Bénin : Paysage avant la bataille

Pour succéder à Boni Yayi, une quarantaine de candidats se sont déclarés. Au nombre de ceux-ci, le premier ministre Lionel Zinsou, qui engrange les soutiens les plus inattendus. Les jeux, toutefois, sont largement ouverts.

 

Coup de tonnerre à Cotonou ! Dans la nuit du 12 janvier, date limite de réception des candidatures à la présidentielle du 28 février 2016, le dossier du premier ministre Lionel Zinsou, candidat unique des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE, coalition au pouvoir), arrive au siège de la Commission électorale nationale autonome (Cena) avec, flanqué sur son logo FCBE, les symboles des deux principaux partis béninois : le Parti du renouveau démocratique (PRD) d’Adrien Hougbédji, vieux routier de la politique nationale aujourd’hui président de l’Assemblée nationale, et la Renaissance du Bénin (RB), parti fondé par l’ex-première dame Rosine Soglo et dirigé par son fils, Léhady Soglo. La surprise est de taille car, jusque-là, ces deux formations politiques n’avaient pas désigné de candidat ni donné de consignes de ralliement. Pour réaliser ce qui venait de se passer, les Béninois ont dû attendre que le chef du gouvernement lance sa phrase : « Je me sens reconnaissant vis-à-vis des FCBE […], je me sens reconnaissant envers les deux partis qui les ont rejoints pour que nous formions une alliance républicaine : le PRD et la RB. » Et, surtout, que les leaders du PRD et de la RB confirment un peu plus tard cette nouvelle alliance inattendue.

De l’avis de nombreux observateurs, la nouvelle « alliance républicaine », qui a pu apparaître pour certains comme un attelage contre nature, sonne en réalité le début d’une recomposition du paysage politique, marqué ces deux dernières décennies par des coalitions et retournements de veste improbables. Après s’être autrefois combattus, le PRD et la RB faisaient route ensemble depuis le dernier scrutin, au sein d’une alliance dite « l’Union fait la nation » (UN), opposition virulente au pouvoir de l’actuel président Thomas Boni Yayi. Ces deux partis qui totalisent, selon les analystes, quelque 30 % de l’électorat, rejoignent donc le candidat du parti de Yayi Boni la faveur de la présidentielle de février. Ce faisant, ils créent dans l’opinion, en même temps qu’un électrochoc, une nouvelle dynamique qui peut être payante pour Lionel Zinsou, mais aussi pour la stabilité de l’échiquier politique béninois.

À sa nomination surprise au poste de premier ministre en juin 2015, celui-ci apparaissait comme un illustre inconnu de la scène politique, incapable d’inquiéter l’establishment à quelques mois de la présidentielle. Il est devenu en un temps record l’un des principaux favoris du scrutin, qui verra l’alternance à la tête du pays. Les jeux, toutefois, sont loin d’être faits. Au Bénin, les volte-face sont fréquentes et les reports de voix pas toujours automatiques. Si, mathématiquement, l’alliance républicaine peut garantir à Zinsou une victoire – y compris dès le premier tour –, dans la réalité, les consignes de vote des leaders sont loin d’être respectées. De plus, les FCBE et la RB font face à des divisions internes. Zinsou est certes le candidat officiel des FCBE, mais pas moins de sept membres de cette majorité au pouvoir ont décidé de se présenter à l’élection. À la RB, Rosine et l’ex-chef d’État Nicéphore Soglo ont refusé de suivre le mot d’ordre de leur fils Léady. Et pour cause : début janvier, ils ont pris la tête d’un front anti-Zinsou, dénonçant une recolonisation du Bénin par la France.

Le combat de Lionel Zinsou pour s’imposer sera aussi rude à l’extérieur. Si leur dossier est confirmé, des concurrents sérieux participeront à élection. L’ancien premier ministre Pascal Irénée Koupaki et l’économiste Abdoulaye Bio Tchané font office de principaux challengers, de même que deux des hommes d’affaires les plus importants du Bénin, le magnat du coton Patrice Talon, qui revient de son exil en France après des déboires avec le chef de l’État (dont il a pourtant financé les deux campagnes électorales victorieuses), et le roi de l’agroalimentaire local, Sébastien Ajavon, patron des patrons béninois.

