Que se passe-t-il aux Philippines ?

Au moment où s'abat la répression s'abat sur les Philippines, nous venons de recevoir ce dossier sur les assassinats de syndicalistes et d'opposants. En cause : l'armée, les grosses sociétés du sucre, la multinationale Nestlé, etc… Bientôt, une analyse de la nouvelle situation…

Le mouvement populaire philippin ne cède pas à la répression

Tueries organisées et répression contre les progressistes: ça n'arrête pas aux Philippines, un Etat du Sud-Est asiatique grand à peu près dix fois comme la Belgique. Le mouvement populaire ne s'en laisse toutefois pas conter, et la position de la présidente philippine, Arroyo, copine comme cul et chemise avec l'administration Bush, est soumise à de fortes pressions.

Wim De Ceukelaire [Groupes Philippines Belgique]?23-11-2005

Mort par balles pour les syndicalistes

La liste des progressistes assassinés aux Philippines s'allonge. Cette année, 120 activistes ont été tués par des escadrons de la mort et des militaires.

Mardi 25 octobre 2005, dans la soirée, Ric Ramos et quelques autres militants syndicalistes trinquent à la victoire. Et effectivement, il y a de quoi faire la fête puisque la direction des moulins à sucre de la Hacienda Luisita, où Ramos est président du syndicat, a finalement versé les 50.000 euros de salaires impayés. Mais quelques instants plus tard, Ramos s'écroule sur le sol, tué de deux balles à la tête.

Cet assassinat est survenu près d'un an après la tuerie du piquet de grève au cours de laquelle sept grévistes avaient été abattus par balles et 35 autres blessés. Les 4.000 travailleurs et ouvriers agricoles de la plantation de cannes à sucre étaient en grève depuis dix jours et réclamaient la réintégration de 327 collègues licenciés, des salaires décents ainsi que la parcelle de terrain leur revenant légitimement.

Les syndicalistes sont persuadés que l'armée philippine est derrière ces meurtres. En effet, Ric Ramos a été tué par une arme militaire. Cela faisait plusieurs mois que des soldats étaient cantonnés dans le petit village où il vivait. Le jour de son assassinat, deux soldats s'étaient rendus à deux reprises à son domicile et quelques minutes avant le meurtre, les villageois ont aperçu un petit groupe d'hommes en uniforme dans les parages.

Du sang dans le café

Jeudi 22 septembre, au soir, des inconnus à moto tirent deux balles dans le dos de Diosdado «Ka Fort» Fotunato alors qu'il quitte le poste de grévistes chez Nestlé pour rentrer chez lui. Ka Fort était, depuis 1988, président du syndicat dans l'usine Nestlé de Cabuyao, au sud de la capitale Manille. Il occupait ce poste depuis la mort de son prédécesseur, lui aussi assassiné par balles devant les portes de l'usine.

Les travailleurs de l'usine Nestlé sont en grève depuis plus de trois ans à présent, depuis que la direction a décidé de suspendre les droits à la pension des travailleurs et a refusé de reprendre les pensions dans la cct. Tous les grévistes ont été licenciés et remplacés par d'autres, mais ils ont tout de même traîné Nestlé devant les tribunaux. Ils attendent toujours le jugement. Comme les grévistes postés devant les portes de l'usine étaient constamment chassés brutalement, ils ont décidé de lancer une campagne de boycottage avec comme slogan: «Il y a du sang dans ton café.» Aux Philippines, la firme Nestlé est en effet surtout connue en tant que producteur de café soluble.

Ka Fort était l'une des figures centrales de la grève et de l'action syndicale dans toute la région. La veille de son assassinat, il avait dans la matinée prononcé un discours lors d'une manifestation et avait mené dans l'après-midi une action devant les portes de l'usine. A chaque fois, l'armée et la police avaient tenté d'intimider les militants en les photographiant et en les filmant. Aujourd'hui, on ne sait toujours rien concernant les auteurs et les commanditaires du meurtre.

Une campagne organisée

Tout comme Ric Ramos, Ka Fort a été victime d'une campagne organisée visant à massacrer les activistes progressistes. Leurs syndicats sont affiliés au Kilusang Mayo Uno (KMU), la fédération syndicale combative de gauche. Depuis l'arrivée au pouvoir en 2001 de la présidente Gloria Arroyo, plus de 480 activistes politiques, journalistes, syndicalistes, dirigeants agricoles et hommes d'église progressistes ont déjà été assassinés par des escadrons de la mort et des militaires. Depuis le début de cette année, 120 personnes ont déjà trouvé la mort. Nombre d'entre elles sont des membres ou des sympathisants des partis populaires progressistes comme Bayan Muna, Anakpawis et Gabriela, qui sont également représentés au Parlement philippin.

