Sur l'influence d'Israël au Parlement britannique

Nous autres Britanniques, nous ne sommes pas comme les Américains, nous ne saurions tolérer que des lobbyistes israéliens chaperonnent nos hommes politiques, comme à Washington, et s’arrogent de fait les rênes du pouvoir.

Ils seraient alors en position d’influencer gravement notre politique étrangère…

24 mai 2008

L’influence d’Israël sur Washington est largement documentée. Elle repose sur de puissantes organisations juives de Washington, mais aussi de plus en plus sur les associations de chrétiens sionistes. [ndt : Aux USA, le terme de « Chrétiens », désigne assez largement l’ensemble des sectes et mouvements religieux issus principalement du protestantisme.].

Il y a environ deux semaines [ndt : début mai 2008], quelques 600 chrétiens américains sont venus à Jérusalem célébrer l’anniversaire d’Israël, au nom d’un puissant groupe pro-israélien U.S. qui prétend regrouper près de 40 millions de chrétiens sous la bannière des « Christians United for Israel » [Chrétiens Unis pour Israël], que mène le richissime Révérend John Hagee.

A la tête d’une église texane, celui-ci dirige aussi une chaîne de télévision chrétienne à forte audience. Leur organisation est calquée sur l’AIPAC [ndt : American Israel Public Affairs Committee : Comité des Affaires Publiques Israélo-Américaines, principal lobby juif aux USA], dont le congrès annuel, a réuni l’an dernier quelque 6 000 participants à Washington.

A Jérusalem, ces Chrétiens étaient venus revendiquer qu’Israël puisse faire valoir ses droits sur l’intégralité de Jérusalem. Après avoir défilé Rue Jaffa en arborant les drapeaux américains et israéliens, une centaine d’entre eux se rendirent le 3 avril dans la vaste colonie israélienne d’Ariel, pour se joindre à une grande fête qu’animaient des danseuses habillées à la texane [ndt : façon rodéo]. Cette fête avait été organisée en leur honneur par le maire de la colonie en remerciement pour leur contribution de plusieurs millions de dollars à la construction d’un « vaste complexe de sports et de loisirs », dont toute une aile portait en grandes lettres le nom du donateur, le Révérend Hagee.

Celui-ci se déclara « ravi d’être à Ariel ce soir, ce fief de l’Amérique profonde en Judée-Samarie ! » Plus tard, le 9 avril, au cours d’une réception à Jérusalem où il retrouvait son vieil ami Benjamin Netanyahu, le chef du Likoud, tous deux annoncèrent pour 6 millions de dollars de donations supplémentaires à diverses causes israéliennes.

Le pasteur déclara alors que « céder tout ou partie de Jérusalem aux Palestiniens reviendrait à livrer la ville aux Talibans. »

Leur conférence de 2007 avait attiré à Washington plus de 4 250 participants. Le clou de la conférence était une « apparition-surprise » du sénateur John McCain, candidat Républicain aux élections présidentielles, fort du soutien de Hagee. Son discours s’ouvrait sur cette phrase : « C’est dur de faire le travail de Dieu dans la cité de Satan ! » La suite fut gratifiée de sept standing ovations. [ndt : lorsque l’assistance se lève pour applaudir encore plus fort].

Sous la pression du lobby sioniste, Barak Obama a dû, lui aussi, montrer patte blanche : « Personne n’a plus souffert que les Palestiniens du refus de leurs dirigeants de reconnaître Israël… » Et Hillary Clinton d’aller encore plus loin, elle en appelle à une « Jérusalem indivisée devenue capitale d’Israël » [ndt : C’est textuellement la prétendue « bourde » du discours d’Obama le 4 juin 2008, au congrès de l’AIPAC]. Définitivement, c’est assez pour faire d’elle la favorite des sionistes. Depuis 2004, Obama a reçu de l’AIPAC quelques 93 700 $, tandis qu’Hillary en empochait 349 073 [ndt : soit près de quatre fois plus].

On peut néanmoins se réjouir qu’à la veille de la visite de Hagee à Ariel, le rabbin Eric Yoffie, président de l’Union for Reform Judaism [ndt : l’Union pour un Judaïsme Réformé] – la plus grande organisation juive des Etats-Unis avec plus d’un million et demi de membres – ait dénoncé Hagee et ses ouailles pour leur extrémisme religieux.

