Antisémitisme : pourquoi y a-t-il deux définitions ?

C’est quoi,l’antisémitisme ? Auparavant, il existait une seule définition. Aujourd’hui, il y en aurait deux. A cette nouvelle définition se sont ralliés Emmanuel Macron, François Hollande, Manuel Valls et aussi le parlement européen.Jeremy Corbyn a été sommé de s’y soumettre, s’il voulait garder une chance de devenir Premier ministre. Autour de cette définition, des procès en justice se multiplient en divers pays. Pourquoi ?

1. Qui est derrière l’IHRA ?

2. Une définition qui n’est pas très bonne… pour les juifs

3. Des « exemples » qui parlent de tout autre chose !

4. Emmanuel Macron se prend-il pour un historien ?

5. Du sionisme aussi, il y a deux définitions !

6. Y aurait-il un ancien et un nouvel antisémitisme ?

7. Sans valeur légale et en contradiction avec les Droits de l’Homme

8. Pourquoi le Parlement européen a-t-il capitulé ?

9. Le lobby pro-Israël croit-il à ce qu’il raconte ?

10. De plus en plus de juifs se détournent du sionisme

11. La guerre d’Israël contre l’opinion

12. L’accusation « antisémitisme », l’ultime arme qui leur reste ?

En soi, c’est une bonne chose qu’on définisse l’antisémitisme. Lutter contre le racisme exige une base légale claire : qu’est-ce qui est punissable comme appel à la haine, et qu’est-ce qui relève de la controverse politique et donc de la libre expression ? Bien entendu, il faudrait le faire aussi pour l’islamophobie et les autres racismes.

Le 1er juin 2017, une résolution du Parlement européen a invité les États membres et les institutions de l’U.E. à adopter et appliquer la définition de l’antisémitisme prônée par l’Alliance internationale pour la Mémoire de l’Holocauste (IHRA). Selon cette définition, « l’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer par la haine envers les Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme sont dirigées contre des personnes juives ou non-juives et/ou  leur  propriété, contre  les  institutions de  la  communauté juive  ou  les lieux religieux »

Dans cette petite enquête, nous allons examiner qui est l’IHRA, a-t-elle autorité pour trancher ce débat, cette définition est-elle assez précise sur le plan juridique, y aurait-il des intentions cachées derrière cette controverse ?

1. Qui est derrière l’IHRA ?

D’abord, il faut expliquer qui est l’IHRA. On pourrait croire qu’il s’agit d’une ONG ou d’une respectable association d’historiens. Pas du tout. Il s’agit d’un organe intergouvernemental qui rassemble Israël, les États-Unis,la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et vingt-six autres gouvernements du camp occidental. Bref, une minorité de la communauté internationale, une minorité qui se caractérise par son soutien inconditionnel à Israël et par des liens économiques et militaires très importants avec cet État fort controversé. C’est donc un organe où le gouvernement Netanyahou exerce toute son influence. Comme nous allons le constater…

2. Une définition qui n’est pas très bonne… pour les juifs

Examinons de près cette définition : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs, qui peut s’exprimer par la haine envers les Juifs. » Sincèrement,je pense que cette définition ne vaut rien. D’abord, « une certaine perception » est un terme beaucoup trop vague pour permettre des poursuites judiciaires. Quand on inculpe quelqu’un, on doit le faire sur base non pas de ses « perceptions » mais de ses actes. Il faut des faits précis juridiquement bien définis. « Une certaine perception » en est tout le contraire.

Ensuite, « s’exprimer » n’est pas correct non plus. Un raciste peut très bien discriminer sans rien exprimer publiquement mais en refusant d’embaucher un juif ou de lui louer un appartement (bien que de nos jours, ce sont évidemment les musulmans qui souffrent le plus de ce genre de discriminations). La définition est donc erronée sur ce point.

Enfin, « peut s’exprimer par la haine des Juifs » est complètement flou. Par quoi d’autre pourrait s’exprimer la haine des Juifs ? En ne le disant pas clairement, on place toute la définition dans le vague et l’inefficacité. Ou bien est-ce qu’en laissant ainsi la porte ouverte à une autre chose, pas du tout définie, on aurait en tête un agenda caché ?

En tout cas, cette définition imprécise et parfois carrément erronée offre aux juifs une protection insuffisante. Telle est aussi l’opinion du célèbre juriste anglais Hugh Tomlinson, spécialiste du droit de l’information. Consulté sur la validité de la définition et des exemples de l’IHRA, il conclut : « Le langage utilisé est inhabituel et peut prêter à confusion. La définition IHRA de l’antisémitisme n’est pas claire, elle est confuse. »[1]

3. Des « exemples » qui parlent de tout autre chose !

Pour faire comprendre la portée de sa définition, l’IHRA a ajouté des « exemples », selon elle, de comportements antisémites. Examinons-les…

EXEMPLE n°1de l’IHRA : « Nier le droit à l’autodétermination du peuple juif, par exemple en déclarant que l’existence de l’État d’Israël est un projet raciste. » Ici, on ne parle plus du racisme envers les juifs, mais bien du débat politique sur la nature de l’État d’Israël ! Comme si tous les juifs étaient d’accord avec cet État et avec la politique du gouvernement Netanyahou ! Si on accepte cet exemple, alors il deviendra interdit d’estimer qu’il est raciste de s’emparer des terres du peuple palestinien, de chasser les habitants par les persécutions ou la violence directe, de confisquer les richesses de ce pays et de traiter en sous-citoyens la minorité arabe demeurée dans le territoire israélien. En disant ces vérités évidentes, on serait« antisémite » ?

Mais alors, il y a beaucoup d’ « antisémites » parmi les juifs, car ils sont très nombreux à dire exactement cela. Ainsi, le mathématicien et philosophe juif Moshé Machover, né en Israël et vivant aujourd’hui à Londres, a publié un texte remarquable sous le titre Pourquoi Israël est un État raciste. Il y écrit : « Qu’Israël est un État raciste est un fait bien établi. Le 9 juillet 2018, il a approuvé une loi de la nationalité quasi-constitutionnelle « Loi fondamentale : Israël comme Etat-nation du peuple juif » qui a été largement condamnée comme l’institutionnalisation de la discrimination envers les citoyens non juifs d’Israël. Comme beaucoup l’ont fait remarquer, cette loi codifie et formalise une réalité qui préexistait depuis longtemps. »

En effet. Israël se déclare lui-même un État juif tout en prétendant être démocratique. Machover démontre bien qu’il est impossible d’être les deux en même temps : « À l’intérieur de ses frontières d’avant 1967, Israël est une semi-démocratie illibérale. Il se définit lui-même comme « Juif et démocratique », mais les critiques signalent qu’il est « démocratique pour les Juifs, et Juif pour les autres ». Dans les territoires occupés depuis 1967, Israël est une tyrannie militaire appliquant un système de lois et règlements pour les colons juifs et un complètement séparé pour les Arabes palestiniens d’origine. Les méthodes de discrimination raciste par Israël sont trop nombreuses que pour en faire la liste ici. Adalah, le Centre Légal pour les Droits des Minorités en Israël, énumère une liste de 65 lois israéliennes qui discriminent directement ou indirectement les habitants palestiniens des territoires occupés. Outre ces lois, d’innombrables pratiques et règlements bureaucratiques non officiels opèrent des discriminations dans la vie quotidienne. La conclusion ne peut être niée : l’État d’Israël est structurellement raciste, c’est un État d’apartheid selon la définition officielle de ce terme par l’ONU. » Juridiquement, ces arguments sont incontestables. Mais si la définition de l’IHRA était appliquée comme une loi (ce qu’elle n’est heureusement pas), leprofesseur Moshé Machover serait envoyé en prison pour« antisémitisme » !

