Sihem Souid: la police en garde à vue

L’angoisse de perdre son emploi est souvent un frein à la dénonciation d’injustices dont chacun et chacune peut être témoin. Pourtant, la policière Sihem Souid a pris ce risque et reste déterminée pour faire connaître les dérives de la police nationale. Elle revient sur les raisons de ce choix.

Dans votre livre « Omerta dans la police », vos révélations défigurent le visage de la police nationale.
Oui, à travers le racisme notamment. Je cite le cas d’une jeune femme de culture africaine qui se retrouve dans une cellule de garde à vue totalement nue et filmée par une policière la traitant de « sale nègre ». Une atteinte à la dignité humaine. Un autre exemple : lorsque je travaillais à l’aéroport d’Orly, quelques collègues se permettaient en ma présence de porter des propos racistes. Quand un avion en provenance du Maghreb atterrissait, certains s’exclamaient en ces termes : « Tiens, y’a un avion de bougnouls, de bamboulas, de couscous ». Des mots qui sont totalement banalisés mais qui restent extrêmement graves.
J’ai pu constater également que mes collègues femmes n’effectuent pas les mêmes missions que les hommes. Pour les perquisitions par exemple, on empêchait certaines d’entre elles de s’y rendre en raison de leur sexe. J’entendais des propos sexistes tels que : « Je fais ce métier pour courir après les voleurs et non pour protéger de vulnérables femmes flics».
Et puis il y eut Eve et Nadia, deux collègues homosexuelles qui ont été l’élément déclencheur de tout un combat. La brigade chef se permettait de refuser des « gouines », comme elle disait, dans son bureau, et leur interdisait même l’accès aux sanitaires. Elle passait son temps à rabaisser, humilier et harceler Nadia sans aucun scrupule. Des exemples parmi tant d’autres.
 
Ce que vous affirmez est-il basé sur des preuves ?
Oui, tout ce que je décris est basé sur des preuves : des procès verbaux, des enregistrements, des attestations. Mes affirmations sont justes puisque le ministère de l’Intérieur avait trois mois pour porter plainte après la parution de mon livre le 14 octobre. Or, aucune plainte n’a été déposée, ni pour diffamation ni pour injure. Ce qui tend également à prouver la crédibilité de mes propos.
 
En même temps, dire qu’il y a du racisme dans la police, ne serait-ce pas enfoncer une porte déjà ouverte ? C’est un fait que beaucoup ont relaté avant vous. Notamment Marwan Mohamed dans le documentaire « La tentation de l’émeute ».
Certes, mais ce n’est pas une personne en dehors de la police qui s’exprime. C’est une fonctionnaire de la police nationale qui se fait entendre sur la scène médiatique. De plus, je dénonce ce constat avec des preuves à l’appui et dans un livre que j’ai écrit en étant en fonction.
Avec ce livre, je considère que je tire la sonnette d’alarme. Aujourd’hui,  des individus qui ne sont pas foncièrement racistes, tiennent des propos racistes sans se rendre compte de la gravité de leurs mots. Leur inconscience peut heurter bien des sensibilités. Un pays démocratique comme la France, un pays des Droits de l’Homme dont je suis très fière, risque de perdre ses valeurs car la ligne blanche a été franchie. Il est donc urgent de prendre des dispositions pour soigner ces plaies ouvertes. Et j’espère que mon livre y contribuera.
 
Dans votre livre, vous citez un grand nombre de personnalités politiques. Vous revenez notamment sur les propos du ministre Brice Hortefeux qui a affirmé, en parlant des arabes: « Il en faut toujours un. Quand il y en a un ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes. ». Y’a-t-il une volonté de dénoncer le racisme des élites ?
Oui, j’ai souhaité insister sur le fait  que notre gouvernement actuel a commis des fautes monumentales, en engendrant par exemple la stigmatisation avec le débat sur l’identité nationale. Malheureusement, les quelques dérives dans la bouche de certains ont accumulé le racisme dans la police. Comment voulez-vous dire à un policier d’être exemplaire si le Ministre de l’Intérieur ne l’est pas ?
Au lieu de stigmatiser les jeunes de banlieues, de cultiver la haine et la peur, il serait temps de  revenir aux sources de la délinquance. Les jeunes sont tassés dans des quartiers défavorisés, mis à l’écart de la société et certains d’entre eux sont contrôlés bien plus souvent que d’autres. Il ne faut donc pas s’étonner si les arrestations sont plus courantes dans ces quartiers en particulier. Cessons de diaboliser une population et recherchons la véritable cause du problème.  

