Syrie : guerre par procuration

Le conflit en Syrie n’est pas une simple affaire intérieure, c’est aussi une guerre « par procuration », une guerre où des acteurs internationaux luttent pour leurs intérêts par l’intermédiaire de groupes armés locaux ou de l’armée gouvernementale. Un des aspects les plus importants est l’extraction et le transport de gaz depuis le gisement South Pars (dénomination iranienne)/North Dome (dénomination qatarie) dans le Golfe Persique, champ gazier que le Qatar et l’Iran se partagent avec pour enjeu le marché européen.

 

 
 

 

Fin 2011, l'Iran a conclu un accord avec la Syrie et l'Irak pour la construction d'un gazoduc. Mais en raison de l'embargo économico-financier de l'Europe et des Etats-Unis suite au supposé programme d'armement nucléaire iranien, le pays ne peut actuellement explorer le gisement ni extraire le gaz, faute de moyens. Il faudrait pour cela quelque 50 milliards de dollars.


Quant au Qatar, il cherche depuis 2008 une voie terrestre alternative pour transporter le gaz naturel liquide (LNG) depuis le North Dome. Actuellement, le Qatar achemine le LNG par navires-citernes via le Golfe Persique, mais la possibilité d'un conflit militaire entre Israël, les Etats-Unis et l'Iran met sérieusement cette voie en péril.


L'Iran a déjà menacé de fermer le Détroit d'Hormuz en cas d'escalade. Le Qatar préférerait donc acheminer le gaz par gazoduc via l'Arabie Saoudite, la Jordanie et la Syrie à destination du marché européen. Cela permettrait aussi un raccordement au trajet Nabucco (gaz de la Mer Caspienne via la Turquie vers l'Europe), comme le souhaite la Turquie qui veut de plus en plus se manifester comme carrefour de gazoducs de transport, mais aussi de distribution en Turquie même.


Ce trajet en reste au stade de chimère tant que le régime actuel est au pouvoir à Damas. Le Qatar vise un changement de régime et il arme notamment les brigades armées qui sont liées aux Frères Musulmans, non sans l'appui de la Turquie et de la Jordanie.


En Europe on voudrait se libérer d'une grande dépendance au gaz russe. Dès lors, le LNG qatari est plus que bienvenu. Le soutien que des pays comme la France et la Grande-Bretagne accordent ou veulent accorder à l'opposition et à l'Armée Syrienne Libre – notamment par la levée partielle de l'embargo européen sur les armes – peut aussi être vu en fonction de leur intérêt pour les investissements qataris.


Outre ses investissements actuels notamment dans les médias, le sport et les entreprises d'utilité publique (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie…), le Qatar prévoit encore 13 milliards de dollars d'investissements en Europe. Depuis que l'émir Hamad ben Khalifa al-Thani a enlevé le pouvoir à son père en 1995, il mène une politique visant à diminuer à terme la dépendance vis-à-vis des ressources naturelles en en réinvestissant les revenus dans divers secteurs dans le monde entier.


La Russie, qui dispose d'une base maritime militaire à Tartous sur la côte syrienne, jette un œil envieux aux ambitions qataries et iraniennes concernant le gaz naturel en Europe, parce qu'elles menacent la position russe de fournisseur principal. Les Russes n'ont rien à craindre pour le moment de l'Iran – grâce au conflit avec l'Occident et Israël. Mais si le régime syrien est remplacé par un gouvernement composé de Frères Musulmans, cela donnerait toutes ses chances au projet de gazoduc qatari.


Pour les Américains il est donc acquis que la disparition du président syrien Bachar el-Assad ferait perdre un allié à la Russie et leur permettrait de continuer à étendre leur influence dans cette région stratégique.


Si un gouvernement pro-américain remplaçait l'actuel gouvernement, cela signifierait d'emblée une rupture dans « l'alliance chiite », qui affaiblirait sérieusement l'Iran et le Hezbollah libanais – ennemis des Etats-Unis et d'Israël.


Le Qatar et les Etats-Unis partagent des intérêts réciproques. Le quartier général militaire étasunien du Central Command (CENTCOM) est établi dans la capitale, Doha, ce qui leur permet de contrôler le Golfe Persique. Pour le Qatar, la présence étasunienne représente des garanties supplémentaires en cas de conflit ouvert avec l'Iran.



Source : De Wereld Morgen

Traduit en français par Anne Meert pour Investig'Action.

 

 

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