Consulté sur la validité des exemples de l’IHRA, le juriste anglais Hugh Tomlinson est lui aussi très clair : « À moins qu’une telle déclaration ne soit motivée par la haine des juifs, il ne serait pas antisémite de déclarer que l’État d’Israël est un projet raciste, dans la mesure où Israël se définit lui-même comme un État juif et donc par la race, et parce que les Israéliens non-juifs ainsi que les non-juifs placés sous son autorité subissent des discriminations. » [2]

Bref, ce premier exemple de l’IHRA se retourne contre Israël : puisque de nombreux juifs rejettent l’État d’Israël comme étant un projet raciste, on voit bien qu’il ne s’agit pas d’antisémitisme mais d’une condamnation politique et morale.

EXEMPLEn° 2 de l’IHRA : « Comparer la politique israélienne avec celle des nazis »

Personnellement, je n’ai pas recouru à ce type de comparaisons, mais je constate que diverses personnalités israéliennes antisionistes célèbres le font. Par exemple, l’historien Zeev Sternhell, qui est l’auteur de plusieurs études faisant autorité sur le fascisme et le nazisme (dont le remarquable livre Ni droite, ni gauche. L’idéologie fasciste en France) et doyen honoraire du département des sciences politiques à l’université hébraïque de Jérusalem. Il a publié dans le quotidien israélien Haaretz (19 janvier 2018) un article intitulé « En Israël, montée d’un fascisme et d’un racisme apparentés aux débuts du nazisme ». Cet article critiquait durement des déclarations racistes de Bezalel Smotrich, vice-président du parlement, et de Miki Zohar, président d’une des commissions de ce même parlement. Ce dernier avait osé déclarer : « Les Arabes ont un problème qui n’a pas de solution. Ils ne sont pas juifs et dès lors, leur sort dans ce pays ne saurait être le même que celui des juifs. »

Sternhell est loin d’être seul. L’historien Daniel Blatman (dontle livre Death Marches : The Final Phase of Nazi Genocide, a remporté en 2011 le prix international pour les recherches sur l’Holocauste) a lui aussi accusé ce même vice-président Smotrich « d’adopter des valeurs semblables à celles des SS allemands »[3].

Ces éminentes personnalités israéliennes sont-elle santisémites ? En réalité, les exemples de l’IHRA n’ont rien à voir avec la réalité et ont pour seul but d’étouffer la critique envers les dirigeants l’État israélien. Mais Israël et les gouvernements qui lui sont alliés n’ont aucune légitimité pour imposer ainsi une vérité officielle.

4. Emmanuel Macron se prend-il pour un historien ?

Certains essaient de s’abriter sous l’autorité du président français Emmanuel Macron selon qui « l’antisionisme » serait « la forme réinventée de l’antisémitisme »[4]. Il est heureux que les déclarations d’un Président de la République n’aient pas automatiquement force de lois s’imposant aux tribunaux et aux historiens, car il s’agit là d’une stupidité aisément démontrable. L’antisionisme consiste à s’opposer à la colonisation par les colons juifs de terres appartenant aux Palestiniens. Selon la Charte de l’ONU elle-même, aucun État n’a le droit de s’emparer de terres appartenant à un autre État ou à un autre peuple. L’antisémitisme, par contre, consiste à répandre la haine envers les juifs en tant que juifs, qu’ils habitent en Israël ou n’importe où dans le monde.

Confondre antisionisme etantisémitisme, c’est mélanger des pommes et des poires. En effet, comme le relève le chroniqueur Philippe Huysmans[5], prétendre que l’antisionisme serait« antisémite » est absurde car le racisme vise un peuple ou une religion, or « le sionisme n’est ni un peuple, ni une religion, c’est une idéologie politique ». En effet, comment pourrait-on être raciste envers une idéologie ?!

Et même plus : comment pourrait-on être raciste envers une idéologie qui est manifestement raciste ?! Le sionisme est bien une idéologie conquérante et raciste, qui a mené à la création de « l’État juif », au détriment des Palestiniens. Elle est donc de même nature que l’idéologie de l’ancien État sud-africain d’apartheid ou que l’idéologie des empires coloniaux britannique, français ou belge. Sera-t-on traité de raciste si l’on critique aujourd’hui, à bon droit, l’idéologie raciste de ces anciens empires ?

Le caractère raciste de cet État a été amplement démontré par le rapport Falk et Tilley, publié en mars 2017 par la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale (CESAO) des Nations unies. Richard Falk est un professeur juif vivant aux USA et Virginia Tilley est une chercheuse vivant en Afrique du Sud, experte sur l’apartheid en ce pays. Tous deux ont estimé qu’Israël présentait toutes les caractéristiques d’un État d’apartheid. Plutôt que de débattre, Washington et Tel-Aviv ont fait pression pour que le rapport soit enterré. Les faits dérangent.

Pour en revenir à la déclaration bizarre d’Emmanuel Macron, celui-ci a été mieux inspiré le jour où il a déclaré : « Je ne crois pas à la police de l’Histoire. »[6] Il ferait bien de l’appliquer à lui-même.

5. Du sionisme aussi, il y a deux définitions !

L’IHRA et Macron font comme s’il n’y avait qu’une seule définition du sionisme : la leur. Mais là aussi, il en existe deux et il convient de se demander pourquoi…

Moshé Machover les confronte dans un autre article[7]. Première définition : « Le cœur de l’idéologie sioniste est la croyance que les juifs de tous pays constituent une entité nationale unique et non une simple définition religieuse et que cette entité nationale possède le droit à l’auto-détermination, qui s’exerce en réclamant sa patrie historique (ou « donnée par Dieu ») : Eretz Israël (la Terre d’Israël) qui comprend – au minimum – la Palestine d’avant 1948. » C’est-à-dire que les sionistes ont fait semblant en 1948 d’accepter qu’une partie de la Palestine demeurerait palestinienne, mais qu’ils comptaient occuper beaucoup plus que ce que l’ONU leur avait accordé.

Très différente est la définition donnée par les sionistes eux-mêmes : « Le sionisme est le mouvement de renaissance nationale des juifs. Cela signifie que les juifs sont un peuple et possèdent dès lors le droit à l’autodétermination dans leur propre patrie. Cela exige de protéger et soutenir une patrie pour les juifs dans leur foyer national historique, et d’initier et stimuler la renaissance de la vie nationale, de la culture et du langage juifs. »[8]

Le point essentiel est donc que les juifs constitueraient une nation dans le sens moderne et laïc, au même titre que la nation française ou la nation allemande. Mais bien sûr, cela soulève plusieurs problèmes, bien décrits par Machover. Tout d’abord, de nombreux juifs contestent totalement cette idée et cela dès le début du projet sioniste.

Ainsi, lorsque lord Balfour, ministre des Affaires étrangères, émit en 1916 la célèbre déclaration qui porte son nom et qui prônait« l’établissement en Palestine d’un foyer national pour les Juifs » », il agissait sous la pression exercée notamment par Chaïm Weizmann auprès de Lord James de Rothschild. Mais Lucien Wolf, journaliste célèbre et membre de la direction du « Conjoint Foreign Committe »des juifs britanniques, protesta immédiatement auprès de Rotschild : « L’allégation du Dr Weizmann d’une nationalité juive soulève une question de principe. Les sionistes ne se contentent pas de proposer la formation et l’établissement d’une nationalité juive en Palestine, mais ils prétendent que tous les juifs forment actuellement une nationalité distincte et dépossédée, pour laquelle il serait nécessaire de trouver un centre politique organique, car ils sont et devraient toujours être des étrangers dans les pays où ils se trouvent actuellement et, plus particulièrement, que ce serait « une illusion absolue » de croire qu’aucun juif puisse être en même temps « Anglais de nationalité et juif par la foi ».

