Un débat macabre : combien de civils irakiens sont-ils morts depuis l'invasion?

Il est évident que la nouvelle étude extensive de l'OMS sur les morts violentes en Irak sous l'occupation américaine sous-estime de manière importante le nombre de morts.

Titre original : "How many civilian deaths in Iraq since invasion?"

Workers World, 55 W. 17 St., NY, NY 10011

Email: ww@workers.org

19/01/2008

Traduit de l’anglais par Jean-Michel Nouwynck

Le vrai but de cette étude était d'ébranler la confiance que l'on pouvait avoir dans une étude précédente qui rapportait un nombre bien plus important de morts du côté irakien durant la même période. Un regard sérieux sur la technique utilisée nous apprend beaucoup sur le contexte éminemment politique de la réalisation de celle-ci.

Les chercheurs de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) ont conclu dans leur rapport du 9 janvier que le chiffre le plus proche de la réalité du nombre de morts violentes civiles en Irak entre mars 2003 et juin 2006 est de 151.000. Leur rapport est basé sur un questionnaire fouillé des ménages irakiens en 2006 effectué par le ministère de la santé du régime irakien fantoche. Le rapport a été publié dans le NEJM (NDT:le bulletin médical de la Nouvelle-Angleterre, région qui couvre le Maine, le Connecticut, le Massachusetts, le New Hampshire, Rhode Island et le Vermont et dont le centre économique et culturel est la ville de Boston: http://content.nejm.org/cgi/content/short/NEJMsa0707782)

Le rapport de l'OMS révèle son caractère politique lorsque l'on étudie attentivement et en le comparant avec deux autres estimations des violences. La première, le décompte des corps de civils irakiens (IBC), compilé par une association britannique qui utilise principalement les rapports des médias, avance le nombre de 48.000 morts (NDT: http://www.iraqbodycount.org/). La deuxième, une étude de Johns Hopkins, publié dans "The lancet" (Le bistouri), une revue médicale britannique, estime les morts violentes au cours de cette période à 600.000 (NDT: http://www.thelancet.com/webfiles/images/journals/lancet/s0140673606694919.pdf.)

Par simplicité, nous avons arrondi les chiffres, qui sont, de toute façon, des estimations approximatives.

Aussi bien politiquement que mathématiquement, le rapport de l'OMS est un compromis entre les deux autres rapports. Le chiffre est trois fois plus élevé que celui de l'IBC et quatre fois moins élevé que celui du rapport de John Hopkins.

Bush minimise le nombre de morts.

L'impérialisme US en général et l'administration Bush en particulier aimeraient minimiser la perception négative que nous pourrions avoir des dommages humains civils causés par l'occupation britannique et américaine. Bush essaie d'argumenter que l'invasion aurait quelque part aidé le peuple irakien.

Quand l'IBC a commencé à publier les chiffres du nombre d'Irakiens morts, Bush et le Premier ministre Tony Blair ont attaqué l'IBC pour exagération. Ensuite, après que les estimations de Hopkins ont été publiées, les chiffres des estimations publiques de l'administration Bush ont commencé à se rapprocher des chiffres les plus bas de l'IBC. Bush a aussi tenté de blâmer les morts civils en les accusant d'appartenir à la résistance, stigmatisée sous le terme générique de Al Quaida.

Actuellement, beaucoup de spécialistes pensent que le nombre de morts violentes, tirés des comptes faits par les médias, ne sont liées qu'aux dégâts causés par les bombardements, et seulement au-dessus des grandes villes.

Les sympathisants de la résistance irakienne et beaucoup de pacifistes à travers le monde ont estimé les chiffres de Hopkins raisonnables. Ces chiffres, basés sur une technique standardisée bien connue, sont bien plus fiables que ceux de l'IBC.

Or, les estimations de Hopkins ont un impact politique fondamental. En effet, ajoutez les morts depuis juin 2006 jusqu'à aujourd'hui aux 600.000 du rapport et nous dépassons allègrement le million. Ce montant fait passer le statut de l'occupation de l'Irak de simple situation illégale à un acte de génocide caractérisé! Et c'est pour cette raison que Washington demande de discréditer l'étude de Hopkins.

Ajoutez à ce million de morts, le million et demi de morts de la période 1990-2003 causées par les sanctions et vous constaterez que la politique de Washington a causé la mort de 2 à 3 millions d'Irakiens: enfants, civils et combattants.

