La politique de la souveraineté

Le grand quotidien égyptien Al Ahram vient de publier cette proclamation de la légitimité de la résistance par deux opposants à l'occupation…

La politique de la souveraineté

La résistance à l’occupation de l’Irak représente la continuité de l’Etat irakien

Seuls ceux qui ne sont pas conscients des outils et méthodes de propagande utilisés au cours de l’histoire par les puissances impérialistes pour diviser et conquérir les peuples pourraient croire que l’Irak connaît aujourd’hui un véritable processus politique censé bâtir un Etat unifié, doté d’une constitution durable.

Il est clair que l’occupation est une tentative de construire trois protectorats si faibles et si antagonistes que les Irakiens ne seront pas en mesure de se débarrasser du contrôle militaire, politique et économique des Américains. Aujourd’hui, en Irak, nul réel processus politique ne tend à construire un Etat unifié, respecté de tous les Irakiens et du monde entier. Les citoyens qui participent à ce que les Américains appellent un processus politique ne peuvent construire un Etat irakien unifié et ce n’est nullement leur intention non plus. Les Kurdes tentent de bâtir un Etat dans l’Etat afin de s’assurer le contrôle de Kirkuk et d’engager un processus d’indépendance.

Dans le sud du pays, le parti du Premier ministre Ibrahim Al-Jaafari, l’Alliance irakienne unie, met sur pied un Etat religieux semblable à l’Iran et allié avec lui. Ces groupes ont temporairement forgé une alliance de convenance contre la résistance mais n’œuvrent en aucun cas à la construction d’un Etat irakien unifié pour tous les citoyens du pays.

Parler de participation « sunnite » ou de celle de quelque groupe partisan ou religieux que ce soit dans le processus politique, c’est faire le jeu des dissensions et des querelles entre Irakiens. Bien sûr, les sunnites en Irak représentent une couche sociale spécifique dotée de sa propre identité religieuse, mais ils refusent toutefois de s’engager dans un processus politique qui leur conférerait une identité à part, distincte de celle des autres Irakiens. Cette idée s’est déjà manifestée dans le passé, en Irak, dans l’histoire des mouvements nationalistes arabes, y compris celle du parti Baath ou des mouvements de gauche. Si les sunnites acceptent une séparation s’appuyant sur des considérations sectaires, ils seront forcés d’accepter la division de l’Irak en sectes et groupes ethniques et c’est précisément ce à quoi ils s’opposent avec véhémence aujourd’hui.

Du point de vue du droit international, la guerre préventive contre l’Irak et l’occupation qui s’en est suivie sont illégales. Les Nations unies ont été créées dans le but spécifique de répondre à de tels crimes contre la paix et dans une tentative de protection des générations futures contre de tels conflits. La doctrine de la guerre « préventive » est incompatible avec le droit international qui limite l’usage de la force à l’autodéfense, en particulier dans des situations où un Etat a subi une attaque armée ou une agression. Par conséquent, l’invasion de l’Irak sans l’approbation du Conseil de sécurité, de même que l’occupation qui s’en est suivie, sont illégales.

Bien que les Etats-Unis considèrent la garantie de leurs intérêts propres comme la définition même du droit international, depuis 1945, les relations internationales entre les Etats indépendants ont été régies par la Charte des Nations unies via le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale. Aucun de ces deux organes n’a déclaré la guerre à l’Irak. Au contraire, la Résolution 2649 de l’ONU, adoptée par l’Assemblée générale du 30 novembre 1970, « affirme la légitimité de la lutte que mènent les peuples asservis à une domination coloniale et étrangère et auxquels on a reconnu le droit à disposer d’eux-mêmes pour recouvrer ce droit par tous les moyens dont ils disposent ».

La souveraineté irakienne est sous la protection de la Charte des Nations unies, du traité de La Haye et des conventions de Genève. Ces traités énoncent les obligations des puissances occupantes, obligations qui affirment que les lois promulguées sous l’occupation l’ont été par et pour l’occupation et non par un Etat indépendant, qu’elles ne peuvent en aucun cas revêtir un caractère permanent et qu’aucun Etat n’a le droit de décider des institutions politiques d’un autre. Par conséquent, le projet de constitution permanente pour l’Irak occupé est illégal et injustifiable.

Comment peut-on rédiger une constitution définitive quand plus de 150.000 soldats américains mènent des opérations militaires chaque jour contre des villes et des villages irakiens, quand les prisons débordent de prisonniers politiques, quand les citoyens vivent sous la loi martiale et n’ont même pas le droit de se réunir et quand les Etats-Unis contrôlent les forces de sécurité, l’armée, l’économie, les tribunaux et toutes les institutions de quelque importance ? Comme l’écrit Eman Khammas, d’Occupation Watch : « Vous devez expliquer au monde extérieur ce que l’occupation a apporté à l’Irak. Comment elle l’a détruit en tant qu’Etat, pays, nation et puissance. Vous devez au moins parler des atrocités commises chaque jour contre les droits de l’homme. Nous ne nous sentons pas en sécurité dans nos propres maisons. » Qu’est-ce qu’une constitution permanente sinon les principes et mécanismes sous lesquels les citoyens peuvent vivre ensemble pacifiquement et sont acceptés par tous, sans violence ni intimidation ? L’occupation est la forme suprême de la dictature, puisqu’elle tente d’imposer la loi par des moyens militaires.

