Catalogne : entre mirage et réalités

Après 7 ans de mobilisations et de publicité, le processus indépendantiste de la Catalogne a atteint au moins l’un de ses objectifs : la question est prise en considération dans le monde entier, obligeant les uns et les autres à se positionner. Pour ou contre l’indépendance ? La répression calculée du gouvernement espagnol a paradoxalement offert une publicité inespérée au processus indépendantiste. Processus qui soulève aujourd’hui un florilège d’émotions et de sentiments variés. Avec notamment la noble défense de la démocratie et celle du droit à l’autodétermination des peuples. Mais aussi la poussée d’un nationalisme excluant et la crainte d’ouvrir une boîte de Pandore qui provoquerait une réaction en chaîne des autres mouvements indépendantistes à l’échelle européenne. Aborder cette affaire catalane à la lumière des rapports de classes permet d’en saisir les enjeux fondamentaux.

 

La Catalogne tente de transformer sa confrontation avec le gouvernement central en une affaire européenne. Rien d’étonnant. Dès les premières manifestations de grande ampleur, l’ensemble des forces politiques et de la société civile affichaient cette volonté. Le 11 septembre 2012, jour de la fête nationale catalane, le principal slogan était : « Catalogne, nouvel État d’Europe ». C’est donc en toute logique que de nombreuses personnes ont salué le mouvement indépendantiste catalan. Ils y voyaient une occasion de relancer la machine démocratique dans une Union européenne de plus en plus critiquée. Depuis la crise économique de 2008 particulièrement, cette Union est divisée entre bons et mauvais élèves. D’un côté, les fondateurs de l’UE qui constituent son moteur économique. De l’autre, les fainéants. Le Portugal, l’Irlande, la Grèce et l’Espagne étaient pointés comme des boulets et qualifiés de manière humiliante : « PIGS » (cochons en anglais). À coups de crédits et de mesures d’austérité, les banques ont pu sauver leurs billes chez les mauvais élèves de l’UE. Mais la vie des Grecs ou des Espagnols ne s’est pas améliorée pour autant.

 

Une Catalogne indépendante viendrait-elle changer la donne ? Il ne faut pas se leurrer. Le gouvernement catalan mène des politiques antisociales depuis de longues années. Il a ainsi détruit le système public de santé et n’a rien fait pour protéger les travailleurs de la crise économique. Cette Catalogne-là ne va pas relancer le processus démocratique au sein de l’Union européenne. Elle s’inscrit parfaitement dans le modèle préconisé par Bruxelles.

 

 

Les angles morts : souveraineté, abstention et nationalisme

 

 

Au-delà de la question européenne, le conflit entre les gouvernements de Catalogne et d’Espagne comporte plusieurs angles morts. Tout d’abord, les engagements de Barcelone envers l’Union européenne et l’Otan témoignent d’une vision commune de la société et du monde. Pourtant, le souverainisme national revendiqué dans les pays développés d’Europe apparaît difficilement comme une solution aux problèmes de l’économie mondialisée. Il relève plutôt de l’illusion. En effet, la véritable souveraineté doit être populaire et doit prendre comme priorité la remise en question des fondements du système économique. Un processus de changement réel doit voir plus loin que la seule revendication abstraite de la démocratie, qui est une revendication de forme. Un processus de souveraineté authentique dans les pays du nord en crise doit par conséquent porter en son sein une solidarité internationale envers les pays du sud exploités. Pour qu’une Catalogne vraiment souveraine et indépendante soit crédible, elle devrait s’engager contre le pillage et les guerres plutôt que de lancer des fleurs à Washington et à Bruxelles…(1)

Le deuxième angle mort, c’est l’abstentionnisme. Ces six années de processus pour l’indépendance ont vu une grande activité des autorités catalanes, la publicité des médias, plusieurs tentatives de référendum et des consultations à l’échelle municipale et régionale. Malgré les 2,2 millions de voix et le résultat en faveur du « Oui », une grande partie des Catalans n’a pas été convaincue par les arguments des indépendantistes, et la position abstentionniste reste très importante avec un taux 58%. Une position qui ne témoigne pas nécessairement d’une indifférence à l’égard des relations entre l’Espagne et la Catalogne. Le taux d’abstention reflète surtout l’impossibilité de construire en un temps record et dans une région très dynamique et ouverte au dialogue, un processus qui entraîne la division et la polarisation de la société sur une base identitaire.

