Particratie contre médiacratie : un accrochage significatif

Les pouvoirs médiatiques, les chaînes de télévision Televisa et Televisón Azteca [1] en tête, ont essayé d’empêcher une réforme électorale qui les prive de juteux bénéfices lors de campagnes électorales. Cette fois, la « particratie » a gagné. La relation entre les médias, l’argent et les partis a commencé à changer mais il reste un défi majeur à affronter : modifier les relations entre les partis et les citoyens.

Envío (http://www.envio.org.ni), Nicaragua, octobre 2007.

Traduction : Marie-Anne Dubosc, pour le RISAL (http://risal.collectifs.net/).

Si on demande à Atilio Boron [2] ce que dirait Aristote de la majorité des gouvernements actuels, il répond qu’il ne les qualifierait certainement pas de démocraties, mais plutôt d’oligarchies ou de ploutocraties. Le Mexique a connu plusieurs transitions, mais est encore loin de la démocratie. Un mouvement civique complexe et pluriel apparaît par intermittence, exigeant le respect des droits civils, politiques, sociaux et culturels. Il a obtenu peu à peu quelques conquêtes mais elles ont vite été perdues. (…)

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Le mouvement civique – les mouvements civiques – s’est toujours heurté aux partis politiques et aux médias audiovisuels. Son premier objectif a été d’en finir avec l’autoritarisme du régime de parti d’Etat [3]. Quand le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) était à la présidence de la République, les médias se mettaient à son service et empêchaient la présence des oppositions sur leurs ondes. L’organisme [d’arbitrage] électoral était une extension bureaucratique de ce parti. Mais l’alliance entre le mouvement civique et les partis d’opposition a réussi à vaincre cette domination. Elle a mis fin à sa mainmise sur le pouvoir législatif fédéral, dans un premier temps, et sur la présidence de la République, en 2000. Dans ce combat, l’autonomie de l’organisme électoral avait été préalablement conquise. Depuis lors, le pouvoir exécutif a dû abandonner son contrôle sur l’organisation des élections.

Avec le déclin du présidentialisme est venu l’essor de la « particratie ». Après un bref laps de temps au cours duquel l’organisme électoral a été dirigé par des « conseillers citoyens », les partis ont rapidement rejoint la direction de cette instance en se partageant les postes. Le comble a été atteint lors des élections présidentielles de 2006 [4]. En effet, la présidence a mis en place un système téléphonique spécial pour maintenir le contact avec les conseillers électoraux [de l’Instituto Federal Electoral, IFE]. A l’époque, la « partisation » de l’organe électoral se limitait au parti du gouvernement, le Parti d’Action Nationale (PAN) et au parti allié (le PRI).

De leur côté, les médias audiovisuels se sont érigés en une « médiacratie » qui a subordonné la « particratie ». Le modèle électoral a fait de l’argent et des médias deux facteurs déterminants pour gagner les élections. Les partis et leurs candidats devaient négocier dans des conditions humiliantes une apparition coûteuse sur les écrans de télévision. (…) Ensuite, ceux qui gagnaient gouvernaient et légiféraient en fonction des intérêts des pouvoirs de l’argent et des médias.

Deux propositions de réformes électorales

Le Mexique ne peut pas se permettre de répéter un processus électoral aussi critiqué et remis en cause que les présidentielles de 2006 [5]. Face à l’urgence d’une réforme, le mouvement civique – qui a repris de la vigueur au cours de 2006 – s’est manifesté dans la discussion sur cette réforme. Au début d’août 2007, le dénommé Comité concitoyen (« Comité Conciudadano ») a publié un livre contenant le document de travail d’une proposition précise de réforme électorale.

Ce groupe est constitué d’un réseau de spécialistes en matière électorale et de groupes civiques de la capitale du pays et de différents états fédérés. Ils proposent, entre autres, que l’élection des conseillers électoraux de l’Institut Fédéral Électoral (IFE) [6] se fasse via une procédure publique et transparente qui inviterait les organisations de la société civile, les groupements citoyens et les institutions académiques et publiques en général, à proposer des candidats. Ce groupe exige également qu’on réduise de façon drastique le financement des partis et, pour ce qui est des campagnes, qu’on en finisse avec les spots publicitaires et qu’on privilégie le débat.