On n’a jamais vu une chose pareille chez nous en Angleterre, n’est-ce pas ?

Au contraire… Sous bien des rapports, les succès du lobby sioniste sont encore plus remarquables dans notre pays – non seulement historiquement, ne fut-ce que par la Déclaration Balfour, mais bien plus encore très récemment. On compte aux Etats-Unis treize juifs au Sénat et trente à la Chambre des Représentants, alors qu’au Royaume-Uni, où la communauté juive est vingt fois plus petite, ils sont nettement mieux représentés au Parlement. Ils sont 18 à la Chambre des Communes et 41 à la Chambre des Lords. La communauté juive n’est nulle part mieux représentée en Occident, et cet exploit est en grande partie celui de Tony Blair.

Avant l’invention du New Labour [ndt : le « Nouveau Parti Travailliste »], les travaillistes étaient clairement plus favorables aux Palestiniens. Pour Jon Mendelsohn, du Labour Friends of Israël [ndt : l’association des Travaillistes Amis d’Israël], voici ce qui a changé : « Blair s’est attaqué directement à l’anti-israélisme qui imprégnait le Parti Travailliste. La politique de l’ancien Parti Travailliste, c’était les cow-boys et les Indiens, pour ce qui est des soutiens, on faisait feu de tous bois. Mais le milieu a changé. Le sionisme est omniprésent dans le New Labour. La présence de Blair aux meetings des Travaillistes Amis d’Israël est automatique. » .

Une des premières initiatives de Blair, à peine élu député, fut de devenir membre des Travaillistes Amis d’Israël. Mais le changement majeur ne se produisit qu’une fois qu’il eut pris le contrôle du Parti Travailliste. Pour imposer ses projets politiques, il devait briser la position de force des syndicats dans le financement du parti. Il lui fallait donc un allié disposant de moyens financiers considérables.

En 1994, un ami et collègue de barreau, Eldred Tabachnik – Juge d’instruction auprès de la Cour d’Angleterre, ancien président du Board of Deputies of British Jews [ndt : le Conseil des Représentants des Juifs Britanniques (l’équivalent britannique du Consistoire Israélite Français)], lui présenta Michael Levy – magnat de la pop musique, collecteur de fonds pour diverses causes juives et israéliennes, membre du Jewish Agency World Board of Governors [ndt : le Conseil Mondial des Gouverneurs de l’Agence Juive] et membre fondateur de l’Holocaust Educational Trust [ndt : organisation qui s’active en haut lieu, au plan international, pour défendre la place de la Shoah dans l’éducation]. C’était à un dîner de gala que donnait le diplomate israélien Gideon Meir.

Blair ne tarda pas à avoir ses entrées au palais et sur les cours de tennis de M. Levy. Pour Andrew Porter de The Business, Levy expliqua qu’il pouvait « collecter pour le parti des sommes considérables » à condition qu’il soit « tacitement entendu que plus jamais, aussi longtemps que Blair le dirigerait, le Parti Travailliste ne serait anti-israélien. »

Ce qui fut dit fut fait. Lévy dirigea les caisses du Bureau du Président du Labour [ndt : le Parti Travailliste], et finança la campagne de Blair aux législatives de 1997. Levy devint véritablement la cheville ouvrière du New Labour. Il en fut d’ailleurs instantanément gratifié du titre de Lord, ainsi que plusieurs des principaux donateurs, qui furent anoblis eux aussi. Levy, qui se considère comme un « sioniste international de premier ordre », a par la suite largement rendu hommage à Tony Blair pour son « soutien sans faille et sincère à l’Etat d’Israël. »

Pour réduire l’influence des syndicats, Blair avait cependant besoin d’une source de fonds constante. De toute évidence, il lui fallait aussi en dissimuler l’origine, de peur qu’elle ne soit mise en cause. L’une des personnalités les plus en vue chez les Travaillistes Amis d’Israël est David Abrahams, un riche promoteur immobilier. Le Président de la Fédération Sioniste, Eric Moonman, le compte parmi ses hommes de confiance : « Je connais bien David, et j’ai voyagé avec lui à de nombreuses occasions. » Abrahams fut donc chargé d’alimenter secrètement une partie des caisses du New Labour. Il y fit verser par quatre de ses prête-noms plus de 650 000 livres – une pratique reconnue depuis comme illégale par le Premier ministre Gordon Brown, mais qui n’a jusqu’ici donné lieu à aucune poursuite.

