Alain Chouet réagit à l’annulation d’un colloque sur la Syrie à Caen

Le 26 novembre devait se tenir au Memorial de Caen un colloque sur la Syrie. Mais le directeur du Memorial aurait annulé sous la pression d’utilisateurs des réseaux sociaux criant au fascisme et à l’antisémitisme. Ancien haut fonctionnaire de la DGSE, Alain Chouet devait participer au colloque. Il réagit à son annulation.  


Le Colloque sur la Syrie (“Les enjeux de la Syrie et de la région”, voir programme joint) qui devait se tenir le 26 novembre au Mémorial de Caen et auquel j’avais été invité à participer vient d’être annulé sur décision du directeur du Mémorial qui, après avoir donné son accord à la tenue de ce colloque il y a plusieurs mois, vient d’annuler cet accord au dernier moment.

Le directeur du Mémorial dit avoir pris cette décision de refus après avoir été alerté “par des réseaux sociaux” (sans autre précision) sur le fait que ce colloque réunissait “des militants d’extrême droite bien connus et partisans de Bashar el-Assad “…. Il aurait tout de même été intellectuellement honnête de sa part de vérifier ces assertions avant de prendre sa décision.

Je ne connaissais pas tous les participants à ce colloque mais ceux que je connais ne sont ni d’extrême droite ni partisans de Bashar el-Assad, en particulier :
– Michel Raimbaud, ancien ambassadeur, ancien directeur de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ;
– René Nabaa, ancien correspondant de l’AFP à Beyrouth, consultant à l’Institut International pour la Paix, la Justice et les Droits de l’Homme (IIPJDH) dont le siège est à Genève.;
– Richard Labévière, journaliste et écrivain, membre du Parti socialiste ;
– Joël Bruneau, maire UMP-UDI-Modem de Caen ;
– Gérard Bapt, député à l’Assemblée Nationale, groupe PS ;
– Adonis, philosophe et poète syro-libanais ;
– Jean Marie Schléret, député à l’Assemblée Nationale, groupe UMP, ancien président du Conseil national consultatif des personnes handicapées ;
– Majed Nehmé, directeur du journal “Afrique-Asie”; (ce journal créé par Simon Malley s’est illustré dans la lutte contre les dictatures arabes et africaines et dans la lutte anti-apartheid) ;
– … et enfin moi-même, écarté de mes fonctions à l’été 2002 sous le soupçon d’appartenance au PS et de “jospinisme”….

Toutes ces personnes ne sont ni des militants d’extrême droite ni partisans ou soutiens des dictateurs. Certains, comme le poète Adonis, sont au contraire d’inlassables combattants contre la violence d’Etat dont ils ont été eux-mêmes victimes.
En ce qui me concerne, j’ai été il y a plus de vingt ans le premier en France à essayer de prolonger les travaux de Michel Seurat sur ce qu’il appelait « l’Etat de barbarie ». Dans un très long article publié par la Documentation française, j’ai décrit en détail les méthodes et les mécanismes par lesquels Hafez el-Assad s’était approprié entre 1970 et 1990 – par la duplicité et la violence – l’ensemble de l’appareil d’Etat syrien au profit de sa famille et de sa communauté. Ce texte reste encore aujourd’hui – en France comme à l’étranger – l’une des premières références universitaires sur le sujet.
Je défie quiconque de trouver dans mes nombreux écrits, entretiens, conférences, le moindre soutien aux auteurs – quels qu’ils soient – des violences commises en Syrie ou ailleurs, le moindre soutien aux dictateurs et la moindre référence aux thèses de l’extrême droite, du conspirationnisme, de l’antisémitisme que je combats au contraire avec véhémence depuis cinquante ans.
J’ignore quels sont les “réseaux sociaux” qui ont alerté le directeur du Mémorial de Caen sur cette réunion de “dangereux fascistes”. J’en ai trouvé un qui s’intitule “Gauche de combat” avec comme sous-titre “Gauchiste et fier de l’être”. Il y en a sans doute d’autres mais je ne les ai pas vus. J’y note la présence de deux personnes qui avaient exigé en février 2016 de Mme Delphine Ernotte (Présidente de France Télévision) la mise à pied de Mme Samah Soula, réalisatrice de l’émission “Un oeil sur la planète”, au motif que l’un de ses documentaires consacré à la Syrie ne leur convenait pas car sa description des atrocités commises par les djihadistes s’analysait à leurs yeux en un soutien implicite au régime de Damas.
En 2012, j’ai été catalogué comme “un membre de la légion brune de Bashar el-Assad en France” par un plumitif d’un grand hebdomadaire parisien pour avoir prononcé au cours d’une conférence sur la Syrie les deux phrases suivantes :
Ce n’est pas parce que l’on se rebelle contre un dictateur qu’on est nécessairement un démocrate. Ce n’est pas parce qu’on s’interroge sur les méthodes, les moyens et les objectifs d’une rébellion contre un dictateur qu’on est un partisan du dictateur“.

Il semble que ces deux phrases aient fait définitivement de moi aux yeux de certains un militant d’extrême droite soutien des dictateurs.
Je suppose qu’il en va de même pour les autres intervenants à ce colloque.
Faut-il être gauchiste (et fier de l’être….) pour avoir le droit de s’exprimer sur la Syrie dans ce pays ?
Faut il être gauchiste pour décréter qui a ou n’a pas le droit de s’exprimer sur ce sujet ?
Le colloque qui vient d’être annulé était ouvert au public de même que ses tables rondes.

Tout le monde, y compris les gauchistes (et fiers de l’être) pouvait venir s’y exprimer et faire valoir librement son point de vue.

Monsieur le directeur du Mémorial de Caen a préféré au dernier moment “casser le thermomètre”.

Que les gauchistes et fiers de l’être défendent leur point de vue me paraît parfaitement légitime et je me battrai pour qu’ils puissent le faire librement même si je suis en désaccord avec eux.

Que les responsables institutionnels français cèdent à leurs pressions pour que ceux qui ne sont ni gauchistes ni fiers de l’être ne puissent pas s’exprimer me paraît constituer une grave menace pour la liberté d’expression.

Alain Chouet

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