De son côté, fin août, la « Commission exécutive de négociation et de construction des accords » du Congrès de l’Union [des États-Unis mexicains] a rendu publique sa proposition de réformes constitutionnelles en matière électorale. Après une analyse de ce document, le Comité concitoyen a tenu une conférence de presse dans laquelle il a reconnu que la proposition des législateurs présentait quelques avancées : régulation des pré-campagnes, diminution de la durée des campagnes, élimination du secret bancaire pour la fiscalisation des ressources des partis politiques, interdiction faite aux gouvernement fédéral, à ceux des états fédérés et aux autorités municipales de faire de la publicité gouvernementale en utilisant des noms, des images et des symboles qui impliquent la promotion personnalisée de tout serviteur public. En outre, l’organisme électoral se voit octroyer, dans cette proposition, la faculté de sanctionner les partis, groupements politiques, personnes physiques et juridiques nationales et étrangères, qui enfreindraient les dispositions légales en matière électorale.

Le Comité concitoyen a également souligné que la proposition comprenait d’importants reculs. Il a exprimé son inquiétude pour le peu de transparence du processus suivi par le Congrès et les trois partis politiques majoritaires pour négocier des accords, car il n’a pas inclut la participation de la société civile. Il a montré qu’il n’y a pas de réduction significative du financement des partis. Il a regretté que le thème de la « citoyennisation » du processus de l’élection des membres du Conseil général de l’IFE, des magistrats et du procureur spécial pour les délits électoraux, n’ait pas été abordé. Et il a critiqué le maintien de salaires aussi élevés pour les conseillers.

Le 5 septembre, un pré-rapport de réforme électorale a été présenté au Sénat. Il a mis l’accent sur l’interdiction faite aux partis politiques de dépenser des ressources pour payer des spots publicitaires et des programmes de radio et de télévision. La publicité électorale n’est autorisée que lors de périodes officielles et l’IFE devient l’unique autorité à administrer ces périodes. La réforme interdit aussi aux citoyens ou entreprises d’acheter ou de diffuser des messages qui peuvent influer en faveur ou en défaveur des partis ou candidats. La Commission de fiscalisation de l’IFE a calculé qu’en 2006, les partis ont dépensé 2 457 millions de pesos mexicains (159 millions d’euros) en radio et télévision. Et ce sans compter les 281 spots que les partis n’ont pas signalé ni l’énorme dépense médiatique des pré-campagnes.

Remplacement des conseillers électoraux de l’IFE ?

Perdre des revenus aussi juteux – équivalant à 70% des énormes revenus des partis – a énervé les chaînes de télévision. Celles-ci ont attaqué les partis qu’elles ont accusé de vouloir mettre en faillite l’autonomie de l’organisme électoral en essayant de démettre les conseillers. (…)

Les mêmes arguments présentés depuis des mois pour ou contre le remplacement des conseillers électoraux de l’IFE ont été utilisés dans le débat public. Le président de Conseil général de l’IFE s’est défendu dans les médias, en alléguant que lui retirer son poste signifierait reconnaître que les élections présidentielles avaient été frauduleuses. Le PRI et le Parti de la Révolution Démocratique (PRD, centre gauche) se sont montrés favorables au départ du président. Mais, alors que le PRD a exigé que tous les conseillers soient également démis, le PRI s’est prononcé pour que certains restent. Le PAN, quant à lui, s’est montré peu enclin à accepter le remplacement des conseillers. Face à cela, le PRI a allégué que la posture de défense du PAN révélait à quel point les conseillers électoraux servaient un parti.