En général, Abrahams se contente d’expliquer qu’en tant que « personne privée » il préférait simplement garder l’anonymat. Dans la British Jewish Chronicle, il se montre cependant plus loquace. Il y explique que s’il versa secrètement des fonds au Labour, c’est qu’il préférait qu’on ne puisse établir de lien entre « l’argent juif » et le Parti Travailliste, pensant qu’on pourrait soupçonner que cela cachait une conspiration juive.

Dans un premier temps, les responsables du Parti Travailliste nièrent avoir eu connaissance de ces méthodes secrètes, mais il a depuis été démontré que Abrahams collaborait dès cette époque très étroitement avec Jon Mendelsohn, directeur de campagne du Premier ministre Gordon Brown et accessoirement ex-président du lobby « Les Travaillistes Amis d’Israël. » D’autres juifs membres des Travaillistes Amis d’Israël contribuaient aussi au financement du parti. Lord Sainsbury apporta un million de livres sterling. Début 2001, Levy en avait déjà récolté 15 millions. Ainsi, le lobby israélien permit-il au Parti Travailliste de briser la puissance des syndicats, en échange d’un remaniement complet de la scène politique britannique, au bénéfice d’Israël.

Aussi étonnant qua cela puisse paraître, une fois l’affaire révélée à la presse, celle-ci traita cette histoire de dons secrets avec des pincettes. Fort rares furent les journalistes qui demandèrent ce que le lobby israélien pouvait bien espérer en retours de donations aussi colossales. Aucun, que je sache, ne demanda si la décision de garder ces donations secrètes venait de Tony Blair lui-même, et auquel cas pour quelle raison… Bien peu enfin cherchèrent à en déduire les implications en matière de politique étrangère.

Plus personne n’ignore aujourd’hui que l’Irak n’a jamais été une menace pour le Royaume-Uni – mais que c’en était une potentielle pour Israël. S’adressant à des juifs, Blair disait simplement : « Un Irak stable sera pour Israël un heureux événement. » Il évita aussi scrupuleusement toute initiative susceptible de mettre fin au conflit lors des bombardements d’Israël sur le Liban [ndt : en juillet-août 2006].

Levy devint pour sa part notre « représentant spécial » au Proche-Orient, bien que clairement partie prenante dans le conflit. Supposé négocier de façon impartiale avec Palestiniens et Israéliens, il se mit à collecter des fonds pour l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, et à faire du lobbying pour Israël au Royaume-Uni. Il a en Israël un bureau, une maison, et se définit d’ailleurs lui-même comme « sioniste international. »

Dans la Jewish Chronicle, une publicité du Parti Travailliste, vantait le chiffre record de 57 députés travaillistes qui, depuis 1997, s’étaient rendus en Israël – pour la plupart par l’entremise des Travaillistes Amis d’Israël et aux frais de l’association. « Voila qui augmente considérablement le nombre des parlementaires déterminés à équilibrer les positions de la Chambre des communes sur le Proche-Orient. Les députés travaillistes se sont plus fréquemment rendus en Israël que ceux d’aucun autre parti ! » Cette publicité vantait également le fait que le Terrorism Act de 2000 – pour la promulgation duquel le lobby des Travaillistes Amis d’Israël avait pesé de tout son poids – « interdit [sur le territoire britannique] les organisations terroristes telles que le Hamas, le Hezbollah ou le Jihad Islamique Palestinien », adversaires notoires d’Israël, plutôt que du Royaume-Uni.