La publication de ce livre a-t-elle eu des répercussions sur vos supérieurs, responsables des inégalités que vous décrivez ?
Ils ont tous été mutés. Le procureur de Créteil a été muté en Martinique (au soleil), le directeur de la police des frontières a déjà été mis à la retraite après avoir été mis au « placard », la numéro deux devenue numéro un a été mutée au mois de septembre, un mois avant la publication de mon livre. Je Cette situation est intolérable : de mon côté, je risque la révocation, autrement dit la radiation de la police nationale, pour avoir dénoncé des actes impunis et passés sous silence ; mais les responsables de ces bavures occupent légalement leur poste. Indignés, huit de mes collègues et moi-même avons porté plainte et une enquête a été ouverte.

Ne craignez-vous pas de manquer de crédibilité auprès des lecteurs pour avoir violé la loi de confidentialité ?
D’abord, rappelons un élément important. J’ai transmis des documents qui traduisent des faits illégaux. Or, y a-t-il un secret professionnel pour dénoncer des inégalités ? De plus, lorsque l’on écrit un livre contre une institution comme le Ministère de l’Intérieur, des preuves pertinentes doivent apparaitre pour pouvoir être crédible. Ainsi, la seule manière pour moi de faire entendre mon cri d’alerte a été de me saisir de ces documents.  
J’ajoute que certains ont intérêt à me discréditer auprès de l’opinion publique car ces documents témoignent de l’abus de pouvoir qui existe au sein de la police nationale. Pour se faire, on m’accuse d’avoir transmis des informations portant sur l’institution. Ce qui est totalement faux. D’ailleurs, des faits similaires ont déjà été relatés par le Canard enchainé. Une affaire qui est antérieure à la parution de mon livre et qui ne concerne pas les faits que je dénonce.

On sent que la rédaction de ce livre a été un véritable soulagement voire une thérapie pour vous. Mais que peut apporter cet ouvrage au lecteur ?
Ce livre a tout simplement libéré la parole. Je reçois des centaines et des centaines de courriers tous les jours aux éditions du Cherche Midi et dans le cabinet de mon avocat. Des fonctionnaires de police ou de la gendarmerie, de milieux hospitaliers ou autres me font part de leur soulagement ou de leurs témoignages. C’est extraordinaire. Sans oublier le témoignage très émouvant d’Antoinette Kiamanga (diffusé le 8 octobre 2010 sur le JT de France 3), la jeune femme dont je faisais mention précédement concernant les conditions d’incarcération.

 Aimez-vous encore votre métier après avoir subi tant d’injustices ?
Oui je l’aime. Je l’aime et je ne m’imagine nulle part ailleurs. De nombreux policiers exercent leur métier de manière exemplaire en sauvant chaque jour des vies. Mon but n’est pas celui d’affirmer que la police nationale est une Institution sans valeurs ni morale. Il est de dénoncer des dérives et des actes impunis. Il me déplait aujourd’hui de devoir être présente sur la scène médiatique. Mais si la hiérarchie avait pris ses responsabilités, je n’en serais pas là.  
 
 Pensez-vous que la situation peut évoluer positivement dans la police ?
Des choses ont changé : les individus non admis sur le territoire ont droit à une couverture maladie à la police d’Orly et ont droit à plus de respect. Il y a aussi une convention pour la lutte anti-raciste qui a été signée avec la LICRA grâce à mon livre. Marie Georges Buffet a déposé un projet de loi que j’ai écrit  sur la création d’un comité d’éthique dans la police nationale. Donc oui, je suis optimiste car je parviens à me faire entendre et il y a du changement.

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