Amérique Latine en Résistance: Black Lives Matter

Editorial: Tsunami racial aux États-Unis

 

Note : Dans ce numéro, nous tournons exceptionnellement, nos yeux vers le Nord pour analyser les manifestations massives qui ont lieu aux États-Unis.

“Je ne peux pas respirer !”. C’est la supplique que George Floyd a adressée au policier Derek Chauvin qui pesait de tout son poids sur son cou, avec son genou, pendant trop de minutes, jusqu’à ce qu’il en meure. L’assassinat d’un homme noir par la police aurait pu n’être qu’un incident de plus parmi des centaines d’autres. Mais celui-ci a fini par être l’étincelle qui a mis le feu aux poudres.

Des manifestations massives ont immédiatement commencé à Minneapolis, lieu du meurtre de Floyd. Défiant la consigne de réprimer « avec une dureté extrême », les manifestants ont remporté une première victoire symbolique en prenant d’assaut et en incendiant le commissariat de police où travaillait Chauvin.

En quelques jours, les manifestations ont gagné toutes les grandes villes des États-Unis. Des siècles d’oppression raciste ont explosé dans les rues et ont mis en échec l’appareil répressif de la plus grande puissance capitaliste du monde. Les paroles de Malcolm X sont toujours vivantes 50 ans plus tard :

« Il y a 100 ans, les Américains blancs enfilaient une capuche blanche et utilisaient des chiens de chasse dressés pour attaquer les noirs. Aujourd’hui, ils ont changé leur capuche contre un uniforme de la police et les chiens de chasse contre des chiens policiers, mais ils continuent à faire exactement pareil ».

Le séisme que les manifestations viennent de provoquer dans l’establishment n’est nullement négligeable, certes, en raison du spectacle inimaginable des avenues de Washington DC en flammes, des masses de manifestants à quelques dizaines de mètres de la Maison Blanche et du président Trump “mis à l’abri” dans un bunker.

La réponse de Trump était prévisible : accuser les maires et les gouverneurs des Etats de ne pas être capable de faire régner l’ordre chez eux, mobiliser la garde nationale et même l’armée dans la capitale.

L’actuel locataire de la Maison Blanche semblait avoir la voie libre pour sa réélection. Mais l’arrivée de la pandémie du coronavirus avec la catastrophe qu’elle représente pour les États-Unis et ses impacts sur l’économie nationale, et puis, maintenant, les protestations massives contre la violence policière, tout cela rend sa réélection beaucoup plus compliquée.

Cependant, la situation n’est pas facile non plus pour ses rivaux du Parti Démocrate. Historiquement, les Démocrates ont été aussi racistes que leurs collègues Républicains, même s’ils ont préconisé une politique plus subtile. Et c’est ainsi que l’instinct de «marquer des points politiques » contre Trump a refait surface aussitôt.

Mais en même temps, les Démocrates comprennent fort bien qu’il faut absolument écarter toute menace mettant en péril le statu quo. En outre, parmi tous les maires et gouverneurs qui ont déployé leurs forces de répression contre les manifestants, un grand nombre d’entre eux sont Démocrates.

Pour des figures de proue Démocrates comme Nancy Pelosi (leader des élus Démocrates du Congrès) et Joe Biden (candidat Démocrate à la présidentielle), il est impossible de proposer autre chose que des réformettes policières minimales, et leur position est apparue clairement dès les inévitables premières scènes de pillage et de violence. Et voici qu’une autre citation, vieille de plus de 50 ans, s’avère pertinente. Cette fois, c’est une citation de Stokely Carmichael :

« Martin Luther King soutient que la non-violence apportera des progrès au peuple noir. Sa thèse c’est que si tu es non violent, si tu souffres, ton adversaire verra ta souffrance et changera de conduite. C’est très beau. Mais King part d’une hypothèse fausse. Pour que la non-violence fonctionne, il faut que ton adversaire soit doué d’une conscience. Or, les États-Unis n’en ont pas … ”

Alors, la voie choisie par les Démocrates, jusqu’aux élections de novembre, c’est de feindre soutenir les manifestants et d’attendre que Trump fasse des erreurs. Par contre, la tâche que doit mener à bien le mouvement qui a pris possession de la rue aux États-Unis est autrement plus compliquée.

