L’exception, c’est celui qui n’est pas prêt à tuer des civils

Le 20 mars 2009


La une du journal clame : « Témoignages durs d’officiers et de soldats à propos du meurtre de Palestiniens innocents », et l’armée israélienne promet, en réponse, d’examiner et d’enquêter. Le compte-rendu poursuit : « Des dizaines de soldats qui ont participé, dans le nord du pays, à l’assemblée du programme préparatoire à l’armée, ont raconté comment ils avaient violé le “code moral” de l’armée israélienne au cours de l’opération “Plomb Durci” –gâchette facile, tirs sans discrimination sur des civils et vandalisme sur des biens privés ».   Vraiment ?


Ces soldats ont-ils vraiment violé le « code moral » de l’armée israélienne ? Ces jours-ci, des membres de l’organisation « On brise le silence » travaillent à une solide collecte de témoignages de soldats et d’officiers qui ont participé dans tous les secteurs de l’opération. L’image qui commence à se dessiner à partir des propos des soldats des diverses unités, c’est que le « code moral » n’a pas été violé mais qu’il a été changé et délibérément faussé, par la haute hiérarchie qui a dirigé mené l’offensive contre Gaza.  
Il y a quelques mois, j’ai été invité au cours préparatoire à l’armée d’Oranim dont les responsables ont osé révéler ces témoignages. <http://www.humanite.fr/Ces-soldats-israeliens-qui-evoquent-les-crimes-de-guerre-a-Gaza>  J’ai projeté pour eux un film tourné par un soldat et où l’on voyait d’autres soldats frappant des Palestiniens à un checkpoint. Voilà ce que le pouvoir opère sur vous, avais-je expliqué, et ne vous attendez pas à ce que l’échelon de commandement veille sur vos valeurs.   J’ai expliqué que contrairement au checkpoint qu’il est possible de filmer et dont il est relativement aisé de divulguer la réalité, les instructions d’ouverture de feu et l’état d’esprit qu’elles instaurent sont difficiles à décrire et à transmettre à des jeunes gens sur le point d’être mobilisés, dans une salle de classe agréable, avec un paysage pastoral de collines verdoyantes. Cela, il n’est pas possible de l’illustrer dans un film ou par une photo.  
Je leur ai raconté les ordres de tuer toute personne présente dans la rue aux petites heures de la nuit lors d’opérations à Naplouse et j’ai essayé de leur rendre concrète l’ambiance qu’il y avait dans ma compagnie en octobre 2000, au point de passage de Kissoufim, à Gaza : tout le monde voulait tuer. Et beaucoup. Les instructions d’ouverture de feu, transmises oralement, ne nous freinaient pas : bien au contraire.  
Je ne sais si j’ai pu influer sur la conscience des jeunes gens qui m’avaient invité, d’eux-mêmes, groupe de jeunes garçons et de jeunes filles se confrontant courageusement et avec intelligence à des dilemmes de valeurs mais il ne m’a pas échappé que j’avais troublé leur instructrice. Elle pensait qu’il était dommage que je n’aie aucun message optimiste à transmettre à ses élèves, à l’approche de leur mobilisation. Elle avait raison. Je n’étais effectivement pas optimiste quant à leur avenir proche.  


Les gens du programme préparatoire qui sont revenus du terrain et qui ont osé faire paraître la vérité et osé parler, démontrent une fois encore qu’il n’y a, en cette affaire, aucune place pour l’optimisme : les ordres ne cessent de se radicaliser, de devenir toujours plus extrêmes et les tentatives de retenue sur le terrain de la part de soldats faisant exception sont généralement vouées à l’échec.  



Un scénario connu d’avance
  

Le « film » qui a débuté avec la publication des témoignages, nous l’avons déjà vu quelques fois ces cinq dernières années : cette publication entraînera après elle un mini débat médiatique et public, ainsi qu’un semblant d’enquête au sein de l’armée. Le genre d’enquête où les soldats subalternes sont réduits au silence. Les conclusions de l’enquête attendue sont connues d’avance et prêtes à la publication : on a découvert que les forces armées israéliennes ont veillé scrupuleusement, et dans tous les secteurs, sur une éthique de combat élevée et il peut s’agir de cas exceptionnels où des troupes ont agi en opposition avec les instructions et en contradiction avec l’esprit de l’armée israélienne…  
Par la suite, le porte-parole publiera des témoignages (véridiques !) de soldats qui avaient décidé de ne pas tirer sur un Palestinien mais avaient préféré se mettre en danger. On nous racontera peut-être le cas (véridique !) d’une assistance médicale apportée par un infirmier de l’armée à un Palestinien de Gaza.   Ensuite, l’enquête aura été « épuisée » et les soldats qui auront communiqué les témoignages seront catalogués comme compagnie de « mauvaises graines » ou on parlera d’un « faux pas moral isolé » dans une compagnie remarquable et digne d’éloges.  
Néanmoins, l’image qui ressort de la collecte de témoignages de Gaza est très différente et particulièrement désespérée : il apparaît que les soldats sur le terrain étaient parfois justement le seul élément modérateur, alors que les directives qu’ils recevaient de plus haut relevaient de l’esprit de tuer pour tuer et de démolir des maisons pour démolir.   C’est pourquoi je propose que, pour changer, l’armée israélienne et ses porte-parole examinent cette fois un scénario différent et novateur pour les mois à venir.
Il conviendrait vraiment que l’armée, tout comme la direction de l’Etat et la population toute entière, essaient de se confronter aux principes du haut commandement et aux ordres reçus par les soldats, au lieu de jouer la dissimulation et de rejeter le blâme sur des « exceptions » cantonnées aux échelons subalternes.
Il conviendrait que tous nous examinions et demandions quel était le but de l’opération et dans quel esprit les commandants de brigades ont envoyé leurs soldats exécuter leurs missions. Qu’est-ce qui a été dit dans les briefings ? Comment y caractérisait-on la population ?  
Lorsque la plaquette complète des témoignages sera publiée dans quelques mois, on ne pourra plus rejeter la faute sur les gens de terrain uniquement. Certains d’entre eux se sont assurément réjouis de tuer des civils en suivant les procédures, comme en a témoigné l’un d’entre eux : « C’est ce qu’il y a de bien à Gaza, imagine que tu voies passer un type. Il n’a pas besoin d’avoir une arme. Tu peux tout simplement lui tirer dessus. »
Pour certains d’entre eux, c’était à qui démolirait, en mission, le plus grand nombre de maisons. Ce sont eux, justement, qui ont agi dans l’esprit de l’armée israélienne et en suivant les ordres.   Les vraies exceptions dans cette histoire, ce sont précisément les rares soldats à s’être abstenus de tuer des civils, de piller ou de détruire des biens, et ce sont généralement ceux-là aussi qui sont prêts à raconter ensuite au public la vraie histoire.    



Noam Hayot a servi comme officier dans la brigade Nahal et il milite au sein de l’organisation « On brise le silence  <http://www.shovrimshtika.org/index_e.asp> ».    


 


Source: Haaretz


(Traduction de l’hébreu : Michel Ghys)   

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