Gordon Brown est encore bien plus personnellement investi que Blair dans le sionisme. Il en est littéralement imprégné depuis l’enfance. Récemment, lors d’un rassemblement, il déclarait : « Cela a été pour moi une fierté d’être membre des Travaillistes Amis d’Israël pendant plus de trois décennies. Mon père passait chaque année de nombreuses semaines en Israël, il était président du Comité Israélien de l’Eglise d’Ecosse. Il s’y est rendu deux fois par an pendant plus de vingt ans pour y rencontrer des gens. »

Dans un discours, Gordon Brown expliquait : « Ce sont des diapositives passées sur un vieux projecteur, qui ont fait mon éducation, toutes ces photographies sur l’histoire d’Israël qu’il avait ramenées, ces livres sur Israël… Et j’ai été mis au fait très jeune (et de première main par mon père), des luttes, des sacrifices et des accomplissements du nouvel Etat d’Israël et du peuple israélien. Je voudrais donc simplement vous dire, à vous qui êtes aussi des amis d’Israël, combien j’ai été éduqué dans cette conviction profonde que l’avenir d’Israël est important, non pas seulement pour Israël, mais qu’il l’est pour le monde entier, et je continuerai de faire mon possible pour défendre à la fois Israël et… »

Il déclarait aussi : « Mon éducation m’a laissé fortement impressionné par les souffrances et le courage des juifs, sensible aux exploits remarquables qui ont permis la création de l’Etat d’Israël, et surtout admiratif de cette détermination à combattre toutes les formes de discriminations, d’où qu’elles puissent provenir (sic). »

L’une des premières initiatives de Gordon Brown en tant que Premier ministre, fut donc d’accepter le poste de directeur du Fonds National Juif. Fondé en 1901, ce Fonds est celui auquel le gouvernement israélien a vendu les terres spoliées aux réfugiés Palestiniens, avant de déclarer ces terres exclusivement disponibles aux implantations juives [ndt : le très controversé programme de « rédemption » des terres bibliques du gouvernement israélien]. Il y a planté des forêts à la place des oliviers, arrachés aux terres où vivaient jadis des Palestiniens. Ce Fonds possède à l’heure actuelle près de 14 % de la surface d’Israël.

Brown annonça alors que dans chaque lycée britannique, deux enfants se verraient offrir un voyage au site du camp de la mort d’Auschwitz. Le Holocaust Educational Trust n’a d’ailleurs pas manqué de lui en rendre grâce. Il a aussi soutenu des projets d’investissements en Cisjordanie, défendus par le Portland Trust de Lord Ronald Cohen.

Mais les « parachutages » de Brown sont bien plus préoccupants encore. Il a sécurisé la poursuite du financement juif du New Labour en nommant Mendelsohn, membre des Travaillistes Amis d’Israël, comme responsable de la collecte des fonds pour sa prochaine campagne électorale. Il a également nommé Simon McDonald, ancien ambassadeur de Grande-Bretagne en Israël, au poste de premier conseiller en politique étrangère. Israël a exprimé sa satisfaction devant ce choix, estimant que McDonald était « un véritable ami d’Israël »…

A James Purnell – Président des Travaillistes Amis d’Israël de 2002 à 2004 – Gordon Brown a confié la fonction de secrétaire d’Etat à la culture, aux médias et au sport, lui donnant la haute main sur la BBC [British Broadcasting Corporation] et sur l’intégralité des médias britanniques. Dans une lettre publiée en décembre 2004 dans Prospect, Purnell écrivait : « Certaines personnes s’efforcent de faire passer Israël pour « le méchant » planétaire, le nouveau régime paria, en lieu et place de ce qu’était l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid… Lorsque certains présentent Israël comme le pays qui a tous les tors, je demande pourquoi. La seule réponse que je puisse trouver, c’est qu’il y a quelque chose de profondément ancré dans la mémoire de notre culture, qui nous rend plus enclins à accuser les juifs. » (En 2008, Brown a chargé Purnell des pensions et retraites ).

