Le Mexique: entre glorifications et silence médiatique

Les médias occidentaux nous ont habitués à dépeindre les nations latino-américaines de manière binaire et manichéenne. Il y aurait selon les grands médias comme Le Monde ou El Pais des gentils et des méchants. Des démocrates et des despotes. Des dirigeants réalistes et des utopistes. Bref, des «analyses» journalistiques souvent biaisées, incomplètes et très souvent mensongères. Dans ce flot médiatique ininterrompu, un pays bénéficie d’un traitement de faveur particulier, c’est le Mexique! Et pour cause! Depuis que le pays s’est engagé voilà plus de trente ans sur la voie néolibérale, il n’a cessé d’être encensé par la presse et les gouvernements occidentaux. Libéralisation de l’économie, soumission aux États-Unis, privatisation à marche forcée… Le cocktail du FMI et de la BM a été appliqué à la lettre et ce pour le plus grand bonheur des marchés financiers et des investisseurs étrangers.

{Photomontage par BAF.F ! pour Investig’Action}

L’inféodation du Mexique aux multinationales étrangères a atteint son paroxysme lorsque le 20 décembre 2013, le président Enrique Pena Nieto annonça une reforme constitutionnelle dans le but de privatiser le pétrole du pays au profit d’entreprises étrangères. Pemex, l’entreprise d’État qui conservait jusqu’alors un monopole sur ce pétrole fut vidée de sa substance et reconvertie en vulgaire sous-traitant du ministère de l’énergie.

Lazaro Cardenas, père de l’État moderne mexicain et qui avait fait du pétrole un bien national inaliénable en écartant les multinationales prédatrices en 1938 a sans doute dû se «retourner dans sa tombe». Comme vous pouvez l’imaginez, cette décision a provoqué un flot ininterrompu d’applaudissements et de félicitations de la part des multinationales, des marchés financiers, des gouvernements occidentaux et sans oublier des médias. Une nouvelle chasse au pétrole était désormais ouverte. Le Washington Post dans son éditorial du 16 décembre 2013 saluait avec enthousiasme cette réforme du président mexicain:

{«Alors que l’économie du Venezuela implose, et que la croissance du Brésil stagne, le Mexique est en train de devenir le producteur de pétrole latino-américain à surveiller et un modèle de la façon dont la démocratie peut aider un pays en développement».}

Ou encore le Financial Times qui chantait les louanges de cette initiative du président:{ «le vote historique du Mexique en faveur de l’ouverture de son secteur pétrolier et gazier aux investissements privés, après soixante-quinze ans de soumission au joug de l’État».}

Faire du pétrole, ressource stratégique mondiale un bien public au service du peuple s’apparente selon le Financial Times à «une soumission au joug de l’État». Pas très étonnant au fond de la part d’un journal libéral. Mais il aurait quand même pu s’efforcer de montrer le développement impulsé par l’État après que ce dernier ait pris les rênes de l’industrie pétrolière. Ce fait important dans l’histoire du Mexique a été passé aux oubliettes.

Sur le plan économique, afin de justifier sa décision de privatiser le pétrole, l’argument du président Nieto a consisté à répéter ce que disent constamment les libéraux quand il s’agit de privatiser des pans entiers du secteur public. «L’État n’a plus les moyens», «il faut dégraisser le mammouth» en l’occurrence l’État mais aussi et toujours «L’État n’est pas compétent», il faut donc transférer ses activités au secteur privé, plus efficace et qui investira plus nous dit-on.

Mais ces arguments relèvent souvent du mythe. En Argentine par exemple, après que le président Menem eut décidé la privatisation de l’entreprise nationale pétrolière Yacimientos Petroliferos Fiscales (YPF) au profit du géant espagnol Repsol, très actif en Amérique du Sud. Bilan de cette privatisation: désinvestissement au profit d’une hausse des dividendes versés aux actionnaires, augmentation des prix, déficit de la balance énergétique…

Ce qui en avril 2012 a poussé la présidente Cristina Fernandez de Kirchner, réélue avec 54% des voix l’année précédente à exproprier 51% des actions d’ YPF (1) et ce avec l’objectif de rééquilibrer la balance énergétique puis commerciale du pays et d’œuvrer au développement de la nation albiceleste grâce à l’argent des exportations. Sans surprise, les médias sont montés au front comme le Financial Times qui applaudissait la privatisation au Mexique et qui là qualifiait cette expropriation d’acte de «piraterie». Le gouvernement espagnol de son coté, enragé, a qualifié cette décision d’ «arbitraire» et a menacé l’Argentine de représailles. Le deux poids, deux mesures… Un exemple parmi d’autres qui montre la duplicité des médias.