De plus, l'occupation américaine n'a pas encore réussi, après 58 mois, à restaurer ne serait-ce qu'un semblant de stabilité dans le pays! Les gens n'ont toujours pas de service de santé adéquat, ils n'ont qu'un accès limité à l'eau potable, des systèmes d'évacuation de déchet et d'égouttage réduits à la portion congrue et très peu d'électricité… quand il y en a. Les morts (non-violentes?) qui en découlent ne sont pas incluses dans les totaux du rapport de l'OMS.

La plupart des médias ont pris pour argent comptant le rapport de l'OMS, généralement dans le but d'attaquer le rapport Hopkins. S'il n'y avait pas eu le rapport Hopkins, ces mêmes médias auraient, sans aucun doute, attaqués le rapport de l'IBC avec ses 151.000 morts… alors que Bush n'en déclarait toujours que 50.000!

Les problèmes posés par l'étude de l'OMS sont les suivants:

L'étude de l'OMS questionne des gens dans 1080 quartiers et 10.800 ménages. Bien que cela représente cinq fois la taille de l'échantillon de Hopkins, les deux échantillons, bien qu'aléatoires, sont suffisamment larges pour donner des résultats précis dans des conditions de vie normales.

Mais les conditions de vie sont loin d'être normales (les conditions instables et dangereuses sont, entre autres, par elles-mêmes, la preuve de l'échec de l'occupation.) Et il est, du coup, impossible de faire une estimation universelle et acceptable du nombre de morts. Le régime irakien ne peut même pas donner un recensement correct de la population en vie.

Je reprends ci-dessous les trois facteurs qui prouvent la non validité de l'étude de l'OMS et la sous-estimation du nombre de morts.

Quelque 115 des 1080 quartiers (10.6 %) vivaient dans des territoires tellement dangereux que les investigateurs du ministère de la santé n'auraient jamais osé y mettre les pieds. Je veux parler des provinces de Anbar et de Nineveh et d'une bonne partie de Bagdad. L'étude de l'OMS a donc été obligée d'utiliser les chiffres de l'IBC dans ces territoires pour estimer le nombre de morts. La couverture médiatique étant devenue, de son côté, de plus en plus inégale dans ces endroits, l'approche de l'IBC a conduit inévitablement à une sous-évaluation (NDT: puisque basée sur les rapports des médias). Certains enquêteurs étaient de mèche avec le gouvernement fantoche et beaucoup de gens ont pu être effrayés de répondre honnêtement, au risque de passer pour des proches des victimes, et de là, être catalogués dans les opposants. Roberts, l'un des principaux auteurs des études de Johns Hopkins, dit à propos du rapport de l'OMS: "Nous confirmons nos morts avec des certificats de décès,… eux pas! Comme les enquêteurs du NEJM (OMS) appartenaient à l'un des deux camps du conflit, il est évident que les gens n'étaient pas disposés à reconnaître des morts violentes et à les communiquer aux enquêteurs…."

Un troisième facteur important est que l'IBC, l'étude de Johns Hopkins et une connaissance plus générale que nous avons tous sur l'intensité des combats, font état d’une augmentation régulière de l'intensité des combats en Irak, d'année en année. L'étude de l'OMS, au contraire, trouve que le taux de décès est régulier. À ce propos, Roberts écrit: "Ils trouvent un taux de violence régulier de 2003 à 2006, selon les données de la morgue de Bagdad et de Najaf et de celles de la fréquence des attaques données par le Pentagone. Alors que nos chiffres à nous montrent une augmentation à proprement parler dramatique en 2005 et 2006.

Ceci et d'autres facteurs indiquent que le rapport de l'OMS sous-estime les morts violentes, néglige la progression de la violence et minimise ainsi la progression nette du comportement de plus en plus criminel des USA en Irak.

Articles copyright 1995-2007 Workers World: La copie et la distribution gratuite de cet article est autorisée dans n'importe quel médium du moment qu'il soit reproduit sans remaniement et dans son intégralité.

OMS: http://www.who.int/mediacentre/news/releases/2008/pr02/2008_iraq_mortality_study_qa_fr.pdf

NEJM: http://content.nejm.org/cgi/content/short/NEJMsa0707782)

IBC: http://www.iraqbodycount.org/

The lancet: http://www.thelancet.com/webfiles/images/journals/lancet/s0140673606694919.pdf.

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