Rapport au sujet du problème politique actuel que rencontre notre Bolivie

Voici le témoignage du sénateur bolivien Gaston Cornejo expliquant la situation à un membre du Mouvement Humaniste.

Bolivie, Mars 2008

Chère Juanita Perez Montero du Mouvement Humaniste Mondial

Reçois mon accolade affectueuse.

Je te transmets ci-dessous de nombreux détails par rapport au moment actuel qui est délicat.

Je ne sais pas si je pourrai t’envoyer la présentation power point de ma conférence, celle que j’ai préparée pour un séminaire sur l’Intégration Latino américaine organisé par le Parlement Andin à Cochabamba. Cette présentation Power point contient une bonne partie des réponses que tu sollicites.

J’essaierai de te l’envoyer malgré que le fichier soit lourd à cause des images qu’il contient. Peut-être n’arrivera t-il pas à temps.

Il résulte que, comme tu dois le savoir, le véritable peuple de Bolivie, surtout les exclus : indigènes, autochtones et paysans, a réussi, après beaucoup de marches, de sacrifices, de blessés, de morts et de mobilisations pendant une décennie, à gagner les élections électorales de 2005 avec 54%. C’est un fait inédit dans l’histoire de la Bolivie et de tout le continent.

Arriva le président indigène avec lequel nous avons souhaité appuyer un processus transformateur en utilisant tous les moyens pacifiques possibles, un peu à la manière du projet du président Salvador Allende au Chili. Le programme ne présentait pas un projet de fortes transformations afin de rester en syntonie avec la « cosmovision » indigène pacifiste et partisane du dialogue; cela devait se faire et doit se faire, à travers la paix et la concertation démocratique civilisée.

Mais, le fondement de la demande du peuple humble et pauvre s’est révélé grave et inacceptable pour les grands propriétaires terriens et oligarchies de la droite bolivienne. Comme il s’agit de rompre avec les schémas structurels et ainsi de remettre en question tout le système néolibéral globalisé d’Amérique et du monde, la résistance attendue sera de même ampleur que les réformes projetées.

Nous avons commencé par racheter les hydrocarbures, sans éliminer les transnationales. Nous avons simplement récupéré le droit de propriété sur ces ressources. Ensuite nous avons signé des accords ou des contrats légitimes et dignes avec les géants de l’industrie pétrolière.

Auparavant celles-ci prenaient 82% des bénéfices et laissaient 18% pour le pays. Maintenant c’est l’inverse, 82% des bénéfices sont pour les Boliviens et eux prennent 18%.

Avant ils étaient les patrons propriétaires de nos ressources, aujourd’hui ce sont nos « associés » et ils doivent continuer à investir en accord avec l’accord juridique qui a été établi. Nous, nous participons dans tout le processus, à partir de l’exploration, l’exploitation, le transport, la commercialisation et dans un futur proche, dans l’industrialisation.

Ensuite nous avons débattu sur le thème des terres. Nous avons approuvé la Loi sur la Réforme Agraire. Celle-ci a été douloureuse pour eux, car notre option non révisable est d’attribuer des titres de propriété, assainir la terre et réussir à ce que la propriété agricole accomplisse la Fonction Economique et Sociale. Sinon la terre doit revenir à l’Etat pour sa distribution aux paysans qui n’en possèdent pas. C’en est fini des terres improductives ou spéculatives. En plus, nous nous opposons aux latifundia.

Pendant ce temps, nous avons aussi mis en place l’Assemblée Constituante avec l’élection de 255 titulaires dont la majorité fait partie du MAS.

Depuis le début, ils se sentirent offensés et jurèrent de ne permettre la mise en œuvre d’aucun projet de nouvelle CPE (constitution politique de l’Etat).

Ils trouvèrent mille prétextes : les règlements, les 2/3, l’autonomie, l’église, l’éducation, finalement le changement de Capitale. Ceci fut un acte de trahison puisqu’ils ravivèrent des sentiments régionaux endormis depuis 1898, date de la Guerre Fédérale et moment dans lequel on déplaça la capitale de Sucre à La Paz.

Il y eu des blessées, des embuscades, des violences, des incendies de véhicules et de domiciles, des coups et des crachats à l’encontre des « indiens », des insultes pour l’insolence de demander l’inclusion dans la Carta Magna et d’exiger des terres pour les cultiver.

