Israël : de la discrimination à la négation de libertés fondamentales

Haaretz, 18 mai 2005 – L’amendement à la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël – approuvé avant-hier par le gouvernement – crée trois filières ethniques séparées d’acquisition de la citoyenneté en Israël : la filière pour les Juifs, la filière pour les Arabes et la filière pour les « étrangers ».

La filière arabe n’impose pas seulement une procédure échelonnée sur des années comme pour les « étrangers », mais elle interdit, avec une exception des plus réduite, l’unification des familles quand un des conjoints est arabe-palestinien et réside dans les territoires occupés. Par contraste, la filière juive offre à tout Juif d’acquérir la citoyenneté en Israël d’une manière automatique, conformément à la Loi du Retour.

Les partisans de l’amendement – et parmi eux, des membres éminents du monde académique – clament que tout Etat est libre de fixer sa politique d’immigration. C’est vrai, mais premièrement, il ne s’agit pas d’immigration mais de l’octroi d’un statut au conjoint d’un citoyen. Deuxièmement, il n’y a pas, dans le monde, d’état démocratique qui limite l’immigration sur base de l’appartenance ethnique. Troisièmement, la composante ethnique, « arabe » dans le cas qui nous occupe, constitue la composante identitaire de 20% de l’ensemble des citoyens de l’Etat d’Israël et cette mesure a dès lors pour effet de légitimer ouvertement et officiellement la discrimination des citoyens arabes dans tous les domaines.

Certains partisans de la loi tentent de la justifier en la comparant à ce qui a cours au Danemark. C’est une comparaison trompeuse. Tout d’abord parce que la loi danoise constitue une exception et qu’actuellement, elle traverse justement une révision constitutionnelle qui, on peut raisonnablement le supposer, conduira à son invalidation. En outre, la loi danoise ne crée pas de filières ethniques à la citoyenneté et elle n’est pas radicale comme la loi israélienne, puisqu’elle permet un examen au cas par cas.

Une question pertinente serait de savoir si les partisans de la loi sont prêts à adopter toute la politique danoise sur la citoyenneté et l’immigration. Leur réponse serait évidemment négative car ils refusent de faire d’Israël un état civil comme les démocraties modernes de ce type. On dirait qu’une partie de ces membres du monde académique se sont trouvé un nouveau passe-temps : ils se sont lancés dans la quête des erreurs et défauts dont sont atteintes les démocraties dans le monde, afin de les adopter et d’en faire la norme suprême en Israël.

Toutefois, la question centrale et importante, ici, est qu’il ne s’agit pas d’immigration, comme le prétend le gouvernement, mais de la négation de la liberté individuelle des citoyens arabes et de leur droit à se choisir un conjoint et à mener une vie familiale normale. Cette limitation ne frappe pas les Juifs en Israël et elle n’a pas aujourd’hui son pareil dans les états démocratiques. Elle en a néanmoins dans le passé : dans les années ’50, l’état de Virginie, aux Etats-Unis, interdisait le mariage entre noirs et blancs. Les Lovings, qui avaient été contraints de quitter la Virginie, ont déposé un recours mettant en cause la constitutionnalité de cette loi et la cour suprême des Etats-Unis a invalidé celle-ci parce que raciste. En 1980, au plus fort de l’apartheid, la cour suprême d’Afrique du Sud a annulé – reconnaissant par là le droit à une vie de famille – l’interdiction faite à une femme noire de vivre avec son mari noir qui disposait, du fait de son travail, d’une autorisation d’habiter en secteur blanc.

Les partisans de l’amendement à la loi sur la citoyenneté cherchent à le justifier par des raisons démographiques. Ils ne se contentent pas d’une préférence accordée à une communauté du fait de son appartenance ethnique (la filière juive) mais cherchent à refuser des libertés fondamentales à l’autre communauté du fait de son appartenance ethnique (la filière arabe). C’est pourquoi l’amendement à la loi reflète la transition d’une situation inadmissible de discrimination à une situation d’oppression raciste.

Les partisans de l’amendement à la loi déclarent qu’il est rendu nécessaire pour conserver la majorité juive dans le pays. Mais si cet objectif autorise l’Etat à adopter une mesure aussi extrême et à porter atteinte à des droits constitutionnels fondamentaux comme le droit à une vie de famille, alors pourquoi la municipalité de Nazareth Ilit, par exemple, ne refuserait-elle pas un beau jour, à des citoyens arabes le droit d’acquérir des appartements sur son territoire en déclarant que la chose est vitale pour protéger le caractère juif de Nazareth Ilit ou, autre cas de figure, pourquoi n’imposerait-elle pas un impôt plus élevé aux habitants arabes afin de les dissuader de fonder un foyer sur son territoire ? C’est là la pente glissante de l’argument démographique derrière lequel se dissimule le racisme.

Les partisans de la loi plaident que le droit international autorise l’atteinte à des droits fondamentaux en situation de guerre. C’est vrai dans une certaine mesure mais il semble qu’ait échappé à leur mémoire phénoménale le fait élémentaire que le droit international excepte de cette règle le principe qui interdit la discrimination et dont la violation est absolument interdite même en situation de guerre (article 4 de la Convention internationale portant sur les doits civils et politiques), et cela devant la leçon tirée des horreurs du génocide juif et de la seconde guerre mondiale.

La conclusion est évidente : l’amendement à la loi sur la citoyenneté n’est pas seulement anticonstitutionnel d’une manière flagrante et radicale, il est aussi contraire à la morale humaine élémentaire.

L’auteur est avocat et dirige l’organisation Adalah

[Adalah : Centre légal pour les droits de la minorité arabe en Israël – www.adalah.org – NdT]

(Traduction de l'hébreu : Michel Ghys)

http://www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=577377

Version anglaise : From discrimination to the denial of basic freedoms

http://www.haaretz.com/hasen/spages/577297.html

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