Cette thèse est directement combattue avec force par Wolf : « J’ai passé la plus grande partie de ma vie à combattre ces doctrines, lorsqu’elles m’étaient présentées sous la forme de l’antisémitisme, et je ne peux que les considérer extrêmement dangereuses lorsqu’elles se présentent maintenant déguisées en sionisme. Elles constituent une capitulation face à nos ennemis, elles n’ont aucune justification dans l’Histoire, dans l’ethnologie ou dans les faits de la vie quotidienne, et si elles devaient être admises par l’ensemble des juifs, le résultat en serait que la terrible situation vécue par nos coreligionnaires en Russie et en Roumanie (allusion aux pogroms et violences racistes exacerbées dans ces pays à l’époque) deviendraient le sort commun de la judaïté dans le monde entier. »[9]

Wolf n’est pas du tout le seul à s’inquiéter. En fait, les sionistes sont très minoritaires et s’ils ont trouvé écho chez Rotschild et Balfour, c’est que leur projet de coloniser la Palestine est jugé très utile par les impérialistes britanniques de l’époque, conscients que l’Empire britannique affaibli n’a plus les moyens d’occuper tant de terres et qu’il faut trouver des troupes de rechange. Alexandre et Claude Montefiore, présidents respectivement du Conseil des Députés britanniques juifs et l’Anglo-Jewish Association, écrivent au Times pour protester contre le danger politique du sionisme : « L’établissement d’un foyer national juif en Palestine, basé sur la théorie de l’absence de patrie juive, aura pour effet à travers le monde d’étiqueter les juifs comme étant des étrangers dans leur pays natal et de saper les positions acquises durement en tant que citoyens et ressortissants de ces pays. » Les deux comités rejettent donc fermement la proposition sioniste.

En France aussi, un homme politique juif célèbre, Alfred Naquet, polémique avec le sioniste Bernard Lazare. Pour Naquet, l’idée que les juifs formeraient une nation séparée, ne diffère pas des discours d’Edouard Drumont, fondateur de la Ligue nationale antisémitique de France : « Si cela fait plaisir à Bernard Lazare de se considérer citoyen d’une nation indépendante, c’est son problème, mais je déclare qu’en dépit du fait d’être né Juif (…) je ne reconnais pas la nationalité juive (…) Je n’appartiens à aucune autre nation que la française (…). Les Juifs sont-ils une nation ? Malgré le fait qu’ils en constituèrent une dans le passé, ma réponse est un non catégorique.

« Le concept de nation implique certaines conditions qui n’existent pas dans ce cas.Une nation doit avoir un territoire dans lequel elle se développe et, à notre époque, du moins jusqu’à ce qu’une confédération mondiale s’étende partout, une nation doit avoir une langue commune. Mais les Juifs n’ont plus ni territoire ni langue communes (…). Tout comme moi, Bernard Lazare ne connaît probablement pas un seul mot en hébreux (…). Les Juifs allemand et français sont très différents des Juifs polonais et russes. Les traits caractéristiques des Juifs n’ont rien à voir avec l’empreinte de la nationalité. Si l’on permettait aux Juifs de les reconnaître en tant que nation, comme le fait Drumont, ce serait une nation artificielle. »[10]

En Russie,où sévissait un racisme très violent contre les juifs, se développa le mouvement Bund, bien plus populaire que le sionisme. Bien qu’il existât dans ce pays une langue juive, le yiddish, car la communauté vivait dans certaines régions précises, où ils étaient même parfois majoritaires, le Bund ne réclamait aucunement la séparation et l’indépendance mais seulement une autonomie culturelle nationale et une meilleure protection.

Bref, la prétention des sionistes à représenter tous les juifs du monde ne tient pas debout. Hier, comme aujourd’hui, la majorité d’entre eux ne se reconnaît pas dans Israël et ne souhaite pas du tout y vivre. Machover souligne : « La condition nécessaire et suffisante pour qu’un non-juif devienne juif c’est la conversion religieuse (giyyur). Les juifs peuvent appartenir à des nations diverses : un juif peut être Français, Américain, Italien, Ecossais et ainsi de suite. Mais la judaïté exclut d’autres affiliations religieuses : un juif ne peut être musulman, hindou ou catholique romain. Donc la prétention sioniste que tous les juifs de la planète constituent une seule entité nationale distincte plutôt qu’une communauté basée sur la religion est un  mythe idéologique, inventé comme une façon erronée de traiter la discrimination et la persécution envers les juifs. ».

Et Machover de relever que ce mythe est « partagé par les antisémites les plus virulents ». Et il prend pour exemple… un des principaux leaders nazis, le SS-Oberguppenführer Reinhard Heydrich ! Celui-ci écrivait en effet dans le journal des SS : « Dans le contexte de sa conception du monde, le national-socialisme n’a aucunement l’intention d’attaquer le peuple juif. Au contraire, la reconnaissance de la judaïté comme communauté raciale basée sur le sang, et non comme une communauté religieuse, amène le gouvernement allemand à garantir la séparation raciale de cette communauté sans aucune limitation. »[11]

Quelle que soit l’interprétation qu’on fera de cette déclaration, il faut bien constater deux faits incontestables : 1. Le sionisme n’était et n’est qu’un seul des courants politiques existant au sein de la communauté juive. 2. Son argumentation fondamentale repose sur le même concept que celui des antisémites. Tout ceci devrait être débattu politiquement et non étouffé sous le voile d’un monopole de l’expression comme le prônent l’IHRA et le gouvernement israélien.

On aura remarqué un terme important dans l’argumentaire sioniste : « autodétermination ». L’idée qu’il existerait une nation juive distincte entraînerait ce droit à l’autodétermination. Aujourd’hui, la propagande israélienne avance ce concept qui a une réputation positive : les peuples colonisés se sont battus pour leur doit à l’autodétermination. Mais ce droit ne confère nullement la permission d’envahir et d’occuper la terre d’un autre peuple. Le droit à l’autodétermination, ce n’est pas choisir comme dans un menu le territoire dont on éjectera son peuple. Prétendre que vos ancêtres y vivaient il y a deux mille ans (ce qui est d’ailleurs complètement faux) ne vous donne toujours pas ce droit. Prétendre qu’il était nécessaire de se réfugier en Palestine à cause d’Hitler est un argument à côté de la plaque puisque le projet est né en 1895 et que la colonisation a commencé vers 1916[12].

Il ne s’agit donc pas d’autodétermination, mais de colonialisme,ce qui est exactement le contraire de l’autodétermination. D’ailleurs, dans un premier temps, les dirigeants ne se cachaient nullement et employaient le vocabulaire de la colonisation par la violence : « Chassez la population pauvre au-delà de la frontière en lui refusant du travail. Le processus d’expropriation et de déplacement des pauvres doit être mené discrètement et avec circonspection. » (Herzl, fondateur su sionisme en 1895). « A-t-on vu un seul peuple abandonner son territoire de sa propre volonté ? De la même façon, les Arabes de Palestine n’abandonneront pas leur souveraineté sans l’usage de la violence. » (Jabotinski, 1923) « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place. » (Ben Gourion,futur premier Premier ministre d’Israël, 1937). « Politiquement, nous sommes les agresseurs et ils se défendent.Ce pays est le leur, parce qu’ils y habitent et que nous venons nous y installer. » (Ben Gourion, 1938). « Nous devons utiliser la terreur, les assassinats, l’intimidation, la confiscation des terres et l’arrêt de tous les programmes sociaux afin de débarrasser la Galilée de sa population arabe. » (Ben Gourion, 1948). Et on pourrait continuer longtemps…

Aujourd’hui, ça ne passerait plus, il faut donc un autre marketing politique et les sionistes actuels ont caché ce langage agressif dans leurs placards, mais ils ne le renient pas et poursuivent la colonisation violente avec un autre vocabulaire.

Cependant, les dirigeants sionistes ont un sérieux problème : même si on acceptait l’idée d’une nation juive comprenant tous les juifs, l’autodétermination ne serait toujours pas un argument pour cette nation. L’historien israélien sioniste Ygal Elam le reconnaît : « Le sionisme ne saurait faire appel au principe d’autodétermination et se baser là-dessus en ce qui concerne la Palestine. Ce principe n’était valable que contre elle et en faveur du mouvement arabe nationaliste local… Du point de vue de la théorie nationale, le sionisme avait besoin d’une fiction… »[13]

Quelle sera alors cette fiction ? Eh bien, n’ayant plus aucun argument présentable, les sionistes se cachent derrière leur seule feuille de vigne : l’antisémitisme. Comme l’ancien ne leur suffit pas, ils en inventent un« nouveau ».

