La Grèce, entre calvaire et résistance

On dit que c’est au pied de l’Acropole que la démocratie a vu le jour. Aujourd’hui, les ruines du sanctuaire sont couvertes de banderoles dénonçant la dictature des marchés. Comment le berceau de la démocratie s’est-il transformé en un laboratoire de la finance internationale ? Fotoula Ioannidis, militante grecque vivant en Belgique, nous raconte le calvaire de son peuple mais aussi ses actes de résistance. De la révolution de la patate aux compteurs d’électricité rebelles, la Grèce n’entend pas plier face aux esthètes budgétaires de la Troïka.

 
INTERVIEW: Grégoire Lalieu
 
La dette grecque a été restructurée (107 milliards effacés des ardoises) et la Troïka a octroyé un nouveau prêt de 130 milliards. Une bonne nouvelle qui va permettre à la Grèce de respirer ?
Pas du tout. Tout d’abord, ce nouveau prêt est uniquement destiné à payer la dette et soutenir les banques. De plus, on ne peut pas dire qu’il va alléger la dette puisqu’il va essentiellement permettre de payer des intérêts. Enfin, la restructuration de la dette profite surtout aux créanciers. Grâce à un montage complexe, ils s’octroient des titres plus sûrs et écartent la catastrophe tant redoutée : un défaut de paiement de la Grèce. Encore une fois, c’est un plan qui sauve plus les banques que les citoyens grecs. Ces derniers vont encore devoir supporter tous les efforts avec de nouvelles mesures d’austérité. Tous les plans de « sauvetage » et les prêts octroyés depuis le début de la crise ont endetté le peuple grec pour 250 ans au moins. Plusieurs générations sont condamnées à porter ce fardeau.

Ces mesures d’austérité sont-elles efficaces ? Quel impact pour les citoyens ?
Les mesures d’austérité constituent en fait une attaque généralisée contre les droits des travailleurs et l’Etat-providence. Pour 2012, 15.000 fonctionnaires seront licenciés et 150.000 autres devraient passer à la trappe d’ici 2015. Jusqu’à cette même date, les salaires vont être gelés. Et le salaire minimum va diminuer de 22%. En même temps, le chômage ne cesse d’augmenter : 21% et 43% chez les jeunes. Rien qu’à Athènes, 50.000 commerces ont dû fermer en 2011. Près de 40% des lits on été supprimés dans les hôpitaux et les médicaments ne sont pratiquement plus remboursés. La TVA est passée de 11 à 23% et le ticket de transport en commun a augmenté de 50%. C’est catastrophique. Les mesures d’austérité ne permettent pas une relance économique. Le pouvoir d’achat des Grecs ne cessent de diminuer.

Alors, pourquoi le gouvernement poursuit-il sur cette voie ?
Tous les manifestants le disent : la Grèce est à nouveau une dictature. Les marchés financiers ont remplacé les colonels. En effet, l’actuel gouvernement n’a pas été élu par le peuple. Le Premier ministre Loukas Papadimos a été imposé. C’est un ancien banquier qui a travaillé pour Goldman Sachs.
D’ailleurs, les conditions dans lesquelles le parlement a voté les nouvelles mesures d’austérité au mois de février en disent long. Il y a eu une énorme mobilisation populaire avec plus de 100.000 manifestants dans tout le pays. Et 3000 policiers surveillaient les accès au parlement. Les médias européens ont beaucoup parlé des actes de violence. En fait, il y avait quelques anarchistes un peu allumés. Mais vous aviez aussi des policiers déguisés en casseurs. Leur objectif était de décrédibiliser le mouvement de protestation et de faire peur aux gens.     
Autre signe du déficit démocratique : quarante-trois députés ont refusé de voter le nouveau programme d’austérité en février ; ils ont été immédiatement exclus de leur parti.
 

Si l’austérité n’est pas la solution, à qui profite le crime ?
Aux banques qui continuent à faire de l’argent sur le dos du peuple et aux multinationales qui disposent d’une main-d’œuvre bon marché et corvéable à merci. Entre 2004 et 2009, les avoirs des banques sont passés de 275 milliards à 579 milliards d’euros. Lorsque la crise éclate en 2009, les sociétés cotées en Bourse venaient de réaliser presque douze milliards de bénéfices. Et entre 1990 et 2007, le profit des entreprises a été multiplié par 28 !