Gordon Brown a aussi nommé Jim Murphy – qui fut Président des Travaillistes Amis d’Israël de 2000 à 2002 – ministre d’Etat chargé de l’Europe, et responsable de BBC World Service [ndt : La section des programmes internationaux de la BBC] et du British Council [ndt : Institut qui représente la culture britannique et en assure le rayonnement sur le plan international, à l’instar de ce qu’est l’Alliance Française pour la France]. Plus inquiétant encore : son nouveau ministre chargé du Proche-Orient est Kim Howells, qui fut lui aussi Président des Travaillistes Amis d’Israël. Celui qui dirige les Travaillistes Amis d’Israël, c’est David Mencer. Il a servi comme engagé volontaire dans les Forces Israéliennes de Défense…

Les Travaillistes Amis d’Israël comptent de plus en plus de membres à la Chambre des Communes. D’aucuns y voient même un tremplin pour ceux qui veulent réussir en politique. Personne ne manque les réceptions que donne le lobby, qui se flatte de faire salle comble avec des hôtes tels Gordon Brown, l’ambassadeur d’Israël et le vice-ministre israélien de la défense. Lors des congrès du Parti Travailliste, le Premier ministre assiste aux meetings des Travaillistes Amis d’Israël à l’instar de bon nombre des membres de cabinets ministériels. Il n’est pas si fréquent que des séances tenues en marge d’un Congrès réunissent autant de beau monde.

Le Smith Institute, qui détermine les grands axes de la politique du Parti Travailliste, est désormais presque totalement sous l’influence du lobby israélien. Son président est Lord Haskel, qui est également membre du Conseil Exécutif Parlementaire des Travaillistes Amis d’Israël. Au conseil d’administration du Smith Institute on trouve notamment la Baronne Meta Ramsay, longtemps officier du MI-6 [ndt : Services de Renseignements Britanniques, assez récemment accusés par l’enquête Hutton, d’avoir falsifié les rapports sur les Armes de Destruction Massive en Irak pour favoriser le déclenchement du conflit]. C’est elle qui représente la Chambre des Lords à la présidence des Travaillistes Amis d’Israël. Evidemment Tony Blair, pour sa part, est désormais l’envoyé spécial du Quartet au Moyen-Orient… [ndt : « Quartet » : Groupe de 4 Etats et Organisations Internationales chargés de la médiation dans le conflit israélo palestinien (USA, UE, Russie, ONU)].

Tout ce beau monde contrôle activement les médias afin d’en évacuer toute analyse trop critique à l’encontre d’Israël. Ainsi, lorsque l’ambassadeur de France se permet d’appeler Israël « ce petit pays de merde », au cours d’un dîner offert par Conrad Black, les Travaillistes Amis d’Israël exigèrent immédiatement par courrier que l’ambassadeur soit démis de ses fonctions. De même ont-ils monté un dossier contre Ken Livingstone [ndt : qui a récemment perdu la mairie de Londres].

Yasmin Alibhai-Brown est semble-t-il la seule journaliste de la presse à grand tirage [ndt : elle travaille pour The Independent] à avoir osé s’en prendre ouvertement aux Travaillistes Amis d’Israël. Dans un article du 3 décembre 2007 intitulé « De tels lobbyistes et leur poids en coulisses laissent franchement mal à l’aise », elle écrivait :

« Désolée de poser la question – je ferais sans doute mieux de me taire. Pour éviter les ennuis, mieux vaut, dit-on, éviter certains sujets. Inquiète ? A peine… Mais pas question de laisser ces questions de côté ou de regarder ailleurs. Elles me tournent dans la tête depuis qu’a éclaté la querelle des donateurs du Parti Travailliste, la semaine dernière. Je pose la question en toute bonne foi. Je n’ai nulle envie de m’attirer les foudres de Moïse et je me doute que je serai taxée d’antisémitisme pour avoir osé la poser mais : Quelqu’un pourrait-il expliquer ce qu’est exactement le rôle des Travaillistes Amis d’Israël (TAI) dans notre vie politique – et par la même occasion celui de son alter ego, les Conservateurs Amis d’Israël (CAI) ? »

« Dans une démocratie ouverte, n’est-il pas légitime de chercher à le savoir ? C’est même réellement un devoir ! David Abrahams, le mystérieux intrigant au centre de cette explosive affaire de financements occultes n’était-il pas un gros bonnet du TAI ? A l’instar de Jon Mendelsohn, l’ingénieux collecteur de fonds choisi par Gordon Brown comme gestionnaire des « caisses du Parti » pour le financement de la prochaine victoire Travailliste. Lord Levy n’est-il pas lui aussi un membre clé du TAI ? »

