Les médiamensonges de Madagascar

Quelle image avez-vous de Madagascar? Celle d’un beau pays, peuplé d’animaux endémiques et de plantes aux formes incroyables. Celle aussi d’un pays pauvre, l’un des plus pauvres du monde en fait. Si vous êtes un observateur un peu intéressé vous saurez également que la si belle nature malgache subit depuis de nombreuses années les effets de l’augmentation drastique de la population. Si vous êtes allé sur place, vous gardez alors également toujours à l’esprit l’accueil chaleureux de cette population malgache, ses sourires, sa disponibilité, malgré les difficultés de la vie quotidienne.
Cette image est cependant tronquée. Derrière le décor se jouent des
luttes de pouvoir qui ne s’expliquent que par la richesse même de cette
île-continent. Pendant que Didier Ratsiraka était au pouvoir, de 1975 à
2001, rares étaient les reportages relatant ces richesses. De l’or, il
y en avait très peu, des pierres peut-être mais semi-précieuses. Les
exportations officielles de matières premières étaient extrêmement
réduites. Quelques années avant que Didier Ratsiraka soit chassé du
pouvoir, sa famille était à la tête de mines de saphir gardées jour et
nuit par des milices armées. Pendant ce temps là, le pays s’endettait
pour devoir, en 2002, plus de 4 milliards de dollars.

Prenons donc comme acquis que Madagascar est riche en matières
premières, en biodiversité, en sites touristiques, en immenses espaces
cultivables, en main-d’œuvre, etc. La qualité de son université jouit
même d’une bonne renommée régionale. La position géostratégique de
l’île en fait aussi un atout.

Trois types de personnes ont donc avantage à maîtriser le pouvoir
pour que le développement politique et économique de Madagascar n’ait
jamais lieu: les grandes entreprises étrangères qui peuvent profiter de
l’exploitation des richesses naturelles à moindre coût ; la mafia
malgache constituée de grandes familles s’entraidant pour maîtriser des
réseaux de marché noir ; et les individus qui peuvent, en maîtrisant la
corruption, faire fructifier leurs petites affaires pour obtenir à
moindre frais une qualité de vie qu’ils ne retrouveraient pas ailleurs.

Ce sont ces intérêts-là qui maîtrisent les médias et qui, depuis le début de la crise et même avant, forgent notre vision.

Ravalomanana, l’homme à abattre ?

En 2002, un industriel hors des cercles habituels est parvenu à se
faire élire grâce à sa notoriété, notoriété accumulée au travers de ses
produits laitiers distribués dans tout le pays. Il devait aussi son
élection à sa fortune qui lui a permis d’envoyer des émissaires dans
tous les bureaux de vote pour déjouer les systèmes de manipulation des
résultats.

Alors que l’ensemble de l’opposition contestait son élection depuis
le début mais également après que son parti ait gagné les législatives
puis les communales, les médias français l’ont tout de suite dépeint
comme un arriviste, un nouveau-riche sans envergure.

Ravalomanana est pourtant l’un des très rares industriels malgaches
ayant fait prospérer une industrie dans le pays. Il est l’un des seuls,
sinon le seul, à ré-investir dans ce pays. Elu maire de la capitale, il
est parvenu à transformer son visage en quelques années.

Après avoir finalisé les accords permettant à Madagascar d’effacer
une grande partie de ses dettes, Marc Ravalomanana a très tôt mis sur
pied un système de gestion et de contrôle des actions du gouvernement
d’une rare qualité: le Madagascar Action Plan (1). Qui en a parlé dans
nos médias ?

Durant son premier mandat, Marc Ravalomanana a déjà essuyé une
tentative d’assassinat orchestrée par Pety Rakotoniaina, alors maire de
Fianarantsoa, et par le général Randrianafidisoa dit « Fidy », le 18
novembre 2006, à la veille des élections présidentielles (2).
Cette tentative de coup d’État fut soutenue par de nombreux «
opposants » qui pour la plupart n’obtiendront même pas le minimum de
voix pour se voir retourner leur caution. Ce sont ces mêmes opposants
que l’on retrouve autour de Andry Rajoelina aujourd’hui. Citons par
exemple Monja Roindefo qui, après avoir obtenu 29 voix sur toute l’île
en 2006, a été proclamé « Premier ministre » du « gouvernement de
transition » de Rajoelina.

Andry Rajoelina, la dernière carte

L’élection à la mairie d’Antanananarivo d’Andry Rajoelina en 2007 a
été initialement saluée par de nombreux observateurs comme un signe de
la pluralité politique à Madagascar. Les Tananariviens critiquaient la
gestion de l’ancien maire du parti présidentiel. Ils ont massivement
boudé les urnes.

