Pourquoi l'Iran?

La diabolisation de plus en plus fréquente du président iranien Mahmoud Ahmadinejad dans les médias occidentaux s’est fait partie intégrante des efforts intensifiés déployés par Washington, Londres l’Union Européenne-3 et Tel Aviv pour amener l’Iran sous le contrôle des Etats-Unis, efforts qui pourraient, si l’on en croit aux quelques articles de presse existants, culminer avec une campagne aérienne menée par les forces américaines ou israéliennes ou les deux contre les installations nucléaires iraniennes au début du printemps prochain.

Un article paru dans le London Sunday Times du 11 décembre 2005 a révélé que les forces armées israéliennes ont reçu l’ordre « d’être prêtes fin mars pour des frappes éventuelles sur un site secret d’enrichissement d’uranium en Iran ». The Herald écossais du 10 janvier 2006 fait écho à l’article du Times.

Meir Dagan, chef des services d’espionage israéliens Mossad, le Général Aharon Zeev-Farkasj, qui a pris sa retraite au début de ce mois-ci en tant que chef du service des renseignements militaires israéliens, « et les décideurs israéliens sont tous d’accord que l’option militaire contre les installations nucléaires iraniennes ne peut être exclue » (New York Times, 13 janvier 2006). Mais ils disent qu’ « Israël n’a pas l’intention pour le moment de s’attaquer seul à l’Iran ou par la force militaire » (New York Times, 13 janvier 2006).

Mais ont-ils l’intention de s’attaquer à l’Iran par la force militaire en partenariat avec les Etats-Unis ?

L’UPI (30 décembre 2005), citant l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, a révélé que « Washington serait en train d’envoyer des officiels de haut niveau pour préparer ses alliés à un assaut possible (sur l’Iran) plutôt que de simplement en suggérer la possibilité comme il a fait à maintes reprises depuis un an ». Le directeur de la CIA, Porter Goss, serait allé à Ankara afin d’ouvrir la voie pour que la Turquie serve de relais aux avions militaires américains dans ses missions menées contre les cibles iraniens.

Ce n’est pas clair si un plan d’assaut est réellement à un stade avancé ou bien si l’information d’une attaque imminente n’est qu’une ruse pour mettre la pression sur l’Iran. Dans tous les cas, il est certain qu’on est en train d’élever le président iranien au rang d’ennemi international n° 1, de la même manière que l’a été Saddam Hussein dans la période précédente l’invasion anglo-américaine de l’Irak.

Emblématique est Bronwen Maddox le London Times (12 janvier 2006) qui demande si Ahmadinejad est « le dirigent le plus dangereux du monde » et qui répond à sa propre question par l’affirmatif en notant que c’est « un mince réconfort pour l’Occident de savoir que les ecclésiastiques iraniens sont le rempart contre les excès d’Ahmadinejad ». Il n’y a que quelques mois, Kim Jong II a été considéré le dirigent le plus dangereux du monde, mais les exigences de la machine de propagande occidentale l’a mis de côté depuis – pour le moment – afin de mieux s’aligner sur les priorités de la politique étrangère américaine.

Pour ne pas être en reste, Timothy Garton Ash, professeur d’études européennes à l’Université d’Oxford, parle d’Ahmadinejad comme « le président iranien apparemment à moitié fou » (Globe and Mail, 12 janvier 2006). Ce faisant, il met le président iranien en compagnie du nord coréen Kim Jong II, régulièrement présenté lui aussi comme étant à moitié fou, et toute une légion de chefs d’Etat du tiers-monde qui ont, selon le protocole opératoire habituel de l’impérialisme, ont été décrits à tour de rôle comme étant sanguinaires, dictatoriaux, despotiques, antidémocratiques et monstrueux – tout ce qu’il faut pour que le sale travail meurtrier de changement de régime donne l’impression de valoir tous ces moyens.

En passant, Ash s’inquiète que les bombardements américains ou israéliens « coûtent la vie à des civils innocents, du moins à des gens que la télévision iranienne pourrait prétendre, de façon crédible, comme étant des civils innocents », suggérant par-là que bien que la tâche de prendre le pouvoir d’un pays semble être une sale tâche, le carnage est probablement une illusion montée par le ministère de propagande national dont les innocents civils ne sont pas vraiment tués.