L’écrivaine Denis Dresser a résumé les raisons pour lesquelles il faut remplacer les conseillers. Elle a souligné que l’IFE ne peut pas remplir son rôle d’arbitre électoral s’il n’a pas la confiance des partis dont il régule le comportement. Elle a affirmé que la confiance en ces autorités a été minée par des événements comme le processus très critiquable de nomination des membres du Conseil général de l’IFE en 2003 et les erreurs et omissions que les mêmes conseillers ont commis avant et après les élections présidentielles de 2006. Ces erreurs ont eu un impact décisif et négatif.

L’ex-conseiller électoral Jaime Cárdenas a écrit que les organes électoraux fédéraux du pays se trouvent dans une grave crise de crédibilité. Il a souligné le fondement de la plainte du PRI comme quoi il n’existe pas de pluralité dans l’IFE et qu’une seule force politique le domine [le PAN, parti du gouvernement]. La solution serait une réforme constitutionnelle et légale qui concevrait des institutions (…) avec plus de transparence. Le journal El Universal, dans sa section éditoriale, a affirmé que les conseillers de l’IFE ne doivent pas faire partie du problème mais de la solution, et qu’ils doivent faire passer le bien-être institutionnel avant tout intérêt personnel. Il a souligné que la perte de crédibilité et de confiance qui affecte l’organisme électoral est une raison puissante pour renforcer l’idée de changement total des conseillers.

Réaction du duopole Televisa et Televisón Azteca

Les grands médias et les dirigeants d’entreprises ont vu dans la réforme électorale une diminution de leurs bénéfices et ont pris comme prétexte la discussion sur le remplacement des conseillers électoraux pour essayer d’empêcher que la réforme ne passe. Comme de vrais gangsters, ils ont essayé d’intimider les législateurs en les menaçant de détruire leur image politique, en les ignorant ou en les attaquant à travers les médias. Le Sénat a condamné ces attaques des chaînes de télévision et de certaines stations de radio.

Le quotidien La Jornada a fait remarquer que les télévisions et les radios commerciales menaient une campagne de harcèlement, de pressions, de menaces et de chantages contre les législateurs fédéraux et qu’elles intoxiquaient l’opinion publique au moyen d’une « croisade » de désinformation. Il a dénoncé le fait que la Chambre nationale de l’industrie de la radio et de la télévision (CIRT, Cámara Nacional de la Industria de Radio y Televisión) – avec en tête le duopole, Televisa et Televisión Azteca – en se présentant faussement comme la porte-parole des « Mexicains » s’était prononcée contre le nécessaire remplacement des conseillers de l’IFE, bien que ces derniers, avec leur conduite louche et partial, aient amené l’organisme électoral à un sommet d’impopularité. Le journaliste René Delgado a précisé que ceux qui croyaient que soutenir les conseillers en poste signifiait défendre l’institution ne faisaient en réalité que participer au jeu des chaînes de télévision pour empêcher une nécessaire réforme électorale.

Résistance à la pression des médias

Face à un débat public si intense, le Comité concitoyen a publié un autre communiqué le 10 septembre. Une fois de plus, il a demandé au Congrès de l’Union de considérer la pertinence d’une modification substantielle du mode d’élection des conseillers, qui garantirait à l’autorité électorale un véritable caractère citoyen, car le risque est réel de se retrouver dans une situation aussi lamentable que celle qui a suivi les élections présidentielles de 2006, à cause de l’illégitimité de l’arbitre électoral qui les a organisées. Le Comité a exigé que le remplacement des conseillers électoraux se fasse de façon institutionnelle, en marge de tout type de négociation impliquant des compromis et des arrangements obscurs, une fois de plus, aux dépens de la Nation et du Trésor public.

Le Comité concitoyen a exprimé son plus grand soutien à la proposition de réforme constitutionnelle, qui établit un nouveau type de relations entre les forces politiques et les médias et a rejeté les pressions de ces derniers, qui instrumentalisent le débat sur la rénovation du Conseil général de l’IFE [le remplacement des conseillers] pour défendre leurs intérêts économiques. (…) Il a de nouveau résumé sa proposition pour rendre la vie politique moins coûteuse et il a rappelé qu’il avait présenté une proposition de réforme électorale dont de nombreux d’aspects n’ont pas été pris en compte par les législateurs.