Jeune entrepreneur audacieux, ancien DJ de boite de nuit huppé,
Andry Rajoelina jouissait d’une certaine popularité notamment auprès
des jeunes. Plusieurs observateurs politiques ont cependant remarqué en
2008 un changement de comportement avec le retour sur le devant de la
scène de plusieurs « vieux caïmans », proches de Didier Ratsiraka et
des familles mafieuses. Les brouilles se sont multipliées jusqu’à la
diffusion, à la mi-décembre et sur la chaîne privée appartenant au
maire, d’une interview de l’ancien président en exil appelant à la
désobéissance civile. Cette diffusion a été jugée comme portant
atteinte à la sécurité de l’Etat et a conduit à la fermeture de la
station.

Les médias ont présenté cette fermeture comme une atteinte à la
liberté de la presse. Mais ils se sont bien gardés d’indiquer ce
qu’avait dit l’ancien président dans cette interview réalisée en
France, pays dans lequel il est autorisé à séjourner sous réserve de
s’abstenir de toute activité politique.

Utilisant le prétexte de la fermeture de la télévision Viva, Andry
Rajoelina a tout de suite émis un ultimatum auprès du pouvoir en
demandant sa ré-ouverture et la démission de ministres sans quoi, «
après le 13 janvier, il ne répondrait plus de ce qui allait arriver ».
Parallèlement, une réelle campagne de diabolisation du Président était
lancée profitant de deux autres faits divers: la prospection de terrain
agraire par une société Sud-Coréenne et l’achat d’un nouvel avion
présidentiel remplaçant l’ancien.

Dans les médias, le mouvement d’Andry Rajoelina a été montré,
depuis le début et jusqu’aux derniers rebondissements de la mi-mars,
comme une contestation populaire du pouvoir, le cri d’un peuple voulant
se débarrasser de son président.

Si, jusqu’au 24 janvier, une partie de la population pensait encore
participer à une manifestation contre la vie chère, cela n’était plus
possible dès le 26, après que les manifestants eurent détruit des
bâtiments stratégiques et pillé des magasins de produits de première
nécessité. Les jours qui suivirent, le mouvement ne comptait plus que
quelques milliers de partisans. Pourtant les journalistes français se
pressaient au portillon pour interviewer le « jeune président », tout
comme les diplomates et jusqu’à l’émissaire des affaires étrangères
françaises, M. Joyandet.

Toutes les dépêches et tous les reportages de la radio et des
télévisons de France Monde (France 24, RFI…) étaient au diapason.
Plusieurs interviews de Andry Rajoelina, plusieurs dizaines de minutes
d’explication justifiant son mouvement. Quelques secondes seulement
pour le véritable Président de la République, Marc Ravalomanana.

Le parti présidentiel a organisé successivement deux meetings
pacifiques regroupant jusqu’à 50 000 personnes au stade de Mahamasina
(3). La seule explication présentée par le JT de France 2 : le
président a payé l’assistance. « Témoignage » douteux. Pas de preuve.

Lorsque le 7 février Andry Rajoelina enjoint ses partisans à
prendre possession du palais présidentiel d’Ambohitsorohitra et que
cette tentative se solde par la mort de plusieurs dizaines de
personnes, les médias accusent aussitôt le Président d’avoir fait
massacrer des manifestants. Si l’on peut regretter le résultats et
condamner la manière dont les forces de l’ordre ont réagi, la mise en
accusation du Président dans cette affaire est un raccourci trop
facile. Tout le monde savait ce qui allait arriver. On se demandait
seulement comment? La presse n’a pas fait un large écho du fait que le
Président a, dès le lendemain, demandé à ce qu’une commission d’enquête
indépendante fasse la lumière sur les circonstances du drame.

Les « causes officielles » de la crise

Depuis le début de la crise, les reproches adressés par Andry
Rajoelina sont présentés comme autant de vérités que les médias
s’abstiennent de chercher à vérifier.

Présentée comme un fait avéré, la nouvelle du prétendu « don » de
1.3 million d’hectares de terrain agraire à la société Daewoo a fait le
tour du monde en quelques jours (4). Des démentis ont été publiés dès
le lendemain par la Présidence et par la société Daewoo (5) mais ils
n’ont pas eu le même écho. Cette affaire a été utilisée par Andry
Rajoelina pour justifier son mouvement.

L’achat d’un avion présidentiel de 60 millions de dollars a
également fait grincer des dents. Ce qu’on oublie de dire, c’est que de
nombreux pays possèdent de tels avions et que cela est d’autant plus
utile à Madagascar qu’il y a très peu de routes et encore moins de
voies aériennes internationales. Un avion est le seul moyen pour le
Président de s’affranchir de la dépendance aux bailleurs de fonds ou à
la France. Ce qu’on a oublié de dire également, c’est que l’avion
précédent a été cédé à la compagnie aérienne nationale qui en avait un
besoin urgent (6).