« Les civils innocents » est devenu un cliché, une phrase préemballée ballottée un peu partout et absorbée sans trop de réflexion. Et les soldats innocents ? Un soldat ou même un guérillero ou un insurgé qui résiste à l’envahisseur de son pays, est-il moins innocent qu’un civil ? Et les gens comme Ash qui préparent l’opinion publique à une guerre, peut-on les considérer comme innocents ? Et si Ash était parachuté au milieu de Téhéran pour se mettre à la place des civils innocents qu’il dit ne seront probablement pas tués ou mutilés ou handicapés à vie par les bombardements de terreur des forces armées américaines et israéliennes ? S’il a raison, il n’a rien à craindre.

Il arrive si régulièrement que c’est devenu une règle et nous pourrons bientôt nous attendre à voir des détracteurs éminents de la politique étrangère des Etats-Unis participer à la diabolisation tout en portant des t-shirts décorés de la bouille souriante de George W. Bush illustrant les mots « terroriste international » juste pour montrer qu’ils sont au-dessus de la mêlée et avec les anges. Les analyses d’affaires étrangères, dans les mains d’écrivaillons pro-impérialistes comme Ash and d’anti-impérialistes déclarés qui déplorent invariablement les « monstres » contre lesquels les armées et les bombardiers se mobilisent, ne sont rien d’autre que de la démonologie.

Le problème avec les t-shirts « Bush – terroriste international » est que, bien que Bush soit en effet un terroriste et mérite l’opprobre, ses prédécesseurs l’étaient tout autant ainsi que le sera celui qui le remplace. Se débarrasser d’un terroriste international et un autre surgirait à la Maison Blanche pour le remplacer. Comme dans le jeu whack- a-mole, peu importe combien de taupes on extermine, les rongeurs reviennent, parce que c’est ainsi que le jeu est programmé.

Les t-shirts transmettraient une vérité plus profonde s’ils présentaient les contours d’une personne sans visage et la note suivante : mettre ici la photo d’un chef d’Etat américain (anglais, français ou allemand). Quand tous les chefs de gouvernement américain, pour ne prendre qu’un pays impérialiste, ont dans leurs portfolios au moins un article d’acte terroriste depuis le nettoyage ethnique des populations autochtones et les guerres de conquête qui ont accompagné l’expansion des Etats-Unis vers l’Ouest, à travers les guerres de conquête pour dominer les Philippines, Hawaii, Guam, Samoa et Cuba, à travers les interventions sanguinaires menées régulièrement en Amérique latine jusqu’aux tapis de bombes et bombardements incendiaires et atomiques des populations civiles, il est clair qu’il y a quelque chose au-delà des caractéristiques personnelles d’officiels de haut niveau qui expliquent ce passé sanguinaire et atroce. Comme dans le whack-a-mole, il semble y avoir quelque chose d’ancré dans la programmation qui pousse les individus en avant comme coupables quand en réalité ils ne sont que des agents via lesquels le programme fonctionne. En fin de compte, il ne s’agit pas d’individus mais du programme.

Une indication de la logique qui régit le programme se trouve dans l’Index de liberté économique 2006 de l’Heritage Foundation. L’index de ce groupe de réflexion mesure, en quelque sorte, le degré de satisfaction que vous pourriez avoir d’un pays si vous aviez une tonne d’argent à investir ou des biens et des services à vendre et que vous cherchiez un endroit pour accroître votre réserve de capital. Hong Kong, par exemple, qui est en tête de la liste, a tout ce qu’un capitaliste désire. Pas de tarifs et pas de barrières commerciales ; pas de lois casse-pieds sur le salaire minimum, entrée libre de capitaux, rapatriement libre de bénéfices et un faible impôt sur les revenus personnels et sur les sociétés. D’autres pays qui se trouvent en haut de la liste sont le Singapour (pas de tarifs, faible impôt sur les sociétés), l’Irlande (avide d’investissements étrangers et prête à tout pour les avoir), le Luxembourg (entrée quasi libre des biens) et la Grande Bretagne (bon climat pour les investissements étrangers, tarifs minimes).

