Pays basque : les rafles du juge Baltasar Garzón

Répression politique au pays basque espagnol

En 2003, le gouvernement espagnol a interdit le parti politique Batasuna, en raison du soutien qu’il aurait apporté implicitement aux actions militaires de l’ETA. Cette décision se fondait sur la loi relative aux partis politiques et sur la jurisprudence établie par le juge Baltasar Garzón. L’acharnement de José-Maria Aznar à rendre les Basques unilatéralement responsables de toutes les violences le conduisit à dénoncer leurs liens imaginaires avec le « terrorisme islamique » et à leur attribuer aussi les attentats de Madrid (11 mars 2004). Profitant de l’enlisement et de l’échec de la solution amorcée par José-Luis Zapatero, le juge Garzón a relancé la répression politique en criminalisant par amalgame l’ensemble du mouvement basque.

8 octobre 2007

Mardi, dans le sud du Pays basque, les autorités espagnoles ont réalisé une rafle dans les milieux indépendantistes suite à laquelle 20 personnes ont été mises en état d’arrestation et deux sont déjà en prison. Il s’agit de cadres du parti indépendantiste basque Batasuna, qui représente environ 15% de l’électorat au Pays basque.

Les autorités espagnoles maintiennent cette formation politique dans l’illégalité en vertu d’une loi sur les partis faite sur mesure pour l’interdire. Ce dispositif juridique qui existe déjà depuis quelques années —et qui avait été défendue au Parlement par l’actuel Premier ministre socialiste, M. Zapatero— n’a jamais été appliquée qu’à Batasuna et aux organisations politiques et groupements d’électeurs que des membres de Batasuna ont essayé de constituer.

Il suffit en effet qu’un membre de Batasuna soit présent sur une liste de candidats, pour que celle-ci soit interdite. Batasuna a été mise hors la loi comme faisant partie d’un conglomérat « terroriste » qui, d’après le juge Baltasar Garzón —oui, le célèbre juge qui a raté l’extradition d’Augusto Pinochet mais réussi à incarcérer le journaliste vedette d’Al-Jazeera Tayseer Alouni [1] — dépendrait directement de l’ organisation séparatiste armée ETA.

Cette dépendance n’a jamais été prouvée. Tout au plus a-t-on pu démontrer une convergence objective entre les actions légales de Batasuna et l’action armée de l’ETA.

En effet, les deux organisations poursuivent les mêmes buts, l’autodétermination et, à terme, l’indépendance de la totalité du Pays basque (Communauté autonome basque, et Navarre, en Espagne, départements basques, en France). Cette revendication est d’ailleurs loin d’être minoritaire, puisque plus de 60 % des Basques soutiennent des partis politiques favorables à l’autodétermination, quoique pas nécessairement à l’indépendance.

Pour criminaliser l’indépendantisme basque, les autorités espagnoles ont donc appliqué une doctrine juridique fondée sur l’amalgame entre des objectifs politiques légitimes en démocratie (l’autodétermination, voire l’indépendance des Basques) et des méthodes criminelles employées dans la poursuite de ces mêmes objectifs.

Si l’ETA est un groupe armé indépendantiste, il est assez naturel qu’elle recrute dans les milieux indépendantistes, donc que ses militants soient aussi membres de groupes politiques, d’associations culturelles, de clubs de jeunesse etc. qui font partie de cette mouvance. D’où la seule base objective de la doctrine Garzón qui veut que, puisque les militants de l’ETA sont membres du parti Batasuna ou de l’association de jeunes EKIN ou du syndicat LAB et lecteurs du journal Gara, toutes ces organisations ou publications seraient exactement la même chose. Ainsi, dans l’ordonnance de mise sous écrou des deux porte-parole de Batasuna qui ont été arrêtés hier, Garzón justifie sa mesure en affirmant qu’ils font partie de « l’organisation terroriste ETA-EKIN-Batasuna », en tant que membres du parti Batasuna. La pratique de l’amalgame est évidente.

On accuse également les deux porte-parole de Batasuna d’avoir pris part à une manifestation interdite en faveur des plus de 600 prisonniers politiques basques qui croupissent dans les prisons espagnoles, loin du Pays basque et sous un régime d’exception dans lequel ils ne bénéficient pas de réductions de peine pour bonne conduite et sont souvent soumis à l’isolement.

Cette manifestation interdite qui a lieu chaque année le même jour depuis plus de 30 ans n’était aucunement une manifestation violente. Ses revendications n’étaient même pas particulièrement radicales, puisque les manifestants exigeaient simplement le respect des lois pénitentiaires espagnoles en ce qui concerne les prisonniers basques, notamment leur rapprochement du Pays basque et l’application à leur égard des normes pénitentiaires normales.

C’est donc pour avoir exercé leurs droits de libre association et leur liberté d’expression que ces deux personnes se retrouvent en prison et que bien d’autres ont été arrêtées.