Réagissant à la coalition pro-Zinsou, Talon s’est contenté d’un simple « n’ayez pas peur. Je serai président du Bénin », lancé à ses sympathisants désarçonnés. L’homme d’affaires faiseur de rois veut devenir roi à son tour, mais a encore du mal à drainer autour de sa candidature de grosses pointures politiques capables de lui permettre des percées remarquables dans le Nord, une région déterminante pour la conquête du palais de la Marina. Talon, qui s’est posé un moment en principal opposant à Boni Yayi, jouant de son statut de « victime » du pouvoir pour récolter des suffrages dans l’opinion, ne désespère pas d’engranger des renforts et de rallier le maximum de déçus du « yayisme » à mesure que la campagne électorale s’animera. Quant à Sébastien Ajavon, il peut lui aussi créer la surprise. Le roi de la volaille est parvenu à réunir un bon nombre de personnalités politiques et est apparu, un temps, comme le choix numéro 2 de Yayi Boni, après Zinsou.

De son côté, Abdoulaye Bio Tchané pourrait bénéficier de l’absence de Boni Yayi, atteint par la limitation du nombre de mandats, et d’Adrien Houngbédji qui, à 74 ans, est trop vieux pour se présenter. Arrivé troisième à la présidentielle de 2011, il veut mettre à profit son expérience pour s’imposer. À la tête de l’alliance Avenir pour un Bénin triomphant (ABT), il souhaite être le nouveau leader du Nord dont il est originaire, mais espère aussi grignoter l’électorat traditionnel d’Adrien Houngbédji. Il a ainsi lancé sa campagne dans le fief du président de l’Assemblée nationale, à Porto Novo, assurant qu’il construirait un deuxième pont pour désenclaver la capitale politique.

Les principales armes de cet ex-président de la Banque ouest-africaine de développement, ex-directeur Afrique du FMI, ancien ministre des Finances de Mathieu Kérékou et opposant au régime actuel : un projet de société bien ficelé et un positionnement clair au sein de l’opposition. ABT, comme l’appellent ses partisans, a ainsi dévoilé un projet de société faisant la part belle à l’économie et à la création d’emplois pour les jeunes via un plan national pour l’emploi. Il a aussi promis de rembourser les spoliés d’ICC Services, cette structure de placement qui avait ruiné des milliers d’épargnants il y a cinq ans.

Abdoulaye Bio Tchané se positionne surtout comme le « seul vrai opposant » à Boni Yayi. Il a profité d’une réunion mi-janvier avec ses partisans pour identifier les deux camps en lice, selon lui, pour la course à la Marina après la création de la coalition FCBE-PRD-RB. À l’en croire, le premier camp, regroupé autour de Zinsou, est « celui du troisième mandat déguisé et de la poursuite d’une politique fondée sur la mal-gouvernance sur tous les plans, la démagogie et le mensonge permanent ».Quant au deuxième camp, dont il se réclame, c’est « celui de l’opposition et du peuple béninois, dans sa diversité, dont les composantes se battent non seulement pour une alternative démocratique, mais aussi et surtout pour une alternance crédible ». Le mot d’ordre d’ABT : barrer la voie à l’imposture.

Autre candidat de poids à penser que son heure est arrivée : Pascal Irénée Koupaki. L’ancien premier ministre de Boni Yayi, pressenti un moment comme le dauphin de l’actuel président avant de tomber en disgrâce, a créé le concept de « nouvelle conscience » censé aider à bâtir le Bénin uni au travail (But). L’homme a le sens du slogan et des formules retentissantes. Comparant le Bénin à une auto dont le moteur a coulé, il annonce : « Il faut amener la voiture dans un garage, où le mécanicien va descendre le moteur et le changer complètement. Et le mécanicien en chef, c’est moi. » Le mécanicien en chef compte aussi se transformer en père Noël pour les communes à qui il veut consacrer au moins un milliard de francs CFA chaque année pour leur permettre de jouer un rôle économique plus important. En l’absence d’une alliance plus forte autour de sa candidature, il lui sera toutefois difficile d’orienter dans son garage la voiture Bénin.

En position d’outsiders, on retrouve deux généraux qui auront leur mot à dire dans la perspective d’un second tour en mars prochain : Fernand Amoussou et Robert Gbian. Autour d’eux gravitent d’autres « petits » candidats, dont le principal combat est de recueillir le maximum de suffrages dans leurs fiefs pour les monnayer au prix fort en cas de deuxième tour. Ils constituent le gros lot des candidats.

Source : Afrique Asie

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