La fin prochaine des sanctions contre l’Iran

Imposer des sanctions secondaires contre les firmes non-américaines qui contractent avec l’Iran pourrait se retourner contre Washington si de telles mesures voyaient le jour.

 
 
Les décideurs politiques et les commentateurs occidentaux estiment à tort que les sanctions contraindront les Iraniens à des concessions lors des négociations sur le nucléaire qui reprennent cette semaine au Kazakhstan – ou peut-être même affaiblir la stabilité de la République Islamique à quelques mois des élections présidentielles de Juin.

En plus d’exagérer l’impact des sanctions sur les décisions et l’attitude iraniennes, cet argument ignore grandement les graves lacunes que représente la nature même des sanctions américaines–lacunes mises en évidence par les développements actuels en Europe et en Asie, et qui sont de nature à provoquer l’érosion, voire la chute totale de la politique de sanctions menée par les Etats-Unis.

Pratiquement depuis la Révolution Iranienne de 1979, les gouvernements américains ont imposé des sanctions unilatérales contre la République Islamique. Ces mesures n’ont toutefois pas entamé de manière suffisante l’économie iranienne et n’ont certainement pas changé les politiques iraniennes désapprouvées par Washington.

Entre 2006 et 2010, les Etats-Unis ont fait voter par le Conseil de Sécurité de l’ONU six résolutions autorisant des sanctions multilatérales contre l’Iran- même si l’impact en fut limité de par le refus de la Chine et la Russie de laisser passer toute résolution qui menacerait leurs intérêts en Iran.

Au-delà des mesures tant unilatérales que multilatérales contre l’économie iranienne, les Etats-Unis ont depuis 1996 menacé d’imposer des sanctions ‘’secondaires’’ à l’encontre d’entreprises basées dans des pays tiers qui traitent avec la République Islamique. Ces dernières années, le Congrès a largement étendu la liste des activités entrant dans le champ des sanctions, allant au-delà de l’investissement dans la production de pétrole et de gaz iranien et incluant dorénavant le simple achat de brut iranien ou encore les transactions financières.

Cette année, le Congrès a également banni le transfert de métaux précieux vers l’Iran dans le but de rendre plus difficile pour Téhéran le rapatriement des profits réalisés à l’export ou de payer les importations avec l’or. Le Congrès a également accru les sanctions qui pourraient frapper les entreprises qui ne respecteraient pas cette règle, allant même jusqu’à l’exclusion du système financier américain.

Sanctions secondaires


Les sanctions secondaires sont un château de cartes des points de vue légal et politique. Elles violent très clairement les engagements américains pris dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce, qui s’ils permettent à ses membres de rompre toutes relations commerciales avec les Etats qu’ils considèrent comme des menaces à leur sécurité nationale, n’autorisent en aucun cas les sanctions prises à l’encontre de membres de pays tiers qui auraient commercé légalement. Washington perdrait très certainement si l’affaire venait à être portée devant la Commission de Règlement des Différends de l’OMC.

En conséquence de quoi, les gouvernements américains ont hésité à imposer des sanctions secondaires à des entreprises non américaines commerçant avec l’Iran. En 1998, le gouvernement Clinton a renoncé à sanctionner un Consortium composé de sociétés européennes, russes et asiatiques en charge de développer un puits de gaz iranien ; au cours de la décennie suivante, Washington s’est résignée à ne pas sanctionner les activités réalisées entre des sociétés étrangères et l’Iran.

Le gouvernement Obama accorde désormais une dispense générale aux pays qui achètent du pétrole iranien, même lorsqu’il n’est pas avéré qu’ils réduisent le volume acheté.

Toutefois, les risques, tant sur le plan légal qu’en termes d’image, que supposent les sanctions secondaires ont refroidi les velléités des entreprises et autres banques de nombreux pays de réaliser des transactions avec l’Iran, avec des conséquences très négatives sur le volume d’exportation de son pétrole, le taux de change et d’autres pans de sa vie économique.

L’an dernier, l’Union Européenne, qui pendant des années avait condamné la possibilité d’une application extraterritoriale d’une loi commerciale nationale et avait même menacé de porter l’affaire devant la Commission de Règlement des Différends si Washington venait à sanctionner des entreprises européennes en raison de leurs liens d’affaires avec l’Iran, s’est finalement rangée du côté des Etats-Unis et a interdit par exemple l’achat de pétrole iranien et a imposé des restrictions économiques à l’encontre de la République Islamique que l’on pourrait qualifier d’embargo.

Au cours des dernières semaines, la Cour Européenne a toutefois annulé des sanctions prises contre deux des plus importantes banques d’Iran, arguant que l’Union européenne n’avait jamais apporté la preuve que les banques avaient fourni ‘’des services financiers à des entreprises agissant en faveur de programmes balistiques et de développement nucléaire iraniens’’.

