Klaus Barbie, boucher nazi, puis agent de la CIA

A propos du film "Mon meilleur ennemi".

Klaus Barbie, le nazi aux plusieurs visages. Ou comment les services secrets américains ont recyclé le « boucher de Lyon ».

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21-11-2007

Durant une heure et demie, le réalisateur Kevin MacDonald donne la parole à d’anciens agents de la CIA, à des généraux boliviens retraités, à d’anciens résistants français torturés, à d’anciens ministres et, enfin, à Klaus Barbie lui-même : un scénario dans lequel la réalité dépasse de loin la fiction. Si vous voulez en savoir plus sur la démocratie et les droits de l’homme version Barbie et CIA, hâtez-vous d’aller voir ce film1 ou de vous en procurer le DVD.

À vingt ans, en 1933, Klaus Barbie est incorporé au Sicherheitsdienst (SD), le service de renseignement de la SS allemande. Sa tâche consiste à espionner et rechercher. C’est ce qu’il va faire toute sa vie.

En 1942, à 29 ans, il débarque à Lyon, occupée par les nazis. Il y commande bientôt la Section IV de la Gestapo, chargée des « délits politiques ». En ce moment, Lyon est l’un des centres de la résistance antinazie française. « Je suis venu à Lyon pour combattre la résistance. Et pour tuer. Telle était ma mission », raconte Barbie dans le film. Et il y excelle, effectivement.

Il traque les résistants, les Juifs, les partisans, les communistes. Hommes, femmes et enfants. Et il se spécialise dans les techniques d’interrogatoire. La torture. Barbie manipule lui-même la tenaille qui brise et arrache les dents. C’est lui qui invente le supplice de la baignoire d’eau chaude. Il pend les gens par les pouces jusqu’à ce que mort s’ensuive. Bien vite, on le surnomme « le boucher de Lyon ».

« Barbie est plus utile chez nous qu’en prison »

Klaus Barbie est devenu un expert macabre de la traque et de la destruction d’individus. C’est ce qui attire l’attention, en 1946, du Counterintelligence Corps (CIC) américain.

Conformément à l’adage « l’ennemi de mon ennemi est mon ami », les États-Unis prennent Barbie sous leur protection. Il a combattu les communistes et va donc devenir l’ami des Américains. « L’utilité de Barbie comme informateur est incomparablement plus grande que celle qu’il pourrait avoir en prison », raconte Robert Taylor, qui a recruté Barbie pour le CIC2. Et Klaus Barbie est chargé désormais d’organiser les réseaux d’espionnage en Allemagne, en France et en Roumanie. Il truffe d’infiltrants les partis communistes d’Allemagne (KPD) et de France (PCF). Quatre ans durant, avec un traitement princier et une villa de luxe, il figure sur les fiches de paie américaines en Europe.

Klaus Barbie, la junte militaire et l’assassinat de Che Guevara

Vers la fin des années 40, le sol du vieux continent commence à chauffer sous les pieds de Barbie. Résistants et communistes ont eu vent de ce que Barbie travaille pour les Américains. Ils exigent son arrestation. Dans le film, l’agent de la CIC Earl Brownin explique pourquoi les USA ne l’ont pas fait. Son témoignage est sidérant d’honnêteté et de simplicité : « Il nous était toujours précieux. Il savait comment s’y prendre et il a enseigné ses techniques au CIC. Il avait eu une riche expérience en France. » Barbie savait qui rechercher, interroger et torturer. Son expérience, il l’avait acquise à la Gestapo de Lyon. Et le CIC avait besoin de ces techniques. Et c’est ainsi qu’en décembre 1950, le CIC l’aide à se forger une nouvelle identité (Klaus Altmann) et le transfère à Buenos Aires en recourant aux Ratlines, les réseaux d’évasion du Vatican pour les nazis.

Le 23 avril 1951, Barbie débarque à La Paz, où il acquiert assez rapidement la nationalité bolivienne. Il se fait pas mal d’amis parmi les hauts gradés de l’armée bolivienne. En 1964, le général Barrientos fait un coup d’État et la junte militaire prend le pouvoir. En 1967 – voici précisément quarante ans –, les troupes de Barrientos débusquent Che Guevara et le liquident. Klaus Barbie fait savoir que c’est lui qui a enseigné à l’armée bolivienne la stratégie destinée à retrouver Che Guevara.

« Tous, vous avez eu besoin de moi. Mais, aujourd’hui, je suis seul devant ce tribunal. »

Le 17 juillet 1980, Klaus Barbie est à nouveau impliqué dans un coup d’État militaire en Bolvie. Cette fois, sa part est bien plus active, puisque, en compagnie d’éléments d’extrême droite de l’armée (« les fiancés de la mort ») et de camarades de son réseau anticommuniste international, il prépare de près le coup d’État, grâce à l’argent du baron de la drogue Luis Arce Gomez. La CIA est au parfum et soutient toute l’entreprise « afin de pouvoir enfin installer un puissant axe anticommuniste de la Bolivie au Chili ». Dans son premier discours au pays, le chef de la junte Gomez déclare sans sourciller : « Tous les dirigeants syndicaux, les militants et les communistes doivent quitter le pays. » Jusque-là, pas de problème pour les USA.

Toutefois, les militaires poursuivent le trafic de cocaïne et la CIA les laisse tomber. Et cela signifiera également la fin de Klaus Barbie. En 1983, il est livré à la France et, le 3 juillet 1987, il est condamné à la prison à vie. « Tous, vous avez eu besoin de moi. Mais, aujourd’hui, je me retrouve seul devant ce tribunal. » Fin de l’histoire de Klaus Barbie.

« Avec nous ou avec les terroristes »

« Le monde a le choix : avec nous ou avec les terroristes », a dit le président George W. Bush voici quelques années. Dès 1944, les Américains ont ramené eux-mêmes aux USA les experts nazis de la « guerre biologique » et des « armes de destruction massive »3. Les experts de terrain contre le communisme ont été maintenus en service actif en Europe. Et, quand ils étaient brûlés, le Vatican les acheminait vers l’Amérique du Sud. Plusieurs d’entre eux ont rempli d’importantes fonctions et joué un rôle actif dans les régimes militaires de droite des années 60, 70 et 80. « Ils ont exporté en Amérique latine leurs méthodes extrêmement cruelles d’enquête, de répression et de torture. Ils ont collaboré à la disparition de milliers de personnes », déclare l’enquêteur Christopher Simpson dans le film. « Ils étaient de véritables entrepreneurs en terrorisme. Des spécialistes de la ‘violence anticommuniste’. Contre des profs, des dirigeants syndicaux, contre tous ceux qui défendaient ne serait-ce qu’un vague point de vue de gauche. »

Le cinéaste Kevin MacDonald dit, de son film : « J’ai voulu montrer que le fascisme avait été utilisé par les vainqueurs pour constituer le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. Je pense que le film est important pour comprendre notre actuelle situation politique4. » MacDonald y est parvenu sans nul doute.

1 Pour l’instant, le film est présenté à Bruxelles et Mons. Pour les salles et horaires, voir www.cinebel.be • 2 Christopher Simpson, Blowback. America’s Recruitment of Nazis and its effects on the Cold War. New York , Wiedenfeld & Nicolson, 1988, p. 188 • 3 Voir : Peter Mertens, 10.000 criminels nazis dans l’industrie de guerre américaine, dans : Solidaire n° 41, 2002. • 4 Voir : http://www.zerodeconduite.net/monmeilleurennemi/dossier_pedagogique.htm • Site officiel : www.wildbunch-distribution.com

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