La liberté d’expression en danger ?

(…) Le 10 septembre, un nouveau pré-rapport a été remis au Sénat, avec quelques modifications par rapport à la version présentée cinq jours avant. On y a précisé que les modifications impliquent un nouveau modèle de communication entre les partis et la société se fondant sur l’usage exclusif des temps [de parole] dont dispose l’Etat à la radio et à la télévision. La publicité gouvernementale, de tout type que ce soit, est suspendue pendant les campagnes électorales. L’organisme électoral a la capacité de sanctionner ceux qui, usant indûment de leur pouvoir économique ou de leur influence sur les médias, prétendent influencer les électeurs pour avantager ou nuire à certains partis ou candidats.

Le Sénat a répondu aux accusations qui arguaient que cela mettait des restrictions à la liberté d’expression, en soulignant que l’objectif est d’empêcher les partis de dénigrer les institutions ou de calomnier des personnes. Ces limites sont valables pour les gouvernements et les partis, pas pour les citoyens s’ils souhaitent exprimer leurs points de vue et leurs critiques. On n’interdit pas la liberté d’expression mais le fait que les nantis achètent des spots publicitaires pour attaquer les participants à des campagnes politiques. Ceux qui s’opposent à ces changements sont ceux qui se sont habitués à placer et à retirer des candidats et à financer des campagnes hors des sentiers battus.

Enfin, dans l’après-midi du 11 septembre, les négociateurs sont arrivés à un accord sur le remplacement graduel des conseillers électoraux. Alors qu’il semblait que tout était en train de se résoudre, la CIRT a fait pression jusqu’à obtenir que les sénateurs de la commission sénatorial participent à une discussion avec des propriétaires et des directeurs de chaînes de télévision et de radio et des présentateurs d’émissions. Ils ont insisté sur le thème de la liberté d’expression. Les médias se sont unis et ont organisé une « cadena », une retransmission de la réunion sur toutes les chaînes au niveau national.

La liberté d’expression ou une affaire de gros sous ?

Bien que le prétexte pour maintenir le statu quo soit la liberté d’expression, il est apparu clairement au cours de la réunion – où, d’ailleurs, les porte-parole des propriétaires des médias se sont montré arrogants, injurieux et tout-puissants à l’égard des législateurs – que la noeud du problème vient de l’interdiction d’acheter de la publicité politique dans les médias. Les sénateurs ont défendu le fait que la liberté d’expression est scrupuleusement respectée mais que ce qui est effectivement affecté, c’est la liberté de commercialisation d’un bien appartenant au domaine public de la Nation.

En guise de commentaire sur cette réunion, l’ex-conseiller Mauricio Merino a affirmé que les médias n’étaient pas d’accord avec la perte soudaine d’une bonne affaire qu’ils ont développée. Ils ont largement montré qu’ils ne voulaient pas perdre les centaines de millions de pesos mexicains que les partis politiques leur versent à chaque campagne – et même en-dehors d’elles -, ni le pouvoir politique que leur octroie la négociation de tarifs, règles et temps de parole dédiés à chaque parti (…).

Ce n’est pas un hasard si c’est justement ces négociations occultes entre partis et médias qui ont précisément bloqué la fiscalisation des ressources des partis en 2006, car les analystes continuent à douter de la véracité des factures fournies à l’IFE et à se demander où sont le presque mille milliards de pesos qui se sont « perdus » en chemin. Derrière ces chiffres, il n’y a pas seulement une juteuse affaire, mais aussi un arrangement politique qui leur convient et auquel la réforme en cours pourrait mettre un terme.

