Sommet de la Caspienne : un triomphe pour l'Iran

Peu de sommets régionaux ont attiré une telle attention à la fois de la part des médias et des gouvernements de par le monde, que le sommet des dirigeants des Etats du littoral de la mer Caspienne de cette semaine à Téhéran .

Les deux jours de sommet, coïncidant avec la crise nucléaire et la montée des tensions US-Iran concernant l'Irak et le Moyen Orient, seront vus comme une pierre d'angle dans la coopération régionale, avec de sérieuses ramifications concernant un large éventail de questions au-delà de la région de la mer Caspienne.

Qualifié comme « un grand bond vers le progrès » par Mehdi Safari, le vice ministre iranien des affaires étrangères, le sommet a été un grand succès pour l'Iran de même que pour la Russie et les autres participants (Azerbaïdjan, Kazakhstan et Turkménistan), et Téhéran a des chances de capitaliser là-dessus, un pas franchi pour devenir membre à part entière du Shanghai Coopération Organisation ( SCO) – Organisation de Coopération de Shanghai, considérée comme un contre poids sécuritaire à l »'hégémonie » de l'OTAN et des US.

Effectivement, c'est tout autant les intérêts partagés comme les inquiétudes communes, eg, les politiques interventionnistes sans limite des US, qui ont maintenant rapproché l'Iran et la Russie, sur le point de nouer une nouvelle relation stratégique. Après tout, tout deux, l'Iran et la Russie, font l'objet de coercition de la part de l'Amérique, leurs intérêts sécuritaires nationaux et leurs objectifs mis en danger par le militarisme post 11 septembre des US et son ossification féodale de l'ordre international.

Le résultat du sommet de la Caspienne est, en fait, un message de premier plan sur le besoin de démocratiser l'ordre international en érigeant des barrières efficaces face au « Léviathan » américain, comme on l'a vue avec des accords spécifiques passés lors du sommet, incluant l'interdiction pour d'autres pays d'utiliser les état du littoral pour des attaques menées l'un contre l'autre « dans aucune circonstance », et interdisant à tout navire ne battant pas pavillon national d'un des états du littoral de transiter dans les eaux de la Caspienne.

Comment ce sommet a-t-il eu lieu ? La réponse c'est, premièrement et principalement, grâce aux efforts diplomatiques astucieux de l'Iran, de concert avec une évolution stratégique de la politique étrangère de la Russie qui ne s'handicape plus elle-même en faisant passer en priorité des intérêts tactiques ou conjoncturels au dessus des intérêts stratégiques.

Ayant atteint ce niveau, Moscou est maintenant sur le point de rentrer dans une nouvelle relation stratégique avec l'Iran qui servira la stratégie géopolitique et sécuritaire, et d'autres intérêts partagés par les deux nations.

« L'Iran est une puissance régionale et mondiale importante « a dit Vladimir Poutine après sa rencontre initiale avec le président Mahmud Ahmadinejad, qui a été particulièrement diabolisé en Occident et qui est pourtant respecté dans le Tiers Monde, et au-delà, comme un dirigeant d'une nation en développement ayant de l'assurance et affrontant les politiques dominatrices mondiales.

Une réalisation majeure pour la diplomatie iranienne et particulièrement pour l'équipe de politique étrangère assaillie d'Ahmadinejad , « les bonnes nouvelles « du sommet serviront sans doute comme charnière ouvrant un nouvel espace de respiration pour la diplomatie de l'Iran, et pas seulement en direction de la Caspienne, du Caucase, de l'Asie Centrale. La politique de l'Iran dans le Golfe Persique va aussi bénéficier de l'image améliorée de l'Iran au Moyen Orient, rendant plus attractif le rôle de l'Iran comme corridor pour l'Asie Centrale avec le Monde Arabe en général, et les états membres du Conseil de Coopération du Golfe (GCC) en particulier qui peuvent en tirer avantage dans leur commerce extérieur et leurs politiques énergétiques.

Le sommet de la diplomatie iranienne

Le trait le plus marquant du sommet de la diplomatie de l'Iran, a été sa complexité multi faces, cherchant à améliorer la coopération régionale parmi les 5 états du littoral de la Caspienne, par exemple en initiant l'idée d'une organisation régionale Caspienne pour promouvoir le commerce inter région, et, simultanément, poussant à une coopération bilatérale parallèlement à une coopération multilatérale. Le réseau d'accords bilatéraux et multilatéraux signés lors de ce sommet est plutôt extensif et un examen détaillé n'est pas de mise ici.

Cependant, il suffit de dire que, du point de vue de l'Iran, le sommet à été un revirement complet de ce qui a eu lieu lors du sommet des dirigeants de la mer Caspienne plutôt désastreux à Ashghabat au Turkménistan en 2002, où Poutine avait donné la priorité à la question de la délimitation de la Caspienne et de la division, un sujet qui divisait. Par comparaison, à ce sommet, le sujet épineux de la propriété de la Caspienne et du « régime légal » ont été relégués à l'arrière plan, les dirigeant participants se sont focalisés sur des domaines d'intérêts communs, des questions transfrontalières, le commerce, espérant que lors de rencontres ultérieures, la bonne volonté générée lors de ce sommet dépassera ces problèmes qui divisent.

