Le piège afghan d’Obama

La Président Barack Obama a tenu sa première conférence de presse lundi soir. Quand on l’a interrogé à propos de l’Afghanistan, il a répondu : « Ce sera un grand défi ».
11 février 2009

On lui a aussi demandé si la politique du Pentagone d’interdiction de filmer et de photographier les cercueils des soldats morts en Irak et en Afghanistan, enveloppés du drapeau des Etats-Unis, allait changer. Il a dit qu’il y réfléchissait. Le journaliste qui a posé cette question a signalé que ce fut Joe Biden qui accusa il y a plusieurs années le gouvernement Bush d’éliminer les images pour éviter de choquer le public avec la mort de recrues du service militaire étasunien. Aujourd’hui le Vice-président Joe Biden prévoit que l’augmentation du nombre de soldats américains en Afghanistan impliquera plus de pertes américaines : « je répugne à le dire, mais je crois que oui, ce sera ainsi. Il y aura une augmentation ».

Pendant ce temps, Associated Press a récemment cité un rapport confidentiel rédigé par les Chefs d’Etat-Major Conjoint dans lequel ils recommandent un changement de stratégie en Afghanistan : passer de la construction de la démocratie à une attaque des supposés bastions des Talibans et d’Al-Qaeda à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan.

Et cette campagne a clairement commencé. Quelques jours après avoir accédé à la présidence, les premières actions militaires (connues) d’Obama ont été deux attaques aux missiles sur une province frontalière avec le Pakistan, au cours desquelles sont mortes 22 personnes, dont des femmes et des enfants.

Cherif Bassiouni a passé deux années à aller et venir en Afghanistan. Il est professeur de Droit à l’Université DePaul et ex rapporteur Spécial aux Droits de l’Homme des Nations Unies en Afghanistan. En 2005 il a dû renoncer à sa charge aux Nations Unies sous la pression du gouvernement Bush, quelques jours après qu’il ait publié un rapport dans lequel il accusait les Forces Armées des Etats-Unis et des contractants privés de commettre des violations des droits de l’homme.

J’ai interrogé Bassiouni sur la mise au point d’Obama sur l’Afghanistan. Il m’a dit : « Il n’y a pas de solution militaire en Afghanistan. La solution passe par le développement économique, mais je n’ai pas l’impression que ce soit cela qui se passe… En ce moment, la population ne gagne rien à soutenir les Etats-Unis et l’OTAN. Elle a tout intérêt à soutenir les Talibans ».

Le rapport sans concessions que Bassaouni a remis à l’ONU en 2005 accusait les Forces Armées américaines et les contractants privés de « pénétrer dans les maisons par la force ; d’arrêter et de détenir des citoyens du pays et des étrangers sans autorisation légale ni mandat judiciaire, parfois pendant de très longues périodes ; de les obliger à se dénuder, de les encapuchonner et de les priver de leurs sens, de sommeil ou de nourriture ; de les obliger à rester accroupis ou debout pendant de longues périodes dans des positions inconfortables ; d’abus sexuels, de coups, de torture et d’usage de la force jusqu’à la mort ».

J’ai aussi interrogé l’ex Président Jimmy Carter sur l’augmentation du nombre de soldats, et il m’a répondu : « je serais en désaccord avec Obama quant à l’augmentation du nombre de soldats, car cela provoquerait des bombardements plus intensifs de villages et centres urbains afghans et une grande dépendance des forces armées. Il me semblerait préférable que nous prenions contact, que nous nous adaptions et négociions avec toutes les factions en Afghanistan ».

Carter doit savoir de quoi il parle. Il a aidé à créer ce que son conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, a appelé « le piège afghan » tendu aux soviétiques. Il s’était agi d’appuyer les moujahidines islamistes à la fin des années 70 pour contrer les soviétiques en Afghanistan, créant ainsi ce qui a évolué et a donné naissance aux Talibans. Brzezinski avait déclaré au journal français Le Nouvel Observateur en 1998 : « qu’est-ce qui est le plus important pour l’histoire du monde : les Talibans ou la chute de l’empire soviétique ? De pousser quelques musulmans à l’action ou bien la libération de l’Europe Centrale et la fin de la guerre froide ? » Plus de 14.000 soldats soviétiques sont morts et le nombre d’Afghans tués a dépassé le million. Ousama Bin Laden a commencé avec l’aide de l’opération afghane financée par la CIA.

Bassiouni pense qu’une solution militaire est condamnée à l’échec et avertit que les Talibans « se sont rendu compte qu’ils ne pourraient pas résister aux forces américaines, et donc se sont cachés sous terre. Ils ont mis les Kalashnikovs sous les matelas et ont attendu. Il y a un an, ils sont réapparus. Ils peuvent refaire de même. Ils peuvent retourner dans les montagnes, mettre les Kalashnikovs sous les matelas et attendre cinq ans. Ils ont fait cela depuis 1800 avec tous les envahisseurs étrangers ».

Comme m’a confié Carter : « tendre une main amicale ou proposer des accords, non seulement aux leaders militaires mais aussi aux Talibans radicaux qui seraient disposés à négocier, serait le meilleur abord, au lieu de recourir exclusivement à la force militaire ». N’avons-nous rien appris en Irak ? « Dès le début de la guerre en Irak le temps des promesses et des garanties, pour espérer et patienter, s’est arrêté. On a perdu beaucoup trop de vies et des millions ont été gaspillés en faisant confiance au Président pour une politique qui a été un échec ».

Ce furent les paroles du sénateur Barack Obama en janvier 2007. Quand les Chefs d’Etat-Major Conjoint s’apprêtent apparemment à davantage de combats et moins de négociation, il faut rappeler à Obama ses propres paroles.

Denis Moynihan a collaboré à la production journalistique de cette colonne.

Amy Goodman est la présentatrice de « Democracy Now ! », un bulletin quotidien international d’une heure qui est transmis sur plus de 550 émetteurs de radio et télévision en anglais, et 200 émetteurs en espagnol. En 2008, elle fut distinguée avec le «Right Livelihood Award », connu aussi comme le « Prix Nobel Alternatif », décerné au Parlement Suédois en décembre.

Source: http://www.democracynow.org/es

Traduction : Jl Seillier pour Investig’Action

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