Le journaliste Hrant Dink, victime du négationnisme d'Etat

Prison de Gand, le 20 janvier 2007

Aussi douloureux qu’il soit de le dire : cela devait, hélas !, arriver.

Après avoir été tour à tour lynché par les médias du pouvoir en tant que «traître à la patrie», livré à des foules galvanisées par le racisme anti-arménien et le négationnisme officiel de l’Etat turc, harcelé par la «justice» turque pour ces écrits et ce, jusqu'à être condamné à la prison, le journaliste arménien Hrant Dink a finalement été exécuté par la canaille fasciste à Sisli, en plein cœur d’Istanbul, devant la rédaction de son journal «Agos».

http://www.leclea.be/pages/assassinat-hrant-dink.html

En réalité, les balles qui ont traversé le corps de Hrant Dink ont été tirées sur toutes les voix du progrès, de la liberté et de la démocratie en Turquie et dans le monde.

Rongé par la colère et meurtri par l’indignation, je m’incline devant la mémoire de cet homme courageux et humble et exprime mes plus sincères condoléances à sa famille, aux membres de la rédaction de son journal, à la communauté arménienne et à tous les démocrates de Turquie ainsi qu’à mes amis de l’Association des Arméniens Démocrates de Belgique.

Dans un pays où tous les organes du pouvoir, l’armée, la police, la classe politique, y compris la social-démocratie qui siège dans l’opposition parlementaire, la presse et même une partie de monde académique matraquent à longueur de journée que les Arméniens qui évoquent leur extermination de 1915 sont des «menteurs», des «manipulateurs», des «provocateurs», des «malhonnêtes» cherchant à tous prix à «déstabiliser» la Turquie, le recours aux forces supplétives de l’Etat, c’est-à-dire à la nébuleuse fasciste du MHP, le Parti d’Action Nationaliste et ses odieux «Loups Gris» pour réduire les esprits libres au silence est plus que légion. Cette véritable répartition des tâches relève d’un mécanisme de répression bien huilé réglé sur le mode « europhile » selon lequel les exactions d’éléments prétendument incontrôlables permettent de dédouaner le régime d’Ankara soucieux d’intégrer l’Union Européenne.

Comble de l’ignominie, les dépositaires civils et militaires du pouvoir qui ont toujours ha? le journaliste Hrant Dink et ses opinions, ont condamné énergiquement son assassinat, non sans exprimer leurs craintes de voir leur projet européen partir en fumée. D’ailleurs, à écouter ces messieurs se lamenter, ils semblent davantage préoccupés par «l’image» de la Turquie à l’étranger ainsi que par leurs subventions européennes désormais de plus en plus chimériques, que par la perte d’un être aussi précieux que Hrant Dink. Ils se sont en outre bien gardés de qualifier ce crime d’attentat terroriste.

Toute aussi répugnante est la criminalisation par l’Europe et en particulier de la gauche progressiste et révolutionnaire turque qui constitue l’une des rares forces politiques en Turquie plaidant pour la reconnaissance du génocide arménien et pour la fraternité entre les peuples et ce, par souci de ménager leurs relations avec Ankara, tandis que l’extrême droite turque, qui gangrène la Belgique, bénéficie d’une impunité totale voire d’un certain encouragement.

Faut-il encore une fois rappeler que l’extrême droite turque possède à son actif d’innombrables agressions violentes et autres actes haineux sur le sol belge, notamment la mise à sac et l’incendie répétés d’associations kurdes et assyriennes, des manifestations négationnistes anti-arméniennes, de nombreuses provocations contre les manifestations organisées par des progressistes turcs et plus récemment, des actes de cyberterrorisme à caractère négationniste visant des sites officiels belges dont celui de la défense? Cette terreur-là se nourrit aussi du discours officiel de l’Etat turc.

En Turquie, sans une remise en question radicale du négationnisme anti-arménien à tous les échelons de l’appareil d’Etat, sans une reconnaissance légale des droits fondamentaux des minorités nationales et religieuses d’Anatolie, sans un programme éducatif de masse à caractère anti-fasciste qui prône le respect et la fraternité entre les peuples, d’autres intellectuels et opposants politiques risquent de subir le même sort que Hrant Dink.

Il est plus que temps pour le gouvernement turc d’avouer à ces citoyens ce qui est réellement arrivé à nos frères arméniens qui peuplaient un vaste territoire allant des pentes du Mont Ararat aux chaînes méridionales du Taurus, de conscientiser et de faire ressentir l’effroyable, l’insoutenable gravité de la tragédie dont ils ont souffert.

Que ce gouvernement nous dise enfin pourquoi de leur présence massive au début du siècle dernier, il ne subsiste aujourd’hui plus qu’un seul village, celui de Vakifli, perché sur les collines de Samandag aux confins de la province d’Antioche, et ce qu’il est advenu des centaines de milliers d’Arméniens qui embellissaient l’Anatolie de leurs coutumes, de leurs églises, de leurs patronymes, de leurs toponymes, de leurs chansons, de leur artisanat et de leurs légendes.

Honorer la mémoire de son peuple martyre en se battant pour la vérité, la justice, la survie de sa culture et la cohabitation, tel fut le digne combat de notre ami, de notre frère, de notre camarade Hrant Dink.

A tous les ennemis de l’humanité et du peuple turc qui se réjouissent de sa mort, je leur dis : Hrant est désormais un soleil éternel qui brille dans nos cœurs et qui baigne les terres fraternelles d’Anatolie.

Bahar Kimyongür

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