6. Y aurait-il un ancien et un nouvel antisémitisme ?

Comme l’explique le professeur François Dubuisson (Université Libre de Bruxelles) : « On ne compte plus les ouvrages et articles parus ces dernières années avançant la thèse de l’avènement d’un « nouvel antisémitisme » (ou « nouvelle judéophobie») (…) : la défense de la cause palestinienne ou l’antiracisme serait devenu le moyen par lequel s’exprimerait, de manière masquée, un « inconscient antisémite» longtemps refoulé. »[14]

Évidemment, les tenants de cette thèse seraient bien aimables d’indiquer quand exactement serait né ce « nouvel » antisémitisme. Puisque la critique envers le projet Israël a été constante et radicale dès le début, nous l’avons vu au point 5.

Et pourquoi « nouveau » ? « Cet antisémitisme serait « nouveau » en ce sens qu’il devrait être évalué à l’aune de critères se dégageant des éléments traditionnels de l’antisémitisme, classiquement défini comme visant la haine des Juifs. Bien que cette thèse ait été critiquée par une série d’auteurs, peu suspects de complaisance avec l’antisémitisme, elle n’en a pas moins largement influencé certains travaux officiels menés récemment, visant ou aboutissant à criminaliser certaines formes de critiques de la politique d’Israël, assimilées à l’antisémitisme. »

Dans ce sens, Dubuisson critique un rapport français rédigé en 2004 par Jean-Christophe Rufin : « En se référant à une notion très floue d’ « antisionisme radical », conçue en réalité de manière très large, le Rapport en arrive à prôner une large criminalisation de la critique de la politique d’Israël, que ce soit en l’assimilant à l’antisémitisme (qui constitue, en tant que forme de discrimination raciale, un délit pénal) ou en introduisant une infraction nouvelle, aux contours incertains »

Le professeur Dubuisson s’appuie sur la distinction bien établie en 2004 par une agence de l’UE, l’Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC) : « Ce qu’il ne faut pas considérer comme antisémite et ce qui, par conséquent, n’a pas besoin d’être observé en tant que tel, c’est l’hostilité à l’égard d’Israël comme un pays que l’on critique en ce qui concerne sa politique concrète. Pour ceux qui,comme nous, souhaitent attribuer l’étiquette de l’antisémitisme sans se tromper, il importe peu que la critique à l’égard d’Israël pour ce qu’il est et pour ce qu’il fait soit injuste, équilibrée ou tendancieuse. […] Elle ne devient antisémite que si le point de référence sous-jacent est l’assimilation d’Israël au “Juif” (du stéréotype). »

Dès lors, le juriste Dubuisson dénonce clairement « une conception dangereuse de l’antisémitisme, attentatoire à la liberté d’expression ». Et il réclame de la précision juridique :« La définition d’une notion aussi importante et délicate que l’antisémitisme devrait être établie en prenant le maximum de précaution scientifique, de façon à aboutir à une acception susceptible d’être généralement acceptée. L’antisémitisme constitue une infraction pénale dans la plupart des États de l’Union européenne, et représente à ce titre une dérogation à la liberté d’expression. On comprend dès lors que ce concept doive être défini de manière stricte, de façon à couvrir uniquement des actes ou des opinions relevant de la discrimination ou de la haine raciales. Il ne s’agit pas, par contre, d’y inclure des actes ou des opinions que l’on peut simplement juger, de l’un ou l’autre point de vue, comme politiquement ou moralement condamnables, comme inappropriés, comme exagérés… »

Ce que Hugh Tomlinson souligne en écrivant : « Il ne serait pas justifié légalement d’interdite une activité sur la seule base que les supporters de l’État d’Israël la trouvent irritante ou agressive. »[15] On ne peut envoyer quelqu’un en prison parce que ses opinions dérangent Israël ou un autre gouvernement occidental.

7. Sans valeur légale et en contradiction avec les Droits de l’Homme

Cette définition a-t-elle une valeur légale ? Non. La définition de l’antisémitisme par l’IHRA (que nous avons analysée aux points 2et 3) est qualifiée par ses promoteurs eux-mêmes de « non-legally binding working definition » (définition de travail sans valeur légale). Ce curieux terme ‘working definition’ indique qu’il s’agit seulement d’un document de travail fournissant des réflexions ou des suggestions. Rien de plus. D’ailleurs, le terme « non-legally binding » est très clair : cette définition n’a pas valeur de loi. Elle ne peut servir de base à des décisions de la Justice ou d’autres institutions.

Certes, le gouvernement britannique a déclaré« adopter » cette définition, et c’est regrettable vu son caractère vague et les manipulations par le lobby pro-Israël. Mais ce terme« adopter » exprime qu’il s’agit d’une prise de position politique et non d’une loi. D’ailleurs, ce gouvernement a aussi indiqué qu’il n’y aurait aucune modification des lois existantes, car celles-ci étaient suffisantes pour réprimer les actes racistes. « En résumé, analyse Hugh Tomlinson, la décision du gouvernement d’ « adopter » la définition IHRA n’a, en soi, aucune conséquence légale immédiate ou directe. »[16]

Dès lors, aucune institution publique – que ce soit un tribunal,une université, une administration locale – « ne peut interférer avec la liberté d’expression, à moins que ce soit justifié parl’article 10§2 (concernant les limites éventuelles à la liberté d’expression) de la Convention des Droits de l’Homme ou l’article 11§2 (concernant les limites éventuelles à la liberté de réunion) ».

Hugh Tomlinson a aussi déclaré que si une université, par exemple, était mise sous pression pour interdire une activité de solidarité avec les Palestiniens (comme le mouvement de boycott BDS), elle n’aurait pas le droit d’interdire cette activité sur base de cette définition ou d’exiger que les organisateurs approuvent cette définition.

La « nouvelle » définition de l’antisémitisme est effectivement très dangereuse. Parce qu’elle nie la liberté d’expression et l’égalité des citoyens reconnues et protégées par la Constitution de la France, de la Belgique et d’autres pays européens. Elle contredit aussi la Convention européenne des Droits de  l’Homme dont l’article 10 garantit : « la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

Ceci vise absolument toutes les opinions même si elles vont à contre-courant. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a confirmé que : « La liberté d’expression consacrée par l’article 10 [de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme] […] vaut non seulement pour les “informations” ou “idées” accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de “société démocratique” » (not. affaire Lehideux c/ France, arrêt du 23 septembre 1998).

Dans un autre arrêt, la Cour a jugé que les autorités de tout pays ont même une obligation« positive » : « créer un environnement favorable pour que participent aux débats publics toutes les personnes concernées, même si leurs opinions et idées sont contraires à celles défendues par ces autorités officielles ou pour par une large partie de l’opinion publique, et même si ces opinions et idées irritent ou offensent le public. »[17]

Mais la pression du lobby crée des précédents dangereux. En Grande-Bretagne, la « définition de travail » a été appliquée sur un campus universitaire, celui de l’université centrale du Lancashire en février 2017. L’université a annoncé l’interdiction d’une « Israël Apartheid Week »car elle aurait « violé la définition gouvernementale de l’antisémitisme »[18].  À l’université de Manchester, Marika Sherwood,survivante de l’Holocauste, a été obligée de changer le titre de sa conférence suite à des pressions de l’ambassade d’Israël[19]. Le danger est donc très réel que cette pression du lobby transforme une mauvaise définition en une « loi » censurant les opinions dérangeantes.

