Le président libanais dit non aux conditions d'Israël

« Le Liban dit non aux conditions d’Israël »

Interview au président libanais Emile Lahoud

MICHELE GIORGIO

BEYROUTH

Boycotté par les Etats-Unis parce que considéré comme « pro syrien » , critiqué par certains partis et leaders politiques libanais qui veulent sa démission, le président libanais Emile Lahoud est descendu dans l’arène ces jours ci de façon décisive pour invoquer la défense de son pays contre l’offensive militaire israélienne. Nous l’avons interviewé hier à Beyrouth sur la conférence moyen-orientale qui s’ouvre aujourd’hui (26 juillet) à Rome, sur la visite de Condoleeza Rice au Liban et les conditions posées par les Usa pour arrêter l’attaque israélienne, et sur l’impact de ce conflit aura sur le débat politique libanais.

Président Lahoud, demain (mercredi 26) s’ouvre à Rome la conférence internationale sur le Liban et le Moyen-Orient, voulue par les Usa et l’Italie. Vous attendez-vous à des résultats concrets de cette rencontre ?

Quand on porte son attention sur des thèmes brûlants comme l’agression que le Liban est en train de subir, naturellement c’est positif. En même temps, je doute que le sommet puisse se conclure avec la solution que veulent tous les Libanais : le cessez-le-feu. Quand tous les jours les Israéliens bombardent et tuent des civils, une résolution qui décide l’envoi de fonds pour notre pays peut-elle suffire ? Nous n’avons pas besoin d’argent mais que cesse le feu (israélien) et après seulement il sera possible de discuter de tout le reste. Par ailleurs j’ai entendu que la rencontre ne durera pas plus de trois heures, et que pourront donc décider en si peu de temps les participants face à l’ampleur des problèmes à affronter ? J’ajoute que le meeting est destiné à l’échec s’il doit uniquement servir à dicter des conditions au Liban, parce qu’on ne peut pas obtenir par des mots ce que (les israéliens) ne sont pas arrivés à nous arracher par la force.

Pendant toutes ces semaines l’Italie a été très active sur la question libanaise Comment jugez-vous le rôle accompli par le gouvernement Prodi ?

Il est sans aucun doute meilleur que beaucoup d’autres gouvernements européens et, bien entendu, que celui des Etats-Unis. L’Italie cherche une voie qui puisse nous amener hors de tout ce que nous sommes en train de vivre mais nous nous rendions compte de la forte influence de l’UE sur le gouvernement de Rome, donc je ne sais pas dire quelle liberté de manœuvre ont les dirigeants italiens.

Vous avez dénoncé l’usage d’armes interdites, comme les bombes au phosphore, par Israël. Avez-vous l’intention de continuer votre protestation ?

Pendant une réunion de conseil des ministres, il y a quelques jours, les commandements militaires nous ont dit que des armes interdites étaient utilisées contre les civils libanais. Nous demandons aux Nations Unies d’effectuer une enquête approfondie sur tout ceci sans oublier que les israéliens ont aussi lancé des « bombes intelligentes » sur nos civils alors que tout le monde sait que ces engins ne s’emploient que pour toucher des objectifs militaires d’importance stratégique.

Lundi, la Secrétaire d’état Rice a fait une visite surprise à Beyrouth. Elle a exprimé ses « préoccupations » pour le sort des civils libanais mais elle a évité en toute manière de demander à Israël l’arrêt de ses attaques contre le Liban.

J’ai essayé d’expliquer aux journalistes qui sont venus m’interviewer que les Usa ne pensent qu’aux moyens de sauvegarder les intérêts d’Israël. C’est une donnée de fait. Sans oublier les pressions que les Usa ont fait (il y a quelques jours) pour empêcher le Conseil de Sécurité de l’Onu de proclamer un cessez-le-feu immédiat. Je dis à la Secrétaire d’état que tourner en long et en large dans la région ne sert pas à grand-chose, nous voulons la fin des hostilités parce que c’est la seule façon de sauver des vies humaines.