Il y avait de l’argent donc. Où est-il parti ? Les Grecs ont-ils vécu au-dessus de leurs moyens ?
C’est une idée-reçue totalement fausse. Pendant ces années où les entreprises réalisaient des profits énormes, les salaires grecs étaient maintenus à 60% du salaire moyen européen alors que le taux de productivité des travailleurs s’élevait à 93,5% de la moyenne européenne. Ce qui a fait dire à l’économiste Michael Burke : « La Grèce est de loin l’économie la plus exploiteuse de la zone euro ».
L’argent est honteusement parti de diverses manières. Dans l’armement tout d’abord. Le gouvernement est aujourd’hui incapable de payer les pensions mais il a dépensé des milliards dans l’achat de sous-marins et d’avions de combat. La Grèce, un si petit pays, est devenue le premier importateur d’armes dans le monde ! C’est une catastrophe.
D’autre part, l’évasion fiscale est très importante. Les armateurs grecs comptent parmi les plus grosses fortunes du pays mais ils ne paient pratiquement pas d’impôts. Ils placent leurs capitaux dans des paradis fiscaux comme le Lichtenstein, Malte ou Chypre. Ils investissent également dans les pays du Golfe où ils participent à la construction d’hôtels démesurés destinés à accueillir les plus riches touristes de la planète. La fraude fiscale est estimée à plus de quinze milliards d’euros par an. Si bien que l’ancien ministre des Finances a déclaré que la crise grecque enrichissait les banques suisses.

Les Grecs sont-ils bien informés sur la crise ?
Oui. Il y a énormément de télévisions en Grèce : la publique, les privées, les régionales, les locales, etc. Si le privé tend à présenter les mesures d’austérité comme un mal nécessaire, la télévision publique a par contre fait du bon travail. Il faut dire que les journalistes du service public n’ont pas été épargnés par les mesures du gouvernement. Ils ont donc fait grève tout en informant correctement les téléspectateurs sur les motivations de leur action.
Une autre particularité grecque : le parti communiste. Contrairement à d’autres partis communistes en Europe, le KKE est très bien implanté en Grèce. C’est le troisième parti politique du pays. La dictature des colonels a pris fin seulement au milieu des années 70. Or, les communistes ont joué un rôle très important dans la résistance. Ca explique leur popularité en Grèce. Le KKE possède donc sa propre télévision, son quotidien et sa radio. Ces médias disposent de moyens et d’une large audience. Par exemple, lorsque le parlement a voté le nouveau mémorandum les 12 et 13 février, la télévision du KKE a très bien suivi les événements. Dans le parlement, elle avait trois journalistes spécialisés sur les questions institutionnelles. A l’extérieur, ils étaient six à couvrir la manifestation autour du Conseil.
D’autres mouvements de gauche ont aussi leurs chaines de télévision. Même s’ils manquent de moyen par rapport au privé, ils touchent un large public. A travers ces médias donc, les Grecs peuvent avoir des informations critiques sur le gouvernement.

Comment s’organise la résistance au niveau des partis politiques, des syndicats, des citoyens ?
Le KKE est le principal parti d’opposition. Comme je l’ai dit, il est très bien implanté. Avec son syndicat, la Pame, il a une grande capacité de mobilisation. De plus, il travaille en partenariat avec des associations de paysans, de femmes, d’étudiants, de petits commerçants, etc.
L’action des syndicats est très importante. Elle a déjà un impact sur le moral des gens. L’année passée, le taux de suicide a connu une hausse de 42% en Grèce ! Mais quand on se retrouve au sein d’organisations militantes, qu’on s’entraide et qu’on unit nos efforts, les problèmes paraissent moins insurmontables. De plus, l’action des syndicats a aussi un effet pratique sur les petites choses du quotidien. L’électricité par exemple : les factures ont grimpé depuis que le gouvernement y a intégré une taxe immobilière. Beaucoup de gens n’ont pas pu payer. La Compagnie d’Electricité leur a donc coupé le courant. Mais les syndicats ont mobilisé leurs travailleurs au sein de la compagnie pour qu’ils ouvrent à nouveau les compteurs des familles pénalisées.