Andry Rajoelina reproche également au Président de mélanger les
affaires de l’État avec ses propres affaires, mais il se garde bien de
dire clairement ce qu’il pourrait y avoir d’illégal dans les
agissements du Président (et il pense encore moins ester en justice…)

Finalement, la presse étrangère continue à faire l’impasse sur les
réalisations du gouvernement ces dernières années (7). Ces réalisations
restent cependant la meilleure carte du Président et la raison pour
laquelle la population reste soudée derrière celui qu’elle considère
comme un héros national. Des gens portent encore les T-shirts «
électoraux » dans les rues…

Le recours à la force

La prise d’otages dans des écoles publiques puis au lycée français
d’Antananarivo (8) a marqué un tournant dans la situation. Andry
Rajoelina ne pouvait dès lors plus être considéré comme une carte
valable. Après s’être caché plusieurs jours, il est réapparu « sous la
protection de l’ONU, de la France et du Vatican » dans un joli
imbroglio diplomatique: il aurait peur d’être arrêté.

Quelques jours auparavant, dès le 4 mars, les forces de l’ordre
avaient enfin commencé à faire leur devoir pour rétablir l’ordre.
Plusieurs manifestants étaient arrêtés, des pillards désarmés. La
presse française parlait de « répression ».

Ce que nous cachent encore les médias c’est que, depuis le début de
la crise et de manière de plus en plus intense, ce sont les proches du
Président qui font l’objet de menaces et qui sont obligés de vivre
cachés: les journalistes de l’anicenne télévision du président, mise à
sac le 26 janvier, les membres dirigeants du parti présidentiel, les
ministres, le Président de la Délégation Spéciale ayant remplacé le
maire déchu. La maison de ce dernier a récemment été incendiée par les
partisans de Rajoelina(9). Aucune mention n’a été faite sur le fait que
les artistes malgaches qui devaient se produire lors des meetings en
faveur du président auraient reçu des menaces (10).

Aucune mention sur le fait que, régulièrement, la radio d’Andry
Rajoelina diffusait des menaces à peine voilées envers des personnes
ciblées. Aucune enquête n’est faite auprès des familles malgaches qui
vivent dans l’anxiété la plus totale depuis bientôt deux mois. Andry
Rajoelina n’a donc rien à craindre du Président qui a promis plusieurs
fois qu’il ne serait pas inquiété (11).

Le jeudi 12 mars devait marquer le début d’assises nationales
placées sous la médiation d’un émissaire de l’ONU et du conseil des
églises chrétiennes. Le Président avait accepté d’y participer et
d’écouter les doléances de l’opposition. Andry Rajoelina a fait savoir
qu’il boycotterait ces assises (12). Pendant ce temps, une fraction de
l’armée malgache se mutinait. La sécurité des biens et des personnes
n’étaient plus assurées. Un meeting en faveur du Président se terminait
mercredi soir par des tirs sur plusieurs manifestants poursuivis, selon
des témoins, par des soldats mutins (13). Pas un mot dans les médias
français.

Ou presque. Mercredi soir, France 24 posait la question de savoir
si les soldats mutins qui quadrillaient la ville poursuivaient les
pillards ou les manifestants pro Ravalomanana. La télévision montrait
le corps d’un manifestant tué par balles.

(1) site officiel gouvernemental : http://www.map.gov.mg

(2) http://en.wikipedia.org/wiki/2006_Malagasy_coup_d%27%C3%A9tat_attempt

(3)

Gros succès de la manifestation pacifique au Stade de Mahamasina (+Images)


ainsi que

Fil des évènements du samedi 14 février



(4) “Daewoo to cultivate land for free”, Financial Times, 19.11.09

(5) source Ministère de l’Agriculture : http://www.maep.gov.mg/dossiers.html

(6) http://www.midi-madagasikara.mg/midi/index.php?option=com_content&task=view&id=9412

(7) rapport du MAP sur le site officiel du Ministère de l’Économie,
du Commerce et de l’Industrie :
http://www.meci.gov.mg/index.php?option=com_docman&task=cat_view&gid=183

(8) http://www.topmada.com/2009/03/06/les-eleves-du-lft-bloques-par-des-partisans-dandry-rajoelina/

(9) http://www.topmada.com/2009/03/10/flash-infos-du-mardi-10-mars/

(10) http://www.madagascar-tribune.com/L-exception-et-la-regle,11111.html

(11) http://www.madagascar-tribune.com/Suspension-des-manifestations-de,11198.html

(12) http://www.topmada.com/2009/03/11/andry-rajoelina-boycotte-les-assises-et-met-lonu-et-la-france-dans-une-position-delicate/

(13) http://www.topmada.com/2009/03/11/flash-infos-du-mercredi-11-mars/

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