Abdulsalam Al-Dhahebi : “Les Yéménites veulent la paix”

Entretien avec Abdulsalam Al-Dhahebi, membre de l’ONG Sheba Rights for Democracy and Human Rights sur la situation au Yémen. Abdulsalam Al-Dhahebi a 36 ans. Il vit en Suède depuis 10 ans. Quand la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite a attaqué son pays d’origine, Abdulsalam a décidé de porter la voix des victimes de la guerre dans les capitales européennes. Nous l’avons rencontré au Parlement européen à Bruxelles où il se trouvait pour une série d’entretiens avec des eurodéputés.

 

BK : Pourriez-vous nous décrire la situation politique qui prévaut actuellement au Yémen ?

Depuis 2015, date du début de l’intervention militaire dirigée par la coalition saoudienne, la situation humanitaire n’a fait que se dégrader. Avant l’invasion saoudienne, l’envoyé spécial de l’ONU Jamal Benomar, avait pourtant déclaré que la conférence pour un dialogue national avait réussi, qu’un accord a été atteint et que toutes les parties étaient d’accord de le signer (1), y compris les houthis (2).

Et puis, les Saoudiens sont intervenus militairement et ont saboté les négociations.

Résultat : nous avons la pire catastrophe humanitaire du monde provoquée par une intervention humaine.

D’une part, le Yémen est soumis à un embargo sauvage. Le régime saoudien empêche en effet les navires d’accoster et d’approvisionner le pays en denrées de base. D’autre part, le pays est soumis aux bombardements de la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite qui utilise des armes illégales, notamment des bombes à fragmentation. Les avions saoudiens attaquent les civils, le patrimoine culturel, l’infrastructure économique. Tout le pays est détruit.

Certains appellent cela une guerre civile alors qu’une dizaine de pays se déchaînent sur ce pays, le bombardent et lui imposent un embargo. Tous ces actes entrent dans la définition d’une agression.

Le ministre saoudien des affaires étrangères Adel Al Jubair était au Parlement européen la semaine dernière pour raconter qu’il soutient le Yémen, qu’il n’y a pas d’embargo, que cette guerre saoudienne au Yémen est une guerre défensive. Son argument repose sur le fait que le régime saoudien est du côté du « gouvernement légitime de Hadi ».

Or, seul le peuple peut attribuer une légitimité à un gouvernement. Hadi est dans le camp de ceux qui détruisent le Yémen. Il n’a même pas été consulté quand les Saoudiens ont commencé les bombardements sur son pays. Personne ne veut de lui, ni au Nord, ni au Sud.

Même dans les territoires du Sud du Yémen censés être sous son contrôle, les hommes de Hadi ont été chassés par le Mouvement du Sud (Al-Hirak). Personne ne l’écoute ni le respecte.

A Sanaa, il existe un gouvernement de coalition (composé du Congrés du peuple général d’Ali Abdallah Saleh et d’Ansar Allah) qui a été approuvé par le parlement.

Le 21 septembre 2016, des millions de Yéménites ont montré leur soutien au gouvernement de Sanaa lors d’une manifestation qui a été la plus grande jamais organisée dans la région. Qui peut parler au nom du Yémen sans tenir compte du peuple en nier la reconnaissance de ce gouvernement ?

 

BK : Vous prétendez donc que le peuple du Yémen veut la paix.

Oui, tous les partis engagés dans le conflit sont prêts à des négociations. L’émissaire  de l’ONU Ismail Ould al Cheikh Ahmed a tort d’affirmer que les Yéménites ne veulent pas la paix.

Ansar Allah et son allié ont déclaré être prêts à des élections démocratiques et à des compromis.

Au Sud, Aïdarous al Zoubaïdi, membre du Mouvement du Sud et chef du Conseil de transition du Sud (STC), a déclaré sur France 24 que son mouvement est prêt à la paix et déclare vouloir être une partie dans les négociations sans être représenté par Hadi.

Les vrais acteurs de terrain sont donc prêts à des accords de paix.

Au Nord, Ansar Allah et son allié le Congrès général du peuple sont prêts à parler avec le Sud.

Au Sud, le Mouvement du Sud « Hirak al Janubi » et le parti des frères musulmans Islah sont prêts à discuter avec le Nord.

N’eurent été les bombardements saoudiens et les multiples ingérences étrangères, les Yéménites auraient pu résoudre leurs différends par le dialogue depuis trois ans.

 

BK : Qui bloque le projet de solution négociée ?