Le nationalisme est d’ailleurs le troisième angle mort. Les droites catalane et espagnole ont imposé leur point de vue pour circonscrire le débat à la seule question de la souveraineté nationale. La remise en question du modèle sociale et économique était ainsi rendue marginale. Certes, la gauche catalane favorable à l’indépendance a considéré le processus comme une occasion de briser la chaîne de l’austérité et le statu quo qui règne depuis le retour de la démocratie en Espagne, en 1978. Mais en s’alliant à la bourgeoisie catalane qui défend la création d’un nouvel État, des nouvelles frontières et une nouvelle armée, la gauche a favorisé un discours nationaliste au détriment de ses propres propositions.

L’impact de ce discours a été largement sous-estimé. En effet, critiquée pour ses proximités avec l’élite catalane, une grande partie de la gauche s’est défendue de la pire manière possible et a pointé le nationalisme d’en face, le nationalisme espagnol. Cela devait relativiser les excès des forces nationalistes catalanes considérées comme des alliées, au-delà des rapports de classe. Mais la boule de neige risque de grossir et d’écraser la coexistence des peuples si on ne lui oppose pas une résistance assez tôt. Bien sûr, le parti populaire aux manettes du gouvernement espagnol a des relents nationalistes détestables qui trouvent ses racines dans l’histoire de la dictature franquiste. Les attaques du gouvernement central contre les institutions catalanes s’inscrivent sur la durée, et Rajoy a encouragé les expressions d’intolérance, ravivant les fantômes du passé : on a ainsi pu constater comment les appels à l’emprisonnement du président de la Catalogne se sont popularisés. Ce n’est pas sans rappeler la fin du président-martyr Lluis Companys, fusillé par les franquistes en 1940. Souvenons-nous que le coup d’État du général Franco contre la République espagnole signifia l’écrasement de toute perspective d’émancipation linguistique et culturelle dans un pays formé par des régions aux identités très marquées.

 

 

La Catalogne populaire et rebelle, une réalité historique

 

 

La Catalogne industrielle a été l’un des principaux moteurs économiques de l’Espagne. Dans les années 1960 et 1970, elle a accueilli des centaines de milliers de travailleurs venus du reste de l’État. Au début des années 2000, c’était au tour des travailleurs maghrébins, africains et latino-américains. La Catalogne a ainsi été le théâtre d’importantes luttes sociales à la fin de la dictature franquiste. Après s’être installés de manière très précaire dans des bidonvilles, beaucoup de travailleurs de la périphérie ont revendiqué le droit à une vie digne dans les quartiers populaires. À partir de la lutte des classes, ils ont remporté des conquêtes qui ont marqué l’identité de milliers de Catalans.

 

Mais les premiers pas de la démocratie dans les années 80 ont aussi été guidés par une série d’autres événements : la continuité de la lutte armée du mouvement indépendantiste basque avec des attentats sanglants, la répression de l’État par des moyens paramilitaires (les GAL), la tentative avortée de coup militaire de Tejero le 23 février 1981 – qui rendit crédible le rôle conciliateur et unificateur du Roi Juan Carlos auprès d’une large partie de la société, y compris à l’échelle internationale-, la victoire de Felipe Gonzalez aux élections présidentielles et la mainmise du Parti socialiste sur les mairies à travers un réseau de soutien clientéliste, ou encore l’entrée dans l’Otan par le biais d’un référendum…(2)

 

Manifestation dans la “banlieue rouge” de Barcelone, dans les années 1970. Message sur la pancarte : “Les enfants d’ouvriers voulons étudier”

 

 

De l’occupation des places par les Indignés au « projet » indépendantiste

 

 

En 2011, inspirés par les révoltes de Tunisie et d’Égypte, les Espagnols se mirent à occuper les places publiques. Le mouvement fut baptisé 15M (15 mai) en Espagne ou Indignados en référence à Stéphane Hessel. Le Parti socialiste au pouvoir à Madrid sortait d’une période de grâce qu’il devait principalement à son opposition à la guerre d’Irak en 2003.

À Barcelone, l’occupation de la place Catalogne s’acheva brutalement lorsque le gouvernement catalan envoya la police « nettoyer les lieux ». Les images de violences policières ont marqué une nouvelle génération qui cherchait urgemment des réponses à la crise et au chômage tout en développant une prise de conscience politique. L’un des slogans les plus scandés au sein du 15M ? « Esto no es una crisis, sino una estafa » (ce n’est pas une crise, c’est une arnaque). La corruption et le pantouflage de la classe politique, phénomènes très répandus, étaient également dans la ligne de mire du mouvement. Alors, comment expliquer que les revendications de la société catalane sont si rapidement passées de la défense des droits sociaux à la promotion de l’indépendance ?