«Il n'y a pas si longtemps, les autorités déclaraient qu'il était préférable pour la guérilla communiste (qui mène une lutte armée aux Philippines, ndlr) de déposer les armes et de participer aux élections» a écrit un commentateur politique dans le magazine web populaire www.bulatlat.com, «mais cette campagne organisée est la preuve qu'une opposition parlementaire de gauche n'est pas tolérée et semble donner raison à l'opposition armée de gauche lorsqu'ils disent que dans ce pays les réformes ne pourront être obtenues que par les armes.»

La présidente philippine cible de la protestation populaire

Populaire, Gloria Macapagal-Arroyo ne l'a jamais été. On se demande même si elle a jamais été élue. Elle est arrivée au pouvoir en 2001 lorsque le président de l'époque et ex-star de cinéma, Joseph 'Erap' Estrada, dut se retirer suite aux protestations massives. Lors des élections présidentielles de l'an dernier, de nombreuses plaintes pour irrégularités ont été soulevées mais avec le soutien des Etats-Unis, Arroyo a néanmoins été déclarée présidente «élue».

Au mois de juin dernier, des enregistrements de conversations téléphoniques entre la présidente et un membre de la commission électorale «indépendante» étaient dévoilés. La présidente Arroyo demandait à cet homme de lui donner au moins un million de voix d'avance lors des élections. «Sans problème, madame», avait-il répondu. Et ce fut fait.

La fraude électorale est à présent incontestable. En ce qui concerne la corruption, là aussi on dépasse les bornes. Chaque fois qu'une affaire louche est mise à jour, le nom de l'époux de la présidente y est mêlé. A un moment donné, la présidente Arroyo l'a même envoyé aux Etats-Unis, le temps que les choses se calment un peu. La répression en constante augmentation est aussi un motif de protestation populaire. Les manifestations dans la capitale ne sont plus tolérées et on a recours à la violence pour chasser les manifestants. Les évêques et l'ancien vice-président d'Arroyo n'ont pas été épargnés par les canons à eau.

Les trois partis populaires jouent un rôle-clé dans l'opposition contre la présidente. Ils ont joué un rôle de déclencheur lors de la procédure de destitution intentée contre la présidente au sein du Parlement. Mais en vain, la majorité du Parlement, principalement des grands propriétaires fonciers et de richissimes hommes d'affaires, ont soutenu la présidente.

Opposition sur tous les fronts

Puisque le Parlement n'est pas parvenu à rendre justice, un congrès populaire a été constitué afin d'examiner les différentes plaintes pour fraude, corruption et violations des droits de l'homme. L'initiative est massivement soutenue: hommes politiques, évêques, religieux, avocats notables et artistes ont prêté leur aide.

Le mouvement populaire joue un rôle fondamental au sein de ce congrès populaire et est à l'origine des protestations de rue de ces derniers mois. Une première grande victoire a été remportée en juillet dernier lorsque 80.000 Philippins se sont rassemblés pour protester contre l'ouverture de l'année parlementaire par la présidente Arroyo. Après plusieurs semaines d'agitation marquées par des actions et des manifestations quasi quotidiennes, un nouveau succès a été remporté le 21 octobre dernier lorsque des dizaines de milliers de paysans se sont rendus au palais.

Même si jusqu'à présent la vague de meurtres politiques a épargné les dirigeants nationaux du mouvement populaire, les menaces sont chaque jour plus explicites. Le jour de la grande manifestation des paysans le 21 octobre, le porte-parole de l'armée a déclaré devant les caméras que le parlementaire populaire, Satur Ocampo, avait donné de l'argent à la NPA, la guérilla communiste, pour acheter des explosifs. Par de telles insinuations, le commandant de l'armée tente de justifier la campagne d'assassinats contre les membres du parti d'Ocampo, Bayan Muna, et autres partis progressistes.

La NPA (Nouvelle Armée Populaire), qui depuis 1969 mène une lutte armée pour délivrer le peuple de l'exploitation et l'oppression, n'a d'ailleurs pas participé aux manifestations de rue. Elle ne veut surtout pas donner au gouvernement un prétexte pour recourir à la violence contre les manifestants.

Sous la direction du Parti communiste des Philippines, l'armée populaire combat les grands propriétaires terriens et la grande bourgeoisie, et ce principalement dans les campagnes. Elle a d'ailleurs distribué des coups bien envoyés qui non seulement ont été très pénibles pour l'armée mais qui en plus sapent le moral des soldats. Ka Oris, le porte-parole populaire de la guérilla sur l'île méridionale de Mindanao, a déclaré lancer au moins une attaque par jour contre une cible militaire. Dans les autres régions des Philippines, les attaques se produisent à une même cadence. Au cours de ces dernières semaines, au moins 37 soldats du gouvernement ont perdu la vie.