Le Conseil de l’Europe dispose de deux mois pour répondre- même si la levée des sanctions à l’endroit des banques affaiblirait considérablement le régime de sanctions mis en place par l’Europe. Des acteurs de l’économie iranienne aussi importants que la Banque Centrale Iranienne ou la Compagnie Nationale du Pétrole Iranien, contestent désormais leur statut de banni.

A l’autre bout de la terre, l’Amérique se heurte à la Chine sur la question des sanctions. Ces dernières années, Pékin a essayé de prendre en considération l’inquiétude américaine à propos de l’Iran. La Chine n’y a pas lancé de programmes d’investissement aussi rapidement qu’elle aurait pu et elle a libellé des échanges financiers en renminbi pour ainsi éviter au gouvernement Obama d’avoir à sanctionner les banques chinoises (de la même manière, l’Inde paie désormais le pétrole iranien en roupies).

Est-ce que Pékin a réduit son niveau d’importation de pétrole iranien pour autant? Rien n’est moins sûr-mais elle le réduit clairement lorsque l’administration décide une levée des sanctions de 6 mois pour les pays qui se procurent du brut iranien.

Le gouvernement américain s’impose à lui-même des initiatives pour éviter un conflit Sino Américain sur les sanctions secondaires. Il a par exemple levé les sanctions sur les importations de pétrole, y compris celles prises par Washington à l’encontre d’une banque chinoise qui s’était vue refuser l’accès au système financier américain en raison de ses relations avec l’Iran et qui était la filiale d’une Compagnie Energétique chinoise – une filiale sans activité aux Etats-Unis.

Plus le Congrès vote de nouvelles sanctions secondaires, plus la marge de manœuvre du Président Obama se réduit. C’est précisément là le talon d’Achille de cette politique.

Stratégie au Moyen Orient


Si, sur insistance du Congrès, le gouvernement exigeait au cours de l’année à venir que la Chine interrompe fortement ses importations de pétrole iranien et que les banques chinoises cessent pratiquement toutes transactions avec l’Iran, Pékin répondrait par la négative. Et si Washington recule, l’effet dissuasif des sanctions secondaires s’érodera rapidement. Les exportations de pétrole iranien repartent à la hausse, en raison essentiellement de la demande chinoise.

Quand il apparaîtra évident que Washington n’imposera pas de sanctions secondaires, la croissance des expéditions vers la Chine et d’autres pays non-occidentaux (par exemple l’Inde ou la Corée du Sud) s’accélèrera alors. De la même manière, les puissances non-occidentales sont vitales pour l’Iran et sa quête d’alternatives face au système américain dominant de contrôle des transactions internationales- un projet qui sera revigoré une fois le coup de bluff de Washington révélé au grand jour.

A l’inverse, si Washington sanctionne les groupes énergétiques et les banques chinoises, Pékin ne manquera pas de répondre – à minima en portant l’affaire devant la Commission de Règlement des Différends de l’OMC (et la Chine gagnera), voire même en ripostant et en sanctionnant à son tour les sociétés américaines installées en Chine.

Les décideurs chinois sont de plus en plus inquiets de voir Washington revenir sur l’engagement qui avait jeté les jalons du rapprochement sino-américain des années 1970- à savoir accepter un relatif essor économique et politique de la Chine et ne pas chercher à s’assurer toute position hégémonique en Asie.

Pékin est d’ores et déjà moins encline à œuvrer au sein du Conseil de Sécurité (même de manière limitée) sur une résolution de sanctions et est plus apte à résister aux initiatives américaines qui, selon elle, vont à l’encontre des intérêts chinois (il suffit de regarder les trois résolutions américaines rejetées par la Chine dans la crise syrienne).

Dans ce contexte, les leaders chinois n’accepteront pas l’hégémonie américaine sur les sanctions iraniennes. A ce stade, Pékin a plus de possibilités de causer du tort à l’Amérique pour ses violations des accords de commerce international qui nuisent aux intérêts chinois, que Washington n’a de leviers coercitifs pour forcer Pékin à se plier à ses exigences.

A mesure que la politique de sanctions s’amenuise, le Président Obama devra se décider soit à continuer sur la voie grande ouverte de l’hostilité envers l’Iran qui, à terme, mènera à une nouvelle guerre lancée par les US au Moyen Orient, soit à développer une vision très différente de la stratégie américaine au Moyen-Orient –une vision marquée par une réelle volonté diplomatique envers Téhéran, reposant sur la reconnaissance du régime de la République islamique comme légitime pour représenter les intérêts nationaux et désireuse de réaligner fondamentalement les relations Iran-Etats-Unis.
 

Flynt Leverett & Hyllary Mann Levereet sont auteurs de ‘’En route pour Téhéran : pourquoi les USA doivent parvenir à un accord avec la République Isamique d’Iran’’. Ils enseignent les relations internationales, à Penn State pour Flynt et à l’American University pour Hillary.
 
 
 
Traduit de l'anglais par MB pour Investig'Action

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