Au moment où la crise éclate, le gouvernement catalan était composé d’une coalition de forces progressistes (le Tripartit composé par le PSC, l’ERC et ICV-Les Verts). Situation inédite, car le parti de droite, Convergence et Union (CiU), avait été au pouvoir depuis 25 ans ! Considérée jusque-là comme un moteur économique, la Catalogne connaissait alors une situation sociale de plus en plus tendue. C’est à ce moment-là que le président Artur Mas, dauphin désigné comme le successeur de Jordi Pujol, a renouvelé sa stratégie et a dévoilé son agenda indépendantiste. Il pouvait compter sur le travail constant et infatigable d’organisations de la « société civile » catalane qui occupaient le premier plan lors des appels à la mobilisation. C’était aussi une façon de préserver l’image écornée par les scandales de corruption du CiU, notamment l’affaire des 3%. Le parti aurait touché des commissions de 3 voire 4% par des entreprises sur les contrats que leur attribuaient des mairies gérées par le parti. Bilan des magouilles : une escroquerie à hauteur de 6,6 millions d’euros. D’où l’idée largement popularisée que la question catalane n’était qu’un rideau de fumée…

A leur tour, sous le prétexte de la crise, le PS et le PP s’apprêtèrent à graver dans le marbre de la Constitution le principe de « stabilité budgétaire » de l’État, interdisant de « dépasser les limites du déficit établies par l’Union Européenne pour les États membres ».

 

Meeting de coalition Unidos Podemos en faveur de la plurinationalité, lors de la campagne présidentielle, à Barcelone le 11 juin 2016.

 

 

Podemos : ses atouts et ses limites

 

 

En même temps, portée par la vague d’indignation du mouvement d’occupation des places, une nouvelle force politique faisait son apparition. Podemos montrait qu’un discours unitaire et rassembleur pouvait politiser les couches sociales les plus fragilisées à cause de la crise, et créer un effet de contagion à l’échelle nationale. Critiquant de façon implacable la réforme de la Constitution approuvée par le PS et le PP, Podemos réussit à dévoiler le vrai visage du bipartisme, montrant que la Constitution peut très bien être réformée, à condition que cela soit en faveur des intérêts de la minorité possédante. Quant à la droite catalane, elle aussi craignait de se voir éjectée à nouveau du pouvoir, et cette fois-ci, pour un bon bout de temps. Il fallait écarter ce risque, coûte que coûte. Même au prix d’une course finale contre la montre avec le gouvernement central. 

Jusque-là, la droite catalane avait joué la stratégie de la tension face à Madrid, injectant le nationalisme à petites doses. Mais tout nationalisme, y compris le catalan, est enraciné dans ses propres mythes. Il faut pouvoir balayer d’abord devant sa porte… Cela explique d’ailleurs pourquoi une partie de la société catalane est restée relativement indifférente face à l’agenda indépendantiste pendant de longues années. Même si la Constitution espagnole de 1978 reconnaît le « droit à l’autonomie des nationalités  », l’émergence du mouvement indépendantisme catalan est un phénomène très récent. La Catalogne restait un cas assez singulier :  les clivages sociologiques étaient très marqués et prévalaient sur la question identitaire depuis des décennies. La lutte contre les expulsions des locataires à travers une plateforme de lutte et de solidarité (la PAH, plateforme des concernés par les crédits hypothécaires) en est l’un des exemples les plus aboutis.

 

Manifestation pour le droit au logement à Barcelone, le 16 février 2013

 

 

Toutefois, la distillation du nationalisme a créé des tensions sur une base identitaire. Pire, elles ont fait l’objet d’une dangereuse banalisation, tant de la part du gouvernement catalan que du gouvernement espagnol. Jusqu’à maintenant, deux facteurs ont empêché l’émergence de forces d’extrême-droite virulentes. Tout d’abord, l’absorption par le Parti Populaire d’éléments d’extrême-droite nostalgiques du franquisme. Ensuite, la dynamique insufflée par Podemos a permis de politiser les couches populaires. Suffisamment ?

À travers une coalition de plateformes citoyennes, Podemos est parvenu à remporter des victoires importantes dans les principales villes lors des élections municipales de juin 2015, avec notamment Ada Colau à Barcelone. Les couches populaires qui avaient énormément souffert de la crise ces dernières années pouvaient espérer souffler. Mais le parti a fait preuve d’immaturité et d’un sens tactique excessif. Diabolisé par les médias, son secrétaire général Pablo Iglesias a parfois eu tendance à modérer son discours.