Abondant dans ce sens, le juriste John Ackermann a rappelé que pendant les élections les chaînes de télévision augmentent leurs prix et touchent des tarifs qui varient en fonction de leur proximité ou non avec les candidats : ils ont offert des espaces à ceux qui partageaient leur points de vue et ont demandé des tarifs usuriers à leurs adversaires. (…) Il a rappelé qu’en janvier 2006, au début des campagnes, la CIRT a signé un accord par lequel elle s’engageait à fournir des informations détaillées sur les achats de publicité politique. Cela impliquait de fournir des copies des factures envoyées à chaque parti. Mais elle n’a pas honoré cet engagement et n’a fourni que des données générales, se réservant les informations spécifiques sur les prix, les horaires et les contractants. (…) Les médias n’ont pas rempli leur engagement d’informer tous les trimestres l’IFE de tous les contrats de publicité électorale.

Le principal problème est que, dans la lutte contre la réforme électorale, le pouvoir médiatique a conclu une alliance étroite avec les conseillers électoraux en fonction. Quelle indépendance et qualité morale auraient ces conseillers pour obliger la CIRT à fournir l’information qui dévoilerait ce qui se cachait derrière des annonces ?

Approbation de la réforme

Faisant cas de la grande inquiétude citoyenne pour que les intérêts illégaux et illégitimes de l’argent ne puissent pas influencer la vie des partis et le cours des campagnes électorales, et malgré les pressions, le rapport a été approuvé dans les commissions correspondantes. Il a été souligné que ni l’argent ni le pouvoir des marchés de communication ne devaient s’ériger en facteurs déterminants des campagnes ou de la vie politique nationale.

Le cœur de la réforme réside dans le fait que les partis ne pourront pas acheter d’espaces de publicité dans les médias et qu’ils ne pourront utiliser que les espaces officiels dans ces médias pour faire leurs campagnes. Aucune personne, qu’elle soit publique ou privée, que ce soit à titre personnel ou pour un tiers, ne pourra acheter de publicité à la radio et à la télévision afin d’influencer les préférences électorales des citoyens, ni en faveur ni à l’encontre de partis politiques ou de candidats. L’obligation pour les forces politiques de ne pas utiliser dans leur publicité d’expressions dénigrantes a été élevée au rang constitutionnel. Une autre avancée a été d’établir le droit de réponse.

Le rapport est passé en discussion plénière au Sénat. Dans une tentative supplémentaire pour freiner la réforme, la CIRT, alliée avec des secteurs patronaux (la chambre des industriels et le Conseil coordinateur des entreprises), a à nouveau organisé une « cadena » nationale pour défier les sénateurs d’organiser un référendum supervisé par les conseillers électoraux. Les pouvoirs de l’argent et des médias ont cru dans leur capacité de manipulation médiatique. Ils se sont présentés eux-mêmes comme la voix de la société civile et ils ont voulu camoufler cette nouvelle tentative en la présentant comme une lutte pour défendre la liberté d’expression.

Face aux pressions et aux offenses, les sénateurs ont expliqué que l’on ne pouvait effectuer un référendum car cette procédure n’est pas inscrite dans la Constitution. Ils ont serré les rangs et ont approuvé le rapport. Dans la discussion, les sénateurs ont répondu aux concessionnaires de radio et de télévision que, malgré leurs menaces publiques et privées, leurs mensonges et leurs attaques, la relation entre les partis et les médias est totalement modifiée pour que ce ne soit ni l’argent ni les publicités qui décident des campagnes et des candidats. On a reconnu au cours de ce débat qu’il y a eu beaucoup d’argent public, beaucoup d’argent privé « légal », et beaucoup d’argent sous la table dans les campagnes antérieures.

Les médias résistent à la réforme

Le rapport approuvé par le Sénat a été ensuite examiné à la Chambre des députés. La CIRT a exigé, cette fois aux députés, une session avec eux, comme cela a été le cas avec les sénateurs. Mais les députés sont restés fermes et n’ont pas accepté cette tentative destinée à retarder l’approbation de la nouvelle réforme électorale.

Comme il s’agit d’une modification constitutionnelle, il faut l’approbation de la moitié plus un des congrès des états fédérés. Les médias ont annoncé que, avec l’appui d’un autre pouvoir de facto, celui de l’argent des entreprises, ils mèneraient bataille dans cette arène pour faire échouer ce que les sénateurs et les députés ont approuvé. Les législateurs fédéraux ont fait une campagne auprès des députés locaux pour leur montrer les avancées de la réforme.