Selon la commission électorale présidée par Abdul-Hussein Al-Hindawi, huit millions d’Irakiens ont voté, sur les quatorze millions habilités à le faire, et six millions ont boycotté les élections. Parmi les votants, deux millions sont des Kurdes et ils ont leur propre parlement. En outre, seulement 20 pour-cent des quatre millions d’Irakiens en exil ont voté. Le but des récentes élections irakiennes était de désigner une institution capable de rédiger une constitution. Toutefois, une moitié de la population a-t-elle le droit de rédiger une constitution pour l’autre moitié et d’agresser violemment celle-ci quand elle refuse ses conditions ? Le gouvernement a-t-il le droit de réprimer la moitié de la population pour la simple raison que la puissance d’occupation le force à le faire ? Si la moitié seulement des Irakiens habilités à voter l’a fait, quel genre de légitimité autorise le gouvernement irakien à rédiger une constitution définitive pour la totalité des citoyens irakiens ?

Le nouveau gouvernement irakien a été installé sur base de l’acceptation de la loi de transition imposée par l’administrateur civil américain Paul Bremer et approuvée par le conseil gouvernemental intérimaire et non élu. Ces deux organes étaient illégaux. Le mouvement hostile à l’occupation refuse cette dernière ainsi que les lois qui en résultent, à l’instar de l’ayatollah Al-Sistani, qui a refusé ouvertement les fameuses « ordonnances de Bremer » et s’y est opposé. Les Nations unies ont ignoré ces ordonnances de Bremer parce qu’elles ne respectaient pas les principes du droit international et les Irakiens ont boycotté massivement les élections parce que le but avoué de celles-ci était de légitimer l’occupation et les lois qui en découlaient.

Ceux qui soutiennent les mesures de la coalition citent volontiers en exemple la capitulation de l’Allemagne et du Japon, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, afin de justifier leur droit de rédiger une constitution définitive pour l’Irak. C’est ce qu’ils appellent bâtir une nation. En Irak, il n’y a pas eu de capitulation et aucun représentant de l’ancien Etat n’a donné aux Américains le droit de déterminer l’avenir de l’Irak via une reddition ou quelque traité. Ni l’ancien régime, ni l’armée ni le gouvernement de l’Irak n’ont accepté les ordonnances de Bremer. Au contraire, une section importante de l’armée et du peuple irakien a décidé de résister.

C’est pourquoi, conformément aux principes du droit international, la résistance politique, civile et militaire irakienne représente la continuité de l’Etat irakien indépendant. Les Etats-Unis ont mené une guerre d’agression, non seulement pour renverser le régime de Saddam Hussein, mais pour détruire l’Etat irakien, l’abolir et en créer ensuite un nouveau, très faible.

Après s’être opposées à la guerre dès le début, certaines sections du mouvement original contre la guerre légitiment désormais l’occupation au nom du renversement réussi de l’ancien régime oppresseur. Mais le fait de lutter contre la politique de Saddam Hussein ne signifie nullement que l’on accepte l’abolition de l’Etat irakien ni les lois politiques répressives édictées par l’occupation contre les baathistes et qui visent plus d’un million de personnes tout en s’opposant à toutes les valeurs de la justice, de la démocratie et des droits de l’homme, ni que l’on accepte la répression qui s’exerce contre les forces s’opposant à l’occupation.

Si les Etats-Unis n’ont pas le droit de conquérir un Etat indépendant ni de bâtir à sa place un nouvel Etat, qui, dans ce cas, représente le peuple irakien ? La résistance, en luttant par des moyens différents contre l’occupant et ses lois, représente la continuité de l’Etat irakien. La résistance lutte pour sauvegarder les ressources naturelles, les réformes agraires et pour restaurer les infrastructures, les systèmes de l’éducation et des soins de santé qui sont actuellement détruits par l’occupation. La résistance représente en toute légalité le peuple irakien et son indépendance jusqu’au moment où ce même peuple irakien aura la possibilité de créer librement un nouvel Etat, indépendant de toute influence extérieure. Représenter la continuité de l’Etat ne signifie pas nécessairement représenter l’ancien régime, puisqu’il y a une différence entre la notion de l’Etat et celle d’un gouvernement particulier.

Le peuple de l’Irak a besoin d’un Etat démocratique propre à ses citoyens, indépendant de toute hégémonie, régionale ou internationale, qui gère ses propres affaires et intérêts pacifiquement et démocratiquement, avec la capacité de pouvoir exercer une souveraineté complète sur son territoire et ses ressources. Il a besoin d’un Etat dans lequel la Charte des Nations unies et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme font partie de la Constitution. Cela ne sera possible qu’après le retrait complet et inconditionnel de toutes les troupes étrangères d’occupation du sol irakien.

Abdul-Ilah Al-Bayaty est un analyste politique irakien installé en France et Hana Al-Bayaty est membre du Comité organisateur du BRussells Tribunal on Iraq.

Voir aussi notre article "Divisons l'Irak comme la Yougoslavie!"

in http://www.investigaction.net/damnes_du_kosovo.php

et : Vraie et fausse résistance en Irak in :

http://www.investigaction.net/articles.php?dateaccess=2005-06-09%2023:18:44&log=invites

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