Les pays qui se trouvent en bas de la liste, par contre, sont un véritable bottin mondain de parias internationaux, tels que définis par le Département d’Etat américain : le Cuba (à la 150e position, limite et impose des critères de performance sur les investissements étrangers) ; la Biélorussie (position : 151e, « résistance concertée au secteur privé et à la privatisation » qui serve « à entraver des investissements étrangers », suit « un politique active de suppression d’importation et de promotion à l’exportation ») ; le Venezuela (position : 152e, « le gouvernement contrôle des secteurs clés de l’économie », limitant ainsi des opportunités d’investissements américaines) ; le Zimbabwe (position : 154e, « généralement hostile aux investissements étrangers », préférant « une participation majoritairement zimbabwéenne » dans les nouvelles entreprises et propriété locale finale) ; l’Iran (position : 156e, voir ci-dessous) et la Corée du Nord (position 157e : « fermement ancrée dans le communisme » avec une « économie à commande centrale » qui « contrôle toutes les importations et les exportations » et interdit la plupart des investissements étrangers). Nous sommes supposés croire que ces pays – les bêtes noires perpétuelles de la politique étrangère américano-britannique – sont des pays inquiétants non pas parce qu’ils placent le développement local et la souveraineté économique devant ce que les investisseurs occidentaux et transnationaux considèrent comme leur droit inaliénable d’accumuler du capital là où ça leur plaît, mais parce qu’ils sont supposés être antidémocratiques et dédaigneux des droits humains.

Pourtant, tous ces pays ont un point commun : ils interdisent ou imposent des conditions aux importations et investissements étrangers. Cela inclut les exportations et les investissements américains. Ce ne serait guère étonnant que l’Etat américain – dominé qu’il est par des intérêts commerciaux et où la majorité des membres du cabinet sont et ont été, depuis au moins un siècle, des chefs d’entreprise ou membres de cabinets d’avocats d’entreprise – soit hostile aux pays qui posent des obstacles aux ou interdisent les activités liées à l’accumulation du capital par les transnationales basées aux Etats-Unis.

L’Iran interdit la propriété privée de la production d’électricité, des services postaux, des télécommunications et industries à grande échelle, ce qui ne le rend pas très accueillant pour un investisseur étranger qui cherche à accroître son capital. Ajouter à cela le fait que la constitution iranienne limite durement la propriété étrangère dans le secteur pétrolier et décrète le secteur bancaire public. Il y a aussi la réalité que le gouvernement utilise les intérêts de sa propriété dans plus de 1.500 sociétés pour influencer les prix et atteindre les objectifs de la politique sociale (et non pas ceux des bénéfices des transnationales). Compléter ces crimes multiples contre le potentiel de gros profits avec une politique commerciale qui favorise le développement d’industrie nationale en décourageant l’importation et la conclusion est claire : l’Iran n’est pas le genre de pays qu’un capitaliste écumant le terre à la recherche de marchés et d’opportunités d’investissements prendrait en sympathie.

Alors, est-ce que la panique autour de l’acquisition de l’Iran des moyens pour développer des armes nucléaires et le « violent antisémitisme » réputé de Ahmadinejad la couverture d’un effort pour forcer l’ouverture de l’économie iranienne pour qu’il grimpe dans l’Index de liberté économique ?

Demandez-vous ceci : les Etats-Unis, essaient-ils relooker l’Irak – sa dernière conquête – en un autre Hong-Kong, le champion de l’index ? Avant que les Etats-Unis ne s’installent comme le dirigeant effectif du pays, l’Irak avait une économie largement d’Etat. Il imposait des restrictions sur la propriété étrangère des secteurs clés de l’économie et subventionnait des nécessités telles que le carburant, l’huile alimentaire et des produits de base pour atteindre les objectives de la politique sociale. Comme l’Iran aujourd’hui, l’Irak avait toutes les caractéristiques d’une économie dirigiste et largement fermée et donc richement en désaccord avec les obligations expansionnistes du capital américain. Mais l’Irak, encadré par les Etats-Unis, est en plein relooking économique. Les entreprises publiques seront liquidées. Les subventions pour le carburant et le pétrole sont éliminées. Le pays est sous le contrôle du FMI. Les investisseurs étrangers doivent avoir le droit d’entrer dans le secteur public d’exportation du pétrole et on promet d’ouvrir en aval les infrastructures, telles que le raffinement, aux investisseurs privés (New York Times, 11 août 2005). Alors, oui, l’Irak est en train de se faire transformer d’une économie semblable à celle de l’Iran à une semblable à celle de Hong-Kong.