8. Pourquoi le Parlement européen a-t-il capitulé ?

On se demande alors pourquoi le Parlement européen a jugé bon d’approuver une nouvelle définition de l’antisémitisme qui est inexacte, imprécise et insuffisamment protectrice pour l’ensemble des juifs. Peut-être faut-il chercher l’explication outre-Atlantique en écoutant Thomas Friedman ? C’est un des plus influents journalistes US, éditorialiste au NewYork Times et triple lauréat du Prix Pulitzer. C’est un ardent partisan d’Israël et en général des guerres de la mondialisation. Le 13 décembre 2011,il publiait une étonnante chronique dans le NewYork Times : « J’espère que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, comprend que, s’il a été gratifié de l’ovation reçue au Congrès cette année, ce n’était pas pour sa politique. Son ovation a été achetée et payée par le lobby israélien. À chaque visite aux États-Unis d’un Premier ministre israélien,le Congrès l’accueille avec plus de ferveur que le président américain lui-même. »

Et d’où provient ce curieux phénomène ? « Du réseau d’organisations du leadership juif et des comités d’action politique aux États-Unis, tous agressivement pro-israéliens, qui, lors des élections, peuvent fournir des fonds très importants pour ou contre les candidats au Congrès », explique le journaliste anglais Jonathan Cook, basé en Palestine[20]. C’est exact. Chaque membre du Congrès est ainsi très vulnérable. Il risque de perdre de généreux donateurs, mais aussi de se retrouver face à un adversaire généreusement financé. Tout ceci sera confirmé par la caméra cachée du film The Lobby, tourné puis autocensuré par Al Jazeera[21]. Un directeur de ce lobby explique à un jeune stagiaire (qui est en réalité un infiltré avec caméra cachée) : « Les membres du Congrès ne font rien si on ne fait pas pression sur eux, et la seule manière, c’est l’argent. »

Ce phénomèneest-il limité aux seuls États-Unis ou bien l’Europe est-elle également touchée ? On ne peut accuser sans preuves nos honorables europarlementaires. Mais quand on constate qu’ils ont adopté une résolution qui ne tient pas debout car elle contredit les définitions les plus élémentaires du dictionnaire et qu’elle se met à genoux devant les discours de censure du gouvernement Netanyahou, on est obligé de se poser des questions. En envisageant toutes les hypothèses. S’agit-il, en tout cas au sommet de certains partis, d’une résolution « achetée » selon l’expression de Friedman ? S’agit-il de la peur de se voir diabolisé et calomnié en perdant ses chances d’être réélu ? Ou bien est-ce simplement une capitulation devant une campagne qui joue sur la culpabilisation des Européens ?

La seule manière de le savoir serait que ces europarlementaires acceptent le débat public. Ont-ils été manipulés par de fausses informations ? Ont-ils été menacés? Étant des élus, ne devraient-ils pas rendre des comptes à leurs électeurs ? A l’approche des élections européennes de mai 2019, c’est sans doute le moment de les interpeller.

9. Le lobby pro-Israël croit-il à ce qu’il raconte ?

Absolument pas, estime Norman Finkelstein dont les parents sont tous deux rescapés des camps de la mort. Il trouve franchement que ces lobbies exagèrent : « Peut-on sérieusement affirmer que face aux multiples crises nationales et mondiales qui déchirent la société britannique – les sans-logis, la sécurité sociale, le chômage, le Brexit, la prolifération nucléaire, le changement climatique… –, l’antisémitisme occupe une place importante dans les affaires urgentes qui requièrent une attention immédiate ? Ou que les ressources limitées dont dispose la Grande-Bretagne pour lutter contre ces problèmes de vie et de mort devraient plutôt être réorientées vers la lutte contre de vagues futurs scénarios apocalyptiques ? »[22]

C’est un fait. Si l’antisémitisme en Grande-Bretagne était vraiment si terrifiant, de nombreux juifs auraient émigré en Israël ou se prépareraient à le faire. Le raisonnement de Finkelstein paraîtra original, mais en fait il est très perspicace : « La vérité est que les élites juives ne croient pas un seul instant que l’antisémitisme est une question brûlante. S’ils craignaient vraiment qu’il soit un danger clair et présent maintenant ou dans un avenir prévisible, ils ne crieraient pas sur les toits que Corbyn est un « putain d’antisémite ». Car si le Royaume-Uni regorgeait véritablement d’antisémites refoulés, en toute logique, la diffusion de cette accusation ferait de la publicité gratuite à Corbyn, car ce serait une douce musique aux oreilles des électeurs potentiels. Loin de l’endommager, sa diffusion ne pourrait que faciliter la victoire de Corbyn et ouvrir la voie à un second Holocauste. Au contraire, les organisations juives savent très bien que dénigrer Corbyn en tant qu’antisémite réduira considérablement son attrait, car l’antisémitisme ne résonne que parmi les antédiluviens, les troglodytes et les tarés. En d’autres termes, la preuve irréfutable que les lyncheurs de Corbyn ne croient pas un mot de ce qu’ils disent, c’est qu’en le qualifiant d’antisémite, ils espèrent et s’attendent à l’isoler. »[23]

Que cache alors cette campagne hystérique contre Jeremy Corbyn si le lobby ne croit pas lui-même à sa propre accusation d’« antisémitisme » ? La volonté de faire capituler Corbyn pour qu’il abandonne sa solidarité avec le peuple palestinien. S’il ne cède pas, la diabolisation médiatique se déchaînera encore plus fort, sous des formes très diverses et surtout en employant toutes les techniques de manipulation des réseaux sociaux, afin de l’empêcher de devenir Premier ministre. L’objectif réellement poursuivi n’est pas forcément celui qui est officiellement mis en avant.

C’est pourquoi il est important d’analyser (et de démasquer publiquement) les méthodes employées par l’appareil de propagande israélien et ses techniques de diabolisation. Car Corbyn n’est qu’une victime parmi de nombreuses autres. En réalité, toute personnalité qui critique Israël et appelle à la solidarité avec les Palestiniens sera ciblée. Le véritable but du lobby, explique Finkelstein, n’est pas « combattre l’antisémitisme, mais plutôt exploiter la souffrance historique des Juifs dans le but d’immuniser Israël contre les critiques. » Nous y reviendrons.

10. De plus en plus de juifs se détournent du sionisme

Israël et ses lobbies prétendent parler au nom des juifs. De tous les juifs. En réalité, de nombreux auteurs juifs rejettent cette assimilation trompeuse entre « les juifs » et « Israël ». Beaucoup s’opposent à l’existence d’un Etat se définissant comme « juif » et qui exclut les non-juifs ou les condamne à un statut de sous-citoyens. Tout cela, ils le critiquent non parce qu’ils seraient « antisémites » mais parce qu’ils estiment malhonnête de mélanger la lutte contre le racisme anti-juifs et la justification d’une politique de colonisation israélienne qu’ils jugent raciste. On peut citer parmi eux Norman Finkelstein, Rony Brauman, Denis Sieffert, Sylvain Cypel, Daniel Lindenberg, Pierre Stambul, Michel Stazewski, Michel Warschawski, Eric Hazan et bien d’autres…

Même en Israël, on entend de telles critiques. Ainsi, dans le journal sioniste Yediot Ahronot, Susan Becher a publié un article intitulé « Le gouvernement qui crie : Au loup ! » : « La définition de l’antisémitisme par l’IHRA est problématique, car il existe une différence entre la haine des juifs et l’opposition aux politiques du gouvernement israélien. » Et Becher met les juifs en garde : « Si Israël continue à crier « Au loup ! », la communauté juive internationale pourra constater que les alertes justifiées contre l’antisémitisme vont tomber dans l’oreille d’un sourd. Le fait que le gouvernement israélien estompe de façon délibérée la ligne de séparation entre l’antisémitisme et l’opposition à ses politiques, ou même l’opposition au concept d’un État juif, devrait alerter les juifs du monde entier. »[24]

Donc Becher estime qu’Israël fait du tort aux juifs en les assimilant de force à une politique raciste, violente et suscitant de plus en plus de colère. D’ailleurs, elle traite carrément de « chantage » l’opération organisée à Bruxelles contre les europarlementaires, que nous avons analysée au point 8 : « Ce phénomène préoccupant a été illustré lors d’une conférence tenue à Bruxelles ce mois-ci dans une tentative pour obtenir des euro-parlementaires la signature d’un texte basé sur la définition de l’antisémitisme par l’IHRA, avant les élections européennes prévues en mai l’an prochain. Il s’agit de rien moins qu’un chantage politique, puisque tout parlementaire qui montre une réticence devra affronter des accusations d’antisémitisme à un moment où il est particulièrement sensible à la désinformation envers son électorat. Le problème ne réside pas dans la définition elle-même, qui parle essentiellement de la haine envers les juifs. Ce sont les exemples illustratifs qui font problème. Notamment « cibler l’État d’Israël » et « nier le droit du peuple juif à son auto-détermination ». Par ces phrases l’IHRA brouille la distinction entre la haine du peuple juif et l’opposition aux politiques du gouvernement israélien, la notion d’Israël comme État juif ou même l’establishment de l’Etat d’Israël. »

