Accord de paix signé en Colombie: «que retentisse ce cri: plus jamais! plus jamais!»

Les accords signés, c’est désormais une lutte idéologique et culturelle qui s’annonce pour « gagner le cœur » de vastes secteurs sous-informés et manipulés durant des décennies, principalement au sein des classes moyennes qui défendent le modèle économique actuel plus que les élites elles-mêmes. Une culture dévastée comme conséquence de la manipulation médiatique fait que la population redoute la guérilla et tout projet progressiste et transformateur bien plus que la répression imposée par les castes au pouvoir et les effets de leur politique économique.

C’est par cet appel pour que naisse une ère de paix en Colombie que le commandant rebelle Iván Márquez a conclu son intervention à La Havane, Cuba, où les délégations officielles du gouvernement colombien et de la plus ancienne guérilla du continent américain viennent de signer un accord de paix définitif. Cet accord scelle la fin d’une longue confrontation armée de plus de 60 ans qui a causé des centaines de milliers de victimes. Dans le communiqué final qui a pour titre « La plus belle de toutes les batailles » (1), le chef de la délégation des FARC-EP résume ce qui doit être un grand pacte pour la paix et qui comprend six accords principaux : une réforme rurale intégrale prévoyant un soutien à l’économie paysanne, la restitution des terres spoliées aux paysans et l’agroécologie comme stratégie du développement rural ; des garanties pour la participation et l’activité de l’opposition politique et le respect de la vie des partis de gauche ; la solution du problème des drogues illicites prévoyant des mécanismes de substitution aux cultures à usage illicite ; un accord sur les victimes comportant la construction d’une vérité historique et une juridiction spéciale pour la paix qui reconnaîtra la responsabilité de tous les acteurs du conflit ; un accord spécial sur les mesures à mettre en œuvre pour la fin du conflit avec cessez-le-feu bilatéral et définitif, dépôt des armes, contrôle et observateurs internationaux, des garanties de sécurité et démantèlement des organismes paramilitaires, des mesures pour la réinsertion des combattants dans la vie civile.

Dans le communiqué Márquez lance un appel à la communauté internationale pour qu’elle soutienne les accords intervenus et presse le gouvernement des États-Unis de prendre des initiatives humanitaires en faveur de la paix étant donné l’étendue de son implication militaire dans le conflit armé en Colombie ; il appelle à la libération du commandant Simón Trinidad injustement condamné et toujours emprisonné aux États-Unis dans des conditions de détention inhumaines. Le communiqué se termine par un salut au peuple de Cuba et aux présidents Raúl Castro et Nicolás Maduro en les remerciant de leurs immenses efforts pour que cet accord aboutisse.

Ainsi donc les Colombiens viennent de vivre leur première nuit d’espoir que finisse définitivement cette longue confrontation armée que plusieurs générations ont vécue. Cependant, pour les militants de gauche, pour les partis d’opposition et pour la rébellion elle-même aussi, une sérieuse préoccupation subsiste à propos du dénouement que connaîtra l’étape qui va suivre la signature des accords. La rébellion a exprimé avec insistance dans divers médias sa préoccupation sur une possible continuation du phénomène du paramilitarisme et si les forces progressistes font confiance à la parole du président Santos, c’est sans la moindre naïveté. La menace de la droite maffieuse et la mémoire du passé tragique qui vit l’extermination de l’Union Patriotique, dans les années 80, font que de larges secteurs de la population colombienne n’accordent aucune confiance au discours des élites colombiennes dont le président Santos est le représentant.

Il est clair qu’à La Havane le modèle économique a été discuté, mais il n’y a pas eu d’accord sur les transformations structurelles à lui apporter. Pour des raisons évidentes, une transformation de ce type n’aurait été possible que si la guérilla avait vaincu militairement le gouvernement colombien. Par conséquent, le modèle économique du président Santos au service du grand capital et des multinationales va continuer à s’imposer aussi longtemps qu’un nouveau projet politique progressiste et de gauche sera en préparation, projet pour arracher le pouvoir aux castes traditionnelles et imposer de profondes transformations sociales en Colombie comme l’ont déjà réalisé certains gouvernements progressistes d’Amérique Latine.

En résumé, la signature de cet accord général et le dépôt des armes de la part de la rébellion de Colombie ne peuvent en aucune façon être vus comme un recul du mouvement révolutionnaire colombien et encore moins être qualifiés de trahison de la rébellion comme certains plumitifs le suggèrent. La signature de cet accord était nécessaire pour la gauche dans son ensemble et pour la rébellion en particulier parce que cet accord va ouvrir des portes pour une lutte beaucoup plus politique et donnera accès à des espaces interdits dans le cadre d’une dynamique de guerre. Le conflit ne s’achève pas, les problèmes sociaux restent et exigent de façon urgente des solutions. Ce qui change ce sont les armes nécessaires pour affronter ces problèmes et les castes qui les génèrent. Avec la possibilité de la création d’un nouveau parti politique de gauche, avec tout le bagage et l’expérience de ces 52 années de lutte armée, avec la connaissance du terrain et en particulier des communautés rurales, les FARC-EP vont pouvoir nourrir et renforcer la gauche colombienne pour poursuivre la lutte pour le pouvoir politique. Le rêve pour les FARC-EP de la prise du pouvoir non seulement ne s’achève pas, mais il se poursuit ; seuls les moyens pour le réaliser changent.

L’accord qui vient d’être signé ouvre par conséquent les portes pour que les FARC-EP en tant que mouvement légal puissent accéder au pouvoir un jour par les mêmes dynamiques démocratiques que l’État sera tenu de garantir à l’avenir. Quand on connaît les grandes faillites du système « démocratique » en Colombie, le nouveau mouvement misera sur la mobilisation sociale en vue d’un projet de constitution nouvelle au moyen d’une assemblée nationale constituante qui fera appel à de larges secteurs sociaux et qui améliorera significativement la réalité sociale en Colombie en procédant à des changements profonds. Cette lutte par conséquent est à venir, mais si ce qui a été signé est respecté, ce sera un changement quantitatif important pour créer de nouveaux espaces de construction du mouvement social et pour élargir de façon importante le mouvement anti hégémonique en Colombie.

Les accords signés, c’est désormais une lutte idéologique et culturelle qui s’annonce pour « gagner le cœur » de vastes secteurs sous-informés et manipulés durant des décennies, principalement au sein des classes moyennes qui défendent le modèle économique actuel plus que les élites elles-mêmes. Une culture dévastée comme conséquence de la manipulation médiatique fait que la population redoute la guérilla et tout projet progressiste et transformateur bien plus que la répression imposée par les castes au pouvoir et les effets de leur politique économique. Une population influencée par une nouvelle culture mafieuse du corrido interdit (3) et du révolver au ceinturon a banalisé le recours à la violence et l’indifférence envers autrui.

Donc, avant de critiquer ce processus, les mouvements sociaux et de gauche devront s’emparer de ces accords et s’en servir comme d’une arme pour mener l’offensive idéologique et politique qui permettra dans un futur proche la construction d’un gouvernement progressiste en Colombie.

Notes:

(1) — http://www.pazfarc-ep.org/comunicadosfarccuba/item/3529-la-mas-hermosa-de-todas-las-batallas.html 

(2) — Parti politique constitué par diverses formations politiques, y compris les FARC-EP, lors d’une tentative de conclure un accord de paix en Colombie laquelle échoua et fut suivie par l’assassinat de plus de 5 000 de ses adhérents.

(3) — Rythme musical avec paroles chantées qui exalte la culture maffieuse et le machisme amplement présent dans tout le pays.

Source: Investig’Action

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