C’est une raison pour croire que la crainte sur l’Iran est provoquée, un prétexte pour poursuivre un projet de relooking économique qui profite à l’élite économique de l’alliance impérialiste américaine. Mais il y a d’autres. Mettez de côté l’hypocrisie monumentale des pays riches et industrialisés – dont certains grouillent d’armes nucléaires, dont tous ont la capacité de les produire, la plupart avec leurs propres installations nucléaires civiles – qui demandent à l’Iran de renoncer à son droit, sous le Traité de non-prolifération nucléaire, à développer de façon indépendante de l’énergie nucléaire pour l’usage civil. Ignorez aussi le fait que les mêmes exigences ne sont pas faites envers d’autres pays moins développés qui se trouvent plus haut sur l’index de liberté économique et qui sont plus accommodants des intérêts de rentabilité des investisseurs occidentaux et des sociétés transnationales.

Ce n’est pas comme si l’Iran n’avait pas un besoin légitime d’énergie nucléaire nonobstant les insinuations de l’administration Bush qu’un pays riche en pétrole n’a pas besoin d’énergie nucléaire. En plus du pétrole, l’Iran possède des réserves abondantes d’uranium. Et tandis qu’il se situe sur une mer de pétrole, il manque la capacité de raffinement suffisante. Alors il importe du pétrole raffiné.

Ajouter à cela le fait que les Etats-Unis n’ont pas toujours été opposés à l’énergie nucléaire en Iran et les craintes sur le programme d’énergie nucléaire en Iran sont ce qu’elles semblent être – provoquées. Sous le chah, un consortium de sociétés américaines, mené par Westinghouse, a mis sur pied la proposition de monter une industrie d’énergie nucléaire massive dans le pays – avec l’approbation du gouvernement des Etats-Unis (Washington Post, 27 mars 2005). La proposition a été mise au rancart lorsque le chah a été renversé.

Si Westinghouse était engagé à construire les centrales nucléaires en Iran aujourd’hui, la politique étrangère américaine ne serait pas si hostile. Mais les installations nucléaires iraniennes sont construites par la Russie, un concurrent économique des Etats-Unis. Et Washington ne regarderait pas d’un œil réprobateur si des investisseurs américains pouvait posséder l’industrie nucléaire iranienne proposée, mais la constitution d’Iran interdit la propriété étrangère de la production énergétique.

Que dire à propos du fait que l’Iran cherche à développer des armes nucléaires ? Il est vrai qu’en plus de renforcer la souveraineté économique de l’Iran, une industrie d’énergie nucléaire civile et le contrôle intérieur du cycle énergétique donnerait au pays les moyens de développer des armes nucléaires. Mais de quel droit les Etats-Unis, la France, la Grande Bretagne et Israël, qui possèdent tous eux-mêmes des armes nucléaires et qui n’ont aucune intention d’y renoncer, de dire à l’Iran qu’il ne peut pas en avoir aussi ? D’ailleurs, ce n’est pas parce que quelqu’un a les moyens de faire quelque chose qu’il le fasse. Votre voisin a la possibilité de se glisser dans votre chambre la nuit et vous mettre un talon aiguille en-dessous du sternum, mais est-ce que vous perdez des nuits de sommeil à vous inquiéter pour autant ?