« Dans les affaires de pairie [ndt : une série d’anoblissements douteux ou d’attributions contestées du titre de Lord et des privilèges afférents, par le gouvernement Blair], nous avons tous été témoins de la tortueuse enquête policière sur l’affaire des « achats de titres de noblesse », mais pas une seule fois on n’a examiné les liens de Levy avec le TAI, et la manière dont ceux-ci pouvaient être à l’origine de l’offre d’une position aussi prestigieuse que celle d’envoyé spécial au Proche-Orient, faite à Lord Levy par son partenaire de tennis, Tony Blair. »

« Sioniste acharné et lobbyiste éhonté, Mendelsohn est décrit par la Jewish Chronicle comme « l’un des courtiers en pouvoir les plus influents qui soient. » On peut donc en déduire que le TAI pèse assez lourdement sur tout ce qui détermine notre politique étrangère au Proche-Orient – la plus explosive poudrière qui soit au monde à l’heure actuelle. »

« Et c’est aussi choquant qu’injuste. Par définition, le TAI penche nécessairement côté Israélien. Sa raison d’être est précisément de défendre les positions et objectifs d’Israël. Il ne peut absolument pas se montrer impartial ou bienveillant envers « l’ennemi. » J’irais même jusqu’à avancer que l’attitude abjecte de Tony Blair au moment de l’agression israélienne du Liban [ndt : l’Operation Hot Summer de juillet 2006] provenait notamment des relations particulières qu’il entretenait avec le TAI. Il est ahurissant que nous ayons pu en laisser le réseau envahir à ce point les arcanes du pouvoir et y insuffler l’air qu’on y respire. Pareille corruption est aussi invisible qu’inodore. Elle n’en est pas moins mortelle et on doit la stopper dès maintenant, à sa source. »

Un récent exploit des Travaillistes Amis d’Israël

Ils ont mené un lobbying aussi acharné qu’efficace tant au Royaume Uni qu’auprès de l’Union européenne pour que soit bloquée l’aide financière à la bande de Gaza, tant que le gouvernement du Hamas – bien que démocratiquement élu – resterait au pouvoir. Ils partagent donc avec Israël la responsabilité des conditions de vie et de dénuement épouvantables qui règnent désormais dans la bande de Gaza, et notamment de ces enfants qui meurent parce qu’on leur refuse l’accès aux hôpitaux israéliens et que les sanctions privent délibérément les hôpitaux de Gaza de toute fourniture médicale [ndt : en totale violation des Conventions de Genève].

Les Travaillistes Amis d’Israël dictent la ligne du Parti :

« Le manifeste électoral du Hamas n’est pas aussi dur que sa charte, en ce qu’il se garde d’appeler explicitement à la destruction de l’Etat d’Israël. Il n’en prône pas moins la poursuite de la lutte armée, et il ne propose rien de plus qu’une longue « hudna » (trêve) en échange d’un retrait israélien jusqu’aux frontières de 1967 et de la création d’un Etat palestinien avec Jérusalem pour capitale. Israël est toléré comme une regrettable réalité, mais son droit à l’existence en tant qu’Etat juif n’est pas reconnu. Ce refus de reconnaître la légitimité d’Israël ou tout accord signé par l’OLP avec cet Etat, et l’insistance du Hamas sur la poursuite de la lutte armée, font qu’on peut difficilement imaginer un futur gouvernement Hamas partenaire de négociations de paix, non seulement avec Israël mais aux yeux de la communauté internationale. De fait, les USA, le Quartet et l’UE, tandis qu’ils saluaient le processus démocratique en Palestine, ont unanimement prévenu que sans abandon définitif du terrorisme et sans reconnaissance d’Israël, il ne pourrait y avoir de négociations avec un gouvernement formé par le Hamas. Amener le Hamas à changer de position dépend très largement de l’unité d’un tel front au sein de la communauté internationale. » [ndt : Les USA et l’UE font partie du Quartet. La Russie aussi mais à l’instar de l’ONU, le quatrième membre, elle n’adhère pas à cette idée. Le « front uni dont il s’agit ici est donc les USA et l’UE contre le respect du droit international et de la Charte des Nations Unies, dont plusieurs résolutions exigent déjà d’Israël le retrait sur les frontières de 1967, le droit au retour des réfugiés palestiniens sur leurs terres et la désignation de Jérusalem comme capitale de la Palestine].

