Le visage de l’autorité d’occupation

L’immeuble Generali, à Jérusalem, le Ministère de l’Intérieur, l’odeur du pouvoir. Passant de génération en génération, du Mandat britannique au Mandat sioniste. Une séance du Comité Régional pour la Construction et l’Urbanisme. Une salle défraîchie, longue table sans hiérarchie claire. Embrouillamini de fils de micros, pas de noms, on ne sait pas bien qui sont les gens qui prennent la parole, quel organe ils représentent, mais il est clair que tous, du premier au dernier, représentent l’autorité. Le visage de l’autorité, somptueux comme une file à la caisse de maladie.
Au bout de la table est assise Ruth Yossef, affectée au district de Jérusalem pour le Ministère de l’Intérieur. Une femme charmante, me souffle-t-on à l’oreille, dehors dans le corridor. A l’intérieur, lors des débats, elle est agressive, méchante. Coupant grossièrement la parole par des remarques insignifiantes à ceux qui présentent les projets. Déformant leurs propos pour les tourner ensuite en dérision. En particulier quand celui qui s’exprime est arabe. L’avocat Dakhouar, qui représente les habitants du quartier d’Al-Boustan, parle de la tentative d’intervention du Ministre Raleb Majadele en faveur des habitants du quartier. « Le député Majadele », le corrige Ruth Yossef, incapable de digérer le fait que Majadele a été ministre et l’est encore. Ce n’est pas une fonction que des Arabes sont censés remplir dans le monde de Ruth Yossef. Lorsque Dakhouar s’embrouille, les membres du comité éclatent de rire. Camaraderie de Ma’arachnik-Mafdalnik-Likoudnik (1) n’autorisant l’entrée d’aucun étranger, camaraderie plus puissante que tout bulletin qu’ils déposent dans l’urne.

A l’agenda : deux projets proposés par des habitants de deux quartiers palestiniens de Jérusalem-Est – Wlaja et al-Boustan. Environ 300 familles à Wlaja et une centaine de maisons à al-Boustan. Les quartiers existent depuis une soixantaine d’années dans le cas de Wlaja (il serait plus exact de l’appeler village) et une trentaine d’années pour ce qui est d’al-Boustan (un quartier de Silwan, à quelques centaines de mètres de la Vieille Ville de Jérusalem). L’Etat d’Israël contrôle ce territoire depuis 42 ans mais ne s’est jamais soucié de l’urbanisme de ces quartiers, si bien que toutes les maisons, bâties sur des terrains privés appartenant à ces mêmes habitants palestiniens, sont illégales. Des ordres de démolitions planent sur toutes. Nous avons peur de partir en vacances, m’a dit un jour un habitant d’al-Boustan, de crainte de retrouver une maison détruite à notre retour.

Il y a quelques années, les habitants ont décidé de jouer selon les règles de l’occupant israélien et d’introduire des plans en ordre. La municipalité elle-même les y a encouragés. Aux habitants, on a dit que la municipalité n’avait pas d’argent. Vous établirez les projets et nous ferons avancer les choses. Les habitants, les plus pauvres parmi les habitants de la partie orientale pauvre de la ville pauvre d’Israël, ont dépensé plus de cent mille shekels. Des architectes juifs pleins de confiance et de bonne volonté ont dessiné de beaux plans, respectueux du paysage, avec un parfum de Méditerranée. L’architecte d’al-Boustan, Ayala Ronel, a expliqué aux membres du comité qu’avec un petit effort, il était possible de faire d’al-Boustan une de ces perles de quartiers comme on s’en va en voir en Grèce ou en Espagne. Il suffirait de donner aux habitants la légitimité de vivre dans leurs maisons. Elle ne parlait pas de Marrakech ou de Damas. Il ne faut pas exagérer.

Les membres du comité jouent le jeu. Posant aux représentants des habitants des questions portant apparemment sur le projet urbanistique. Quid de la valeur du paysage, où sont les espaces ouverts, où les institutions publiques ? Mais pour tout le monde, il est clair que tout cela n’est qu’une plaisanterie. Qu’il n’y a aucune chance. La parole passe au représentant de la municipalité. Nous projetons un espace vert à cet endroit, dit-il, nous n’avons pas l’intention d’approuver les projets. Mais pour que ces espaces soient « verts », pour que Wlaja et al-Boustan se colorent en vert, il faut démolir des centaines de maisons de centaines d’habitants, il faut anéantir l’œuvre de leur vie. Ce n’est qu’alors que les habitants de Jérusalem disposeront d’un espace magnifiquement vert.

C’est l’occupation, c’est la dépossession, c’est là qu’elle réside. Dans ce comité grisâtre, décoloré, fatigué. Le Mur de Fer de Jabotinski a été troqué contre des vestons râpés et une nappe tachée. Le résultat est le même. Tous ceux qui étaient assis dans cette salle savaient clairement qui est dedans et qui est dehors, qui en est et qui n’en est pas. Wlaja et al-Boustan n’en sont pas. Kfar Shalem [quartier au sud-est de Tel Aviv] non plus, soit dit en passant.

N.B. : Les deux projets ont été rejetés.

(1) Ma’arachnik-Mafdalnik-Likoudnik : respectivement apparatchiks du Ma’arach (alliance de partis israéliens de gauche entre les années 60 et 90), du Mafdal (Parti National Religieux) et du Likoud.

(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)

source: http://www.haaretz.co.il/hasite/spages/1068485.html

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