Voilà qui est clair : la ligne officielle d’Israël suscite de fortes inquiétudes y compris dans le camp des partisans d’Israël. Un autre exemple est Kenneth Stern. Qu’on ne suspectera pas d’être mal intentionné puisque ce professeur a donné des cours sur l’antisémitisme et dirige la Fondation Justus & Karin Rosenberg qui travaille à « améliorer la compréhension de la haine et de l’antisémitisme ». Témoignant le 17 novembre 2017 devant la Commission Justice du Congrès US, il y souhaitait que « tout effort pour combattre l’antisémitisme sur les campus soit cohérent avec les valeurs de la liberté académique. (…) Ma crainte est que des groupes extérieurs vont essayer et supprimer – plutôt que d’y répondre – les discours politiques qu’ils n’aiment pas. L’université, les étudiants juifs et la possibilité d’enseigner sur les questions juives vont tous en souffrir. »[25]

En fait, ce que craint Israël ainsi que ses lobbies, ce n’est pas tant les critiques de telle ou telle personnalité, mais c’est surtout de perdre le soutien des citoyens juifs des USA, et particulièrement de la jeune génération. Cette désaffection ne cesse de se renforcer depuis quelques années…

Dès 2013, trois-quarts des jeunes juifs des USA ne croyaient plus que le gouvernement Netanyahou « faisait un effort sincère pour obtenir un accord de paix avec les Palestiniens ». Et les sondeurs analysaient ainsi :« Pour beaucoup, le problème avec Israël n’est pas seulement son Premier ministre actuel, les politiques gouvernementales ou l’occupation depuis 51 ans de la Cisjordanie. C’est Israël lui-même qui les dérange, particulièrement son caractère d’État juif. »[26] Lorsqu’on leur demande quelles valeurs leur semblent les plus importantes pour leur identité juive, près de la moitié (46 %) répondent la Justice sociale, et seulement 20 % le soutien à Israël.

En 2018, seulement 34 % des juifs citoyens des Etats-Unis approuvaient la politique israélienne agressive de Donald Trump (notamment le transfert de l’ambassade US à Jérusalem)[27]. Toujours selon la même agence Pew, 79 % des électeurs républicains sympathisent avec Israël mais seulement 27 % des électeurs démocrates. Cela s’est reflété dans le refus de Bernie Sanders d’aller parler au banquet annuel du lobby AIPAC en 2016, lors de sa campagne pour les primaires présidentielles.

La jeune Emily Mayer explique ainsi ce rejet : « Le soutien à Israël parmi les étudiants juifs a baissé à un étonnant 32 % en 2016. On ne peut ignorer ce fait : ma génération n’a connu Israël qu’en tant qu’occupant qui nie le droit de millions de Palestiniens à un accès à l’eau, des soins médicaux corrects et la capacité d’élire leur propre gouvernement. Soutenir comme un dogme un tel système est une complète impasse pour l’avenir juif que nous souhaitons. »[28]

Tous ces sondages défavorables inquiètent fortement le lobby pro-Israël. Par exemple, Avital Leibovich, directrice de l’American JewishCommitte en Israël : « Une part croissante de la jeune génération (juive) aux USA ressent que l’État d’Israël ne représente plus les valeurs auxquelles ils croient. Cette situation met en danger le soutien des juifs américains à Israël. »[29]

Directrice du ministère israélien des affaires stratégiques (dont nous parlerons un peu plus loin), Mme Sima Vaknin-Gil, a exprimé la même inquiétude : « Nous avons perdu la génération des Juifs nés après l’an 2000. Leurs parents viennent m’expliquer les difficultés qu’ils rencontrent avec leurs enfants durant des dîners de shabbat. [Les plus jeunes] ne reconnaissent pas l’État d’Israël et ne nous voient pas comme une entité à admirer. »[30]

Cette perte a deux conséquences. La première est financière : selon une étude du ministère israélien de la diaspora « 6,35 % de l’économie israélienne est liée aux activités et donations des juifs de la diaspora (…) ce qui signifie qu’en cas d’arrêt des contributions et donations des juifs américains, Israël perdra une source importante de soutien. »[31] La seconde conséquence : si la jeune génération juive ne soutient plus Israël, l’impact du lobby sioniste aux USA s’affaiblira et sans doute aussi le soutien à Israël des États-Unis eux-mêmes.

De tout ceci, les médias dominants ne parlent guère. Si certains donnent parfois la parole à des Israéliens contestataires, la tendance générale est de présenter une communauté juive internationale plus ou moins unanime derrière ce lobby et sa campagne agressive et de mauvaise foi sur « le nouvel antisémitisme ».

D’où l’importance de mettre en évidence les voix juives dissidentes et critiques qui sont en réalité nombreuses mais pas médiatisées. Il est important de souligner que toute personne honnête et un peu informée, qu’elle soit juive ou non, rejette ces politiques de l’élite israélienne. L’élite rassemblée autour de Netanyahou prétend représenter tous les juifs, mais il faut briser ce « monopole ». Et pour cela démasquer la véritable guerre qu’Israël mène contre l’opinion publique internationale…

11. La guerre d’Israël contre l’opinion

D’abord, il convient de souligner qu’Israël et ses lobbies n’attaquent pas seulement des non-juifs. Comme le constate le professeur US Kenneth Stern, spécialiste de la lutte contre l’antisémitisme : « Nous avons vu que certains étudiants (juifs), considérés par d’autres comme« progressistes », et même les étudiants de J-Street qui sont sionistes et contre BDS, ont subi un harcèlement et des menaces par d’autres juifs. En mai dernier, à l’université de California-Irvine, d’anciens soldats des Forces de Défense israéliennes ont visité le campus et un étudiant juif m’a confié s’être fait dire ‘Je ne suis pas un vrai juif, je ne mérite pas d’être juif étant donné que je soutiens les droits des Palestiniens et que je devrais donc enlever ma kippah’. » Également, l’an dernier, à l’université de Santa Barbara, (…) le responsable d’une organisation juive du campus a dit explicitement que les juifs favorables au désinvestissement ne pouvaient s’appeler des juifs. [32] Stern dénonce l’idée « que les juifs antisionistes devraient avoir moins de protection que les juifs sionistes. »

Stern a raison. La mauvaise foi de l’appareil de propagande israélien va très loin : ainsi, les écrivains juifs – Noam Chomsky en tête- qui critiquent la colonisation et l’apartheid sont étiquetés comme étant des « self hating Jew » (juifs s’auto-détestant), qui au fond seraient également des antisémites. Ridicule !On préfère recourir à de la psychiatrie à deux balles plutôt qu’avouer que la politique israélienne mérite un débat et mérite en fait d’être condamnée.

Vu toutes ces incohérences et cette mauvaise foi, il est temps de s’interroger. Non seulement sur les « arguments » employés dans cette campagne antisémitisme, mais aussi sur les méthodes employées pour la répandre : comment réussit-elle à envahir et dominer Internet ? Les gens naïfs peuvent avoir l’impression que toutes ces calomnies diffusées sur les réseaux sociaux tombent du ciel. Qu’il s’agit d’initiatives spontanées de telle ou telle personne ou de petits groupes mus par leurs convictions sincères. Pas du tout. Il s’agit d’une opération globale, menée à l’échelle mondiale et très coordonnée. A Tel-Aviv. Par qui ? Par le très discret ministère des Affaires stratégiques, qui dépend directement du Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Ce ministère des Affaires stratégiques coordonne un programme (secret au départ) du gouvernement et de l’armée. Des dizaines de millions de dollars. Des experts sans scrupules. Plusieurs milliers de jeunes soldats et des étudiants fanatisés, payés deux mille dollars par mois pour un travail de quelques heures par semaine. Leur mission : inonder Internet en permanence, manipuler Wikipedia, censurer Youtube, trafiquer Google.[33] Pour éviter toute accusation de complotisme, nous citerons ici uniquement les responsables eux-mêmes de cet appareil de propagande israélien. De leurs déclarations ci-dessous ressortent une série de leçons extrêmement importantes pour la riposte contre la diabolisation.