La Secrétaire d’état a fait référence aussi à des solutions permanentes et non temporaires pour le Liban. Elle pensait à un plan qui prévoie le retrait du sud du Liban et le désarmement des Hezbollah, le déploiement d’une force internationale et ensuite de l’armée régulière libanais le long de la frontière avec Israël et, bien sûr, la libération immédiate et inconditionnelle des deux soldats israéliens qui sont aux mains de la guérilla. Le président du Parlement libanais, Nabih Berri, a déjà annoncé que ces propositions ne sont pas applicables si ce n’est au prix d’une guerre civile libanaise.

Je partage pleinement l’opinion du président du parlement Berri. On ne peut pas demander au Liban d’accepter les conditions d’Israël. Rice doit écouter aussi nos conditions, elle doit écouter les positions de toutes les parties parce que c’est la seule façon de maintenir ouvert un dialogue qui doit conduire à une solution juste des problèmes.

Les questions cependant remontent plus loin dans le temps et nous savons que ce ne sont pas que les Etats-Unis et Israël mais aussi certains pays européens (dont la France au premier rang, ndt) et même des forces politiques libanaises qui voudraient l’application totale de la résolution 1559, prévoyant entre autres le désarmement militaire des milices , celle du Hezbollah incluse. Est-ce une résolution applicable pour le Liban ?

Ce que ces parties ne comprennent pas c’est que le Liban est un ensemble de cultures et de religions et que, dans notre pays, quand on discute de questions d’importance exceptionnelle il faut qu’il y ait un consensus plein, total, entre toutes les parties. S’il y a consensus, les libanais gagnent, sinon ils perdent. C’est pour ça que les libanais doivent se parler de nouveau, et trouver les solutions à l’intérieur de leur pays avec un véritable esprit de dialogue national.

La solution pour le Liban passe-t-elle à travers la définition de l’avenir des Hauteurs du Golan, le territoire syrien occupé par Israël depuis 1967 ?

Ce que je peux dire c’est que pour avoir une paix juste et définitive au Moyen-Orient tous les territoires arabes occupés par Israël en 1967 doivent être restitués aux Arabes et, donc, les Hauteurs du Golan aussi. En même temps il est clair que la crise actuelle doit être résolue immédiatement sinon l’aviation israélienne rasera au sol tout le Liban.

Le Liban est-il, comme on soutient à Washington, le jardin dans lequel d’autres pays, Syrie et Iran, viennent jouer dans le but de favoriser leurs propres intérêts stratégiques ?

Je réponds en posant quelques questions. Quel est le lien entre nos prisonniers détenus en Israël, pour certains depuis 30 ans, et la Syrie et l’Iran ? Quel est le lien entre Damas et Téhéran et les cartes des mines antipersonnelles qu’Israël ne veut pas nous remettre, en provoquant aujourd’hui encore des morts et des blessés dans nos régions méridionales ? Quel est le lien entre l’occupation israélienne des Fermes de Chebaa et l’Iran et la Syrie ? Quel est le lien entre la question palestinienne au Liban (centaines de milliers de réfugiés dans les camps, ndt) avec l’Iran et la Syrie ? Il est inutile de tourner autour des problèmes. Les libanais ne demandent que leurs droits légitimes qu’Israël ignore. Nous ne voulons pas les récupérer qu’en combattant. Il nous suffit de les recueillir à une table de négociations véritable.

Président Lahoud, quel sera l’impact de cette crise gravissime sur les équilibres fragiles du Liban ? Les forces politiques de ce qu’on appelle le front anti syrien continueront-elles à réclamer votre démission ?

Je suis certain que l’agression que nous sommes en train de subir nous rendra tous plus forts et unis. En ce qui me concerne je peux vous garantir que je n’ai aucune intention de démissionner, à plus forte raison maintenant que le Liban est menacé. Je n’ai rien fait de mal, je ne me suis entaché d’aucun délit, et je resterai donc à mon poste jusqu’au dernier jour de mon mandat.

Edition de mercredi 26 juillet 2006 de il manifesto

http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/26-Luglio-2006/art19.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

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