Mais revenons au Mexique. L’enchantement exprimé par la presse capitaliste à l’égard des politiques néolibérales imposés dans la nation aztèque s’accompagne d’un profond silence à propos des impitoyables violations des droits de l’homme. Dans son éditorial cité plus haut, le Washington Post faisait l’éloge de la «démocratie» mexicaine, qui serait selon le journal un atout pour le «développement» du pays. Les médias dominants occidentaux sont-ils vraiment les mieux placés pour parler de démocratie? Certainement pas. Allons voir la fameuse «démocratie» mexicaine de plus près. Tout d’abord, s’agissant de la privatisation du pétrole, notons que le président Nieto n’a aucunement consulté son peuple sur une réforme pourtant capitale pour l’indépendance économique du Mexique. L’esprit démocratique aurait été d’organiser un référendum sur cette ignoble privatisation. Au lieu de ça, un vote vite fait bien fait à l’Assemblée Nationale et le tour était joué.

Cette réforme faite dans le dos du peuple par une élite politique qui rassemble les trois principaux partis sous le nom de «Pacte pour le Mexique» a une nouvelle fois mis en lumière l’atomisation du débat public et le mépris croissant des élites à l’égard du peuple. Car comme le souligne John Mill Ackerman, chercheur à l’institut de recherches juridiques de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM), le «Pacte a simultanément approfondi le fossé entre le monde politique et la société». Cette privatisation du pétrole a nourri beaucoup de colère chez le peuple mexicain. Car celle-ci profitera qu’à deux camps: les multinationales étrangères et l’oligarchie politico-économique nationale au pouvoir. L’enquête annuelle Latinobarometro confirme la tendance autocratique qu’a pris la démocratie mexicaine. Elle révélait en 2013 qu’à peine 21% des Mexicains jugeaient être «satisfaits» de leur démocratie…le pire résultat en Amérique Latine.

Ça, le Washington Post se passe de le dire. Tout comme ce silence sur les relations qu’entretiennent les partis dominants avec les cartels de la drogue. Le récent massacre des 43 étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa à Iguala dans l’État de Guerrero est un exemple frappant qui démontre la complicité entre le pouvoir d’État et le pouvoir des cartels. Alors que les étudiants qui avaient manifesté pour la survie de leur école se trouvaient à bord d’un bus, ils furent arrêtés par la police puis emmenés dans un lieu secret pour être remis à une organisation criminelle dans le but de les faire disparaître. Depuis maintenant plusieurs années, les étudiants des écoles normales rurales luttent sans relâche pour faire vivre leurs écoles. En effet, le désengagement de l’État dans les services publics menacent la vie de ces institutions. Des écoles nées au lendemain de la grande révolution mexicaine de 1910-1917. Leurs créations eurent pour objectif d’offrir aux jeunes issus des campagnes l’opportunité de poursuivre des études universitaires. Mais également de permettre aux jeunes instituteurs issus de la classe paysanne de pouvoir enseigner. Ces écoles qui ont une empreinte importante dans la société mexicaine ne cessent de recevoir les foudres des néolibéraux qui veulent faire de l’école non plus un bien public pour tous mais une marchandise comme une autre.

L’État terroriste mexicain a ainsi fait appel aux criminels pour faire disparaître ces étudiants qui devenaient gênant et qui risquaient de contagionner le reste de la société mexicaine, fatiguée d’une caste politique corrompue et violente. Selon Rafael Barajas et Pedro Miguel, journalistes mexicains, la connivence entre le pouvoir politique et les barons de la drogue fait du Mexique un «narco-Etat». Cet acoquinement entre les deux pouvoirs, intimement liés, s’explique notamment par leur dépendance mutuelle.