Même s’il est vrai que l’assassinat de Floyd et la violence policière (raciste) en ont été le déclencheur, les problèmes sont beaucoup plus structurels et profonds. De très larges secteurs de la société nord-américaine, et la grande majorité des minorités, vivent dans une situation économique extrêmement précaire. La crise du Covid 19 a révélé au grand jour, outre les très grandes inégalités en ce qui concerne l’accès aux soins de santé, le fait que des millions de citoyens n’ont, en tout et pour tout, devant eux qu’un ou deux mois de liquidités d’avance pour se nourrir ou payer leur loyer.

Les manifestations ne pourront pas se prolonger longtemps s’il n’y a pas un programme politique plus large, mais elles sont néanmoins un pas en avant important. Pour beaucoup, il s’agit de leur première expérience de confrontation avec un système d’exploitation brutal et ils sont conscients qu’ils le font trembler.
Cette vague, comme la précédente, celle qui a donné le mouvement Black Lives Matter, est une impulsion qui fera naître le besoin de mieux s’organiser pour obtenir des changements véritables.

Il existe un autre défi. La tendance du système, les Démocrates étant les plus habiles en la matière, c’est de coopter toute menace et de faire naître l’illusion que le système peut être changé depuis l’intérieur. Tous les champs de bataille sont bons, mais un monstre ne va pas se détruire lui-même. Donc, la route sera encore longue.

 

Brèves

 

Venezuela / Nouveau Conseil National Électoral

 

Le Tribunal Suprème vénézuélien a désigné le nouveau CNE (TSJ)

Le Tribunal Suprême de Justice (TSJ) du Venezuela a désigné les nouveaux membres titulaires et suppléants du Conseil National Électoral (CNE), après avoir déclaré l’omission inconstitutionnelle du Parlement suspendu pour la désignation des membres de cette entité.

A présent, Indira Maira Izaguirre est la figure principale et la présidente de cette entité, et Rafael Simon Jimenez Melean assumera la vice-présidence. Cette direction se chargera de toute la préparation des élections législatives qui se tiendront en fin d’année.

A ce sujet, le président Nicolas Maduro a demandé ce mardi au Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) de lui transmettre rapidement la proposition de candidats.

 

Uruguay / Le retour de la DEA est demandé

 

Le Ministre de l’Intérieur d’Uruguay, Jorge Larranaga, a pris contact avec l’Administration pour le Contrôle des Drogues (DEA) des États-Unis pour lui demander de revenir dans le pays.

Larranaga a ajouté qu’il a entretenu des contacts avec “d’autres agences de sécurité internationales” pour qu’elles ouvrent également des bureaux dans le pays.

“Dans le but de chercher la collaboration de toutes ces institutions qui nous permettraient d’apporter des réponses en matière de lutte contre le narcotrafic, chose que nous devons avoir et mener dans le pays” a affirmé le ministre.

Néanmoins, son prédécesseur à ce portefeuille durant le gouvernement de Tabaré Vazquez, Eduardo Bonomi, a indiqué que la DEA est partie car les autorités et les appareils policiers uruguayens étaient capables d’affronter eux-mêmes le narcotrafic.

 

Argentine / Le gouvernement exproprie une entreprise agro-exportatrice

 

Le gouvernement argentin a exproprié Vicentin (El Pais)

Le président argentin, Alberto Fernandez, a ratifié le processus d’expropriation de l’entreprise agro-exportatrice Vicentin, qui a déclaré un “stress financier” après avoir bénéficié de prêts de plusieurs millions auprès de la banque publique.

“L’expropriation constitue l’outil qui pourra sauver l’entreprise, qui a une dette de 1500 millions de dollars; il n’y a pas d’autre solution”, a dit le président, tout en ajoutant que les dirigeants proposent à l’Etat de rentrer dans l’entreprise sans expropriation. Mais, cela suppose un accord avec des chefs d’entreprise que sont hautement compromis”.

Pendant cette période, la pays a connu une série de protestations des secteurs de la droite qui s’opposent à cette expropriation qui sera traitée au Congrès.

 

Chili / Crise économique devant la porte

 

La banque centrale du Chili estime qu’il y a une forte contraction économique de près de 7.5%, ce qui se traduirait par la plus grande récession du pays sud américain des 35 dernières années.