La couverture médiatique occidentale accepte comme axiome le fait que si l’Iran est permis sous le Traité de non-prolifération nucléaire d’exercer son droit de raffiner de l’uranium, il produira ipso facto des armes nucléaires et les utilisera. La seule preuve qu’il le fera est que les Etats-Unis, certains pays d’Europe occidentale qui ont l’habitude de pulvériser avec les Etats-Unis des pays qui se trouvent en bas de l’Index de liberté économique du Heritage Foundation, et Israël continuent à intimider Téhéran ; confronté à des menaces incessantes, il se peut que l’Iran décide d’acquérir une capacité nucléaire pour que les pays impérialistes réfléchissent à deux fois avant de faire à l’Iran ce qu’ils ont fait ces dernières années à l’Irak et à la Yougoslavie et à d’innombrables autres pays moins développés à d’autres époques. En effet, il semble presque une nécessité, afin de garder toute forme de vraie souveraineté, de s’équiper de moyens efficaces pour dissuader les menaces inévitables de déstabilisation, d’étouffement économique et d’une guerre ouverte que les intérêts dominants de Washington et d’autres pays avancés industriellement emploient systématiquement pour maintenir le monde ouvert à leurs produits, leurs services et leur capital.

Mais ce n’est pas dans la ligne éditoriale de Washington. Nous devrions plutôt comprendre que l’Iran pourrait acquérir des armes nucléaires non pas comme mesure d’autodéfense, mais parce que son président est « à moitié fou », que les ecclésiastiques le contrôlant ne sont guère mieux et qu’ils veulent tous « rayer Israël de la carte », autrement dit tirer quelques missiles à tête nucléaire en direction d’Israël afin de réduire l’état de colons juifs en cendres. Ce n’est certainement pas au-delà des capacités de quelqu’un qui nie l’Holocauste.

La phrase qu’un président d’Iran « à moitié fou » et « violemment antisémite » a nié l’Holocauste et a menacé de rayer Israël de la carte est un bon outil pour justifier les actions énergiques déployées contre l’Iran, y inclus la guerre, mais elle crée une impression qui ne colle pas complètement avec les faits.

Les remarques d’Ahmadinejad sur l’Holocauste était un défi lancé à ceux qui utilisent la tentative des Nazis d’éliminer systématiquement les Juifs européens comme une justification pour déplacer les Arabes palestiniens afin de fonder un état juif. Ce qu’il a dit sur l’Holocauste revient à ceci :

« Ou bien il a eu lieu ou bien il n’a pas eu lieu. S’il n’a pas eu lieu, alors c’est une fabrication. S’il a eu lieu, ce ne sont pas les Arabes qui l’ont fait ; c’étaient les Européens. Pourquoi alors les Palestiniens paient-ils le prix de ce que les Européens ont fait contre les Juifs ? » (Musayeb Naimi, rédacteur d’Al-Wefaq, New York Times, 20 décembre 2005)

Au fait, c’est une question que ceux qui sont furieux à propos des commentaires du président iranien évitent soigneusement. Ils se sont plutôt accrochés à son questionnement sur l’Holocauste, comme à la marque d’un judophobe hypothétique à moitié fou.

Les remarques d’Ahmadinejad :

« Si vous commettiez un grand crime, pourquoi est-ce que la nation palestinienne oppressée doit payer ? Voici notre proposition : si vous avez commis ce crime, alors donnez-leur une partie de votre terre en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou en Alaska pour que les Juifs puisse fonder leur propre pays. » (New York Times, 15 décembre 2005)

« Pourquoi voulez-vous forcer Israël sur la terre sainte de la Palestine en tuant des Musulmans ? Donnez un morceau de votre terre en Europe, aux Etats-Unis, au Canada ou en Alaska pour que les Juifs puissent créer leur propre Etat. » (Los Angeles Times, 15 décembre 2005)

« Est-ce que la massacre de Juifs innocents par Hitler est une raison pour qu’ils (les Européens) soutiennent les occupants de Jérusalem ?… Si les Européens sont honnêtes, ils devraient donner certaines de leurs provinces en Europe – comme l’Allemagne, l’Autriche ou d’autres pays – aux Sionistes et les Sionistes peuvent établir leur Etat en Europe. Vous offrez une partie de l’Europe et nous vous soutiendrons. « (Washington Post, 9 décembre 2005)

A cela, le porte-parole du Premier Ministre Ariel Sharon, Raanan Gissin, a répondu : « Simplement pour rappeler à M Ahmadinejad, nous sommes ici depuis bien avant ses ancêtres. Donc, nous avons un droit de naissance d’être sur la terre de nos ancêtres et d’y vivre. » (Washington Post, 9 décembre 2005) Qui est le fanatique religieux ?