En effet, selon l’agence de sécurité Kroll, ce sont entre 25 et 40 milliards de dollars provenant de la drogue qui alimenteraient l’économie mexicaine. Un argent indispensable pour un État néolibéral où le secteur financier occupe une place prépondérante. Une somme plus importante que celles tirées des exportations de pétrole qui représente 25 milliards de dollars. L’État mexicain ne peut donc plus vivre sans cet argent provenant de la drogue. On comprend tout de suite mieux pourquoi l’impunité envers les organisations criminelles est de mise. Comme le souligne les journalistes mexicains, «les narcotrafiquants ne peuvent agir sans la coopération des hommes politiques et des fonctionnaires à tous les niveaux». Et le président Nieto est loin d’être épargné. Une partie de la presse a en effet révélé le lien potentiel entre ce dernier et les narcotrafiquants. Il aurait reçu toujours selon les informations de la presse mexicaine des millions de dollars afin de financer sa campagne électorale, une des plus dispendieuses de l’histoire. (2)

Enfin, notons la terrible répression policière et militaire qui s’abat en permanence sur ceux qui osent défier l’ordre injuste et violent qui prévaut au Mexique. Une des cibles privilégiées des différents pouvoirs en place a été les journalistes. Depuis 2010, plus de 100 d’entre eux ont été assassinés, 12 dans le seul État de Guerrero, là où ont disparus les étudiants.(3)

Critiquer le pouvoir en place ou pire oser révéler ses liens avec les barons de la drogue, c’est s’auto-condamner à la mort. Être journaliste critique du pouvoir dans ce pays, c’est vivre avec la peur. La peur de l’enlèvement, le peur du viol, la peur de la mort. Dans un reportage réalisé par la chaîne d’information Telesur dans l’État de Guerrero, une journaliste témoigne (4):

{«l’État de Guerrero est un État très compliqué. Tu peux être menacé par les narcotrafiquants, par le maire, par les militaires… Tu n’as aucune garantie»}, avant de dénoncer la complicité des médias dominants mexicains avec le pouvoir notamment au sujet d’Ayotzinapa: {«La télévision est devenu le moyen par lequel le pouvoir se légitime».}

Aujourd’hui au Mexique, le simple fait de revendiquer tel ou tel droit en allant manifester est suffisant pour se retrouver soit derrière les barreaux soit dans une des centaines de fosses communes que l’on trouve dans le pays. L’insécurité règne et le pouvoir installe une peur quotidienne. Et les chiffres sont là (5):

57 899, c’est le nombre d’enquêtes préliminaires pour homicide volontaire ouverte depuis l’arrivée au pouvoir d’Enrique Pena Nieto le 1er décembre 2012. Le nouveau président mexicain est lui un habitué des répressions. Lorsqu’il était gouverneur de l’Etat de Mexico, il avait donné l’ordre en 2006 de mater les manifestants de San Salvador Atenco qui luttaient pour ne pas être expulsés de leur terre. Cette violence impitoyable s’applique également envers ceux (qui ne pensent pas ou) qui osent montrer leur désaccord politique et idéologique avec le pouvoir en place. En août 2014, l’organisation Nestora Libre qui défend les prisonniers politiques a annoncé que plus de 350 personnes avaient été mis derrière les barreaux depuis décembre 2012, et ce pour des motifs politiques.

Face à ce constat alarmant, doit-on encore considérer le Mexique comme un pays démocratique où règne un État de droit? Cet État terroriste, présidé par un homme tout aussi violent et cruel ne semble pas déranger certains présidents occidentaux. En effet, la France lui a remis récemment la grand-croix de la Légion d’honneur. Elle faisait ainsi honneur à la politique néolibérale impulsée par le président Nieto. Comme dans le cas du Pérou qui s’est montré très complaisant avec les multinationales, la France tout comme la majorité des pays impérialistes et néocoloniaux a décidé de fermer les yeux sur les atrocités qui secouent le Mexique. La presse également même si elle a évoqué les événements d’Ayotzinapa, est restée discrète sur les liaisons qui unissent l’État mexicain et les narcotrafiquants. Cela signifie la chose suivante: tant qu’un pays sert les intérêts économiques, énergétiques, géopolitiques des multinationales, alors il pourra commettre les pires exactions, assassiner à tout va, torturer comme bon lui semble, emprisonner arbitrairement, il ne sera jamais épinglé par ni par les gouvernements ni par les médias occidentaux.