Voici d’abord un échantillon des instructions donnée par les stratèges de cette campagne israélienne : « Les responsables de la délégitimation (d’Israël) devraient être combattus comme dans une guerre. Ils devraient être ciblés et combattus, et non affrontés sur le plan intellectuel ; et il faut recourir à tous les moyens encore jamais utilisés auparavant. »[34] Leçon n°1 : Fuyez la discussion et calomniez ! Se sachant à court d’arguments sur les faits, et certain de perdre le débat,  l’appareil de propagande israélien recommande à ses agents de ne pas discuter sur les faits.

Très révélatrice également, cette instruction du général Eitan Dangot, coordinateur de la politique israélienne dans les territoires occupés : « La guerre contre la délégitimation et l’opinion publique n’est pas plus facile que celle que l’on mène sur le champ de bataille. »[35]  Leçon n° 2 : c’est bien contre l’opinion que se mène cette guerre, et elle est prise en mains par l’armée elle-même.

Pour éviter d’être démasqués, les programmes changent de nom et se succèdent. L’un d’eux s’appelait Camera, son objectif était de « retourner » Wikipedia à l’avantage d’Israël et en 2008, un des ses responsables, Gilead Ini, recommandait à son équipe de manipulateurs : « Évitez de choisir un nom qui vous marque comme pro-Israël, évitez que les gens connaissent votre véritable nom. »[36] Leçon n° 3 : le secret. Toujours éviter un débat perdu d’avance.

Ce ministère opère de façon illégale à l’extérieur et l’un de ses responsables confie toujours dans le film The Lobby : « Nous sommes un gouvernement qui travaille sur un territoire étranger et nous devons être très, très prudents. » Leçon n° 4 : c’est bien une opération internationale, étatique et illégale.

Avec quelles méthodes ? Essentiellement, jeter de la boue. Directeur exécutif du Comité d’urgence pour Israël (ECI), M. Noah Pollak synthétise, toujours dans le même film, la méthode employée face aux critiques : « Pour discréditer le message, il faut discréditer le messager. Quand vous évoquez BDS, vous devez dire que c’est un groupe qui prône la haine, la violence contre les civils. C’est-à-dire qu’il soutient le terrorisme. » Leçon n° 5 : sans aucune morale, ces agents mentent délibérément pour discréditer le messager.

Et comment ? Alain Gresh qui a exposé en France le contenu du fameux film interdit, l’explique : « Pour« discréditer le messager », il faut accumuler des informations variées, qui vont de sa vie privée à ses activités professionnelles, en passant par ses convictions politiques. Le lobby pro-israélien a instauré ces dernières années un réseau d’espionnage. « Nos opérations de recherche, s’enorgueillit M. Baime, disposent d’une technologie de pointe. Quand je suis arrivé, il y a quelques années, notre budget était de quelques milliers de dollars ; il est aujourd’hui de 1,5 million, sans doute 2. Je ne sais même pas ; c’est énorme. » Mais ses amis et lui tiennent à rester « invisibles » :« Nous faisons cela de manière sécurisée et anonyme ; c’est la clé. »[37] Leçon n° 6 : les budgets sont énormes et il est très difficile, voire impossible, pour un individu ou un petit groupe de défendre son honneur.

Cet appareil agit « de manière sécurisée et anonyme » et voilà pourquoi les gens non avertis peuvent croire que les calomnies sont des phénomènes isolés qui proviennent de gens sincères. Mais que se passe-t-il si les espions n’ont rien trouvé d’intéressant ? Alors cet appareil recourt au bon vieux « Mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose ». Il répand sur la « cible » des rumeurs. Non seulement sur la question d’Israël, mais aussi sur d’autres thèmes où il peut jeter de la confusion. Par exemple, si un journaliste ou un écrivain s’oppose à la guerre conte l’Irak, contre la Libye ou la Syrie, on déformera sa position en prétendant qu’il soutient ces dictateurs, voire en insinuant qu’il est payé par eux. Et l’appareil fera passer ce message à travers plusieurs intermédiaires qui semblent indépendants. D’ailleurs, un des responsables de l’appareil de propagande israélien démasqué dans le film The Lobby confirme la méthode employée : « Avec les anti-Israéliens, le plus efficace est de faire des recherches sur eux, que vous mettez en ligne sur un site Web anonyme et que vous diffusez par des annonces ciblées sur Facebook. » Leçon n° 7 : l’appareil central utilise de nombreuses couvertures.

Ces rumeurs sont complètement fausses ? Peu importe, en les répandant de plusieurs côtés, on créera un effet de masse : « Il n’y a pas de fumée sans feu » et les gens qui n’ont pas le temps de vérifier se détourneront par « prudence », sans se rendre compte qu’ils ont été manipulés. Le but est aussi de placer la « cible » sur la défensive, de l’obliger à gaspiller son énergie dans des polémiques absurdes ou des procès coûteux.

Bref,quand votre nom se retrouve associé à « antisémitisme » sur Google alors que jamais de votre vie, vous n’avez commis le moindre acte ou la moindre parole de ce genre, cela ne tombe pas du ciel, c’est le résultat d’une opération coordonnée à Tel-Aviv.

Entre 2009 et 2011, ces efforts de propagande israéliens ont été menés en ordre dispersé par de petits groupes. Depuis, l’État a pris l’affaire en mains avec d’énormes budgets. Sima Vaknin-Gil, directrice générale du ministère des Affaires stratégiques, le reconnaît : « En ce qui concerne la collecte de données, l’analyse de l’information, le travail sur les organisations militantes, la piste de l’argent, c’est quelque chose que seul un pays, avec les ressources dont il dispose, peut faire au mieux. (…) Le fait que le gouvernement israélien ait décidé d’être un acteur-clé signifie beaucoup, parce que nous pouvons apporter des compétences que ne possèdent pas les organisations non gouvernementales impliquées dans cette affaire. Nous sommes le seul acteur du réseau pro-israélien à pouvoir combler les lacunes. (…) Nous avons le  budget, et nous pouvons mettre sur la table des choses bien différentes. » Et elle menace : « Tous ceux qui ont quelque chose à voir avec BDS doivent s’interroger à deux fois : est-ce que je dois choisir ce camp ou bien l’autre ? »[38]

Il faut espérer que ces déclarations cyniques et révélatrices aideront à ouvrir les yeux. Il y a encore beaucoup trop de naïveté parmi les progressistes :« Ils n’oseraient quand même pas faire ça ! » Eh bien, si. Pour défendre la marque Israël, gravement discréditée par tant de crimes, la seule arme qui leur reste, c’est le chantage à l’antisémitisme, avec une calomnie organisée et massive. Discréditer le messager afin qu’on ne discute pas sur le message.

12. L’accusation d’ « antisémitisme » est la seule arme qui leur reste

Pourquoi cet appareil se montre-t-il si agressif et si acharné ? Parce que l’élite israélienne est inquiète. Elle craint de perdre la bataille pour l’opinion internationale, comme les États-Unis l’ont un jour perdue à propos de la guerre du Vietnam. Elle constate, on l’a vu, que les juifs des États-Unis, particulièrement la jeune génération, se détournent d’Israël.

Mais les Européens aussi ont rompu avec la belle image d’Israël créée par un marketing sophistiqué. Elle a été démentie par les faits qui grâce à Internet circulent beaucoup plus librement. Dès 2003, un sondage de la Commission européenne indiquait que pour 59 % des sondés Israël représentait « la première menace pour la paix dans le monde ».[39]

Les agressions commises contre Gaza et d’autres crimes ont aggravé cette perception. En mai 2018, une enquête réalisée par l’IFOP à la demande de l’Union des étudiants juifs de France[40] révèle une dégradation sensible de l’image d’Israël en France :

 – 57 % des sondés ont une « mauvaise image d’Israël »;

– 69 % une « mauvaise image du sionisme »;

– 71 % pensent qu’ « Israël porte une lourde responsabilité dans l’absence de négociation avec les Palestiniens »;

– 57 % jugent qu’ « Israël constitue une menace pour la stabilité régionale »…

– 50 % considèrent le  sionisme comme « une idéologie raciste ».