Ceux qui tirent profit de la guerre. Ils font tout pour faire taire les voix prêtes à la paix. Ils veulent isoler les forces qui œuvrent dans l’intérêt du Yémen. Ils sabotent toute résolution permettant d’établir une commission d’enquête internationale sur les crimes au Yémen. Ils veulent tout voir à travers les yeux du « gouvernement légitime » basé à Riyad car la bande à Hadi ne représente pas le Yémen mais l’Arabie saoudite.

Toute initiative de paix doit intégrer les Yéménites qui sont acteurs du conflit et non pas les pensionnaires des hôtels de luxe se trouvant à Riyad.

 

BK : On parle beaucoup des crimes saoudiens. Quel est le rôle joué par les Emirats au Yémen ?

Les forces émiraties commettent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Des cas de torture, de disparitions forcées ont été rapportés par des ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch.

Les Emiratis ont leur propre agenda. Ils veulent contrôler le port d’Aden, y créer un nouveau Dubaï. Le port d’Aden est l’un des plus importants de la région. Le contrôle de ce port permet de dominer le commerce maritime entre l’Europe et le Moyen Orient. Les émiratis ont installé une base militaire sur l’île de Myoun, un poste stratégique situé en face de Bab el Mandeb et se sont emparés de l’île de Socotra, l’une des plus belles îles du monde connue pour sa faune et sa flore exceptionnelles.

C’est Hadi qui a loué l’île pour une durée de 99 ans. Personne au Yémen n’accepte cette usurpation, ni le Nord ni le Sud. La colonisation de Socotra par les Emirats arabes unis est un affront pour tous les Yéménites.

Le peuple n’acceptera jamais cette trahison de Hadi.

Voyez ce qui s’est passé avec tous les envahisseurs précédents comme les Romains, les Abyssins (3) et les Ottomans. Ils ont tous perdus face à la résistance des Yéménites.

L’un des surnoms du Yémen est « Maqbaratul Ghouza » et cela signifie « la tombe des envahisseurs ».

 

BK : Qu’attendez-vous des parlementaires européens ?

Le chef de la diplomatie saoudienne Al Jubair a été accueilli par le Parlement européen la semaine dernière. Il en a profité pour répandre des « fake news » sur mon pays. Je suis ici aujourd’hui  pour inviter les députés européens à se rendre au Yémen, à constater de visu s’il y a embargo ou non contre le peuple du Yémen. Il y a 150 ans, le président américain Abraham Lincoln disait : « Vous pouvez tromper quelques personnes tout le temps. Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps. Mais vous ne pouvez pas tromper tout le monde tout le temps ». Ce vieil adage est valable aujourd’hui. Au Parlement européen, certains députés ne sont pas dupes. Le régime saoudien pense pouvoir tout acheter. Il peut acheter des terres, des sociétés, des individus et même des élus politiques, mais pas les humains qui ont des valeurs.

 

BK : Pensez-vous pouvoir imposer votre volonté aux fabricants d’armes et aux gouvernements qui tirent profit de la guerre au Yémen ?

Oui car la loi est de notre côté. Le droit international est de notre côté.

Prenons l’exemple de Martin Luther King. Son combat n’était pas facile. Il a même fini assassiné. Mais il a utilisé les institutions US pour défendre les droits civiques. Il s’est reposé sur la Constitution US. La plupart des gens qui ont combattu sont morts mais ont malgré tout remporté leur bataille. C’est grâce à ces combattants de la liberté que nous existons.

Les traités internationaux sur les ventes d’armes établissent que toute vente d’arme vers un pays en guerre est prohibée. Nous sommes donc plus forts que les fabricants d’armes et les gouvernements belliqueux car nous sommes dans le camp de la loi.

 

SOURCE: Investig’Action

NOTES:

(1)     Joe Lauria & Margaret Coker, Former U.N. Envoy Says Yemen Political Deal was Close Before Saudi Airstrikes Began dans Wall Street Journal, 26 avril 2015

(2)     Houthi est le nom de famille du leader historique de cette communauté Hussein Badreddine al-Houthi assassiné en 2004 par les forces gouvernementales yéménites d’Ali Abdallah Saleh. Le parti des houthis s’appelle Ansar Allah. Il est majoritairement composé de chiites zaydites. Ansar Allah contrôle le Nord du pays et est allié au parti du congrès d’Ali Abdallah Saleh. Ce dernier a été tué le 4 décembre 2017 par les houthis pour avoir ouvertement déclaré sa volonté de collaborer avec l’agresseur saoudien.

(3)     L’Abyssinie est un ancien empire africain qui correspond grosso modo à l’Ethiopie actuelle.

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