Le racisme latent endormi depuis des années, fleurit au cœur de la classe moyenne et des cadres qui étant presque tous des métisses, avec des pères ou grands parents vêtus de polleras [jupe large, NdT] et hojotas [chaussure en forme de sandale, NdT], parlant quechua, aymara ou guarani, et qui maintenant sont évolués grâce à l’éducation gréco-romaine nord-américaine contemporaine post moderne, et transformés en défenseurs et soldats de la culture occidentale, rejettent toute identité autochtone et toute racine indigène.

Finalement, les représentants à l’Assemblée Constituante appartenant au MAS et des 10 forces politiques non extrémistes approuvèrent le projet de la nouvelle constitution. Ce fut le résultat d’un processus ardu et plein d’obstructions au processus légal, avec d’énormes obstacles comme celui à la ville de Sucre, où les représentants de l’assemblée se sont retrouvés coincés dans un institut militaire universitaire sous la menace de dynamitage et de violences. (Ils n’ont pas pu continuer leurs travaux dans le centre ville au Théâtre « Gran Mariscal de Ayacucho » à cause de l’attaque violente de la foule organisée). Ils durent sortir à La Glorieta pour l’approbation totale et s’échapper furtivement à 2h30 pm par des sentiers dangereux et persécutés par la foule armée venue depuis Santa Cruz sous la direction de la ‘Jeunesse Cruceñista’, qui est quelque chose comme les SS hitlériens. Ils brûlèrent les installations policières, militaires, des documents, mais les représentants de l’assemblée réussirent à s’échapper. (Tout cela sur la base du témoignage d’une participante qui souffre de vexations, la Dra Rebeca Delgado).

Plus tard, et grâce au fait que nous avons approuvé une loi de changement de siège et de date, qui permet de réaliser un référendum clair et approbateur, sur une date prévue, le texte de loi peut revenir à l’Assemblée Constituante et finalement être transmis au président pour sa promulgation.

Le résultat du travail de l’Assemblée Constituante est une nouvelle « CARTA MAGNA ». Une nouvelle CPE qui est EXCELLENTE, juste, complète, pacifiste et surtout transformatrice du pays.

Pour les politiciens extrémistes de gauche, cette nouvelle constitution est tiède par rapport à la révolution classique qu’ils espéraient, à savoir la dictature du prolétariat et la lutte de classes, avec évidemment violence et guerre civile.

Presque en même temps que progressait le processus de la nouvelle CPE, les extrémistes initièrent une autre agitation pour faire échouer ce processus : la sécession de la Bolivie en créant des départements rebelles du « croissant de lune » : Tarija, Santa Cruz, Beni, Pando, qui ont menacé de faire sécession en cas d’approbation de la nouvelle CPE.

Deux années se sont passées depuis que nous avons approuvé la loi pour la convocation de l’Assemblée Constituante. Nous avions déjà le projet (de constitution) et nous sommes sur le point de travailler sur les points de différend au moyen du Référendum constitutionnel.

Lorsque nous avons voulu convoquer au referendum pour régler une bonne fois, ces thèmes sur lesquels il n’y avait pas de consensus, il s’est avéré qu’en réalité il n’y avait qu’un seul thème. Il s’agit de celui qui fixe l’étendue de la surface d’une propriété agricole , c’est-à-dire 5 000 ou 10 000 hectares. Il existe des grandes latifundia propriétaires de 100 000 hectares. Comment ne vont-ils pas être violents ? Comment ne vont-ils pas réagir?

Alors ils jouèrent un ultime coup de maître, ils élaborèrent leurs propres « STATUTS DEPARTEMENTAUX ». Ceux-là mêmes qui ont un caractère séditieux et séparatiste.

L’opposition a fixé au 04 Mai la date des référendum TOTALEMENT ILLEGAUX, ILLEGITIMES ET ANTI CONSTITUTIONNELS. ILS PRETENDENT CREER QUELQUE CHOSE QUI EST PLUS QU’UN FEDERALISME, UNE CONFEDERATION, séparatiste, un état à l’intérieur d’un autre état. Avoir pour « chacun », pour chaque département, toutes les attributions et compétences de l’état national en s’appropriant des bénéfices de toutes les ressources naturelles, en mettant en place leurs propres forces armées, leur propre police, législation et système judiciaire, impôts, redistribution de la terre, nationalité, citoyenneté et droit du gouvernement à redistribuer les terres pour obtenir de grandes latifundia, en opposition avec ce que nous voulons.