« Les recommandations du MAI […] Pour une économie qui dépend si lourdement de l’aide étrangère – à hauteur d’un milliard de dollars par an, venant des pays donateurs et 55 millions de dollars supplémentaires par mois, en taxes collectées par Israël – la suppression de cette aide exercerait une intense pression sur un gouvernement Hamas qui a refusé de modifier sa politique. »

« Pour autant, la communauté internationale et Israël ne peuvent, en pratique, interrompre totalement le transfert d’argent, par crainte de faire basculer l’économie palestinienne, de la crise humanitaire dont elle souffre actuellement, dans une catastrophe humanitaire majeure. »

Même chose chez les conservateurs.

Le directeur politique des Conservateurs Amis d’Isral¨(CAI) affirme qu’avec plus de 2 000 membres et sympathisants enregistrés, outre 80 % des députés conservateurs, ils représentent désormais le plus important groupe de pression au sein du parti. Ils envoient six délégations par an en Israël – aux frais de l’association. Ils pratiquent surtout un lobbying intensif – notamment en soumettant à Brown des directives écrites. Ils sont bien sûr en contact permanent avec l’ambassade israélienne de Londres.

Leur site Internet est très violemment anti-Hezbollah, et ils placent systématiquement tous les nouveaux candidats députés sous étroite surveillance. « Au sein du Parti Conservateur, nous soutenons activement certains candidats, spécialement dans les petites circonscriptions. Notre programme de recherche de candidats parlementaires offre des réunions de planning hebdomadaires, des interventions de conférenciers et l’opportunité de se joindre aux délégations en partance pour Israël. Lorsque le jeu en vaut la chandelle, nos adhérents apportent un soutien financier ou contribuent aux campagnes. »

Robert Halfon est le Directeur Politique des Conservateurs Amis d’Israël et a été boosté pour se re-présenter à Harlow, aux prochaines élections.

David Cameron, qui dirige le Parti Conservateur, a déclaré : « Je suis fier non seulement d’être Conservateur, mais d’être un Conservateur Ami d’Israël. Et je suis fier du rôle crucial que joue le CAI au sein de notre parti. » Sa dernière tournée en Israël a commencé par un vol de deux heures en hélicoptère Black Hawk [ndt : hélicoptère de combat US] en compagnie du ministre israélien de la défense, pour survoler les frontières du pays [ndt : Israël est le seul pays au monde à n’avoir toujours pas de frontières fixes après plus de 50 ans d’existence].

Pour Liam Fox (député), éminence grise du ministère de la défense, les ennemis d’Israël sont nos ennemis et dans cette bataille, nous ne formons tous qu’un seul bloc ou nous tomberions tous divisés. » Il néglige de souligner au passage que depuis 2000 il y a eu quatre fois plus de Palestiniens tués que d’Israéliens, et dix fois plus d’enfants palestiniens que d’enfants israéliens (Chiffres de l’organisation israélienne B-Tselem).

Les Libéraux Démocrates

Eux aussi, ont un groupe parlementaire des Amis d’Israël, et leur site Internet est très radicalement pro-israélien – en fait infiniment plus que celui du TAI. C’est le premier groupe de ce genre à avoir été créé. Il déclare d’emblée que son objectif premier est « d’influencer la politique proche-orientale du Parti afin qu’elle accorde une priorité absolue au droit d’Israël à la paix et à la sécurité. »

Pire, il va même jusqu’à présenter l’occupation de la Cisjordanie par Israël comme « un mythe », de même que l’idée que les juifs aient pu créer le problème des réfugiés en expulsant les Palestiniens, « un mythe » elle aussi.

Les Chrétiens Amis d’Israël (Royaume-Uni)

C’est une organisation internationale implantée dans une vingtaine de pays. Au Royaume-Uni, elle a des liens particulièrement étroits avec les Conservateurs Amis d’Israël, qu’elle aide à tenir leurs stands aux réunions du Parti, mais qu’elle aide surtout à veiller à ce que les futurs parlementaires Conservateurs soient sélectionnés notamment pour leur engagement pro-israélien. Les Chrétiens Amis d’Israël organisent fréquemment des voyages en Israël. Assez récemment, un de leurs voyages organisés, en bus, s’est arrangé pour éviter totalement la Cisjordanie – à l’exception, bien sûr, de Jérusalem et de Bethléem.