Comme l’affirmait le secrétaire d’État états-unien Henry Kissinger: «les grandes puissances n’ont pas de principes, juste des intérêts». Le cas du Mexique en est le parfait exemple.

{{{ Ayotzinapa: chronique d’une disparition annoncée}}}

Voilà maintenant six mois que les 43 étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa ont disparu. Une disparition que beaucoup au Mexique, des organisations indigènes aux mouvements étudiants imputent à l’État mexicain et aux narcotrafiquants. Ces deux entités sont en effet accusées d’avoir collaboré pour faire disparaître ces étudiants gênants. Nous vous proposons ici de revenir chronologiquement sur les dates clés et les faits marquants de cette tragédie.

{{26 septembre 2014:}} Par manque de moyens dus aux politiques néolibérales qui ont pour conséquence le désengagement de l’État, les étudiants de l’école d’Ayotzinapa réquisitionnent deux bus pour pouvoir réaliser leur travail d’observation dans des écoles primaires du village pour pouvoir ensuite participer à la commémoration du massacre du 2 octobre 1968*.
La police municipale de la ville d’Iguala dans l’État de Guerrero où se trouve l’école d’Ayotzinapa sur les ordres du maire José Luis Abarca tire à quatre reprises sur les étudiants. Bilan: 6 morts et 43 disparus.

{{7 octobre 2014:}} Soit onze jours après la disparition des étudiants, le président Enrique Pena Nieto s’exprime pour la première fois. Il promet que toute la lumière sera faite sur la disparition des étudiants et que les auteurs seront punis.

{{30 septembre 2014:}} 22 policiers sont arrêtés et sont soupçonnés d’avoir participé à l’assassinat de 6 personnes à Iguala. Ils seront jugés pour homicide.

{{4 octobre 2014:}} 16 fosses clandestines sont localisées à Iguala. On découvre par la suite que ces fosses contiennent 28 corps.

{{5 octobre 2014:}} Luis Abarca, le maire d’Iguala s’enfuit avec sa femme.

{{10 octobre 2014:}} 4 autres personnes sont arrêtées suite à la disparition des étudiants d’Ayotzinapa et 4 nouvelles fosses communes ont été localisées.

{{17 octobre 2014:}} Les chiffres connus indiquent que 36 policiers municipaux sont détenus ainsi que 17 membres du crime organisé. 3 nouvelles fosses ont été découvertes à Iguala.

{{22 octobre 2014:}} Nouvelle piste: José Luis Abarca et sa femme ont agi en complicité avec le groupe criminel des narcotrafiquants, le cartel Guerreros Unidos. La femme du maire et la sœur font partie des responsables du cartel.

{{4 novembre 2014:}} Arrestation de José Luis Abarca et de sa femme dans une maison de Mexico City.

{{7 novembre 2014:}} Les familles des disparus s’expriment: ils considèrent que par manque de preuves leurs enfants sont vivants. Les corps n’ont cependant jamais été localisés. Ils décident de ne pas abandonner le combat malgré que le gouvernement affirme que les étudiants sont morts.

{{8 novembre 2014:}} Des centaines de personnes manifestent à Mexico City lors d’une journée nationale de protestation. La police arrête ce jour-là 18 personnes. Parmi eux se trouvent des étudiants d’Ayotzinapa, de l’Institut polytechnique nationale, de l’Institut technologique de Monterrey accompagnés d’acteurs de cinéma mexicains.

{{13 février 2015:}} La Commission Inter-américaine des droits de l’homme (CIDH) décide d’enquêter sur la disparition des étudiants.

{{Mars 2015:}} Pour le moment, les étudiants d’Ayotzinapa n’ont toujours pas été retrouvés.

Source: cet article fait partie du Dossier Ayotzinapa du Journal de Notre Amérique n°2, Investig’Action, mars 2015


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