On chercherait en vain la moindre accusation de violence contre les personnes ou les propriétés dans l’ordre de Garzón. Et pourtant, c’est bien de « terrorisme » qu’on accuse les deux représentants du parti indépendantiste. Cette accusation ne saurait avoir d’autre base qu’analogique : ce sont des terroristes, parce qu’ils poursuivent les mêmes buts que les terroristes.

Si on pousse un peu plus loin cette analogie on pourrait accuser de terrorisme le démocrate-chrétien nationaliste, M. Ibarretxe qui préside la région autonome basque et qui est lui aussi un ferme partisan de l’autodétermination et de la souveraineté du Pays basque. Il est déjà peu compatible avec des principes démocratiques élémentaires qu’on ait introduit dans les codes pénaux des pays européens le crime de terrorisme. En effet, toutes les définitions du terrorisme sont fondées sur le regroupement d’ une série d’ actes plus ou moins violents autour d’une finalité politique commune.

Or les actes de violence qui représentent l’aspect objectif du terrorisme sont déjà repris dans le code pénal, la notion de terrorisme n’y ajoutant que l’intentionalité politique. Il va de soi que la définition d’un crime dans ces termes est extrêmement dangereuse pour les libertés politiques. Toute la doctrine pénale libérale et démocratique est fondée sur l’interdiction de l’analogie. En effet, toute sanction pénale doit être prise en fonction d’une définition rigoureuse des actes criminels. C’est ce qui découle du vieux principe nullum crimen sine lege, il n’y a pas de crime sans une loi préalable qui le définisse en termes stricts. Dès la prise du pouvoir les ministres de la justice se sont empressés de remplacer dans le code pénal l’interdiction de l’analogie par l’application obligatoire du principe d’analogie dans le but d’établir l’ordre répressif quasiment sans failles que l’on sait.

Certes, les actions armées de l’ETA sont éthiquement insupportables et politiquement inutiles ou même contre-productives, celà n’empêche pas qu’elles s’inscrivent dans un contexte de déni massif de droits et de violence institutionnelle. Ceci ne les justifie aucunement, mais celà permet de comprendre que de nombreux citoyens basques refusent de « condamner » cette violence. Le nombre de basques emprisonnés à l’heure actuelle est déjà une donnée politique et sociale massive. Mais il faut tenir compte des milliers de personnes qui sont passées précédemment par les prisons espagnoles ou des dizaines de milliers qui ont été arrêtées et souvent maltraitées —beaucoup même torturées— avant et après la mort de Francisco Franco pour saisir la force de la revendication d’autodétermination et l’intensité de la résistance et de la répression. Un État démocratique ne peut pas faire face à ce phénomène en prétendant qu’il n’existe qu’un problème de terrorisme.

Une solution politique négociée avec les différents acteurs était à portée de main l’an dernier, quand l’ETA proclama un cessez-le-feu indéfini. Le gouvernement espagnol ne profita pas de l’occasion pour reproduire une solution à l’irlandaise. Il est difficile de savoir s’il ne voulait pas ou s’il ne pouvait pas le faire, étant pris dans les filets d’appareils d’Etat directement hérités du franquisme. Le gouvernement de Jose-Luis Zapatero devrait également honorer les engagements pris para le PSOE lors de la « transition » avec l’armée et les forces de droite, notamment en ce qui concerne l’unité de l’Espagne et le maintien du roi désigné par le général Franco.

De son côté, l’ETA n’eut pas la patience d’attendre le développement d’une mobilisation citoyenne en faveur du processus de paix qui aurait pu dénouer la situation et entreprit une action spectaculaire de sabotage à l’aéroport de Madrid qui coûta la vie à deux immigrés équatoriens. Le gouvernement espagnol mit fin le jour même de l’attentat à ce processus de paix, qui pour lui n’avait été qu’un vague échange de paroles sans conséquences.

L’ETA mit fin au cessez-le-feu unilatéral quelques mois plus tard. Désormais, le gouvernement socialiste espagnol, désireux de ronger des voix à la droite —avec laquelle il se retrouve coude à coude dans les sondages— joue la surenchère répressive dans laquelle s’inscrit cette dernière vague d’arrestations. Dès lors, on peut craindre une reprise de l’ « activité armée » de l’ETA à laquelle le gouvernement de M. Zapatero ou son successeur de droite répondront sans doute par une nouvelle attaque contre les droits des citoyens.

John Brown

[1] Le Réseau Voltaire a mis en cause le magistrat dans « La presse arabe dans la ligne de tir », 15 septembre 2003. Il nous a répondu dans l’entretien qu’il nous a accordé, mais qui ne nous a guère convaincu, voir « Baltazar Garzón ou le fantasme d’Al Qaïda », 16 février 2004.

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