Des rencontres à des niveaux d'expertises différentes des états de la Caspienne ont jusqu'à présent échoué pour résoudre la question de la propriété et, du point de vue iranien, étant donné les intérêts mineurs concernés dans le secteur iranien de la Mer Caspienne, c'était plus raisonnable de tirer la bonne leçon de l'échec d'Ashghabat, et d'adopter une vue des choses à long terme.

L'Iran a largement bénéficié de cette approche, avec pour résultat, un revirement soudain dans le climat géostratégique en faveur de l'Iran, aux vues du communiqué commun des autres états de la Caspienne concernant leur refus d'autoriser l'utilisation de leur territoire pour toute agression militaire contre l'Iran, cimenté par la vigoureuse déclaration de Poutine contre une telle tactique.

L'autre commentaire de Poutine, concernant l'engagement de la Russie à achever la centrale nucléaire de Bushehr en Iran, représente aussi un autre développement significatif pour l'Iran, qui a défié les résolutions du CS de l'ONU appelant à la suspension de l'enrichissement d'uranium et des activités de retraitement. En déclarant publiquement qu'il n'y a pas de preuve pour soutenir les accusations d'une ambition de l'Iran d'armement nucléaire, Poutine semble avoir provoquer la furie de Washington, comme l'a montré la contre offensive instantanée de Condeleezza Rice que l'Iran avait « menti » sur son programme nucléaire. Cependant, plus important, Poutine a donné le signal du commencement de la fin d'un « consensus diplomatique » façonné par Rice vis-à-vis de l'Iran.

Comme on pouvait s'y attendre, le gouvernement US et les médias dominants, incapables de montrer un quelconque signe d'ajustement envers la Russie, et même la nouvelle ligne de pensée de la Chine à l'égard de l'Iran, ont accru leur diffamation de l'Iran avec, à la fois le Washington Times et le Wall Street Journal dédiant leur pages de commentaires aux habituels commentaires anti-Iran.

Le sommet de Téhéran et ses résultats représentent certainement un pas en arrière pour la diplomatie de Washington à l'égard de l'Iran, mais ils montrent aussi les défauts de la diplomatie (US ndlt) vis-à-vis de la Russie et le fait que Moscou et Washington sont dans une impasse. Poutine a tenu ferme contre ses détracteurs de Washington, courtisant différents dirigeants européens telle Angela Merkel d'Allemagne et snobant le pro US Nicolas Sarkozy, tout en travaillant à un nouveau modèle de relations Russie – Union Européenne, qui ne soient pas dominées par les prérogatives US. Il y a sans nul doute un élément de risque ici pour la nouvelle politique de Poutine vis-à-vis de l'Iran, qui peut avoir un effet boomerang, particulièrement s'il n'obtient pas plus de coopération iranienne sur la question nucléaire.

Concernant ce dernier point, l'Iran est capable de gestes réciproques vis-à-vis de Poutine, en s'accommodant de plus de demandes de la part de l'AIEA, et la rencontre la semaine prochaine du négociateur en chef du nucléaire iranien Ali Larijani, avec le chef de la politique étrangère de l'UE, Javier Solana, est une occasion importante pour l'Iran d'apaiser Poutine et son cercle de politique étrangère, dont certains sont ouvertement inquiets d'une corrosion parallèle des relations US-Russie, à cause des nouveaux développements Iran-Russie.

Cependant, cela n'est pas un « jeu à somme nulle « car ceux qui déterminent la politique aux US peuvent tirer la juste impression que les bonnes politiques de voisinage de l'Iran bénéficient à la paix régionale et mondiale, et qu'elles se sont actuellement approfondies grâce à la singulière influence de la Russie sur l'Iran. Mais, c'est cependant fort peu probable, et la continuité de la politique unidimensionnelle coercitive envers l'Iran, si profondément enracinée à Washington, est le scénario le plus plausible, peu importe que cela soit ou non synchro avec le reste de la communauté internationale.

La « superpuissance solitaire » sur laquelle a écrit Samuel Huntington, semble actuellement dangereusement sur le point de perdre sa « coalition des volontaires » contre l'Iran, à la fois au sein et à l'extérieur de l'ONU. Les seuls choix sont soit un refus borné de faire les ajustements politiques nécessaires envers l'Iran, sur la base d'une diplomatie non menaçante, ou faire face à une défaite diplomatique certaine sur la scène internationale.

On doit reconnaître la réussite de la diplomatie basée sur le pouvoir doux de l'Iran, à la fois pour le succès du sommet et la relative frustration de la diplomatie coercitive US.

Kaveh Afrasiabi 18/10/07

Copyright 2007 Asia Times Online Ltd

Traduction Mireille Delamarre pour www.planetenonviolence.org

Source : http://www.planetenonviolence.org

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