Selon son rapport de politique monétaire, l’avancée de la pandémie du coronavirus, et les mesures adoptées pour la contenir, ont eu un impact sans précédent. En d’autres termes, la paralysie de l’activité a eu des répercussions immédiates sur le Produit Intérieur Brut (PIB).

De la même façon, cette étude signale que la contraction des mois de mai et juin sera plus forte que celle de mars et avril, car on a étendu les mesures de confinement à la région métropolitaine et à la région de Valparaiso, deux importantes juridictions en matière d’activité productive.

 

Pérou / Explosion de la pandémie

 

Le Pérou est le deuxième pays le plus touché par le Covid-19 (DW)

Le Pérou a dépassé les 250 000 cas de coronavirus le 20 juin. Bien que le Brésil ait dominé dans les unes en Amérique latine, la nation andine est désormais le septième pays présentant le plus de cas au niveau mondial.

La réponse du gouvernement péruvien s’est avérée insuffisante, avec une explosion de cas au mois de mai; on a rapporté jusqu’à plus de 8000 nouveaux cas par jour. Jusqu’à ce jour, plus de 7000 péruviens sont décédés de cette pandémie.

Le président Martin Vizcarra a reconduit le confinement jusqu’au 30 juin, mais l’OMS et des organisations sociales péruviennes ont mis l’accent sur le manque d’accès à l’eau potable qui concerne 22% de la population; ce qui constitue un facteur déterminant dans la diffusion du Covid 19.

 

 

Interview 

 

Hernando Calvo Ospina – “Un conflit entre la Colombie et le Venezuela constituerait une explosion dans toute la région”

 

Dans notre plus récent entretien, le journaliste, écrivain et documentariste colombien Hernando Calvo Ospina aborde quelques-uns des principaux sujets d’actualité en Colombie: la pandémie et la réponse du gouvernement de Duque, le (non)respect des accords de paix et les tensions croissantes avec le Venezuela.

 

Le gouvernement d’Ivan duque a été très critiqué, spécialement dans les secteurs populaires, pour ses politiques face au Coronavirus. Quelle évaluation fait-on de la réponse du gouvernement face à la pandémie?

Le gouvernement de Duque a répondu comme il devait répondre, c’est à dire sans le moindre intérêt vis à vis de la majorité de la population; celle-ci bien avant l’arrivée du coronavirus n’avait aucun type de protection sociale ou médicale. De plus, le gouvernement a fermé les frontières très tard et il a même menacé les maires qui voulaient prendre une mesure de couvre-feu de façon à maintenir les gens chez eux.

Mais il y a un problème beaucoup plus grave: c’est que l’on n’a pas pris en compte le fait que la majorité de la population colombienne vit d’un travail individuel, pour son compte propre; et avec ça, on les a laissés de côté. Ils n’avaient plus de quoi continuer à vivre s’ils étaient confinés, cela signifiait mourir de faim à la maison ou mourir du coronavirus en essayant de gagner leur pain. Le problème est strictement structurel.

Il existe une chose qui est toujours impunie au milieu du confinement, ce sont les assassinats de leaders sociaux et d’ex-guerrilleros. Les dénonciations concernant le non respect des accords de paix par l’Etat ont été répétées. Où en est le processus de paix en ce moment? Y a-t-il espoir de voir respecter ce qui a été fixé?

Je crois qu’il faut prendre en compte la réponse qu’a donnée la Ministre de l’Intérieur car si on ne l’écoute pas, on ne pourrait pas la croire. On lui a demandé pourquoi les assassinats de leaders continuent en Colombie et elle a répondu qu’il fallait attirer son attention sur les assassinats de ceux qui ne respectaient pas le confinement. Voilà ce qu’elle a répondu, c’est une énormité!

On voyait que le processus de dialogue n’allait pas fonctionner, qu’on n’allait rien respecter. La première grande erreur qu’ont commis les FARC, ce fut de rendre les armes, car c’était la seule chose qui pouvait leur servir de garantie, pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il respecte les accords et qu’il respecte la majorité des militants qui étaient dans la légalité. Aujourd’hui, les FARC, sans leurs armes, ne sont pratiquement rien; de plus les 4 ou 5 principaux dirigeants se sont rendus au système. La situation est très grave, particulièrement pour les cadres moyens, les bases et tous les membres de leur famille car dans ce qu’ils ont signé le nom de chaque ex-combattant a été communiqué mais également celui des membres de leur famille la plus proche. C’est à dire, que l’état colombien a tout ce qu’il faut entre les mains pour les faire chanter ou les assassiner. Et je n’ai aucun espoir de voir respecter les accords; je ne sais pas comment les FARC ont pensé qu’un état narco paramilitaire allait respecter quelque chose. De plus, avec ou sans les FARC, la guerre a continué.

