La chasse aux clandestins de la 3ème République agonisante

Des ouvriers anglais, nous a-t-on dit, ont manifesté récemment pour chasser les étrangers acceptant des salaires très inférieurs aux leurs. De fait, ils ont seulement exigé que leurs pairs ne soient pas traités comme les étrangers du film de Ken Loach It’s a free word.

La « chasse aux étrangers » que le gouvernement « républicain » du radical Daladier mit en œuvre depuis avril 1938 avec une particulière brutalité ne sortit pas non plus du cerveau d’ouvriers chauvins ni même de la petite bourgeoisie déchaînée contre « les métèques ». Elle s’inscrivait dans une guerre contre le salaire de tous (Français et étrangers) conduite par la Banque de France, le Comité des Forges (père de l’UIMM), le Comité des houillères et la Confédération générale du patronat français (CGPF), ancêtre du MEDEF. Son volet « étrangers » fut d’autant plus riche que le patronat avait, depuis 1880, organisé une immigration massive visant le « dumping social ».

 

L’Etat avait même concédé à la « Société générale d’immigration », société anonyme privée fondée en mai 1924, avec pour vice-président Henri de Peyerimhoff, président du Comité des houillères, le « quasi monopole de recrutement collectif » de la main-d'œuvre étrangère. Le privilège de cette entreprise de « négriers » patronaux coûta cher au contribuable mais rapporta gros au patronat. Pendant la crise, celui-ci exigea désormais que l’Etat renvoyât chez eux les travailleurs inutiles, tels les mineurs polonais dont les Compagnies houillères avaient eu gros besoin pour la Reconstruction d’après 1918. Simultanément, affluèrent des réfugiés, juifs et antifascistes d’Allemagne en tête. C’était une « immigration choisie » (médecins, avocats, commerçants, etc.), mais, le patronat et la droite (« républicaine » et extrême), alors fort antisémites, la fustigèrent : le 1er avril 1933, jour du boycott des juifs en Allemagne nazie, la CGPF enjoignit l’État d’« exerce[r] un contrôle strict sur les réfugiés » et de limiter leur « installation » vu « la concurrence » insupportable que les nombreux « Israélites allemands réfugiés en France » causait aux « industriels et commerçants français » frappés par la crise. La presse que le grand capital possédait et contrôlait fulmina donc contre ces « indésirables » qu’elle érigeait en fourriers du bolchevisme et de la révolution universelle. Ce tapage quotidien intoxiqua une part notable de la population. Il enfla encore en 1939 où affluèrent 750 000 des Espagnols vaincus, défaite à laquelle les élites économiques et politiques françaises avaient, depuis juillet 1936, activement contribué.

 

Les grands groupements patronaux rédigèrent eux-mêmes les « décrets Daladier », ceux visant les étrangers comme les autres; les chefs policiers les plus xénophobes, antisémites et antibolcheviques, futurs animateurs sous l’Occupation de la répression et de la collaboration, leur donnèrent forme définitive. De mai à novembre 1938 se succédèrent les décrets visant « la chasse aux clandestins » (ou non) : on commença par aggraver « les peines […pour] délits relatifs aux conditions de séjour en France », excluant l’octroi « des circonstances atténuantes ou du sursis » et donnant aux « préfets des départements frontaliers le droit de prononcer des expulsions sans en référer au ministre de l’Intérieur » (2 mai). Ils se mêlèrent aux textes sabrant les acquis de mai-juin 1936, dont le phare fut l’abolition de la semaine de 40 heures et le retour aux 48, alors que la durée réelle était inférieure à 37.

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