Mauvais bulletin ! Cependant, il subsiste une confusion puisque 54 % considèrent encore que « l’antisionisme constitue une forme d’antisémitisme ». C’est contradictoire : comment pourrait-on être raciste envers une idéologie raciste ? Mais cela  révèle l’impact de la propagande « antisémitisme » menée par les élites politiques et médiatiques françaises.

Ce point est crucial. Voilà précisément le verrou psychologique qu’il s’agit de faire sauter : ce fameux chantage à l’antisémitisme. C’est la toute dernière arme qui reste à Israël : calomnier ceux qui révèlent les faits, diaboliser les lanceurs d’alerte et culpabiliser le public.

Alors, comment contrer ce chantage manipulateur ? À mon avis,il est très important de faire savoir que la communauté juive n’est pas unie derrière Israël et sa campagne « antisémitisme ». Donner la parole aux autres courants présents dans cette communauté. Briser le monopole du lobby sioniste dans le flux des infos et opinions. Et appeler toutes les organisations progressistes et antiracistes à ne plus craindre d’organiser ce débat.

De façon plus générale, il convient de coordonner davantage les efforts de tous ceux qui informent sur Israël, souvent très bien, mais de façon dispersée. Créer des campagnes communes. Développer des recherches et des publications sur l’histoire réelle de la Palestine. Traduire davantage les documents publiés dans d’autres langues. Créer un observatoire de la censure et de la désinformation…

Dès les années 70, avec le procès Eichmann, Israël a essayé de se faire passer pour le refuge des juifs menacés par de nouveaux Hitler. Mais çan’a pas marché. « Cet échec, conclut l’historien et journaliste israélien Tom Segev, engendra une grande confusion idéologique (en Israël). Il fallut donc renforcer l’idéologie sioniste par de sombres prédictions sur l’avenir de la communauté juive mondiale, évoquant la menace d’un nouvel holocauste. »[41]

L’actuelle campagne de chantage à l’antisémitisme est en fait la dernière arme qui reste à l’appareil de propagande d’Israël, tout le reste a été démenti par les faits. Si nous parvenons à neutraliser cette dernière arme,alors la voie est ouverte : tous les citoyens honnêtes et informés rejetteront entièrement la politique de Netanyahou pour exiger la paix et la justice. La solidarité concrète pourra se renforcer avec le boycott BDS. Un tel mouvement a fort contribué à faire plier le régime sud-africain d’apartheid dans les années 90 et il peut réussir à nouveau. Mais ceci implique de ne plus céder aux chantages et de contre-attaquer en exposant l’espionnage, les calomnies et les chantages du lobby.

Il faut montrer que la définition du « nouvel antisémitisme » est inexacte et dangereuse : les juifs ne sont pas protégés mais au contraire mis en danger par Israël. Il faut mettre fin à la police de la pensée, mettre fin au monopole et à l’actuelle chasse aux sorcières.



Source: Investig’Action

Photo: Alisdare Hickson


NOTES:

[1] Hugh Tomlinson, In the matter of theadoption and potential application of the International Holocaust RemembranceAlliance working definition of antisemitism. COMPLETER

[2] Hugh Tomlinson, In the matter of the adoption and potential application of the International Holocaust Remembrance Alliance working definition of antisemitism. Point 10. (communication personnelle)

[3] Daniel Blatman, The Isr aeli Lawmaker Heralding Genocide against palestinians, Haaretz 23 mai 2017.

[4] Discours à la Commémoration du 75ème anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv, 16 mars 2017.

[5] Philippe Huysmans, Les voleurs de mots, Le vilain petit canard, 1er décembre 2018.

[6] France 3, 8 novembre 2018.

[7] Mosché Machover, An immoral dilemma : the trap of Zionist propaganda, Journal of Palestine Studies, été 2018, p. 69.

[8] Zionism defines, Zionism on the Web, 2005.

[9] Photocopie d’une lettre manuscrite dans Bejtullah Destani, The Zionist Movement and the Foundation of Israël, 1839-1972, Farnham Common Archives 2004, p. 727.

[10] Alfred Naquet, « Drumont et Bernard Lazare », La Petite République » 24 septembre 1903.

[11] Reinhard Heydrich, Des Schwarze Korps, 26 septembre 1935.

[12] Michel Collon, Sionisme et antisémitisme, vidéos 1 et 2, 9 et 18 septembre 2018.

[13] Ygal Elam, New assumptions fo the new Zionism, revue Ot, hiver 1967.

[14] Francis Dubuisson, Vers une criminalisation de la critique de la politique d’Israël ?, Cahiers du Libre Examen – ULB, mars 2006.

[15] Hugh Tomlinson, In the matter of the adoption and potential application of the International Holocaust Remembrance Alliance working definition of antisemitism. Point 19.

[16] Hugh Tomlinson, In the matter of the adoption and potential application of the International Holocaust Remembrance Alliance working definition of antisemitism. Point 13.

[17] Cour européenne des droits de l’homme, arrêt du 14 septembre 2010, condamnant la Turquie à propos de la non-protection du journaliste assassiné Hrant Dink.

[18] The Times of Israël, 21 février 2017.

[19] UK university censors title of Holocaust survivor’s speech criticising Israël, 29 septembre 2017.

[20] Michel Collon, USA, les 100 pires citations, Investig’Action, 2018, citation 91.

[21] https://www.aljazeera.com/investigations/thelobby/

[22] http://normanfinkelstein.com/2018/08/25/finkelstein-on-corbyn-mania/

[23] http://normanfinkelstein.com/2018/08/25/finkelstein-on-corbyn-mania/

[24] Susie Becher, The government that cried ‘wolf ‘, yetnews, 31 novembre 2018.

[25] Témoignage écrit pour l’audition du 7 novembre 2017 examinant l’antisémitisme sur les campus.

[26] Pew Research Center, 1er octobre 2013.

[27] AJC Comparative Surveys of Israeli, U.S. Jews Show Some Serious Divisions, 10 juin 2018.

[28] https://www.haaretz.com/opinion/.premium-progressives-welcome-aipac-is-all-just-gaslighting-1.5871623

[29] AJC Comparative Surveys of Israeli, U.S. Jews Show Some Serious Divisions, 10 juin 2018.

[30] Alain Gresh, Lobby israélien, le documentaire interdit, Monde Diplomatique, septembre 2018.

[31] https://gulfnews.com/opinion/op-eds/are-american-jews-losing-interest-in-israel-1.2275678

[32] Témoignage écrit pour l’audition du 7 novembre 2017 examinant l’antisémitisme sur les campus.

[33] Michel Collon, Comment Internet manipule Internet et l’opinion, https://www.investigaction.net/fr/comment-israel-manipule-internet-et-lopinion/

[34] Résumé de la onzième conférence de Herzliya, herzliafonerence.org, cité par Ilan Pappé, La Propagande d’Israël, Investig’Action, 2016, p. 429.

[35] Eitan Dangot, Strategies for Countering Delegetimisation and for Shaping Public Perceptions, panel discussion Netanay Academic College, 16 avril 2012.

[36] Emails interceptés et publiés par Electronic Intifada, 21 avril 2008.

[37] Alain Gresh, Lobby israélien, le documentaire interdit, Monde Diplomatique, septembre 2018.

[38] Cité dans Alain Gresh, Lobby israélien, le documentaire interdit, Monde Diplomatique, septembre 2018.

[39] Institut Gallup, octobre 2003.

[40]Les Français et l’image d’Israël, sondage IFOP pour l’UEJF,14 mai 2018. Le sondage n’est plus disponible sur la page IFOP, mais bien sur le site La règle du jeu.

[41] Tom Segev, Les premiers Israéliens, Calmann-Lévy, 1998, p. 140.

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