Lettre du Prix Nobel pour la Paix au président des Etats-Unis Barack Obama

“La question est de savoir si votre gouvernement engagera des politiques pour résoudre les conflits ou si ce sera un peu plus de la même chose mais avec une certaine cosmétique progressiste.”
Monsieur le Président des Etats-Unis d’Amérique,

Monsieur Barak Obama ,

Recevez un salut fraternel d’Amitié et de Paix.

En premier lieu, permettez-moi de vous souhaiter force et espoir pour le peuple nord-américain et pour le monde.

Après un parcours ardu, vous êtes parvenu à réaliser une étape dans votre vie politique et vous avez entamé une nouvelle tâche en assumant la Présidence des EU d’Amérique du Nord, ce qui suppose de grands défis pour résoudre des conflits, des guerres et récupérer des espaces perdus. Vous avez conscience de tenir un gouvernement mais pas le pouvoir.

Le système de domination a développé la capacité de se recycler et de s’imiter lui-même, en utilisant diverses stratégies et pressions pour dominer et soumettre les gouvernements. Il y a des peuples et des gouvernements qui ne se laissent pas dominer, et ont une capacité de résistance, et qui luttent pour leur liberté. Mais, de façon lamentable, il y en a d’autres qui se soumettent pour être colonisés et gouvernés par les plus forts et sont domesticables comme des chiens qui attendent que leur maître leur jette un os et remuent la queue pour remercier.

En ces jours où vous accédez au Pouvoir Exécutif, vous vous serez rendu compte qu’une chose est de vouloir, l’autre de pouvoir. Vous affronterez de sérieuses difficultés avec ceux qui ont le pouvoir réel. Et qui décident, eux, de ce qu’ils vous laisseront faire. Vous aurez à casser les conditionnements et les pressions pour appliquer des politiques d’avancées pour le bien de votre peuple, qui espère que vous assumerez les matières en suspens, comme la pauvreté, le chômage, l’analphabétisme, la qualité de vie, qui ne sont pas synonymes de consumérisme.

Ce n’est pas un chemin facile et le peuple est avide de revenir aux principes et aux valeurs éthiques qui sont la base fondamentale de ce grand pays. Par exemple, par rapport à la prison de Guantanamo et la base militaire que les EU ont à Cuba, la question est : le centre de torture est-il réellement fermé ou est-ce seulement l’expression d’un souhait ? Votre gouvernement est-il disposé à rendre à Cuba la base militaire de Guantanamo, qui est une occupation illégale, et à lever le blocus immoral et injuste contre le peuple cubain, et de même à réexaminer la situation des cinq prisonniers cubains aux EU, soumis à un procès infamant, avec des juges enclins aux pressions ou complices ? Vous avez affirmé que votre gouvernement serait un gouvernement de dialogue, y compris avec les pays qui ne partagent pas les mêmes critères et options politiques que vous. C’est le moment que ce dialogue soit guidé par le droit à la Vérité et à la Justice.

Il est urgent de bannir la torture aux EU. Définitivement. Comme celle à Abu Ghraib, en Irak, et en Afghanistan, torture exécutée par des soldats des Etats-Unis et de leurs alliés. Ce sont des pratiques aberrantes qui offensent l’Humanité. Toute personne, coupable ou non, a le droit à un procès équitable, à exercer son droit à la défense et à ne pas être traitée de façon inhumaine, cruelle et dégradante, ce qui viole les bases fondamentales du Droit.

Il est préoccupant qu’une des premières mesures prises par votre gouvernement ait été d’ordonner des bombardements en Afghanistan, qui ont provoqué des morts dans la population civile selon le quotidien pakistanais The News (25-1-09), sous prétexte que ce sont des « terroristes », et ait décidé d’envoyer 30.000 soldats de plus pour « défendre la démocratie ». Il faut faire attention avec les paroles vides de sens.