Ils se plaisent à dire : « Nous sommes un ministère dont l’objectif est double. Nous entendons 1) servir Israël en apportant un soutien physique et moral ; 2) servir l’Eglise à travers l’enseignement et les témoignages de l’amour et des projets de Dieu pour Israël et les racines hébraïques de notre foi. » De fait, ils enseignent l’hébreu, prient en hébreu et utilisent dans leurs rituels de nombreux éléments directement empruntés au judaïsme.

Sur leur site Internet, ils enseignent notamment que :

« L’Empire britannique s’est effondré parce qu’il n’était plus l’ami du peuple juif mais était devenu son ennemi, utilisant sa Marine et son Aviation pour tenter d’empêcher les survivants de l’Holocauste d’atteindre la Terre Promise. »

Deux commentaires sur des associations du même ordre, aux Etats-Unis

Nancy Roman, directeur du Programme Washington du Conseil des Relations Etrangères : « Ce qu’on observe actuellement, c’est notamment que la communauté évangélique U.S. s’investit beaucoup plus dans le processus politique. […] Tandis que l’église conseillait autrefois aux gens de ne pas trop se mêler de politique, de nombreuses églises, recommandent désormais le contraire […] C’est important, et cela ne manquera pas d’avoir, à terme, une énorme influence sur la politique étrangère. »

Pour Michelle Goldberg, auteur de Kingdom Coming: The Rise of Christian Nationalism [ndt : Le Royaume arrive : L’émergence du Nationalisme Chrétien], « Le Sionisme Chrétien est responsable du soutien américain à certaines des positions israéliennes les plus irrédentistes », notamment l’expansion délibérée des colonies israéliennes dans les territoires occupés, qui dénote la forte influence des chrétiens évangélistes dans l’orientation de la politique étrangère U.S. au Proche-Orient. Selon elle, l’influence de ce mouvement est plus forte encore que celle du lobby juif AIPAC. « L’influence de Hagee pousse le public américain à soutenir la position totalement partiale et agressivement pro-israélienne du gouvernement. Ces groupes sont infiniment plus influents que l’AIPAC ou le soi-disant lobby israélien. »

Quant à l’Union européenne…

Benita Ferrero Waldner, commissaire européenne aux relations extérieures, s’est déclarée plus encline à s’efforcer de resserrer les liens avec Israël qu’avec littéralement aucun autre pays du pourtour méditerranéen. Outre son insistance à souligner qu’Israël est « plus proche que jamais de l’Union européenne », elle a annoncé qu’un « groupe de réflexion » s’efforçait actuellement de déterminer comment les relations de part et d’autre pourraient être élevées à un « statut véritablement spécial. » Alors que des organismes officiels ont été mis sur pied pour régler la question des droits de l’homme au Maroc et en Jordanie, seul un « groupe de travail » informel est chargé de cette question concernant Israël. Israël est généralement traité comme un pays de l’Union européenne, bien qu’il n’en fasse pas partie – comme c’est le cas pour le Football ou le concours de l’Eurovision – mais les fondements théocratiques de sa constitution handicapent lourdement son adhésion.

Les Palestiniens ont déjà payé un tribut particulièrement lourd du fait de l’ascension du New Labour et assurément, il serait grand temps d’inverser la tendance.

[ndt : Heureusement, en France il est impossible de publier ce genre d’article sous peine de poursuites.]

Journaliste d’investigation en Angleterre pour The Independent et The Financial Times, Janine Roberts est également largement publiée dans la presse australienne.

Diffusé en Angleterre par la BBC et aux USA sur Frontline WGBH, son documentaire « The Diamond Empire » [L’Empire du diamant], dénonce les implications économiques mondiales du commerce international du diamant. L’enquête fut notamment conduite en Israël.

Version originale (avec l’intégralité des appels de notes) :

http://www.palestinechronicle.com/view_article_details.php?id=13821

Traduit de l’anglais par Dominique Arias

(Les notes entre [ndt : …] sont du traducteur et n’engagent que lui)

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