Contre la « loi Televisa » et pour la démocratie

Le Comité concitoyen s’est également proposé de soutenir la réforme dans les états fédérés en argumentant qu’il n’y a aucune violation de la liberté d’expression. En plus de souligner les avancées dans le changement des relations entre les médias, l’argent et les partis, il a maintenu son exigence d’une véritable réduction des dépenses en matière électorale. Il a réitéré son exigence d’assujettir les partis à la loi de la transparence.

Le Comité n’a pas seulement dénoncé les campagnes agressives et diffamatoires des entreprises de radio et de télévision contre le Congrès, mais il a aussi prié instamment à ce que les réformes en matière électorale et de télécommunications soient approfondies pour que progresse la démocratie. Il faut instaurer un nouveau modèle de relation et de communication entre les pouvoirs constitutionnels et les citoyens. Cela implique d’avancer dans la réforme en matière de radio et télévision.

Avant les élections de 2006, les médias, fin connaisseurs du pouvoir qu’ils ont dans les campagnes électorales, avaient obligé les législateurs à approuver sans examen une loi qui avait été élaborée dans les bureaux du duopole télévisé [TV Azteca et Televisa]. Une poignée de législateurs, minoritaires, ne s’était pas soumise et en avait appelé au pouvoir judiciaire en argumentant que cette loi était anticonstitutionnelle car elle avalisait le monopole. La Cour suprême leur avait donné raison, et les législateurs devaient refaire une loi sur la radio et la télévision.

Le moment propice était arrivé pour affronter les monopoles et les oligopoles des médias audiovisuels avec des règles qui permettraient la concurrence et l’équité. Un accès pluriel et équitable à la radio et à la télévision devait être trouvé. S’agissant d’un bien public et restreint, le pouvoir législatif était obligé de réguler le spectre radioélectrique à travers des lois qui garantiraient l’accès équitable aux concessions des médias. Il était urgent de démocratiser les médias.

Avec la première étape de la réforme électorale c’est un changement radical de la façon de faire de la politique qui a débuté. Les hommes politiques qui avaient déjà commencé leurs carrières politiques futuristes, alliés avec les chefs d’entreprises et les médias, ont essayé de manoeuvrer avec les députés locaux, mais il y avait un large consensus au sein de la majorité des hommes politiques sur le fait qu’il était temps de se libérer de ces jougs. La société mexicaine s’est à nouveau crispée autour de cette lutte. Des chefs d’entreprise, des médias, leurs employés, des intellectuels organiques et des universitaires payés ont attaqué la réforme. Les groupes civiques ont argumenté qu’il ne fallait pas se tromper : la liberté d’expression est une chose et le fait que quelqu’un ayant 280 000 pesos puisse acheter une seconde de en prime time à la télévision en est une autre. La réforme cherche à limiter l’abus des puissants.

Le pourquoi d’une telle colère

La journaliste Carmen Aristegui a confié qu’elle s’inquiète des « relents putschistes » qu’elle a perçu chez beaucoup de ses collègues. Elle a expliqué qu’elle ne partage pas l’idée que la réforme mette en danger sa liberté ni celle de n’importe quel citoyen d’exprimer ses opinions, mais qu’elle instaure seulement des limites à l’argent dans son influence sur les campagnes. Des groupes indigènes ont dénoncé l’inacceptable contrôle du duopole télévisé. Beaucoup d’organisations civiques se sont plaintes que les « pouvoirs de facto » veuillent usurper la représentation de la société civile et ont regretté que les propriétaires des médias invoquent la liberté d’expression et la démocratie alors même que celles-ci ont été tellement piétinées. La liberté d’expression au Mexique ne dépend pas de l’achat d’espaces dans les médias.