 

 

La fuite en avant des indépendantistes

 

 

Le 8 septembre, le Parlement catalan approuva une loi de « transition juridique » qui devait mener à une « déconnexion » des institutions espagnoles dès le lendemain du référendum du 1er octobre, en cas de victoire du oui à l’indépendance. Porte-parole du groupe CSQP, la coalition de gauche formée par Podemos, les Verts, Equo et la Gauche Unie et Alternative, Joan Coscubiela critiqua vivement cette procédure qui violait les règles en vigueur: « La majorité est en train de faire voler en éclats toutes les garanties démocratiques (…) on est devant un acte anti-démocratique sans précédents dans notre Parlement (…) Il est parfaitement légitime d’envisager l’objectif de la République catalane, mais pas de cette façon (…) Le pas qui a été franchi pourrait s’avérer irréversible en termes négatifs pour la citoyenneté, le Parlement et la démocratie de la Catalogne…» .

L’approbation de cette loi avant la célébration du référendum, dénonça Coscubiela, n’avait « rien à voir avec les intérêts de la Catalogne ni avec les intérêts du référendum ». Son intervention fut raillée par les indépendantistes, au prétexte qu’elle faisait le jeu de la droite espagnole. Peu importe que cet ancien secrétaire général du syndicat CC.OO. ait été l’une des voix le plus engagées à Madrid dans la lutte contre la corruption, la défense du droit du travail, de l’enseignement du catalan face aux attaques du ministre Wert et même du référendum. Sa position favorable à la négociation sur un référendum pactisé avec Madrid n’a jamais eu droit au chapitre ! Pourtant, cette intervention était lucide et certainement prémonitoire…

En Catalogne, l’acharnement contre la coalition de Podemos témoigne d’une extrême polarisation du débat politique. En effet, les voix progressistes étaient attaquées de tous bords : Rajoy et les médias dominants les accusaient d’aplanir le chemin vers la rupture de l’unité nationale, tandis que la coalition indépendantiste exigeait leur adhésion à son agenda unilatérale. Cette « stratégie de la tenaille » a empêché Podemos de jouer un rôle plus décisif dans le conflit qui divise la Catalogne.

 

 

Le 1er octobre, une date charnière

 

 

La saisie de matériel électoral et l’envoi de renforts policiers en Catalogne les jours précédant la tenue du référendum était un message sans ambiguïtés : le gouvernement espagnol n’allait pas céder un millimètre. Les scènes de répression du 1er octobre ont été choquantes et inacceptables. 893 blessés ! En réprimant brutalement les électeurs pacifique et en niant un droit fondamental des peuples, Rajoy a scandaleusement mis en lumière les contradictions et les limites de nos démocraties.

Pour autant, l’instrumentalisation politique des victimes est intolérable. Le 8 octobre, le discours du président catalan, Carles Puigdemont, finit par accepter les limites de son projet en laissant la porte ouverte au dialogue avec Rajoy. Ce recul a eu un effet de douche froide chez des milliers d’indépendantistes convaincus que le gouvernement allait « désobéir » jusqu’au bout. C’était faire preuve d’une grande naïveté au vu des intérêts de classe de l’élite catalane. En effet, plusieurs grandes entreprises réagirent d’une manière logique à l’agenda de la Generalitat : elles déplacèrent leur siège social afin de se protéger contre l’instabilité financière.

Curieusement, on a tendance à oublier ou relativiser le fait que le mouvement indépendantiste soit étroitement encadré par la droite. La conséquence c’est que l’accent est mis sur la défense des institutions catalanes et ses porte-paroles. Or, celles-ci sont loin d’être irréprochables. Les gens semblent avoir oublié la répression brutale de la police catalane à l’encontre des indignés en mai 2011. Des coups de matraque tout aussi inacceptables que ceux de la police espagnole. Il est surprenant de constater cette évolution qui s’apparente à un revirement à 180 degrés : en juillet 2011, des indignés entouraient le parlement catalan afin de protester contre les coupes budgétaires et affrontaient à nouveau la répression de la police catalane. Ce jour-là, le prédécesseur du président Puigdemont, Artur Mas, fut même obligé de se rendre au parlement en hélicoptère pour éviter l’encerclement. Le 10 octobre 2017, suite à la circulation des rumeurs sur une éventuelle détention du président Puigdemont, un appel à rassemblement devant le parlement pour le défendre fut relayé dans la presse et les réseaux sociaux. 

