Le vert vaut de l'or

Il suffit de lire l’édition du 24 octobre du journal La

Tribune pour mesurer l’ampleur de la stratégie de

récupération de la thématique environnementale par

l’industrie et la finance. Les titres d’articles y sont

tous plus évocateurs les uns que les autres : « Le

vert vaut de l’or », « Un grenelle juteux pour les

entreprises », « Comment sauver la planète sans

tuer la croissance ? »…

Les entreprises à la recherche de profits verts

Par Aurélien BERNIER, Attac Poitiers,

Animateur de la Commission OGM d’Attac et du groupe

environnement d’Avenir d’Attac

Le 27 octobre 2007

Ce numéro spécial pour le

coup d’envoi du Grenelle de l’environnement est

d’ailleurs titré « Cap sur la croissance verte ». Mais

le meilleur est sans doute à lire dans le texte

introductif. Après avoir reconnu l’importance des

enjeux environnementaux, les rédacteurs estiment

en effet qu’ « au développement durable, concept du

siècle dernier, qui fleurait bon sa culpabilité et ses

mesures inefficaces, laissant la porte grande

ouverte aux écologistes les plus radicaux, succède

depuis 2000 une approche plus positive qui apporte

une lueur d’espoir ». Que s’est-il donc passé en l’an

2000 pour susciter autant d’optimisme ? L’arrivée au

pouvoir de George W. Bush aux États-Unis ? Le

passage aux 35 heures en France dans les

entreprises de plus de vingt salariés ? Ou encore

l’explosion de la bulle Internet au mois de mars,

déclenchant une période de récession économique

généralisée ? La Tribune ne le dit pas. Mais pour le

reste, le quotidien économique nous décrit tout au

long des quarante pages cette « approche plus

positive » dont il se félicite. Sans accepter la

moindre interrogation sur la recherche absolue de

croissance ou sur la répartition des richesses, les

pouvoirs économiques martèlent que les progrès

technologiques permettront tout, pour peu que les

entreprises bénéficient d’aides publique, qu’elles ne

soient soumises à aucune taxe supplémentaire –

une augmentation de la fiscalité environnementale

devant être compensée par un allègement de celle

sur le travail –, et que la régulation des pollutions se

fasse par les mécanismes de marché.

Le discours est on ne peut plus classique.

Pourtant la « révolution verte » a déjà

commencé, mais elle se déroule encore en

coulisse. Il s’agit tout d’abord pour les grands

groupes industriels de s’offrir des technologies

« propres » souvent développées par d’autres, et qui

viendront compenser les activités moins

écologiques. Pendant plusieurs mois, le leader

mondial du nucléaire Areva a bataillé avec le groupe

indien Suzlon pour le rachat du constructeur

allemand d’éoliennes REpower. Après que les offres

aient été relevées plusieurs fois, la proie que

constituait REpower début avril 2007 était valorisée

cent fois le résultat d’exploitation 2006.

Malheureusement pour elle, Areva a du céder. Mais

elle s’est vite consolée avec l’acquisition en

septembre de 51% du fabricant d'éoliennes

Multibrid. Fin mars 2007, EDF annonçait le rachat

via sa filiale énergies renouvelables, de 66,5% du

capital de Supra, une entreprise spécialisée dans le

chauffage au bois. Selon le groupe, cela lui

permettra de tenir ses engagements en matière

d’économies d’énergie. Derrière ces manœuvres,

c’est une stricte logique de rentabilité qui prévaut

évidemment. Cette goinfrerie se double d’une

course aux droits de propriété intellectuelle. La

société canadienne CO2 Solution, née en 1997,

s’est ainsi faite la spécialiste du brevet sur les

technologies anti gaz à effet de serre. Début 2007,

elle détenait douze brevets dans différents pays, et

avait déposé vingt-et-une demandes

supplémentaires. Elle monnaye au prix fort les

licences d’utilisation aux industriels, et impose

même dans ses contrats d’être le fournisseur

exclusif des enzymes utilisées par ses systèmes de

neutralisation du CO2, s’octroyant ainsi une véritable

rente.

Les autres acteurs de la finance ne sont pas en

reste. Depuis 2005, le marché européen du

carbone est opérationnel. Il ressemble comme deux

gouttes d’eau aux marchés financiers, avec ses

produits dérivés, ses échanges au comptant ou à

terme, de gré à gré ou sur des places organisées.

Avec toutefois un véritable plus : profitant de l’alibi

de la défense de l’environnement, les États peuvent

accorder des aides déguisées aux entreprises en

abondant des « fonds carbone ». Ces fonds

permettent de générer, grâce aux règles du

Protocole de Kyoto, des quotas de CO2

supplémentaires en investissant dans des projets

moins émetteurs de gaz à effet de serre que la

moyenne. Ainsi, la Banque Mondiale gère un

portefeuille de 2,2 milliards de dollars… dont près de

la moitié provient de fonds publics. Les quotas

générés, eux, iront in fine aux entreprises. Alors que

le Protocole de Kyoto ne s’appliquera qu’au 1er

janvier 2008, la spéculation sur ce marché du

carbone est déjà une réalité. En investissant fin

2005 la somme de 14 millions d’euros dans la mise

aux normes d’une usine coréenne et d’un site

brésilien, Rhodia a généré 77 millions de quotas de

CO2 valorisables à hauteur de 200 millions d’euros

par an.

Voilà le type d’approches qui réjouit les puissances

financières et que vante aujourd’hui La Tribune. Il

serait urgent d’aller voir cette réalité derrière les

discours officiel et de la nommer comme elle est :

une arnaque pour le seul bénéfice des industriels et

des investisseurs, qui ne parvient même pas à

freiner l’augmentation continue des émissions de

gaz à effet de serre.

Les solutions pour agir en matière

d’environnement ne manquent pourtant pas, y

compris au niveau national : conditionner les 65

milliards annuels d’aides publiques aux entreprises,

intégrer des critères environnementaux obligatoires

et systématiques dans les 234 milliards d’euros de

la commande publique, mettre en place une taxe

CO2/ énergie sur les importations et sur les activités

résidentes. Tout ceci sans entraver la sacro-sainte

compétitivité des entreprises, en favorisant l’emploi

et en dégageant des recettes pour l’action publique.

Mais nous savons dores et déjà que le Grenelle de

l’environnement ne retiendra jamais de telles

alternatives. C’est donc à nous, citoyens, de nous

en emparer et de les porter.

Aurélien Bernier

Ce texte n’engage que ses auteurs, il n’engage pas Attac ni le réseau Avenir d’Attac.

Vous retrouverez ce texte sur le site d’Avenir d’Attac : http://www.avenirdattac.net

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