Même le Honduras s’émancipe

« Je ne comprends pas ! Si la IVe flotte des États-Unis peut venir en Amérique latine, pourquoi pas une flotte russe (1) ? » La réflexion n’est pas le fait du président Hugo Chávez, dans le pays duquel doivent se dérouler, en novembre, des manœuvres navales conjointes russo-vénézuéliennes, mais de son homologue équatorien Rafael Correa.

Annoncée le 25 avril, la réactivation de la IVe flotte américaine, dotée d’unités polyvalentes des forces spéciales SEAL (SEa, Air, Land), pour diriger et coordonner les marines d’Amérique centrale et du Sud — contre « le trafic de drogue et le terrorisme » ! — n’a soulevé aucun enthousiasme dans le sous-continent, loin de là.

Au même moment ou presque, celui qu’on présente souvent comme l’« anti-Chávez », le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva, s’emporte : « C’en est terminé du “le marché peut tout”. (…) C’en est fini de l’époque où nous, les économies émergentes, nous dépendions du Fonds monétaire international [FMI]. (…) C’en est fini d’une Amérique latine sans voix propre (2). »

Plus qu’un symbole : c’est le 11 septembre, trente-cinq ans jour pour jour après le renversement du socialiste chilien Salvador Allende, que la Bolivie et le Venezuela ont expulsé de leurs pays respectifs l’ambassadeur des États-Unis, considérant que Washington conspire contre leurs gouvernements. Moins remarqué, le chef d’État hondurien Manuel Zelaya « ajournait », le lendemain, la réception des lettres de créances du nouvel ambassadeur américain à Tegucigalpa, en signe de solidarité avec la Bolivie.

Ces dernières années, seuls la Colombie et le Salvador ont élu des présidents ouvertement proaméricains. Même des pays d’Amérique centrale — la traditionnelle « arrière-cour » — font le grand saut. Après avoir demandé en vain une aide à Washington et à la Banque mondiale, le Honduras a rejoint l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), projet géopolitique « radical » qui, sous l’impulsion de M. Chávez, regroupait déjà la Bolivie, Cuba, le Nicaragua et le Venezuela. Le Costa Rica, lui, est devenu le dix-neuvième membre de l’accord Petrocaribe, à travers lequel Caracas vend du pétrole à un prix inférieur à celui du marché.

Lorsque le Venezuela achète des chasseurs Sukhoï et des fusils d’assaut Kalachnikov à la Russie, ou accueille sur son sol deux bombardiers stratégiques TU-160 venus de Moscou, ce n’est pas pour attaquer la Floride, mais pour dynamiser une « nouvelle géopolitique mondiale ». En moins spectaculaire, le Brésil ne fait pas autre chose lorsqu’il annonce qu’il construira quatre sous-marins conventionnels, un sous-marin à propulsion nucléaire et des hélicoptères militaires grâce à des transferts de technologie français. Face à Washington, Brasília marque son territoire.

Développement des relations Sud-Sud pour le Brésil. Etablissement de liens avec la Chine, l’Iran et la Russie pour le Venezuela et la Bolivie (3) — la société pétrolière russe Gazprom faisant une entrée remarquée dans ces deux derniers pays. Multiplication des accords bilatéraux entre l’Argentine, le Brésil, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, le Venezuela, le Paraguay, l’Équateur — où, le 28 septembre, la nouvelle Constitution, qui a pour objet de refermer la parenthèse néolibérale, a été largement approuvée par référendum.

Des différences subsistent, voire des contentieux, entre pays latino-américains. Toutefois, à l’heure décisive, ils font désormais front commun. En a témoigné la tentative de déstabilisation menée par les préfets des départements dits « autonomistes » contre M. Evo Morales, en septembre, en Bolivie. C’est à cette occasion qu’est intervenue l’expulsion de l’ambassadeur américain Philip Goldberg, présent en Bosnie de 1994 à 1996, au Kosovo entre 2004 et 2006, et considéré comme un spécialiste du « séparatisme ». Conscients de ce que la « bataille de Bolivie » serait décisive pour l’avenir de la gauche latino-américaine, et même, au-delà de la gauche, pour sa souveraineté, le Venezuela, suivi par le Brésil, a provoqué une réunion de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), organisation jusque-là plus symbolique qu’effective, à Santiago du Chili. Sans présence des États-Unis, les pays de la région ont fermement soutenu M. Morales et indiqué qu’ils ne toléreraient aucune « rupture institutionnelle » chez leur voisin.

On évoque à présent la création d’un conseil sud-américain de la défense pour prévenir et résoudre les conflits. L’idée, lancée en 2003 par M. Chávez, a été reprise par M. da Silva mais se heurte à l’hostilité de la Colombie.

Le grand projet des États-Unis, la création d’une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA), n’a pu s’imposer. Le sous-continent a profité des cours exceptionnels de ses produits primaires sur les marchés émergents comme ceux de l’Inde et de la Chine. Avec le vent mauvais venu de Wall Street, la donne change. « Alors que, initialement, on espérait que l’Amérique latine pourrait rester en dehors de la crise, des signes très forts annoncent avec certitude des impacts à venir. On peut non seulement s’attendre à une détérioration prolongée du commerce extérieur, mais aussi à un choc financier très violent et dans un délai très court. Plus le système bancaire et la Bourse des valeurs sont internationalisés, plus la fragilité est grande (4). » De fait, des pays comme le Mexique, le Chili, le Brésil et le Pérou sont déjà affectés.

En 2006, le président vénézuélien avait proposé de créer une Banque du Sud « alternative » destinée à utiliser les réserves existant dans la région pour en terminer avec la dépendance vis-à-vis du FMI, financer le développement des pays membres et réduire l’exclusion sociale. Favorables à une intégration favorisant leur domination économique sur le reste de la région, le Brésil et l’Argentine traînaient les pieds. Face à la menace venue du nord et retrouvant à Manaus (Brésil), le 1er octobre, MM. Chávez, Correa et Morales, le président brésilien s’est finalement rallié aux « radicaux » et a accepté la création de la nouvelle institution.

Source: Le Monde diplomatique

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