Ni "simplifié", ni "mini", un traité "copié-collé" pour l'U.E.

Le projet de « traité modificatif » (reform treaty) européen a été rendu

public le vendredi 5 octobre. On comprend à sa lecture pourquoi ses

rédacteurs ont renoncé aux expressions de « mini-traité » ou de « traité

simplifié » puisqu'il ne comporte, avec ses douze protocoles et ses 25

déclarations diverses, pas moins de 256 pages et qu'en matière de

complexité rédactionnelle on peut difficilement faire pire.

Un beau franc-parler

Par Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public, auteur de droit

constitutionnel (Economica 2007)

Dans la mesure où ce texte se borne en réalité à recopier sous une autre

forme les trois quarts des dispositions du traité établissant une

constitution pour l'Europe, il eût certainement été plus simple de

reprendre le texte initial en en rayant seulement les dispositions

symboliques abandonnées. On comprend cependant que cette formule

ait été écartée car elle aurait manifesté de façon trop criante que l'on se

moquait ouvertement de la volonté des peuples français et néerlandais.

Les rédacteurs ont donc préféré concocter une formule compliquée qui

modifie d'une part le traité sur l'Union européenne (traité UE) et d'autre

part le traité instituant la communauté européenne (traité CE), lequel

s'intitulera désormais « traité sur le fonctionnement de l'Union ». La

supercherie apparaît clairement avec la Charte des droits fondamentaux

qui n'est plus incluse dans les traités mais apparaît dans l'article 6 du

texte de la façon suivante : « L'Union reconnaît les droits, les libertés et

les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux du 7

décembre 2000, laquelle a la même valeur juridique que les traités » …

Un traité affirme donc qu'une charte qui lui reste extérieure a cependant

la même valeur juridique que les traités qu'il modifie !

On n'a jamais vu de procédé juridique plus tordu, même dans les

récentes révisions de la Constitution française qui ont pourtant révélé au

plus haut niveau normatif l'invasion de notre pays par le « maldroit ». Le

protocole n°7 prévoyant cependant que la Charte ne permet ni à la Cour

de justice européenne ni aux juridictions britanniques et polonaises

d'écarter l'application d'actes nationaux de ces deux pays jugés

incompatibles avec ladite charte, provoque un pincement de cœur. Tout

se passe comme si le « non » des Français avait servi à d'autres mais

pas à eux, quelle humiliation !

Le « traité modificatif » modifie bien le traité constitutionnel rejeté en

2005 puisqu'il en enlève un certain nombre de dispositions explicites et

dispense la Pologne et le Royaume-Uni du respect de certains

engagements. C'est donc une modification par simple soustraction en ce

sens que l'on s'apprête à faire ratifier par le parlement français un traité

partiel aux lieux et place du traité complet initial.

Une question fondamentale se pose dès lors : comment le président de

la République peut-il décider seul, alors que le peuple français a

juridiquement rejeté l'intégralité du traité, de faire cependant ratifier

par voie parlementaire la majeure partie des dispositions qu'il contenait au

motif que celles-ci « n'auraient pas fait l'objet de contestations » ?

Chacun a pu constater, durant la campagne référendaire, que toutes les

dispositions étaient critiquées : les uns se focalisaient davantage sur la

charte des droits fondamentaux et les politiques communautaires, les

autres sur les transferts de compétence, le passage de l'unanimité à la

majorité et le déficit démocratique, d'autres encore s'offusquaient des

principes et symboles fédéraux. On pouvait peut-être apercevoir que le «

non » de gauche déplorait davantage la menace sur l'Etat-providence et

le « non » de droite la perte de l'Etat régalien, mais il est certainement

impossible et inconcevable de sonder le cerveau de chaque Français en

prétendant y déceler des dispositions qu'il aurait rejetées et d'autres

qu'il aurait approuvées.

La démarche du président de la République prétendant interpréter seul

la volonté du peuple français est totalement arbitraire et confine à la

dictature. Lorsque l'on sait que la Constitution californienne prévoit

qu'une norme adoptée par référendum ne peut être par la suite abrogée

ou modifiée que par une autre décision populaire et que la Cour

constitutionnelle italienne adopte le même principe, on ne peut qu'être

bouleversé par le coup d'Etat ainsi perpétré en France. Si le président a

la conviction que les dispositions restant dans le traité modificatif ont

fait l'objet d'une approbation implicite des Français, encore faut-il qu'il s'en

assure en organisant un nouveau référendum tendant à obtenir leur

accord explicite.

Comment qualifier et sanctionner, dès lors, un tel coup d'Etat ? Le texte

de la très populaire Constitution de 1793 n'y allait pas de main morte en

disposant, dans son article 27 : « Que tout individu qui usurperait la

souveraineté soit à l'instant mis à mort par les hommes libres ». La

peine de mort étant désormais prohibée par la Constitution française il

convient de s'y conformer et de se tourner plutôt vers l'article 35 du

texte de 1793 qui affirmait solennellement : « Quand le gouvernement

viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour

chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable

des devoirs ». La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de

1789, intégrée au préambule de l'actuelle Constitution, range aussi la

résistance à l'oppression parmi les droits naturels et imprescriptibles de

l'homme.

Notre texte constitutionnel affirme encore que le principe de la

République est « gouvernement du peuple par le peuple et pour le

peuple » et que son président est élu au suffrage universel direct pour

veiller au respect de la Constitution, assurer le fonctionnement régulier

des pouvoirs publics et la continuité de l'Etat et garantir l'indépendance

nationale. Le terme qui vient à l'esprit pour désigner le mépris

présidentiel de la volonté populaire est évidemment celui de haute

trahison. Malheureusement, une révision des dispositions sur la

responsabilité pénale du chef de l'Etat, intervenue en février 2007, a

substitué à l'antique et belle formule de haute trahison, l'expression

affadie et banale de « manquement à ses devoirs manifestement

incompatibles avec l'exercice de son mandat ».

Cela manque singulièrement d'allure et de force mais l'on s'en

contentera cependant en proposant aux parlementaires, au lieu de

commettre eux-mêmes une forfaiture en autorisant la ratification d'un

traité rejeté par leurs mandants, de se constituer en Haute Cour pour

sanctionner le coupable.

Sans insurrection ni destitution, nous n'aurons alors plus qu'à pleurer

sur notre servitude volontaire en réalisant que nos élus représentent

bien ce que nous sommes nous-mêmes devenus : des godillots.

http://www.collectifdu29mai.org/Traite-simplifie-haute-trahison.html

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