Monsieur le Président, ne répétez pas les erreurs commises au Vietnam. Vous souvenez-vous de Brian Wilson, ce « héros de guerre au Vietnam » qui, écœuré de tant de morts et de mensonges, a refusé d’être complice des massacres et avec courage a dénoncé le Gouvernement et l’Armée de son pays pour les atrocités commises par les « bombes à sous-munitions » dispersées sur la population civile au Vietnam ? Brian est la conscience du peuple nord-américain, qui milite pour construire la Paix.

Aujourd’hui les bombes à sous-munitions sont déversées sur le peuple irakien, et l’on recourt à nouveau au mensonge et à la désinformation. Qu’est-ce qui a changé ? Thomas Merton disait : « Nous vivons sous la tyrannie du mensonge qui se renforce dans le pouvoir et établit un contrôle chaque fois plus absolu sur les hommes… ».

Vous, en tant que sénateur, vous vous êtes opposé à la guerre en Irak, sachant les mensonges et falsifications sur lesquels s’est basée l’Administration précédente qui, à la Chambre des Représentants, a voté en assumant ces falsifications.

Je me rappelle ce vieux proverbe zen qui dit : « Le fou court vers l’Est, et son surveillant court vers l’Est ; tous les deux courent vers l’Est mais avec des intentions différentes ». Vous allez devoir découvrir le chemin et savoir jusqu’où l’on peut courir, Monsieur le Président, depuis la Maison Blanche. J’espère que ce ne sera pas jusqu’à la négation de l’Humanité.

Votre attitude en tant que sénateur fut digne ; maintenant il vous faudra la renforcer pour réaliser l’unité et la paix pour votre peuple et dans d’autres parties du monde où les EU sont impliqués dans des guerres et des conflits. Si vous n’avez pas la paix dans l’esprit et dans le cœur, vous ne pourrez pas apporter la paix à votre pays et contribuer à la paix dans le monde.

L’héritage que vous devez assumer est complexe, comme par exemple l’alliance inconditionnelle avec Israël, dans le domaine économique, militaire et politique, dans le conflit contre le peuple palestinien depuis 60 ans. Ni les Républicains ni les Démocrates ne sont parvenus à mettre fin au bain de sang entre les deux peuples, qui devraient partager « La Terre Sainte » en tant que patrimoine de l’Humanité, et que la haine, les divisions, les intérêts économiques et politiques, les fondamentalismes, ont changé en « Terre de Sang, de souffrance et de mort ». Jusqu’à quand ?

Tout peuple a le droit à l’existence, à la souveraineté et la liberté, à ses valeurs et sa spiritualité. On nie ces droits au peuple palestinien, on le prive de la liberté et de la souveraineté, et ensuite on l’accuse d’être « terroriste ». Pour ceux qui détiennent le pouvoir-domination, la guerre et la drogue sont des affaires sur lesquelles on ne paie pas d’impôts, et où l’on a le droit de vie ou de mort sur les peuples. Ils ont chassé Dieu de leurs consciences et de leur vie.

Il va falloir choisir. La question est de savoir si votre gouvernement adoptera des politiques pour résoudre les conflits ou fera un peu plus de la même chose, avec une certaine cosmétique progressiste… Nous sommes dans l’expectative. Je dois vous dire que je suis un pessimiste qui espère, je crois qu’il y a toujours une lumière pour éclairer le chemin.

Le frère Luther King disait « J’ai fait un rêve ». Il parlait de ce rêve que nous faisons tous et dont nous voulons qu’il devienne réalité pour tous et toutes.

Monsieur le Président, vos engagements, votre conscience, vos actes, écriront jour après jour la révolution de la Paix ou le chemin de la soumission aux puissants, comme un chien.

Je vous adresse une fraternelle accolade et vous réitère mon salut de Paix et d’Amitié.

Source: Rebelión

Adolfo Pérez Esquivel

Traduction: J.L Seillier pour Investig’Action

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