Nous acceptons l’économie agraire à grande échelle, si elle est productive non spéculative, mais surtout nous désirons fortifier la petite et moyenne propriété jusqu’à sauver la nation de l’insécurité alimentaire.

Nous nous trouvons à ce point. Ils nous ont escroqués et nous avons pêché par naïveté durant deux, presque trois mois, de janvier à mars, nous n’avons pas approuvé en Congrès la date du référendum du projet de constitution de l’Assemblée Constituante.

L’opposition de droite, représentant l’oligarchie des propriétaires fonciers et latifundistes, a fixé la date du 04 mai pour approuver ses statuts départementaux. Ce fut une attitude de rébellion visant à une sédition condamnée par la loi.

Nous étions dans une situation défavorable pour aller à la table de dialogue convoquée par le président Evo Morales. Ils avaient toutes les cartes en main pour gagner, en pressionnant avec la date déjà déterminée, nous n’avons même pas été convoqués au Congrès pour approuver le référendum. Ils nous ont gagné en mettant au même niveau leurs statuts illégaux avec la nouvelle CPE. Il y avait urgence d’approuver en Congrès une loi spécifique.

De plus, différentes possibilités de dialogue n’ont pas avancé, avec des préfets, des techniciens de préfectures, avec des groupes, des civils et des représentants des forces politiques principales d’opposition, tout a échoué par le manque d’intentionnalité des plus affectés.

Dialogue frustré durant deux mois et demi et ils ralentirent la conclusion et la réussite d’un consensus alternatif.

C’est alors que nous avons pris conscience que, si nous laissions le « croissant » adverse aller jusqu’au 04 Mai et que soient approuvés les statuts départementaux, il serait impossible de faire un retour en arrière et la Bolivie serait divisée. Cela jamais nous ne pourrons le permettre !!!

Comme nous sommes loin de vouloir prendre et d’exercer des actes violents comme le coup Etat, ou n’importe quelle répression par la force, il nous restait comme seule solution de fixer également la même date pour approuver la nouvelle CPE, le 04 Mai.

Ils « déchirèrent leurs vêtements » par ce que nous avions convoqué au congrès deux de leurs sénateurs qui s’étaient raillés en faveur du peuple un an plus tôt. Ils brûlèrent la maison de l’un d’eux à Pando pour avoir voté en faveur de la réforme agraire.

Nous avons obtenu un quorum. La place principale [face au Sénat] était pleine de mouvements sociaux qui exigeaient que la Loi de Référendum soit approuvée.

Le moment venu, le vice-président nous donna l’opportunité de débattre et nous avons approuvé cette loi. Il y avait une minorité de députés et de sénateurs qui criaient ; par des coups et des poussées ils tentèrent de prendre le dessus mais nous ne l’avons pas permis. Nous avons rapidement conclut la session.

Le mot d’ordre des opposants a été publié dans la presse en dénonçant la dictature. Ce fut le risque que nous avons pris face à l’option de diviser la Bolivie, en pleine conscience de ce que nous avions fait au parlement.

A l’entrée au Congrès, une députée du ‘Podemos’, journaliste, cria imprudemment à l’ensemble des mouvements sociaux qui venaient de différents points du haut plateau et de la vallée et qui était présent depuis trois jours et trois nuits. Evidemment ce fut reçu avec irritation en sachant de qui on parlait, ils la frappèrent presque, en vérité ils la bousculèrent mais elle fut imprudente. Je me suis imaginé si hypothétiquement je voyage à Santa Cruz pour un Conseil Municipal et que je me propose de crier « Vive Evo Morales », je crois qu’ils vont me tuer.

Bien chère Juanita, nous sommes en train de vivre un moment difficile, eux sont décidés à arriver au 04 mai malgré qu’ils connaissent le côté délicat et irrationnel de leur proposition, surtout l’illégalité de leur convocation. Ils conduiront leur référendum coûte que coûte le 04 mai. Nous, nous ne sommes pas sûr de continuer ni d’accepter cette pression séparatiste parce qu’ils ne réagissent devant rien ni même à la proposition de médiation de l’église Catholique que le président Morales a convoqué à l’occasion de la visite du cardinal Terrazas.

