Belgique – Congo : de la domination coloniale à une domination par des échanges inégaux

L’indépendance du Congo est issue d’un grand mouvement panafricain refusant la domination. Après 60 ans, la Belgique n’a pas rompu avec sa politique d’ingérence. Elle est passée de la colonisation – une domination économique, politique et militaire – à une domination par des échanges inégaux conformément au cadre établi par les grandes Institutions internationales et les puissances industrielles.


 

Rétrospective : l’indépendance du Congo, un mouvement panafricain contre la domination coloniale

L’indépendance le 30 juin 1960 du Congo est le fruit d’un grand mouvement panafricain composé de grands idéologues et militants tels que Kwame Nkrumah, Franz Fanon et Patrice Lumumba. Pour ces grands hommes, le colonialisme était un système de domination qui devait prendre fin et la Belgique a semé de nombreux obstacles pour entraver la réelle indépendance du Congo.

Les recherches de Kwame Nkrumah l’ont conduit au constat que la Belgique s’est préparée à affaiblir économiquement à son profit le futur Etat congolais indépendant. Il avance le chiffre de 464 millions de livres sorti par la Belgique durant les 5 années précédant l’indépendance et laissant de cette manière un déficit national de 40 millions de livres au moment de l’indépendance[1].

Franz Fanon a dénoncé le rôle du gouvernement belge, par ailleurs soutenu par la
Fédération Rhodésie-Nyassaland (Etat appliquant l’apartheid) de fournisseur d’armes en vue de la sécession du Katanga, province à l’est du Congo, riche en matières premières. Franz Fanon considérait qu’un Congo unifié, en opposition à la volonté d’une sécession soutenue par la Belgique, avec à sa tête un militant anticolonialiste comme Lumumba était un danger pour l’Afrique du Sud appliquant l’apartheid[2].

Après sa participation à la conférence panafricaine en 1958 à Accra au Ghana, Patrice Lumumba, futur Premier ministre du Congo indépendant, était un militant irréductible contre la domination coloniale belge. Son génie est d’avoir réussi à unifier le pays et à le mobiliser pour son indépendance.

Tous les trois relayaient la volonté de la population ayant subie les travaux forcés, les mains coupées et bien d’autres injustices inhumaines perpétrées par les Etats colonisateurs tels la Belgique au Congo. Ainsi, quand se pose aujourd’hui dans le débat l’apport positif de la colonisation, il suffit simplement de se mettre à la place de personnes ayant subies ce système pour savoir que ce débat est empreint d’inhumanité. Réclamer la décolonisation de l’espace public, ce n’est pas nié l’histoire, c’est se poser en acteur de la liberté de tous en mettant l’humain au centre des préoccupations qu’il soit blanc ou noir.

 

La position actuelle de la Belgique à l’égard du Congo : une domination par des échanges inégaux

Le faible niveau de développement de la République démocratique du Congo (RDC) n’est pas un simple retard qui pourra être comblé, comme cela ressort de la pensée libérale dominante et induisant de ce fait, l’idée d’une incapacité du pays (dirigeants politique, société civile, population) a avancé au rythme des pays ayant un niveau plus élevé de développement. Le faible niveau repose avant tout sur un échange inégal. La sous-alimentation, le manque d’accès à l’eau potable, à l’électricité, aux soins de santé de base sont la conséquence d’une domination extrêmement violente de certains pays industriels dont la Belgique dans les échanges avec la RDC. Dès lors, un véritable développement requiert de modifier ce rapport inégal. Comme dit l’économiste Ougandais, Yash Tandon[3], le développement est un processus de résistance. Dans les pays du Nord, comme la Belgique, cette résistance est aussi présente dans les nombreux combats sociaux sans quoi la population s’appauvrirait davantage. Il en est de même dans un pays comme le Congo.

La grande majorité des pays africains sont dépendants de l’exportation de leurs matières premières et de l’importation de produits manufacturés. La RDC n’échappe pas à la règle, la positionnant « dépendante » des fluctuations de ses matières premières sur le marché mondial.