L’affirmation d’Ahmadinejad qu’Israël doit être rayé de la carte (dans l’idée d’un Israël en tant que patrie fondée sur l’expulsion de Palestiniens) a, de façon prévisible, été délibérément mal interprétée comme un appel à un deuxième Holocauste. Elle sert la fonction de propagande pro-guerre pour dépeindre Ahmadinejad comme dépassant les bornes – un nouvel Hitler dont le pays doit être maîtrisé, écrasé et soumis, tout comme les pays des autres monstres fabriqués par le programme de propagande dont les Etats-Unis et ses serviteurs fidèles ont argumenté le renversement.

Quand l’ambassadeur égyptien à l’ONU, Maged Abdelaziz, a critiqué une résolution de l’assemblée générale de l’ONU adoptée le 1 novembre 2005 pour consacrer un jour par an à la commémoration de l’Holocauste antijuif perpétré par les Nazis comme étant trop limitée (« Nous croyons que personne ne devrait avoir un monopole sur la souffrance »), l’ambassadeur américain à l’ONU, John Bolton, a répondu, « Lorsque le président d’un Etat membre peut impudemment et haineusement demander un deuxième Holocauste en suggérant qu’Israël, la patrie juive, soit rayé de la carte, il est clair que tous n’ont pas appris la leçon de l’Holocauste et qu’il reste encore beaucoup à faire. » (New York Times, 2 novembre 2005)

L’explication d’Ahmadinejad de ce qu’il voulait dire par « rayer Israël de la carte » est bien loin de ce que Bolton et d’autres cherchant à obtenir une intervention en Iran nous donnent à croire. « La seule solution logique pour résoudre les questions palestiniennes, explique Ahmadinejad, est d’organiser des élections libres avec la participation des Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur des territoires occupés et en reconnaissance de la légitimité d’une nation. » (RNA, cité dans Workers World, 6 novembre 2005). Plus tard Ahmadinejad a fait remarquer que « ils (Bolton et les autres) ont créé un tollé général à propos de tout cela » en ajoutant, « Ce que nous disons est clair : Que les Palestiniens participent à des élections libres et ils diront eux-mêmes ce qu’ils veulent. » (New York Times, 15 janvier 2006) Ce n’est pas la diatribe à moitié folle d’un dirigeant violemment antisémite ; c’est un appel à la justice.

Il est d’usage depuis au moins la Première Guerre mondiale sinon avant, de choisir un individu sur lequel toute la peur et la haine attisées par un programme réfléchi de propagande pro-guerre se focalisent. Concernant les projets d’ouvrir de force l’économie iranienne, Ahmadinejad est cet individu tout comme l’est Hugo Chavez (actuellement décrit par les Etats-Unis comme étant antidémocratique bien qu’élu démocratiquement. New York Times, 14 janvier 2006) au Venezuela, Fidel Castro au Cuba, Alexander Lukachenko en Biélorussie, Robert Mugabe au Zimbabwe et Kim Jong II en RDCN. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, il est d’usage d’assimiler de tels individus à Hitler – une tâche assez facile dans le cas d’Ahmadinejad non pas parce qu’il est antisémite, mais parce que son hostilité à l’expulsion des Palestiniens comme la base d’Israël peut facilement être déformée en un antisémitisme apparent tandis que son opposition à l’idée d’un Etat juif en Palestine historique, où domine un groupe ethnique par dessein et intention, peut démagogiquement être déformée et créer l’apparence qu’il est dédié à un deuxième Holocauste.

L’hostilité des puissances occidentales envers l’Iran a peu à voir alors avec les idées du dirigeant iranien, surtout celles concernant Israël, car ces idées, telles que présentées par les pro-interventionnistes, sont des déformations faites délibérément pour argumenter une strangulation économique au minimum et probablement une guerre. L’hostilité est plutôt ancrée dans l’économie iranienne et dans l’assertion du pays de sa souveraineté économique. Par contre, ce serait une erreur de dire que l’hostilité de l’Iran à l’idée d’Israël, en tant qu’Etat défini éthniquement et fondé sur une grave injustice perpétrée contre les Palestiniens, est entièrement insignifiant à la politique étrangère des Etats-Unis ; dans la mesure où il signale une opposition à Israël, il vise une partie de l’appareil sur lequel compte les Etats-Unis pour renforcer leur domination du Moyen Orient. Mais une domination à quelles fins ?

