Lagardère, July, Paris-Match : le dessous des affaires

Financiers et industriels ont pris l’an dernier le contrôle de nombreux journaux et d’autres média : ils affrontent maintenant leurs rédactions. Intérêts financiers et politiques s’opposent à l’indépendance rédactionnelle. Libération et Paris Match sont directement touchés, Le Monde et le Figaro sont sous pressions.

tranduction Anne Bonnew

La confrontation récente à Libération attire le plus l’attention. Le nouvel actionnaire Edouard de Rotschild (38 % du capital) exige et obtient le retrait du PDG – rédacteur en chef Serge July. Il pose ce départ comme condition aux négociations financières qui permettraient de maintenir Libération en vie.

C’est dans le courant du deuxième semestre de l’an dernier que le financier de Rotschild a acquis la une majeure part de capital de Libération. Il semble aujourd’hui que son apport ait été insuffisant pour assurer la survie du quotidien: il faut d’avantage injecter des fonds et il exige le départ de Serge July.

July est co-fondateur de Libération, qui a vu le jour en 1973 sous l’égide du philosophe activiste Jean-Paul Sartre. Depuis 1982 il en est le chef incontesté et a depuis ce temps-là vigoureusement défendu l’association de groupes industriels et financiers au capital de Libération.

Le groupement des employés et journalistes de Libérationo, qui possède 18% du capital, s’est d’abord opposé au départ forcé de July. Même si July a longtemps flirté avec les chefs du monde politique et avec les grands patrons, cela n’empêche pas les employés de le considérer comme un dernier rempart. Selon eux, sacrifier July, c’est ouvrir la porte à la perte totale de leur indépendance rédactionnelle.

La fin du match : le banquier insiste, et l’association des rédacteurs et des journaliste s’incline. Serge July addresse son mot d’adieux à Libé le 30 juin. L’association des rédacteur appointe son sécretaire Vittorio de Filippis comme successeur.

Match fatal chez Paris Match

Le magazine de société Paris Match est lui aussi le théâtre de combats entre propriétaire et rédaction. Au milieu de l’an dernier, le rédacteur en chef Alain Genestar avait osé consacrer sa couverture à Mme Sarkozy et son nouveau compagnon. Depuis lors, Arnaud Lagardère, également patron du géant industriel éponyme, n’a de cesse de vouloir écarter le très populaire et très performant rédacteur en chef de Paris Match.

Nicolas Sarkozy dirige l’aile droite du parti politique du président Chirac. Lors du grand débat occasionné par le référendum sur la constitution européenne (rejetée par les électeurs), Sarkozy a dû à certains moments lâcher du lest et s’était absenté de certains débats importants. Explication avancée : ‘Des problèmes dans sa vie privée’. Son épouse, alors aussi son chef de cabinet au parti, avait décidé de le quitter et avait réorganisé sa vie privée. A cette époque, Paris Match avait publié des photos d’une escapade de Mme Sarkozy en compagnie d’un gourou du monde publicitaire.

Il se fait que Sarkozy est un ami intime d’Arnaud Lagardère, qui outre Paris Match, possède également l’empire du Figaro et s’est offert l’an dernier 20% du capital du Monde.

Ceci explique le zèle de Lagardère à évincer le rédacteur en chef de Paris Match.

Ce n’était pas une sinécure car, non seulement, le rédacteur en chef refuse de se faire mettre sur une voie de garage, mais il bénéficie du soutient de toute sa rédaction. Pour la première fois dans l’histoire de Paris Match, l’union des rédacteurs à Paris Match a mené une grève pour le maintient de leur rédacteur en chef.

Néammoins en début de cette semaine, Genestar a été mis à l’écart

Silence des medias

Une plus large menace encore plane sur la crédibilité des medias en France : il s’agit du scandale financier d’EADS, un consortium actif dans le domaine des armes, de l’espace et de l’aviation (Airbus). Et de nouveau, apparaît la figure de Lagardère.

Le groupe Lagardère est, aux côtés de l’état français, le plus grand actionnaire privé d’EADS. Il y a quelques semaines, EADS-Airbus annonçait ne pas pouvoir livrer à temps les nouveaux avions Airbus commandés. Le cours de l’action plongeait immédiatement de plus de 25%.

Cela fit grand bruit dans les milieux industriels, mais plus encore quand il est apparu que les dirigeants d’Airbus et d’EADS ainsi que les membres de leurs familles avaient vendu massivement leurs options sur les actions EADS juste avant l’annonce de la mauvaise nouvelle.

Le groupe Lagardère lui-même avait, quelques semaines auparavant, effectué une opération réduisant ses actions EADS de moitié. L’organisme français de contrôle des opérations boursières (Autorité des Marchés financiers) a entamé une enquête sur un possible ‘délit d’initiés’.

Les critiques des médias en France se plaignent du peu de couverture consacré par les grands quotidiens (Le Figaro, Le Monde) à un scandale de cette envergure. De plus, nulle part dans ses médias, on ne retrouvera le nom de Lagardère associé à une implication dans des transferts de capitaux liés à la vente rapide des actions et des options en question.

Les critiques établissent un lien entre la position de Lagardère en tant qu’industriel, ses connexions avec le gouvernement et le président et d’autre part sa position de force dans les grands groupes de presse français.

‘La concentration du pouvoir des médias dans les mains de l’industrie et de la finance est toujours dangereuse’, soulignent les analystes. ‘Mais quand il s’agit de magouille et de fraude, ce danger devient on ne peut plus clair.’

Les opinions exprimées dans les articles publiés sur le site d’Investig’Action n’engagent que le ou les auteurs. Les articles publiés par Investig’Action et dont la source indiquée est « Investig’Action » peuvent être reproduits en mentionnant la source avec un lien hypertexte renvoyant vers le site original. Attention toutefois, les photos ne portant pas la mention CC (creative commons) ne sont pas libres de droit.


Vous avez aimé cet article ?

L’info indépendante a un prix.
Aidez-nous à poursuivre le combat !

Pourquoi faire un don ?

Laisser un commentaire

Qui sommes-nous ?

Ceux qui exploitent les travailleurs et profitent des guerres financent également les grands médias. C’est pourquoi depuis 2004, Investig’Action est engagé dans la bataille de l’info pour un monde de paix et une répartition équitable des richesses.