Plusieurs personnalités ont dénoncé la présence de plus en plus grande de troupes nord-américaines sur le sol colombien, toujours sous le motif du combat contre le narcotrafic. Devrions-nous nous alarmer du fait de l’accroissement des tensions avec le Venezuela? Quel est le chemin pour éviter un conflit?
 

Je crois que le chemin pour éviter une invasion du Venezuela, c’est la mobilisation des gens. D’abord, la mobilisation des cinq millions de colombiens qui vivent au Venezuela, ensuite celle colombiens en Colombie; on ne les voit ni les uns ni les autres, peu de voix se font entendre, très peu de voix qui se lèvent contre cette agression, en Colombie, bien que les colombiens savent que le Venezuela répondrait et que nous plongerions dans un conflit belliqueux terrible entre frères.

C’est une guerre réellement fratricide poussée par le gouvernement des Etats-Unis car c’est ce qu’ils gagneraient en volant un territoire au Venezuela. Il s’agit-à du plan qu’ils avaient avec Guaido et ils l’ont toujours avec lui ou avec n’importe quel autre dirigeant de l’opposition. La deuxième chose, c’est que les Etats-Unis savaient que s’ils s’en prenaient au Venezuela, les FARC allaient répondre, c’est pourquoi ils avaient intérêt à ce désarmement. Ils feraient la même chose avec l’Armée de Libération Nationale (ELN), c’est pour cette raison que de nombreux hauts responsables militaires ne veulent pas de guerre contre le Venezuela, parce qu’ils savent que ce serait grave.

De plus, l’armée vénézuélienne n’est plus ce qu’elle était il y a dix ans; à présent, ils comptent sur une population civile armée, la Milice Bolivarienne. Alors, ce serait un scénario très compliqué. Mais, autant les Etats-Unis que l’oligarchie colombienne veulent s’emparer du Venezuela; et depuis Chavez, dans les médias colombiens, il y a une grande campagne contre le Venezuela et ses dirigeants. C’est une campagne réellement terrible; prendre la défense du Venezuela en Colombie, c’est pratiquement un suicide. Je crois qu’un conflit entre ces deux pays, en outre, constituerait une explosion dans toute la région. Pourvu qu’une agression au Venezuela ne se produise jamais et pourvu que les colombiens sachent s’opposer, si ce moment arrive, car on dirait qu’ils ne se rendent pas compte qu’une attaque portée au Venezuela les affecterait également.

 

Fresque de Diego Rivera sur le coup au Guatemala

 

Veines ouvertes: Coup d’État au Guatemala

 

Le 18 juin 1954, un coup d’État organisé par la CIA a renversé le gouvernement démocratiquement élu de Jacobo Árbenz, un militaire progressiste qui avait lancé un mouvement de renouveau face à la pauvreté endémique au Guatemala.

Le «crime» d’Arbenz aux yeux de Washington était d’avoir touché les intérêts de la puissante United Fruit Company (rebaptisée plus tard Chiquita). Le dirigeant guatémaltèque voulait mettre en œuvre une réforme agraire mettant en danger les terres de l’entreprise qui n’avaient même pas été plantées.

Le coup d’État contre Árbenz a apporté des décennies sanglantes et des dictateurs génocidaires soutenus par les États-Unis, plongeant le pays d’Amérique centrale dans la misère. La doctrine Monroe existait en Amérique latine depuis des décennies, mais le coup d’État au Guatemala a créé le précédent pour une série d’autres épisodes où les Etats-Unis, par le biais de la CIA, ont mené des coups d’État pour protéger les intérêts des sociétés transnationales nord-américaines.

 

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Les opinions exprimées sont celles des auteurs et ne correspondent pas forcément à celle des membres de l’équipe de rédaction d’Investig’Action.

Traduit par Ines Mahjoubi, Manuel Colinas Balbona et Sylvie Carrasco. Relecture par Ines Mahjoubi.

 

Source : Investig’Action

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