Des syndicalistes belges pour témoins

«Les Philippins qui défendent leurs droits civils, politiques ou économiques ont la vie dure. Ils doivent faire face non seulement à des actes de répression mais aussi, et cela arrive de plus en plus souvent, à la mort. Je l'ai vu de mes propres yeux lorsque je me suis rendu aux Philippines avec un groupe de 8 militants LBC pour un séjour de trois semaines.» C'est par ces phrases que débute un article paru dans le numéro d'octobre de Raak, le mensuel du mouvement ouvrier chrétien flamand (KWB).

Les huit syndicalistes sont des témoins privilégiés de l'actuelle crise des droits humains aux Philippines. L'un d'entre eux a écrit dans un article paru dans Ons Recht, la revue de la LBC, ses impressions sur le drame de la Hacienda Luisita: «Aux yeux des riches propriétaires terriens, les travailleurs n'ont aucune espèce d'importance. Ils sont juste bons à couper les cannes ou presser le sucre. Et s'ils ne cadrent plus avec les objectifs de production, ils n'ont plus qu'à disparaître. S'ils ne sont pas d'accord, s'ils tentent d'enrayer le développement économique, s'ils cherchent le salut dans le syndicat, alors ils devront affronter les canons à eau et les gaz lacrymogènes. Les balles sont réservées aux têtus.»

Les militants syndicalistes belges sont également impressionnés par la combativité des syndicats et organisations paysannes aux Philippines. Notamment lorsqu'ils leur ont remis des lettres de soutien et de l'argent: «Une jeune avocate qui défend les grévistes nous a dit : «L'argent nous en avons besoin mais ces lettres nous les conserverons chèrement. A chaque fois que l'un de nous perdra courage, il relira ces lettres et saura que vous soutenez notre lutte.» L'article paru dans Ons Recht conclut en ces termes: «Même si l'on abat un gréviste par balles, il ne meurt pas pour autant. Et ça, les hacenderos ne l'ont pas encore compris.»

Mission Solidarité Internationale

Les meurtres de Ric Ramos et de Ka Fort ne sont malheureusement pas des exceptions. Depuis 2001, Karapatan, l'organisation des droits de l'homme des Philippines, a recensé près de 4.207 violations des droits humains, c'est-à-dire, meurtres, tentatives de meurtre, disparitions, arrestations illégales et évacuations brutales. Ces violations concernent 232.796 individus, 24.299 familles et 237 communautés. Les comparaisons avec la répression sous le dictateur Marcos sont légion. Certaines associations philippines ont organisé au mois d'août dernier une mission de solidarité internationale «pour défendre un peuple qui lutte contre la répression». Une délégation belge composée de quatre femmes y a participé: deux avocates de PROGRESS Lawyers Network, une collaboratrice des Groupes Philippines – Belgique et une stagiaire d'intal. Elles ont couché sur papier leurs expériences rassemblées dans un rapport (actuellement disponible en langue néerlandaise uniquement) en vente chez intal (fgb@intal.be) au prix de 2 euros.

Nations unies: «La guérilla n'est pas terroriste»

«Les impérialistes américains, ce sont eux les plus grands terroristes !» Il s'agit d'un slogan populaire scandé lors des manifestations du mouvement populaire aux Philippines. Ce pays est une ancienne colonie des Etats-Unis et jusqu'en 1992, de gigantesques bases américaines y étaient implantées.

A l'heure actuelle, le pays est le champ d'expérimentation d'une nouvelle stratégie de l'armée américaine. A la place de grandes bases massives, on a opté pour une mise en place flexible. Depuis quelques années, il y a aux Philippines un va-et-vient de militaires américains. Si au départ, ils n'étaient que quelques centaines, ils sont à présent des milliers à se relayer pour des «exercices» ou des «actions humanitaires». De cette manière, le pays est toujours prêt à servir de base d'opérations en cas d'agression américaine dans la région asiatique. Bien entendu, tout ceci se passe sous le prétexte de la guerre «contre la terreur».

La Nouvelle Armée Populaire, ou NPA, figure sur la liste des organisations terroristes élaborée par les Etats-Unis et l'Union européenne. Le programme de développement des Nations Unies n'est pas d'accord. Selon le Philippine Human Development Report 2005, «la guerre américaine contre la terreur» n'a fait qu'attiser les conflits armés aux Philippines. «Pour faire droit à la réputation de la NPA», dit le rapport, «nous devons dire que jamais elle n'a eu recours au terrorisme ou à des actes terroristes contre les citoyens.»1

1 The Philippine Star, 1 novembre 2005

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