Le prélat demanda à l’archevêque Juarez d’intervenir mais il a aussi mis son veto.

Les Forces Armées se sont déjà prononcées dans le sens qu’elles ne permettraient aucune division mais cet avertissement ne les a pas touchés.

Le gouvernement et les assemblées législatives électorales précisent que la police ne sera pas disponible, mais pour eux cela importe peu, ils disent qu’ils organiseront des forces civiles pour protéger le referendum départemental.

Nous croyons que le peuple majoritaire de la patrie gardera la raison et se prononcera contre l’autonomie de fait.

D’abord la nouvelle CPE doit être approuvée et ensuite viendra l’autonomie départementale, régionale, municipale et communautaire indigène d’origine paysanne. Ces ultimes autonomies ne sont pas acceptées par les préfets et civils du « croissant» car ils veulent concentrer tous les bénéfices aux départements, décentraliser tous les défauts de la centralisation.

Nous voulons que l’autonomie soit un instrument politique de justice sociale, qui reconnaisse des compétences aux municipalités, régions et communautés, que tous les bénéfices arrivent à l’ultime citoyen de l’ultime recoin de la géographie bolivienne.

L’opposition se fourvoie, pour eux il ne peut pas y avoir de nouvelle CPE mais par contre il peut y avoir des statuts pour des départementaux autonomes et séparatistes.

C’est une totale rébellion, sédition et séparatisme encouragé par toutes les forces d’opposition. On y trouve Aznar d’Espagne, Bush des Usa, Ambassadeurs, oligarchies, ‘Comités civiques’ [Dans les années 50, face à la situation de disparition des gouvernements municipaux, sont nés les comités civiques dans chaque département pour défendre les intérêts de la citoyenneté devant le gouvernement central. Au cours du temps, ces comités ont été constitués dans de véritables corporations patronales et politiques en défense des intérêts économiques dans chaque département. Maintenant, ils comptent des groupes de jeunes formés pour imposer des grèves forcés et encercler les villes avec des blocus. Les comités civiques ne sont pas reconnus dans la Constitution Politique de l'État, NdT] du « croissant», les préfets et LES MEDIA nationaux et internationaux. USAID, une ONG américaine, intervient avec des moyens économiques et des actions contre le gouvernement en finançant organisations, les statuts et la violence.

Je ne peux pas accepter cette alternative. Nous ne l’acceptons pas. Nous ne pouvons pas permettre le retour au néolibéralisme, la privatisation des ressources aliénées, la propriété de la terre avec servitude et dans beaucoup de cas avec esclavagisme ; et de voir surgir de nouveau l’étape coloniale, de voir les frères indigènes comme des parias, citoyens de cinquième catégorie.

Nous insisterons sur le dialogue et la possibilité de consensus, mais c’est difficile face à des ennemis de tradition raciste qui ont l’appui important des ennemis de toujours, ceux qui occupent la fonction de maître et les patrons de toujours.

Nous verrons quel est le rôle de l’église, bien qu’elle se soit déjà prononcée contre la nouvelle CPE. Mais nous avons espoir en Jésus Christ, le Maître charpentier humble, qui a dit qu’il est plus facile de faire passer un chameau par le trou d’une aiguille que de faire entrer un riche au royaume des cieux, qu’il les éclaire et que sa médiation puisse parvenir à bon port.

Pendant ce temps, les médias ennemis corrompus protestent parce que dans la nouvelle CPE il y a un article qui déclare : tout bolivien a le droit à l’information « VRAIE ET RESPONSABLE ». Ils disent que c’est une atteinte à la liberté d’expression, par conséquent le gouvernement, Evo, les membres de l’assemblée sont les ennemis de la liberté d’expression.

A ce propos, Juanita, il nous est arrivé un excellent courrier d’un cadre supérieur, Don Alfonso Gumucio Dagron que je t’ai aussi transmis.

Reçois Juanita mon affection, en espérant que le Mouvement Humaniste Mondial entende nos angoisses et soucis patriotiques.

Gaston Cornejo Bascope, ton frère dans le meilleur sens humaniste.

Paix Force et Joie.

Je te prie de faire parvenir à nos frères mon témoignage dont j’assume absolument la responsabilité.

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