En 2018, la quasi-totalité (82%) des exportations de la RDC étaient constituées de minerais et métaux [4]. Le top 5 de ses partenaires à l’exportation étaient la Zambie, les Emirats arabes-unis, la République de Corée, l’Arabie saoudite et enfin l’Italie[5]. A noter que la Chine n’était pas dans ce top 5. En revanche, la Belgique représentait 10,9% des importations de l’UE à l’égard de la RDC, soit le 3ème pays de l’Union Européenne après la Finlande et l’Italie[6]. En outre, les produits les plus importés de la Belgique sont constitués de pierres précieuses (diamants sous différentes formes), de métaux précieux, ainsi que de produits chimiques (cobalt sous différentes formes) et des métaux communs. On peut dès lors soutenir que la Belgique fait partie en 2018 des pays européens absorbant le plus les exportations minières de la RDC.

Les grandes puissances industrielles dont la Belgique enferme la RDC dans le rôle de fournisseur de ces matières brutes (on parle d’extractivisme – exploitation massive des ressources naturelles) la plaçant dans des relations inégales avec des Etats industriels, transformant ces matières.

Concrètement, la coopération belge est un des leviers utilisés par la Belgique pour soutenir des sociétés minières ou des sociétés ne contribuant pas au développement de la RDC. Deux exemples permettent de l’illustrer : le financement de Bank of Africa et du Groupe Forrest International par BIO, la société d’investissement de la coopération belge.

Ainsi, la filiale de Bank of Africa présente en RDC, dont ses principaux clients sont des grandes sociétés notamment actives dans le secteur minier[7], est financée à raisons de plusieurs millions par BIO devenue un actionnaire à hauteur de quasi 20%[8]. S’agissant du Groupe Forrest International, opérant dans l’exploitation minière et dans la sous-traitance pour des sociétés minières[9], BIO finance un de ses centres médicaux à l’est du Congo permettant notamment au Groupe de réduire le salaire de ses travailleurs en contrepartie de soins de base dans ce centre. 

Un des grands enjeux dans les relations actuelles entre la Belgique et le Congo est de déceler ces relations puisque la Belgique pratique une manipulation de l’information à cet égard. A Lubumbashi où se situe le centre médical, la population n’est pas informée de son financement par la coopération belge, au contraire, le centre est connu comme étant accessible à une population très aisée. Vis-à-Vis de la population en Belgique, la coopération présente ce financement comme offrant à un accès aux soins de santé à la population congolaise.

60 ans après l’indépendance, la Belgique est encore dans une position de domination à l’égard de la RDC. Il est temps qu’elle cesse de soutenir des sociétés exploitant le pays et qu’elle soit transparente sur les relations qu’elle entretient avec ces sociétés.

 

Isabelle MINNON

Prépare un livre sur les relations entre la Belgique et le Congo

 

Article rédigé pour la revue Solidaire

Photo: Flickr

Notes:

[1] « Le néocolonialisme, stade suprême du capitalisme », Kwame Nkrumah, Présence africaine, 1973.

[2] « Pour la révolution africaine », Franz Fanon, La mort de Lumumba, pouvions-nous faire autrement ? Maspero, 1969.

[3] « Le développement, c’est la résistance », Yash Tandon, Alternatives Sud, Vol. 23-2016 / 25.

[4] Statistiques de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, à l’adresse https://unctadstat.unctad.org/CountryProfile/GeneralProfile/en-GB/180/index.html (page consultée le 22 juin 2020).

[5]  Statistiques de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, à l’adresse https://unctadstat.unctad.org/CountryProfile/GeneralProfile/en-GB/180/index.html (page consultée le 22 juin 2020).

[6] Statistiques de l’Agence pour le commerce extérieur, Note bilatérale République démocratique du Congo, à l’adresse https://www.abh-ace.be/sites/default/files/Bilateral_notes/November_2019/note-stat-republiquedemocratiquecongo-fr-septembre-2019-ld.pdf

[7] Rapport annuel de Bank of Africa, Etats financiers au 31 décembre 2016, page 4 et résultat d’enquêtes réalisées en 2019 auprès de la banque et de personnes travaillant dans le secteur bancaire en RDC. Les personnes souhaitent restées anonymes craignant pour leur sécurité.

[8] Rapport annuel de Bank of Africa, Etats financiers 2018.

[9] Site du Groupe Forrest International, à l’adresse http://forrestgroup.com/secteur/services-miniers/

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