Après le 1er octobre, les indépendantistes avaient une dernière carte à jouer : la reconnaissance internationale. La réponse mit quelques jours à arriver. Bruxelles rappela que cette crise était une affaire interne à régler par Madrid. C’est alors que la stratégie de « désobéissance civile » catalane fut sagement reportée. En effet, après avoir rappelé le résultat du 1er octobre dans un contexte de répression qui le rendait encore plus légitime à ses yeux, Puigdemont déclara l’indépendance de la Catalogne. Mais celle-ci ne dura que quelques secondes, car il expliqua qu’elle était temporairement suspendue afin de tendre la main à Madrid. Une occasion en or pour Rajoy, qui a refusé le dialogue et s’est présenté comme le seul garant du respect de la loi. Et le 16 octobre, deux porte-paroles des organisations civiles en faveur de l’indépendance ont été embastillés sous l’accusation de « sédition ». Le lendemain au soir, l’indignation s’est à nouveau manifestée à l’unisson lors d’un rassemblement de 200 000 personnes réclamant leur libération. (3)

 

 

Révolution, ou caricature de révolution ?

 

 

Aveuglée par la fièvre nationaliste, la droite catalane a méprisé les revendications sociales du peuple catalan dans toute sa diversité. De même, la droite espagnole s’est trompée lourdement en croyant qu’elle pourrait écraser un mouvement populaire. Celui-ci pourrait rapidement mûrir et dépasser les pièges du discours nationaliste. En effet, la démocratie espagnole a prit un sacré coup de vieux et ravivé le souvenir de la sombre période franquiste.

Le dernier rebondissement de cette affaire a été l’activation par Rajoy de l’article 155 de la Constitution, qui prévoit l’application d’une mesure exceptionnelle vis-à-vis de la Catalogne. Selon Rajoy, le Parti Socialiste espagnol et le nouveau parti de centre-droite Ciudadanos, il ne s’agit pas de suspendre le statut d’autonomie en vigueur, mais au contraire de retourner à la situation de légalité qui prévalait avant l’approbation de la loi du référendum. Cette dernière ainsi que l’organisation du référendum étaient des actions illégales du point de vue du Tribunal Constitutionnel. Pour les indépendantistes, Podemos et d’autres forces progressistes, cette mesure est considérée comme une sorte de coup d’État, car cela implique la destitution du président et de son équipe de gouvernement élu, l’intervention des médias publics catalans, et la gestion des institutions catalanes comme l’école ou la police depuis Madrid. Une humiliation inacceptable.

Suite à la décision de mise sous tutelle prévue pour le jeudi 26 octobre par le Sénat espagnol, le gouvernement catalan envisage de prononcer, cette fois-ci sans ambiguïté, une déclaration solennelle d’indépendance. Il peut compter sur le soutien d’une partie de la société catalane qui n’est pas prête à oublier la répression du 1er octobre. Un appel à manifester a été lancé pour répondre à la décision du Sénat prise ce jeudi, que les indépendantistes considèrent comme étant “tranchée d’avance”.

L’issue de ce scénario de confrontation est incertaine. La désobéissance de la population et le soutien sans fissures aux représentants politiques catalans signifieraient un saut qualitatif dans la stratégie de la tension développée jusqu’à maintenant. Cette situation renforcerait l’identification des institutions catalanes et des représentants indépendantistes et prolongerait la division de la gauche. Mais l’impasse créée pourrait être également une occasion pour élargir la participation et inclure le débat sur les angles morts, ce qui pourrait faire basculer le rapport de forces en faveur des intérêts de la majorité.

Il est donc possible que malgré tout, la question catalane ait semé un grain d’espoir. Pour cela, la mobilisation populaire doit repartir sur les bonnes bases : condamner la répression policière et judiciaire, former des assemblées constituantes qui permettent de renouveler la vie politique et finir avec la corruption des élites, et construire une souveraineté réelle qui ne divise pas davantage les travailleurs. Autrement dit : construire le pouvoir populaire, seule garantie pour l’avenir d’un monde meilleur pour les peuples de l’État espagnol.

 

Notes :

  1. Dans un contexte où le rejet des étrangers et la criminalisation de la solidarité sont de plus en plus fréquents, il faut saluer l’élan de solidarité exprimé en faveur des réfugiés lors de la manifestation « Chez nous, c’est chez vous »  à Barcelone le 18 février 2017. En revanche, on doit regretter le déclin du mouvement antiguerre : il avait le mérite de dénoncer les causes des guerres et pas seulement ses effets.
  2. D’ailleurs, le résultat de la consultation en Catalogne fut une majorité de « Non » à l’entrée dans cette organisation.
  3. La campagne pour sa libération a décollé avec force immédiatement après l’incarcération des deux responsables associatifs, notamment grâce à une vidéo devenue « virale » qui met l’accent sur le thème « Aidez la Catalogne, Sauvez l’Europe ».

 

Source : Investig’Action

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