Vous parlez des communistes mais il y a aussi l’extrême-droite. Ne risque-t-elle pas de profiter du discrédit des partis traditionnels et du mécontentement général ?
En effet, le Laos, parti d’extrême-droite formé assez récemment, est d’abord monté au gouvernement de Papademos en novembre 2011. Ce parti est appuyé par le puissant lobby des armateurs grecs. D’ailleurs, les deux ministres du LAOS étaient respectivement en charge du Transport et du Commerce maritime.
Depuis le vote du nouveau mémorandum en février, le LAOS a quitté le gouvernement. Je ne pense pas cependant qu’il pourra créer la surprise aux prochaines élections et que la Grèce renouera avec ses vieux démons. Ces démons ne sont pas si vieux d’ailleurs. Beaucoup de Grecs ont encore le fascisme en mémoire.

Et au niveau des initiatives citoyennes ?
Il y en a beaucoup. Un mouvement d’intellectuels, regroupant notamment des professeurs de droit, réclame des changements. Ils jugent que l’intronisation de Papademos et les programmes d’austérité violent la Constitution.
Il y a aussi le mouvement des Indignés. Même s’il ne débouche pas vraiment sur des solutions concrètes, il joue un rôle important dans la mobilisation des jeunes.
Certains réclament aussi un audit citoyen sur la dette : une grande part de celle-ci serait illégitime et le peuple grec ne devrait pas la payer.
Récemment, des agriculteurs ont décidé de contourner les grands distributeurs pour vendre leurs produits directement aux consommateurs. C’est le Mouvement des patates ! Les agriculteurs disent qu’il en coûte environ 20 cents pour produire un kilo de pommes de terre. Mais les grossistes les achètent à 10-12 cents pour ensuite fournir les supermarchés, qui les vendent pour environ 60-70 cents le kilogramme.
Enfin, on voit de plus en plus d’actions de désobéissance civile. Les Grecs refusent de trinquer et de subir les mesures illégitimes du gouvernement. Un exemple : la privatisation des routes. Aujourd’hui, pour aller d’Athènes à Salonique, il vous en coûte cinquante euros. Lorsque vous gagnez à peine six-cents euros par moi, ce n’est pas possible. Si bien que des milliers de personnes font régulièrement le trajet sans payer. Idem dans les hôpitaux : de nombreux malades refusent de payer les nouvelles taxes.
 

Les mouvements de protestation se content-ils de rejeter la politique du gouvernement ou proposent-ils d’autres pistes pour sortir de la crise ?
Non, les positions du peuple grec se radicalisent et le niveau de conscience politique augmente. Il ne s’agit plus seulement de rejeter les mesures d’austérité. Les Grecs ont compris que cette dette qui les étouffe est illégitime, qu’elle n’est pas la leur et qu’elle est la conséquence logique du système capitaliste. On l’entend partout dans les manifestations aujourd’hui : les Grecs rejettent ce système.
La société grecque est maintenant traversée par un rapport de force très violent. Soit c’est le néolibéralisme qui gagne, au risque de voir ressurgir un Etat fasciste. Soit c’est le peuple qui l’emporte, pour maintenir une forme de bien-être et tous les acquis sociaux arrachés ces dernières décennies.
Vous savez, en tant que Grecque, je suis évidemment touchée par ce qui se passe. Mais la citoyenne que je suis également est profondément attristée. Tout le monde devrait s’inquiéter de la situation en Grèce. Ce pays de l’Union européenne est devenu un laboratoire. Le néolibéralisme y est poussé à l’extrême. Les attaques contre les droits sociaux sont virulentes. Mais c’est aussi une expérience au niveau démocratique : jusqu’où peut-on bafouer les droits les plus élémentaires des citoyens pour répondre aux exigences de la finance internationale ?
 
 

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