Des universitaires spécialisés dans la recherche sur les moyens de communication ont précisé que les membres de la CIRT se sentent propriétaires du spectre radioélectrique, qui est la propriété de la Nation. Il ont souligné la faiblesse des arguments brandis par les médias : le fondement de leur colère est qu’ils ne vont plus perdre des rentrées financières et le contrôle qu’ils ont sur les hommes politiques.

L’ex-conseiller électoral Jaime Cárdenas a attiré l’attention sur le fait que les médias ne faisaient pas seulement des affaires juteuses avec chaque processus électoral, mais qu’ils tissaient aussi avec les partis et les candidats des réseaux de complicité et de trafic d’influence, qui avantageaient le maintien de leurs privilèges au détriment de la société. Le juriste John Ackerman a mis en avant une autre de leurs colères : le CIRT s’inquiète du fait que les médias vont être désormais, de fait, assujettis aux autorités électorales dans les campagnes politiques. En éliminant le secret bancaire, on a renforcé les facultés de l’organisme électoral à sanctionner les personnes physiques et juridiques et à ordonner le retrait de la propagande qui viole la loi. Quelque chose d’autre dérange aussi profondément les médias, même s’ils ne le disent pas : l’instauration constitutionnelle du droit de réponse. Cela limite leur toute-puissante habitude de détruire les figures publiques qui ne leur sont pas serviles.

Une réforme importante, mais insuffisante

La réforme a été adoptée. C’est une réforme importante mais insuffisante. Elle représente une avancée évidente, surtout pour faire en sorte que les campagnes politiques soient moins dépendantes des « pouvoirs de facto » de l’argent et des médias. Le processus a toutefois montré les tares de la « particratie ». Les consultations citoyennes ont surtout été cosmétiques. Les intérêts et les négociations occultes des principaux partis ont dominé le débat. Des sujets importants n’ont pas été abordés. Les partis sont encore bien loin de la transparence. On a limité les campagnes publicitaires dans les médias audiovisuels traditionnels mais on n’a pas touché les autres médias comme Internet et la téléphonie mobile. Les partis vont recevoir beaucoup de ressources tant par la voie fédérale que par celle des états fédérés et ils peuvent maintenant étendre leur pratique d’achat de votes.

Nous faisons désormais face à un plus grand défi

L’accrochage entre la « particratie » et la « médiacratie » a été significatif. Mais beaucoup de propositions de la société civile ont été reléguées au placard. La « particratie » a réussi à se libérer des jougs très pesants imposés par la « médiacratie ». On a commencé à résoudre en sa faveur une contradiction secondaire de type oligarchique.

Les groupements de citoyens qui ont relancé leur combat pour une démocratie authentique sont aujourd’hui confrontés à une contradiction de premier ordre, car il leur faut surmonter autant le pouvoir établi des partis que les pouvoirs « idéologisateurs » des médias et d’un patronat qui, sous couvert de démocratie, cache la mesquinerie de ses intérêts économiques. Une hégémonie démocratisante est possible, mais elle requiert un combat important et persistant de groupes civiques actifs.

NOTES:

[1] [NDLR] Les deux plus grandes chaînes mexicaines de télévision commerciale – Televisa et Teleazteca – représentent 95% des fréquences, et ont des proportions similaires d’audience et d’annonces publicitaires. Televisa contrôle 80% de ces pourcentages.

[2] [NDLR] Sociologue et ancien secrétaire exécutif du CLACSO : http://www.clacso.org.ar.

[3] [NDLR] Le Mexique a été gouverné durant 71 ans, jusqu’en 2000, par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI).

[4] [NDLR] Au sujet des de ces élections et des probables fraudes qui les ont marquées, voir le dossier du RISAL sur le sujet : http://risal.collectifs.net/spip.ph….

[5] [NDLR] Un processus marqué par de nombreux soupçons et indices de fraude ayant permis la victoire électorale du candidat de droit, Felipe Calderon.

[6] [NDLR] L’institut fédéral électoral est dirigé par un conseil général constitué de neuf conseillers électoraux désignés par la Cambre des députés à majorité qualifiée. Chaque fraction parlementaire et chaqueparti politique reconnu légalement y ont aussi une représentation.

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