferait désormais 444 000 miles carrés (un peu moins de 1 150 000 kilomètres carrés, soit deux fois la taille de la France métropolitaine). La compagnie avait l’exclusivité dans cette région en échange d’une royalty de 22 cents par baril.

Même si la production s’en trouva ralentie pour des raisons matérielles et logistiques, le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale ne put que souligner l’importance stratégique du pétrole. Tandis qu’ Ibn Saoud faisait pression sur la Socal et Texaco pour qu’elles lui versent davantage d’argent afin de compenser la baisse des revenus du Hajj, le flux de pèlerins s’étant brutalement tari, les deux compagnies étaient de plus en plus préoccupées par l’avenir de leur concession. Elles s’inquiétaient notamment que les Britanniques, qui continuaient à subventionner le régime d’Ibn Saoud, utilisent leur influence pour nuire au consortium. Lorsque les compagnies s’adressèrent au gouvernement des États-Unis pour que l’Arabie saoudite puisse bénéficier du programme du « prêt-bail », elles n’eurent pas de mal à le convaincre. Alors que la guerre faisait rage dans l’Atlantique comme dans le Pacifique, les Etats Unis reconnaissent l’importance de la voie de ravitaillement moyen-orientale. Un mémorandum du sous-secrétaire à la Marine William Bullitt adressé au président Roosevelt expliquait que «l’acquisition de réserves de pétrole hors de nos frontières est devenue[…) d’un intérêt vital pour les États-Unis.

La proposition que l’État américain entre au capital du consortium saoudien et que le gouvernement des États-Unis finance la construction d’un oléoduc pour transporter le pétrole du Golfe usqu’à la Méditerranée se heurta a l’ opposition des compagnies pétrolières qui ne voulaient pas dépendre du gouvernement. Elles décidèrent de construire l’oléoduc avec des

capitaux privés. Un «serpent d’acier» de 30 pouces (762 mm) de diamètre fut posé dans le désert pour un coût de près de 200 millions de dollars (environ un milliard en valeur d’aujourd’hui). Pendant quelque temps, le Tapline (Trans-Arabian Pipeline) permit à l’Aramco (le géant du pétrole qu’ était devenu la Socal après 1944) d’économiser sur le coût des pétroliers et du droit de passage du canal de Suez. Mais son sort était lié au conflit israélo-arabe. La construction fut d’ailleurs interrompue par la première guerre israélo-arabe (1948) et ce n’est qu’en 1949 que la Syrie et le Liban acceptèrent que l’oléoduc passe sur leur territoire.

 

Source: Investig’Action

 

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