On dit souvent que les Etats-Unis cherchent à maîtriser des Etats renégats, soit pour des raisons entièrement non fondées (pour introduire la démocratie et le respect des droits humains, par exemple) ou, quand ces raisons ont été discréditées et montrées comme étant fausses, sur des bases souvent non-énoncées. Le pouvoir, le contrôle, la domination représentent l’idée de la fin de l’analyse, comme si les pouvoirs impérialistes cherchaient le pourvoir pour le pouvoir.

Mais qu’est-ce qui, dans les Etats renégats, poussent les puissances occidentales à les maîtriser ? La rébellion, oui, mais contre quoi ? Contre les intérêts économiques des puissances occidentales, non pas par hostilité envers l’Occident comme politique, mais pour la responsabilité que ces pays ont envers leur propre développement indépendant et leur souveraineté. La propriété d’Etat de secteurs clés et, dans certains cas, de tous les secteurs économiques ; l’intervention dans les marchés internes dans la poursuite d’objectifs de politique sociale ; le contrôle de ou l’influence sur, les prix y inclus le prix du travail ; et l’usage de barrières commerciales pour favoriser le développement d’industries nationales – ce sont des politiques que pourraient améliorer de manière significative les conditions de vie des populations locales, mais même si elles sont vitales elles entravent la poursuite des activités liées à l’accumulation des capitaux par les investisseurs occidentaux et transnationaux. Puisque les mêmes investisseurs et transnationales exercent une emprise presque exclusive sur la politique des Etats occidentaux, ils ont la capacité de faire pression sur l’appareil d’Etat pour d’ouvrir des voies à l’investissement étranger et à l’exportation. La subversion, la déstabilisation, la strangulation économique et la guerre sont utilisées pour établir un contrôle politique et militaire sur les Etats renégats, pour définir un espace dans lequel des investisseurs et des transnationales de quelque alliance que ce soit de pays avancés industriellement qui a entrepris l’intervention sont libres de se déplacer économiquement, de vendre des produits et des services sans limite, de posséder les industries et les infrastructures, d’accumuler du capital et cela sans contraintes, libres de conditions de performance, avec le profit qui prime sur toute autre considération.

Pourquoi l’Iran ? (1) Pour étouffer le développement économique du pays en le privant d’énergie nucléaire ; (2) Pour l’empêcher d’acquérir une dissuasion nucléaire à l’agression occidentale : (3) Pour l’empêcher de devenir assez puissant et défier le chien d’assaut américain dans la région – Israël – et la raison pour laquelle les trois autres lui sont subordonnées ; (4) Pour mettre fin à l’assertion de souveraineté économique de la part de l’Iran qui va à l’encontre des intérêts de rentabilité des investisseurs américains et transnationaux.

Atteindre ces objectifs est un projet mutli-phase. Le projet est maintenant dans la phase de préparation de l’opinion publique à une forme d’intervention accrue, aboutissant peut-être dans la frappe de cibles iraniennes. Cela ne créera pas plus de sécurité en Occident ou en Israël, but augmentera grandement la chance de frappes de représailles contre des cibles occidentales et israéliennes. C’est, par contre, de peu d’importance pour l’élite économique des pays industrialisés et avancés qui est poussée par la logique du capitalisme pour poursuivre le projet d’accumulation de capitaux. L’Iran, tout comme d’autres pays considérés comme préoccupants par la politique étrangère américaine, est un obstacle à plusieurs facettes aux libres investissements étrangers et exportation. Un Etat dominé par des intérêts commerciaux qui écume la terre pour des opportunités d’investissement et d’exportation tenterait naturellement de déstabiliser et indigner la souveraineté de pays économiquement fermés ou souverains afin d’ouvrir des marchés et améliorer le climat d’investissement. La diabolisation d’Ahmadinejad est seulement la partie la plus visible publiquement de ce projet.

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.